La révision constitutionnelle et le référendum de 1962

Institutions de la République

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L’essentiel

La révision constitutionnelle de 1962 accroît la légitimité du président de la République en instaurant le suffrage universel direct.

Cette révision est approuvée par 62,2% des électeurs lors du référendum du 28 octobre 1962. La voie référendaire, via l'article 11 de la Constitution, permet au président De Gaulle de contourner le vote des députés et sénateurs, alors majoritairement opposés à la réforme. 

En détail

Le chef de l'État ne peut procéder à la révision de la Constitution par la voie de l’article 89, car celui-ci impose l’accord des deux chambres, l'Assemblée nationale et le Sénat. Or, ces dernières sont hostiles à un tel projet, qui modifie radicalement, et à leur détriment, l’équilibre des institutions. L'élection du président de la République au suffrage direct, et non plus indirect (c'est-à-dire par les députés et les sénateurs) remet en cause le caractère parlementaire du régime.

Charles de Gaulle décide donc, lors du Conseil des ministres du 12 septembre 1962, de recourir à l’article 11, qui permet de "soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics." La méthode choisie provoque de vives protestations dans le monde politique des partis façonnés par les IIIe et IVe Républiques. Elle revient à imposer une lecture présidentialiste des institutions, sans que les assemblées ne puissent se prononcer sur cette modification fondamentale de l’équilibre des pouvoirs.

La plupart des juristes critiquent également cette procédure, au motif qu’elle conduit à réviser la Constitution sans respecter le cadre défini par la Constitution elle-même. L'article 89 dispose en effet que "le projet ou la proposition de révision doit être voté par les deux assemblées en termes identiques. La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum." La consultation référendaire sur un projet de loi constitutionnelle ne peut donc intervenir qu’après une délibération parlementaire, et non pas directement sur le texte élaboré par l’exécutif, comme dans le cadre de l’article 11 qui ne porte que sur les projets de loi ordinaires.

Au congrès du parti radical socialiste de Vichy, en septembre 1962, Gaston Monnerville, président du Sénat, dénonce la violation de la Constitution opérée par le chef de l’État et accuse le Premier ministre, Georges Pompidou, de "forfaiture", au motif que : "Si le chef de l’État a décidé en connaissance de cause, je me permets de l’affirmer, de la violer [la Constitution], le Premier ministre n’avait qu’à ne pas signer, il n’avait qu’à ne pas dire OUI... au référendum".

À l’Assemblée nationale, l’ensemble des partis politiques représentés, à l’exception du mouvement gaulliste, se rejoignent pour dénoncer le dessaisissement du Parlement et la tentative de pouvoir personnel opérée par le chef de l’État. Une motion de censure est adoptée le 5 octobre 1962 par 280 voix, renversant ainsi le Gouvernement Pompidou (la majorité requise était de 241 voix). C’est l’unique cas de motion de censure, jusqu'à nos jours, à avoir été votée sous la Ve République. Le général de Gaulle réplique en prononçant la dissolution de l’Assemblée nationale et en décidant que les élections législatives seront organisées après le référendum, prévu pour le 28 octobre 1962.

Ce référendum, organisé à l’initiative du président de la République Charles de Gaulle, se traduit par une victoire politique du chef de l’État : 62,2% des suffrages exprimés approuvent le projet de loi prévoyant l’élection du président de la République au suffrage universel direct, 37,8% se prononçant contre. Ce résultat doit toutefois être nuancé du fait de l’abstention qui concerne 23% des inscrits (un chiffre relativement élevé, comparé aux 15% lors du référendum du 28 septembre 1958 approuvant la Constitution).

Les élections législatives des 18 et des 25 novembre 1962, qui suivent ce référendum, consacrent la victoire des partisans du chef de l’État : la formation gaulliste rassemble au second tour plus de 40% des suffrages et obtient avec ses alliés la majorité absolue des sièges, du fait du scrutin majoritaire à deux tours en vigueur depuis 1958. Ces élections marquent la défaite des formations politiques opposées à l’élection du président de la République au suffrage universel direct.

Sur le terrain du droit, la validité de la révision constitutionnelle approuvée par la voie référendaire, n’a pas été remise en cause par le Conseil constitutionnel. Saisie par le président du Sénat, Gaston Monnerville, la juridiction constitutionnelle s’est refusée à vérifier la conformité à la Constitution de la procédure suivie, s’estimant incompétente pour connaître des lois adoptées par le peuple à la suite d’un référendum, qui "constituent l’expression directe de la souveraineté nationale."

L’élection au suffrage universel donne une forte légitimité au président de la République qui est l’élu de la Nation. Elle consacre la prééminence du président de la République.

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Le référendum sous la Ve République : histoire, modalités et usage (2/3)

[GENERIQUE

Vous écoutez « L’Actualité de la vie publique », un podcast du site Vie-publique.fr. 

Signature sonore

Patrice : Bonjour à tous, Bonjour « Guillemette » 

Guillemette : Bonjour « Patrice » 

Patrice : Référendum d’initiative partagée (RIP), référendum d’initiative citoyenne (RIC), initiative populaire des lois (IPL)…etc., si le débat concernant les moyens de renforcer la participation des citoyens aux affaires de la cité a été relancé en France ces dernières années, le référendum plonge en réalité ses racines dans un passé très ancien. 
Voici une nouvelle série de « L’Actualité de la vie publique » consacrée à cet instrument de démocratie directe qui suscite de nombreuses critiques mais représente, pour d’autres, un outil susceptible d’améliorer le fonctionnement de la démocratie représentative. 

Au sommaire de ce deuxième épisode : « Le référendum sous la Ve République : histoire, modalités et usage ». 

Patrice : Alors, première question Guillemette, comment le référendum est-il défini dans la Constitution française ? 

Guillemette : Tout d’abord, rappelons que le référendum est une procédure de vote permettant de consulter directement le peuple sur une question. L’article 3 de la Constitution reconnaît le référendum comme l’un des deux moyens d’expression de la souveraineté nationale. Il dispose, je cite : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. » Les articles 11, 89 et 72 de la Constitution définissent les trois grands types de référendums. 

[Intervention 1. Patrice : Quels sont-ils ?] 

Guillemette : Le premier, défini à l’article 11, est le référendum législatif. Celui-ci peut porter sur : l'organisation des pouvoirs publics ; la politique économique, sociale ou environnementale de la nation (depuis 1995) ; et sur les services publics qui y concourent. Il peut également porter sur la ratification d’un traité international. Le référendum prévu par l’article 89 est le référendum constituant. Il vise à modifier la Constitution. Enfin, depuis la réforme constitutionnelle de 2008, il est possible d’organiser des référendums à l’échelle locale. En application de l’article 72, les électeurs d’une collectivité territoriale peuvent décider, par leur vote, de la mise en œuvre ou non d’un projet concernant une affaire locale (par exemple, la création d’une police municipale ou le choix du nom des habitants). 

Patrice : Qui est à l’initiative du référendum en France ? Eh bien Patrice, le droit d’initiative dépend justement du type de référendum. Le référendum législatif est décidé par le président de la République : à la demande du gouvernement ou des deux assemblées (Assemblée nationale et Sénat) ; à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement, soutenus par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Dans ce second cas, on parle de référendum d’initiative partagée. En ce qui concerne le référendum constituant, l’initiative de la révision constitutionnelle appartient concurremment au président de la République sur proposition du Premier ministre et aux membres du Parlement. Le recours au référendum est : obligatoire pour les propositions de lois constitutionnelles (à initiative des parlementaires) ; alors qu’il est facultatif pour les projets de lois constitutionnelles (à l’initiative du Gouvernement). Un projet de loi constitutionnel n’est présenté au référendum que lorsque le président de la République décide de ne pas le soumettre au Parlement réuni en Congrès. 

[Intervention 2. Patrice. Et pour le référendum local ?] 

Guillemette : Le référendum local est toujours à l’initiative de la collectivité locale (commune, département ou région). Si plus de la moitié des électeurs a pris part au scrutin, et que le « oui » réunit au moins 50% des suffrages exprimés, le référendum n’est plus consultatif mais devient contraignant. 

Patrice : Les résultats du référendum sont-ils toujours contraignants ? 

Guillemette : Sous la Ve République, en effet, le référendum a généralement une portée décisionnelle. Une réponse positive au référendum se conclut par la promulgation de la loi constitutionnelle ou ordinaire correspondant au projet, ou par la ratification d'un traité. Par exemple, la victoire du « oui » au référendum du 24 septembre 2000 a donné lieu à la réforme constitutionnelle de 2000 sur le quinquennat. Parfois même, le référendum a eu une portée politique au-delà de la question posée. Par exemple, en 1969, après la victoire du « non » à la proposition de réforme du Sénat et de régionalisation, le président de la République Charles de Gaulle se résout à quitter ses fonctions. L’échec de ce référendum est interprété comme un désaveu de sa personne et de sa politique. Mais la personnalisation du référendum n’est pas systématique. En 2005, par exemple, le « non » au projet de traité établissant une Constitution pour l'Europe n'a pas provoqué de démission du Gouvernement ou du président de la République. 

Patrice : Quelles sont les principales critiques émises à l’encontre du référendum ? 

Guillemette : Certaines critiques portent sur la nature intrinsèque du référendum. Par exemple, le caractère réducteur de la question posée et la réponse, nécessairement binaire (oui ou non), ne permettent pas de trancher des questions complexes. Pour ses détracteurs, le référendum exclut toute forme de nuance et de consensus. Certains pointent également l’incompatibilité du référendum avec la culture et les pratiques du régime parlementaire. Il est en effet difficile de consulter plusieurs fois les citoyens sur un même sujet, ou tout simplement de corriger les erreurs d’un texte adopté par référendum. Au Parlement, à l’inverse, il est très fréquent que des lois soient amendées ou annulées en cas d’alternance politique. 

Patrice : Alors comment expliquez-vous que le référendum soit fréquemment évoqué comme un moyen d’améliorer le fonctionnement de la démocratie représentative ? 

Guillemette : Pour ses promoteurs, le référendum permet en effet de rapprocher les citoyens de la prise de décision et de la fabrique des politiques publiques… A condition, bien entendu, de lui retirer tout caractère plébiscitaire ! En France, il y a un véritable débat autour de l’usage de l’article 11. 

[Intervention 4. Patrice : Vous voulez parler du référendum de 1962 ?] 

Guillemette : Tout à fait Patrice. En 1962, le général de Gaulle souhaitait faire adopter une réforme constitutionnelle visant à modifier le mode de scrutin de l’élection présidentielle. D’après l’article 89, une réforme ne peut être soumise au référendum qu’à condition d’être votée dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale et le Sénat. D’après l’article 11, en revanche, le président de la République, sur proposition du Gouvernement, peut soumettre au référendum tout projet de loi « portant sur l’organisation des pouvoirs publics ». Sachant le Parlement défavorable à cette réforme, le général de Gaulle a préféré le contourner et s’en remettre à l’article 11. Cette décision a été fortement contestée par ses adversaires politiques, mais aussi de nombreux juristes, qui y voyaient un abus de pouvoir contraire à l’esprit de la Constitution. Vous voyez Patrice, l’un des écueils du référendum en France, c’est qu’il soit utilisé par le pouvoir exécutif au détriment du pouvoir législatif. 

[Intervention 5. Patrice : Pourtant, le référendum peut être aussi à l’initiative des citoyens n’est-ce pas ?] 

Guillemette : En effet depuis la réforme de 2008, un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales, soutenus par un cinquième des parlementaires, peuvent initier ce que l’on appelle un référendum d’initiative partagée, RIP. Mais en réalité, il est très difficile de rassembler les soutiens nécessaires. Sous la Ve République, aucun projet de RIP n’a franchi la barre de recevabilité. Par ailleurs, Patrice, il ne faut pas confondre le référendum d’initiative partagée avec le référendum d’initiative citoyenne. Le référendum d’initiative citoyenne, RIC, permettrait de soumettre au référendum une proposition de loi sans l’aval du Parlement. S’il faisait partie des revendications des Gilets jaunes en 2018, il n’est, à ce jour, pas prévu par la Constitution française. 

Patrice : Dernière question Guillemette, a-t-on envisagé récemment des pistes de réforme du référendum ? Oui, par exemple, dans son projet de révision constitutionnelle de 2019, le président de la République Emmanuel Macron envisageait de faciliter l’accès au RIP, en levant certaines limites, et d’étendre le champ du référendum, notamment aux questions de société. Mais cette réforme constitutionnelle n’a finalement pas vu le jour. Toujours est-il que le référendum est un sujet récurrent dans le débat public français : même s’il ne cesse de faire l’objet de critiques, les partis politiques, les think tanks et la société civile ne manquent pas d’idées pour le moderniser. 

Patrice : Merci beaucoup Guillemette ! C’est la fin de cet épisode ! Dans le troisième et dernier épisode, nous nous intéresserons aux modèles de référendums étrangers et aux autres pistes de participation citoyenne. Vous pouvez réécouter gratuitement les deux premiers épisodes de cette série sur vos plateformes préférées et notre chaîne YouTube. N’hésitez pas à vous y abonner ! Et pour en savoir plus, RDV sur notre site internet Vie-publique.fr et nos réseaux sociaux. On se retrouve très bientôt ! Au revoir Guillemette ! 

Guillemette : Au revoir Patrice, au revoir à tous !

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