L’élection présidentielle américaine 2020 – Sociologie des grands partis, géographie électorale et vote des minorités (6/6)
A quelques jours de l’élection présidentielle américaine : retour sur les principales caractéristiques électorales des Etats-Unis.
Par La Rédaction
Temps de lecture 13 minutes 2 secondes
PODCAST SÉRIE L’ÉLECTION US 2020
ÉPISODE 6. Sociologie des partis, géographie électorale et vote des minorités
[Générique]
Vous écoutez « L’Actualité de la vie publique », un podcast du site Vie-publique.fr.
Signature sonore
Patrice : Bonjour à tous,
Bonjour Stéphanie
Stéphanie : Bonjour Patrice
- Liaison avec l’épisode précédent (épisode 5)
Dans l’épisode précédent - l’épisode 5 - de notre série consacrée à l’élection présidentielle américaine, nous avons abordé une question essentielle, celle du financement des campagnes électorales. Aux États-Unis, en effet, lors des derniers scrutins présidentiels, les budgets ont atteint des montants absolument colossaux !
- Introduction de l’épisode 6
Aujourd’hui, dans le sixième et dernier épisode de notre série, nous allons nous intéresser à la composition sociologique des partis : comment votent les ouvriers par rapport aux cadres ? Les femmes par rapport aux hommes ? Les jeunes par rapport à leurs aînés ? Nous allons également nous pencher sur la géographie électorale des États-Unis pour comprendre par exemple comment votent les New-Yorkais par rapport aux Texans ? Nous aborderons également une question très importante dans ce pays qui est celle du vote des minorités ethno-raciales, notamment les Afro-américains et les Hispaniques. Et enfin, nous nous interrogerons sur le rôle particulier que joue la religion dans la vie politique américaine.
LANCEMENT : Sixième et dernier épisode « Pour qui votent les Américains et pour quelles raisons ? »
[Thème musical]
1. Première question, Stéphanie, peut-on dresser un portrait de l’électeur républicain et de l’électeur démocrate ?
Commençons d’abord par les Républicains !
Si on devait faire le portrait-robot de l’électeur républicain type, nous dirions qu’il s’agit majoritairement d’un homme, blanc, plutôt d’âge moyen ou avancé. Cet électeur a de façon général un niveau d’instruction inférieur à la moyenne mais peut aussi figurer parmi les plus fortunés des Américains et parmi l’élite.
Le parti républicain compte aussi dans ses rangs de nombreux évangélistes chrétiens (comme par exemple le Vice-Président actuel Mike Pence).
Au sein de la frange ultra-conservatrice de ce parti républicain, on trouve également les militants du Tea Party, un mouvement libertarien qui s’oppose à l’État fédéral (dont est proche, notamment Mike Pompeo, l’actuel secrétaire d’Etat des Etats-Unis, l’équivalent du ministre des Affaires étrangères). Ce mouvement a émergé à la faveur de la crise financière de 2008, au début du premier mandat du président Barack Obama.
Quant à la base électorale traditionnelle du parti démocrate, elle est constituée majoritairement de femmes, de jeunes, d’Afro-Américains, d’Hispaniques, de syndiqués, de diplômés et enfin d’Américains dont la pratique religieuse est faible.
[Intervention 1 Patrice : Ces grandes tendances concernant l’électorat des deux grands partis sont-elles stables ?]
Oui, ces tendances sont stables ! Mais il faut savoir qu’aux États-Unis, beaucoup d’électeurs ne votent pas systématiquement pour leur parti. À l’exception des authentiques militants, l’attachement aux partis politiques est plutôt faible. Beaucoup d’électeurs vont par exemple voter pour le candidat d’un parti lorsqu’il s’agit d’élire leur sénateur ou leur représentant au Congrès mais à l’occasion de l’élection présidentielle, ils voteront pour le candidat de l’autre parti.
[Intervention 2 Patrice : Pourquoi aux États-Unis le vote est-il historiquement lié à l’appartenance ethnique ?]
Les minorités hispaniques, asiatiques votent majoritairement en faveur des démocrates en raison notamment de la rhétorique anti-immigration développée par le Parti républicain.
Les liens privilégiés tissés entre les Afro-Américains et les démocrates, eux, datent de la lutte menée en commun pour la promotion des droits civiques dans les années 1960.
[Intervention 3 Patrice : C’est une loi fédérale votée en 1965 qui va véritablement changer les choses, n’est-ce pas ?]
Oui Patrice ! C’est grâce à l’adoption de la loi fédérale interdisant la discrimination en matière de vote en 1965 (Voting Rights Act) que les Afro-Américains pourront enfin exercer leurs droits civiques. Les Démocrates ayant apporté leur soutien à ce mouvement dans les années 1960, les Afro-Américains vont dès lors soutenir très majoritairement ce parti. A contrario, les populations blanches des États du Sud basculent, elles, massivement à la fin des années 1960, du côté du parti républicain.
[Intervention 4 Patrice : Et cette année le vote des Noirs américains, notamment les jeunes, va être particulièrement suivi, n’est-ce pas ?]
Oui en effet Patrice ! Notamment en raison de l’ampleur pris par le mouvement Black Lives Matter, à la suite de la mort de George Floyd, cet Afro-américain tué par un policier dans des circonstances tragiques très médiatisées sur les réseaux sociaux, le 25 mai 2020 à Minneapolis. Cette mort a soulevé une vague d’indignation d’une ampleur inédite et provoqué un mouvement de protestations à travers tout le pays mais également à l’étranger.
[Intervention 5 Patrice : Et puis il y a également cette année le choix très important de la colistière de Joe Biden ?]
En effet, le choix de Kamala Harris, une femme afro-américaine (d’origine jamaïcaine par son père), Kamala Harris, comme colistière de Joe Biden, devrait avoir une influence importante sur le vote des Noirs américains, en particulier des jeunes qui ne s’étaient pas beaucoup mobilisés pour Hillary Clinton en 2016.
[Intervention 6 Patrice : Et quant aux Hispaniques, Stéphanie, qu’en est-il de leur vote ?]
Quant aux Hispaniques, s’ils sont, comme on l’a dit, majoritairement des soutiens du parti démocrate, leur vote se caractérise néanmoins par une forte diversité selon leur origine géographique et l’ancienneté de leur implantation sur le territoire américain par exemple.
Les Hispaniques de Floride originaires de Cuba issus du mouvement anticastriste sont plus conservateurs et plus proches du parti républicain que les Portoricains installés à New York. Ces tendances s’atténuent toutefois progressivement avec les nouvelles générations. De même, le vote des Latinos originaires du Mexique ou d’Amérique latine est plus favorable aux démocrates. Mais là encore le diable se cache dans les détails car les Hispaniques installés de longue date dans des États comme le Texas ou le Nouveau-Mexique, et qui ont connu une certaine réussite sociale, peuvent être eux-aussi plus proches du parti républicain.
[Intervention 7 Patrice : On parle beaucoup de la montée en puissance du « vote latino » qui allié aux autres groupes minoritaires pourrait conduire à l’émergence d’une « coalition des minorités » très favorable aux démocrates. Sachant que compte tenu de de l’évolution démographique du pays cette coalition pourrait devenir progressivement majoritaire. Est-ce une réalité ?]
En 2008, la très forte mobilisation des minorités ethno-raciales en faveur de Barack Obama, un candidat métis, a été un événement majeur.
Mais en 2016, le vote des minorités n’a pas permis à Hillary Clinton de l’emporter. La mobilisation des Hispaniques en sa faveur dans les États du Sud-Ouest (Nevada, Colorado) n’a pas compensé la perte des États de la Rust Belt (la « ceinture de rouille », région de vieilles industries).
On observe également par exemple que les Hispano-Américains ont tendance à moins s’inscrire sur les listes électorales et ont également moins tendance à voter que d’autres minorités.
Mais les partis politiques ont bien pris conscience que le vote des Hispaniques constitue à terme un enjeu important – cette minorité est en expansion sur le plan démographique comme dans l’Arizona, un Etat traditionnellement républicain mais qui du coup pourrait cette année, en 2020, basculer du côté des démocrates.
2. Quels sont traditionnellement les États fédérés ou régions des États-Unis où dominent les démocrates et les républicains ?
Les démocrates ont l’avantage dans les États les plus peuplés et urbanisés de la côte Est et de la côte Ouest (comme l’État de New-York ou la Californie). Ils sont en position de force dans les grandes villes. La région des Grands Lacs constitue également un bastion démocrate. Dans cette région industrielle du nord-est, baptisée Rust Belt (ceinture de rouille) comme on l’a dit tout à l’heure, il existe une tradition syndicale qui reste forte (comme par exemple dans l’industrie automobile). Et la présence importante des minorités dans les grands centres urbains comme Chicago, Detroit, Cleveland, etc. joue en faveur du parti démocrate.
Quant aux républicains, les régions où ils dominent largement sont les États du Sud et du Midwest. Ce sont des États où la population est majoritairement rurale, blanche et qui tend à être conservatrice sur les questions sociales et de société. Ce sont ces Américains qui constituent la base électorale du parti républicain.
[Intervention 8 Patrice : la polarisation politique du pays se reflète donc de façon assez schématique sur le plan géographique ?]
Oui ! Et puisque la plupart des États ne sont pas compétitifs dans le sens où le vote est traditionnellement acquis à un des deux partis, on comprend pourquoi la stratégie électorale consiste en règle générale à concentrer ses efforts dans les États-pivots !
[Intervention 9 Patrice : Les fameux swing states dont on déjà parlé dans l’épisode précédent]
Oui ces États indécis qui sont susceptibles de basculer dans un camp ou un autre. Attention, le statut de swing state peut évoluer au fil des élections. Depuis les années 2000, l’Ohio, la Floride, le Wisconsin, la Pennsylvanie notamment figurent parmi les swing states.
3.Stéphanie, quel a été en termes de géographie électorale le fait marquant de la dernière élection présidentielle en 2016 ?
Le fait le plus marquant de l’élection de 2016 qui a vu s’affronter, rappelons-le Hillary Clinton et Donald Trump, a été le basculement de la Rust Belt, acquise aux démocrates, dans le camp républicain.
Parmi ces États de la Rust Belt, seul l’Illinois est resté fidèle aux démocrates. Hillary Clinton a perdu de justesse dans trois États : le Michigan, le Wisconsin et la Pennsylvanie et cela lui a coûté la Maison Blanche.
Ce basculement électoral fût une grande surprise mais s’explique par le fait que la crise économique de 2008 a très durement frappé cette région autrefois dynamique.
[Intervention 10 Patrice : Est-ce que les États-pivots seront les mêmes en 2020 qu’il y a quatre ans ?]
Il est probable que certains États qui ont basculé en 2016 comme la Pennsylvanie, le Wisconsin et le Michigan pourraient jouer de nouveau un rôle important. Mais depuis les ravages de la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 et ses conséquences désastreuses sur l’économie, l’évolution de l’électorat est devenue plus imprévisible qu’il y a quelques mois.
Donald Trump va chercher à mobiliser la base électorale du parti républicain : les électeurs aux tendances conservatrices des zones rurales blanches.
4.Nous n’avons pas encore abordé la question religieuse. Est-ce que la religion joue un rôle spécifique dans les élections américaines ?
Ce qui est très intéressant à retenir concernant les États-Unis, c’est l’importance de la place du fait religieux dans la société.
La religiosité des Américains est singulière si on la compare aux autres pays développés. Pour vous donner une idée : 87 % des Américains affirment croire en Dieu et 55 % disent prier régulièrement (contre 10 % seulement des Français).
[Intervention 11 Patrice : Comment explique-t-on ce degré particulièrement élevé de religiosité ?]
Certains sociologues expliquent que la séparation entre les églises et l’État aurait entraîné un pluralisme religieux favorisant la création d’un « marché de la religion » et une forte participation religieuse. C’est-à-dire que les Églises seraient devenues non seulement des lieux de culte dynamiques mais également des lieux de formation, d’échanges, de protection notamment sociale (pour les plus fragiles, les immigrants récents ou les minorités).
Dans une société qui se singularise par un niveau élevé d’insécurité, et des inégalités socio-économiques importantes, les églises se seraient substituées à l’État en offrant aux citoyens une protection que ce dernier n’offre pas ou de manière insuffisante.
Cette religiosité imprègne de manière très importante la vie politique.
Les présidents des États-Unis invoquent traditionnellement très souvent Dieu et la foi. Quant à Donald Trump, il a fait de la religion une stratégie politique afin de s’attirer les suffrages des chrétiens évangéliques blancs, qui sont plus de 80 % à avoir voté pour lui en 2016. Il soutient leur combat politique en militant notamment contre l’avortement, contre les droits des personnes LGBTQ ou pour la prière à l’école.
Fin de l’épisode :
C’est la fin de cet épisode et de notre série consacrée à l’élection présidentielle américaine !
D’ici quelques jours maintenant, si l’élection se déroule normalement on pourrait connaître le nom du prochain président des États-Unis, puisque l’élection aura lieu, on vous le rappelle, mardi 3 novembre.
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Au revoir Stéphanie, au revoir à tous !
[Au revoir !]
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