PODCAST SÉRIE 9 LES LOIS AUROUX
ÉPISODE 3. « Que reste-t-il des lois Auroux ? »
[GENERIQUE]
Vous écoutez « L’Actualité de la vie publique », un podcast du site Vie-publique.fr.
Signature sonore
Stéphanie : Bonjour à tous,
Bonjour « Patrice »
Patrice : Bonjour « Stéphanie »
● Introduction de la série
Stéphanie : A son arrivée au pouvoir, en mai 1981, le nouveau gouvernement de gauche se propose de modifier en profondeur le code du travail. L’objectif est d’accorder de nouveaux droits aux travailleurs. Rue de Grenelle, le ministre en charge de cette réforme, s’appelle Jean Auroux. L’ambition affichée par le jeune ministre est de promouvoir une nouvelle citoyenneté dans l’entreprise et de moderniser les relations sociales en France. Les 4 lois qui portent son nom seront toutes promulguées au cours de l’année 1982.
Au sommaire de ce troisième épisode : « Que reste-t-il des lois Auroux ?».
[ARCHIVE : extrait du discours de Jean Auroux « Je voudrais transformer le code du travail en code de démocratie économique. Et cette démocratie est fondée sur 2 piliers : le droit d’expression direct qui est en quelque sorte la démocratie directe et puis la négociation, notamment, la démocratie représentative avec les différentes institutions qui existent]
1. Stéphanie : Il y a 40 ans les lois Auroux avaient pour ambition de faire des salariés des « citoyens dans l’entreprise », quel bilan peut-on en tirer aujourd’hui Patrice ?
Patrice : Établir, Stéphanie, une hiérarchie parmi les différents acquis sociaux issus des lois Auroux ce n’est pas évident. On retient avant tout le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (le CHSCT). Mais en réalité, la mesure la plus « révolutionnaire » a été la négociation annuelle obligatoire (la NAO), à une époque où l’on négociait surtout au niveau de la branche. Je vous rappelle que la branche professionnelle – cadre du dialogue entre partenaires sociaux - regroupe les entreprises qui partagent une même convention collective par exemple la chimie, l’automobile, etc... C’est elle qui garantit à ses membres un socle commun de droits et limite les distorsions de concurrence.
[Intervention 1. Stéphanie : Et qu’est-ce que Jean Auroux attendait de la négociation annuelle obligatoire ?]
Patrice : L’objectif de Jean Auroux, en instaurant la NAO, était de développer la négociation et le dialogue social à l’échelle de l’entreprise. Le problème, c’est que la NAO n’avait pas de caractère conclusif obligatoire. Les représentants du personnel et la direction se réunissaient. On discutait mais on n’avait pas l’obligation d’arriver à un accord. La NAO est donc rapidement devenue un simple rituel dont les résultats se sont finalement souvent avérés très décevants pour les instances représentatives du personnel (les IRP). Les lois Auroux ont néanmoins eu un effet immédiat, puisque le nombre d’accords d’entreprise est passé de 700 par an à près de dix fois plus en quelques années.
[Intervention 2. Stéphanie : Et depuis le champ de la négociation d’entreprise s’est fortement étendu, n’est-ce pas Patrice ?]
Patrice : Oui Stéphanie ! 40 ans plus tard, sur fond de sauvegarde de l’emploi ou d’amélioration de la compétitivité, le champ de la négociation d’entreprise s’est considérablement étendu. La NAO a rendu possible la négociation d’accords dérogatoires pouvant aboutir à des résultats socialement moins-disants par rapport aux dispositifs conventionnels ou réglementaires.
2. Stéphanie : La loi Auroux sur la négociation collective contenait donc déjà les prémisses d’une inversion de la hiérarchie des normes ?
Patrice : Alors avant de vous répondre, rappelons d’abord ce qu’est la hiérarchie des normes. La hiérarchie des normes est un classement hiérarchisé de l’ensemble des normes du système juridique. Le principe est qu’une norme doit respecter celle du niveau supérieur. Dans le cadre du droit du travail, le principe est que la loi est supérieure à un accord de branche, qui lui-même est supérieur à un accord d’entreprise. Toutefois, le code du travail permet par exemple qu’un accord de branche, à condition qu’il soit plus favorable aux salariés, puisse se substituer à la loi. C’est ce que l’on nomme le principe de faveur. Mais la loi permet également à des accords d’entreprise de déroger aux accords de branche dans un sens, cette fois moins favorable aux salariés. Il s’agit donc bien, dans ce cas, d’une inversion de la hiérarchie des normes.
[Intervention 3. Stéphanie : Et donc pour revenir à notre question ce serait la loi Auroux qui aurait favorisé cette évolution.]
Patrice : Alors la loi de 1982 prévoyait effectivement la possibilité de signer des accords d’entreprise qui dérogeaient aux conventions collectives dans un sens moins favorable. Mais il s’agissait à l’époque de donner le droit aux syndicats majoritaires d’une entreprise en difficulté de tenter de la sauver en acceptant de renoncer à une majoration de salaire prévue par la convention.
Alors la loi Travail du 8 août 2016, qui refonde le droit du travail et donne plus de poids à la négociation collective en entreprise - mais en réduisant le pouvoir des branches -, a poussé beaucoup plus loin cette logique dérogatoire et in fine s’est éloignée des intentions initiales de la loi Auroux. Rappelons qu’elle a pour objectif d’améliorer la compétitivité des entreprises, de développer et de préserver l’emploi.
[Intervention 4. Stéphanie : C’est la raison pour laquelle les organisations syndicales considèrent que les réformes du code du travail se sont peu à peu éloignées de la philosophie des lois Auroux n’est-ce pas ?]
Patrice : Oui Stéphanie ! Les lois Auroux avaient pour objectif l’instauration d’un dialogue équitable entre les partenaires sociaux. Elles visaient à assurer un « rééquilibrage » entre les différentes parties présentes au sein des entreprises. Cela devait passer par un renforcement de la position des salariés, grâce à de nouveaux droits. Les syndicats considèrent que la législation récente, de la loi Travail de 2016 aux cinq ordonnances réformant le code du travail de 2017, est allée à rebours du compromis défendu par les lois Auroux, dans la mesure où elles ont au contraire enlevé des outils et des moyens aux représentants des salariés et renforcé les moyens de pression disponibles pour les directions d’entreprise.
3. Stéphanie : Le CHSCT que vous avez évoqué tout à l’heure a fait figure de conquête emblématique des lois Auroux. Quel a été son apport réel ?
Patrice : En réalité, le CHSCT a mis longtemps à s’imposer comme instance de premier plan car contrairement au comité d’entreprise il ne bénéficiait pas d’un budget propre. Il est donc resté dépendant de l’employeur pour financer les expertises et la formation de ses membres. Donc de 1982 au début des années 2000, le CHSCT est globalement une instance sous-utilisée sur laquelle les syndicats n’investissent pas vraiment.
[Intervention 5. Stéphanie : Et qu’est-ce qui va faire que les choses vont changer ?]
Stéphanie : Les vagues de suicides dans les années 2000 chez France Telecom et Renault vont imposer des obligations de résultat aux politiques de santé et de sécurité des entreprises. Les syndicats vont prendre conscience à ce moment-là qu’ils disposent avec le CHSCT d’un levier important de décision sur ces questions. Et la prise en compte de plus en plus forte des risques psychosociaux dans les organisations va permettre au CHSCT de jouer un rôle de plus en plus déterminant.
[Intervention 6. Stéphanie : Mais depuis le 1er janvier 2020, les missions du CHSCT sont exercées par une simple commission santé-sécurité rattachée au Comité social et économique (le CSE), vous confirmez Patrice ?]
Patrice : Oui c’est cela Stéphanie ! Cette mesure qui aboutit à la suppression du CHSCT a fait l’objet de vives critiques de la part des syndicats – et également de Jean Auroux – mais pour d’autres, au contraire, la nouvelle organisation serait plus efficace, puisque désormais des sujets identiques, qui auparavant étaient traités en parallèle au sein du CE et du CHSCT – avec parfois des conclusions divergentes – ne le sont plus que devant le seul CSE, qui dispose d’une vision globale sur l’entreprise.
4. Stéphanie : le droit d’expression directe des salariés est une mesure phare de la réforme Auroux. Quel a été son destin ?
Patrice : Toutes les nouvelles dispositions introduites par les lois Auroux n’ont pas bénéficié du même accueil : le droit d’expression en fait partie. Il s’agissait d’instaurer dans toutes les entreprises « un droit d’expression directe et collective » des salariés sur le contenu et l’organisation de leur travail.
[Intervention 8. Stéphanie : Les syndicats n’y étaient pas favorables ?]
Patrice : La CFDT oui ! C’était une de ses revendications. La CGT s’y est ralliée, mais le syndicat de l’encadrement CFE-CGC s’est montré en revanche très hostile, allant même jusqu’à parler de « soviets d’entreprise ». Pour ce syndicat, le droit d’expression directe était susceptible de priver les cadres de leur expertise auprès des directions. L’échec du droit d’expression directe a été acté quelques années plus tard avec en pratique sa quasi-disparition.
5. Stéphanie : Et quatre décennies après leur promulgation, quel est le plus grand échec des lois Auroux ?
Patrice : En fait l’ambition de Jean Auroux d’instaurer la démocratie dans l’entreprise ne s’est pas pleinement réalisée. Si les lois qui portent son nom ont modifié profondément le périmètre du dialogue social et de la négociation, elles n’ont pas remis en cause l’exclusivité dont disposent les représentants des actionnaires dans la gouvernance des entreprises, ni modifié fondamentalement les rapports de force dans les conseils d’administration. La situation des entreprises françaises reste donc à ce titre très éloignée de la gouvernance partagée qui peut exister dans un grand nombre de pays européens.
Fin de l’épisode :
Stéphanie : Merci beaucoup « Patrice » ! C’est la fin de notre série ! Nous retiendrons que les lois Auroux ont fait entrer les acteurs sociaux dans une culture de la négociation. Ce qui était loin d’être évident, à une époque où les relations sociales étaient plutôt basées sur le conflit et les rapports de force. Et aussi que l’ambition de développer la démocratie dans l’entreprise reste aujourd’hui encore un enjeu important.
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On se retrouve très bientôt ! Au revoir « Patrice », au revoir à tous !
[Patrice : Au revoir et à bientôt !]
Sources :
- J. Auroux (1981), « Les droits des travailleurs », Rapport au président de la République et au Premier ministre, Collection des rapports officiels, La Documentation française, septembre
- Dossier (2022), « Des lois Auroux aux ordonnances travail : détricotage ou héritage ? », Liaisons sociales magazine, n°229, février
- Institut Montaigne (2011), « Reconstruire le dialogue social », Rapport, Entreprise & Personnel, juin
- INA (1982), « Entretien avec Jean Auroux sur le projet de loi Auroux sur les droits des travailleurs », extrait, Magazine d’actualités, France régions 3, 13 mai
- C. Laurent-Atthalin (1983), Les nouvelles dispositions des quatre lois Auroux », Le Monde, 22 février
- France Stratégie (2021), « Comité d’évaluation des ordonnances relatives au dialogue social et aux relations du travail », Rapport 2021, décembre
- J.-P. Jacquier (2008), « Lois Auroux : un bilan », Documents, www.clesdusocial.com, mai
- M. Tracol (2022), « Les lois Auroux ou le compromis fragile », Alternatives économiques, 2 juin
- M. Tracol (2012), « Les lois Auroux ou l’ambition de la démocratie sociale », Fondation Jean Jaurès, Note n° 144, 5 septembre
- B. Perrut (2006), Rapport sur la loi de modernisation du dialogue social, Commission des affaires culturelles, familiales et sociales, Assemblée nationale, 29 novembre
- « Témoignage de Jean Auroux, ancien ministre du Travail du gouvernement d'union de la gauche, 1981-1983 » (2014), Histoire@Politique. Politique, culture, société, n° 24, septembre-décembre