Quels sont les enjeux des politiques scolaires ? Comment la France se situe-t-elle en termes de performance du système éducatif ? Quelles sont les raisons qui expliquent le succès de certains pays comme la Finlande ou Singapour ? Les réponses de Nathalie Mons.
Par Nathalie Mons - Présidente du Conseil national d'évaluation du système scolaire (CNESCO)
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Quels sont les principaux enjeux des politiques scolaires ?
Alors, les enjeux des politiques scolaires sont multiples. D’ailleurs, cela explique l’investissement considérable. Dans tous les pays, dans l’éducation, en France, évidemment, c’est le premier budget de l’État. Ils sont multiples, alors on a évidemment l’idée traditionnelle de transmission de connaissance, c’est-à-dire : bien former, bien remplir des têtes en connaissances mathématiques, en maîtrise de la langue française, en langue étrangère, etc. C’est évidemment au cœur des missions des politiques éducatives mais aujourd’hui, on va un petit peu plus loin dans tout un ensemble de pays, on se centre de plus en plus vers des compétences qu’on demande aux jeunes à termes tout au long de la vie. Par exemple des compétences en créativité, en innovation, en capacité à collaborer entre paires, par exemple demain dans une entreprise, dans une association. Donc, il y a toute une série de pays, je pense par exemple aussi bien à la Finlande qu’à des pays asiatiques comme le Japon, comme Singapour ou la Corée qui, vraiment, misent aujourd’hui sur ces nouvelles compétences parce qu’elles sont très importantes pour le développement économique et le développement social. Et puis on a aussi toute une série d’enjeux qui sont un peu implicites, notamment en France, mais qui sont aussi centraux, c’est-à-dire c’est l’école comme un lieu de socialisation. Si demain on avait tous nos jeunes qui étaient éduqués à travers, par exemple, des ordinateurs et l’accès à des sites internet, on n’aurait plus cette école comme lieu de socialisation. C’est-à-dire que l’école, c’est vraiment aussi la fabrique sociale de la société de demain, c’est-à-dire que c’est finalement à travers l’école qu’une société va produire de la cohésion sociale, de la cohésion nationale.
Comment la France se situe-t-elle sur le plan international en termes de performance du système éducatif (équité et niveau moyen) ?
On a toute une série d’enquêtes internationales développée par l’OCDE comme PISA, le fameux PISA qu’on voit à la tête des journaux. Si on regarde PISA 2015 qui est une enquête internationale de l’OCDE qui teste les élèves à la fin de l’enseignement obligatoire en mathématique, en Français et en sciences, on se rend compte que globalement, on est dans la moyenne, tout juste dans la moyenne. On a toujours l’impression qu’on a la première éducation du monde mais je dirais ce n’est pas tant cela, la position très moyenne de la France, qui pose vraiment problème dans le cas français. La singularité du cas français, c’est l’importance des élèves en difficulté scolaire. C’est-à-dire qu’on a beaucoup d’élèves dont on voit bien que les connaissances et les compétences en mathématique et en français vont poser problème après pour une formation tout au long de la vie. Et puis le point encore plus noir du système français, c’est son niveau très très très élevé d’inégalité sociale. La France a malheureusement le triste palmarès d’être en tête, et de façon récurrente dans tous les palmarès, en tête des pays de l’OCDE pour le niveau de reproduction sociale de son école et ce triste record se dégra de. On était à peu près dans la moyenne des pays de l’OCDE au début des années 2000 et aujourd’hui de façon récurrente dans toutes les dernières enquêtes, on est parmi les pays de tête, quelles que soient les disciplines pour les inégalités sociales à l’école. Par exemple, dans PISA 2015, on a quand même, chez nous en France, 40 % des élèves qui sont issus des milieux défavorisés sont en difficulté scolaire. C’est-à-dire sont dans les niveaux de compétences les plus bas des enquêtes internationales. C’est seulement un tiers dans l’ensemble des pays de l’OCDE. Et autres résultats sur lesquels on doit réfléchir, ce sont les inégalités d’origine migratoire. Là encore, entre les résultats à PISA pour les élèves issus de l’immigration, première et seconde générations, et les résultats des élèves qui ne sont pas issus de l’immigration, cet écart entre ces deux groupes d’élèves est supérieur à ce qu’on voit dans les pays de l’OCDE. Donc, il faut vraiment qu’on réfléchisse en termes d’intégration sociale et d’intégration migratoire. Et on a un dernier point d’alerte, je dirais sur les derniers résultats des évaluations, c’est une discipline particulière qui se dégrade très fortement, ce sont les mathématiques. On était plutôt bien positionnés au début des années 2000. Au-dessus de la moyenne, par exemple, en mathématiques, dans les premières vagues de l’enquête PISA, ce résultat a quinze ans. Aujourd’hui, tout ça s’est dégradé. En primaire, les enquêtes aussi internationales nous mettent tout en bas des pays de l’OCDE, juste devant le Chili, il n’y a plus que le Chili qui ne fait pas mieux que nous, donc on a tout l’ensemble des pays de l’OCDE à la fin du primaire, au CM1, qui font mieux que nous en mathématiques, or c’est central parce que les compétences en mathématiques, demain ce sont les capacités d’innovation, c’est toute la production technique, c’est la créativité, c’est la recherche-développement, voilà. Donc, élève moyen qui doit mieux faire.
Comment expliquer cette situation et quels sont les points positifs ?
Alors, au vu des résultats des évaluations internationales, évidemment le Conseil national d’évaluation du système scolaire s’est demandé pourquoi on en est arrivé là. Et pour répondre à ces questions, on a fait un détour par l’international, c’est-à-dire qu’on a regardé quels étaient les pays qu’on voyait de façon récurrente en tête des palmarès quelles que soient les enquêtes internationales et c’est vrai qu’on trouve quand même sur les vingt dernières années quasiment toujours les mêmes pays, c’est-à-dire certains pays nordiques comme la Finlande et puis tout un ensemble de pays asiatiques, je pense au Japon, à la Corée et puis dans certains cas, par exemple l’Angleterre dans une moindre mesure aussi, une certaine dimension, les États-Unis. Donc on a regardé ces pays, on s’est demandé : « qu’est-ce qu’ils ont de commun ? », et c’est vrai qu’on est rapidement arrivé à toute une série de constat de traits communs entre ses pays en tête des palmarès à savoir tout d’abord une continuité dans les politiques scolaires. C’est le plus marquant. On voit bien que c’est des pays qui pendant vingt ans, pendant trente ans demeurent vraiment sur les mêmes principes en termes de politique éducative. Par exemple, si je prends la Finlande. Un des succès de la politique finlandaise, c’est sa formation initiale des enseignants à très haut niveau. Et bien cette formation initiale se développe au sein de l’université avec une formation très en lien avec la recherche, des applications dans les établissements scolaires et tout ce modèle, il arrive dans le système finlandais en 1979. Donc, cela fait juste quelques décennies qu’il trace le même sillon.
Le deuxième élément aussi tout à fait marquant, c’est que tous ces pays ont adopté une philosophie particulière, c’est-à-dire qu’ils ont compris, il y a trente ans, que, pour élever le niveau éducatif de leur population, il fallait évidemment se soucier des élites mais il fallait aussi, et peut-être même surtout, se soucier de tous les élèves qui sont en difficulté sociale et donc potentiellement en difficulté scolaire. Donc, ils ont énormément investi sur les traitements de la difficulté scolaire dans leurs écoles à partir du niveau primaire. Donc beaucoup d’investissement dans l’enseignement primaire et beaucoup d’investissement sur des pédagogies qui tournent autour de la différenciation pédagogique. Alors qu’est-ce que c’est la différenciation pédagogique ? c’est la capacité de l’enseignant de façon très pratique, dans sa classe, à pouvoir développer des pratiques pédagogiques, une organisation de classe qui nous permet de suivre mieux chacun des élèves et de faire en sorte que on ne soit plus dans une pédagogie du bus comme en France où il y a la maîtresse et tout le monde monte dans le bus et s’il y en a qui rate le démarrage et bien tant pis, cela a longtemps été cela en France. On voit bien que là, il y a une attention à chacun. Où est-ce qu’on en est ? Quelles sont les difficultés ? Voilà ! Et donc du coup, énormément de recherches développées autour de la différenciation pédagogique et énormément de formation continue des enseignants, par exemple, beaucoup de pédagogie collaborative, beaucoup de tutorat. Le Japon est connu pour ça. Ils ont des classes avec des élèves avec des niveaux très différents et puis par petits groupes de deux-trois, les élèves s’entraident et cela, on sait maintenant en termes de recherche que c’est fabuleux parce que cela aide les élèves les plus faibles mais cela aide encore plus les élèves qui sont tuteurs parce que cela leur permet d’expliciter toutes leurs connaissances. Donc, cela pousse vers le haut tout le monde alors qu’au début on se soucie des élèves les plus en difficulté sociale et donc scolaire.
Le troisième élément aussi commun à l’ensemble de ces pays c’est que les enseignants ne sont pas seuls. Ils ne sont pas seuls à monter au front pour lutter contre la difficulté scolaire. Dans les établissements, il va y avoir des enseignants spécialisés dans certaines disciplines, je pense par exemple à Singapour, je pense à la Finlande où : « Ah ! Tiens ! Tel élève a telle difficulté en maths. On fait un diagnostic. » Il va être suivi par quelqu’un dont c’est la spécialité. Voilà les apprentissages des fondamentaux en mathématiques qui va venir aider les enseignants. Ils travaillent beaucoup en équipe aussi l’enseignant. Il n’est pas seul, il y a de l’auto-évaluation.
Et puis le dernier point, je dirais que c’est un peu le nerf de la guerre. S’il ne doit y avoir qu’une seule réforme dans un pays à mettre en œuvre, c’est la formation. La formation des enseignants, alors la formation initiale, c'est-à-dire avant que les enseignants rentrent en poste mais surtout la formation continue qui là est répandue et qui, elle-même, est continue, dans le sens où on ne forme pas un moment les enseignants et puis après ils sont livrés à eux-mêmes pendant quarante ans alors que dans les laboratoires, les résultats tous les jours sur des nouvelles pratiques pédagogiques efficaces tombent. Donc, si on regarde par exemple Singapour, il y a 100 heures de formation continue tous les ans, si on regarde… Alors que nous la formation continue en France n’est même pas obligatoire. Quand on regarde aussi les statistiques des enquêtes internationales, elles pointent vraiment un décalage très important entre les enseignants qui, en France, ont accès à de la formation continue et puis le fait que, à côté, voilà, c’est quelque chose de courant, cela fait partie du métier que de se former parce que tous les jours on a des nouveaux résultats de recherche et cela permet d’incorporer la recherche, les dernières découvertes en matière de pédagogie directement dans la classe. Par rapport au cas français, très clairement, je dirais que sur les dix dernières années, il y a une vraie prise de conscience dans ce pays que c’est fondamental qu’il faut investir, que ce n’est pas seulement les moyens qui comptent que ce n’est pas forcément la formation des élites qui comptent, qu’il faut vraiment réfléchir plus largement en termes de politiques scolaires. C’est intéressant parce qu’on voit quand même maintenant se dessiner certains traits de continuité des politiques scolaires. Par exemple, je le disais à l’étranger, il y a vraiment ce soucis de ne laisser personne à côté de la route. Cela c’est une idée qui commence à faire son chemin largement en France depuis le dernier quinquennat avec des dispositifs comme « plus de maître que de classes », aujourd’hui avec les CP dédoublés. Voilà, donc on se dit il faut investir au début parce que si on n’investit pas au début et bien les élèves sont perdus par la suite et cela, ce n’était pas le système français puisque comme on investissait dans les élites, on investissait au contraire beaucoup au niveau du lycée et beaucoup moins au niveau du primaire par rapport à l’ensemble de ces pays. Donc cela commence à apparaître, la différenciation pédagogique, voilà ! Cela commence à apparaître même si on n’en est pas à attribuer des ressources assez importantes, là-dessus, c’est encore un peu impressionniste comme politique et puis la formation des enseignants, cela aussi, cela commence vraiment à être compris comme une dimension fondamentale. Donc on voit bien que, peu à peu, on a des élites politiques qui commencent à percevoir, en effet, les traits qui sont significatifs et à mettre en place des politiques.
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