Conférence de presse de M. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement, sur le projet de loi sur l'accueil des gens du voyage, Paris le 12 mai 1999.

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Circonstance : Présentation du projet de loi sur l'accueil des gens du voyage

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
La question du stationnement des gens du voyage est une question ancienne mais récurrente et qui connaît depuis quelques temps un regain d'acuité : notamment parce que le développement de l'urbanisation a supprimé de nombreux emplacements que les gens du voyage utilisaient traditionnellement.
Des stationnements irréguliers suscitent souvent des situations de tension au niveau local dont vous vous faites régulièrement l'écho.
Bien souvent, les maires sont les premiers concernés, interpellés tant par leurs administrés que par les gens du voyage eux-mêmes sur les conséquences de l'absence de structures d'accueil adaptées.
Cette situation parfois conflictuelle n'est pas conforme à l'objectif, qu'il convient de réaffirmer avec force, d'une cohabitation harmonieuse sur le territoire national.
Une première réponse à cette situation avait été apportée par le vote de l'article 28 de la loi du 31 mai 1990.
Cet article, issu d'un amendement parlementaire, a prévu les conditions daccueil spécifiques des gens du voyage. Il visait à apporter des réponses par lélaboration de schémas départementaux d'accueil des gens du voyage, et par l'obligation faite aux communes de plus de 5 000 habitants de réaliser une aire daccueil.
Toutefois son application reposait, avant tout, sur la bonne volonté et lincitation.
Neuf ans après la promulgation de la loi, on peut tirer un bilan décevant de la mise en uvre de cet article 28 : des progrès ont certes été faits, mais on est encore loin du compte et les difficultés n'ont pas disparu.
32 départements seulement disposent d'un schéma départemental approuvé conjointement par le Président du Conseil général et par le Préfet. 17 autres sont dotés d'un schéma approuvé par le seul Préfet. Dans d'autres départements, on n'en est qu'au stade des études préalables, ou bien, le dossier n'a pas évolué.
Une quart environ des 1739 communes concernées (plus de 5 000 habitants) a réalisé des aires d'accueil. Et même si des communes de moins de 5 000 habitants ont elles aussi réalisé des aires, le bilan global est nettement inférieur aux besoins : 10 000 places environ sont aujourd'hui disponibles, alors que les besoins globaux sont évalués en gros à 30 000 places.
Les raisons de cet état de fait sont multiples : elles tiennent principalement aux réticences des communes à réaliser des aires daccueil, qui suscitent souvent lopposition des riverains, mais aussi aux difficultés à faire respecter, une fois une aire réalisée, l'interdiction des stationnements irréguliers sur le territoire communal, mesure qui apparaît pourtant comme la contrepartie normale de ces efforts d'aménagement.
Le statu quo n'est satisfaisant ni pour les gens du voyage qui ne trouvent pas suffisamment d'aires adaptées à leurs besoins - ni pour les communes qui restent confrontées aux stationnements irréguliers. Une évolution législative est nécessaire.
Cadre général de la loi
Son objectif premier doit être de définir un équilibre satisfaisant entre d'une part la liberté constitutionnelle d'aller et de venir et l'aspiration légitime des gens du voyage à pouvoir stationner dans des conditions décentes et, d'autre part, le souci également légitime des élus locaux d'éviter des installations illicites qui occasionnent des difficultés de coexistence avec leurs administrés.
Cet équilibre doit être fondé sur le respect, par chacun, de ses droits et de ses devoirs : les collectivités locales auxquelles la loi confère certaines responsabilités ; les gens du voyage qui doivent dans leur comportement être respectueux des règles collectives ; l'Etat qui doit être le garant de cet équilibre et affirmer la solidarité nationale.
Principaux axes du projet de loi
* La jurisprudence du Conseil d'Etat reconnaît une obligation d'accueil aux communes. La loi apportera une traduction juridique à ce principe jurisprudentiel en posant le principe selon lequel les communes participent à l'accueil des gens du voyage.
* Le schéma départemental demeurera le pivot des dispositifs spécifiques à mettre en uvre pour organiser cet accueil : il prévoira, en fonction des besoins constatés et des capacités d'accueil existantes, la nature, la localisation et la capacité des aires à créer ainsi que les interventions sociales nécessaires.
Le schéma pourra en outre déterminer des terrains susceptibles dêtre mobilisés temporairement pour le déroulement de rassemblements occasionnels.
Lélaboration de ce schéma doit être loccasion dune véritable concertation entre les communes, le département, les services de lEtat et les représentants des gens du voyage afin d'aboutir à une évaluation aussi commune que possible des besoins et à des solutions adaptées. A défaut de l'approbation conjointe du schéma par le Président du Conseil général et le Préfet dans un délai de 18 mois après l'adoption de la loi, le Préfet pourra l'approuver seul.
* Dans bien des cas, les projets locaux d'aménagement des aires d'accueil de gens du voyage se trouvent ralentis du fait de la crainte des élus d'être les seuls à agir. Afin de casser cette spirale, deux propositions complémentaires seront mises en uvre :
- l'aménagement, sur quelques années, d'un nombre d'aires d'accueil suffisant pour faire face aux besoins, accompagné d'un effort important de la part de l'Etat ;
- l'obligation corrélative pour les communes de réaliser, dans ce laps de temps, les investissements nécessaires, sauf à ce que l'Etat se substitue à elles pour pallier leurs carences et réaliser les aires à leurs frais. Il n'est, en effet, pas possible d'admettre que certaines communes puissent ne pas remplir leurs obligations ; les préfets doivent être dotés des moyens juridiques leur permettant de faire réaliser effectivement les aires prévues.
* La gestion intercommunale facilite la gestion des dispositifs d'accueil des gens du voyage. Le projet de loi reconnaîtra cet état de fait en ouvrant expressément cette possibilité : dans ce cadre, des aires pourront être inscrites au schéma et réalisées dans toute commune, quelle que soit sa taille.
Toutefois, afin de s'assurer qu'à défaut d'un tel accord intercommunal, les prescriptions du schéma seront mises en uvre dans chaque agglomération, il est nécessaire de fonder, pour les communes les plus importantes, une obligation d'aménagement d'aires d'accueil.
Le seuil actuel de 5 000 habitants sera donc maintenu.
* En ce domaine, il est normal que la solidarité nationale s'exerce fortement. C'est pourquoi le projet sera accompagné d'engagements financiers clairs :
- tant pour le financement de l'investissement (la subvention de l'Etat sera portée à 70 % de l'investissement) ;
- que pour la compensation des charges de fonctionnement induites par les aires d'accueil, par un système de conventionnement permettant de s'assurer qu'une vraie gestion de l'aire sera mise en place.
Une aide spécifique à la gestion des aires, comparable à l'allocation de logement temporaire (ALT) sera créée à cet effet, qui couvrira environ la moitié du coût de fonctionnement.
Le département apportera de plus une aide complémentaire pour le fonctionnement des aires (plafonnée au quart de ces dépenses).
Les gens du voyage fréquentant ces aires verseront en outre un droit d'usage.
Le projet prévoit de plus de bonifier les bases de calcul de la dotation globale de fonctionnement en tenant compte du nombre de places de caravanes sur la ou les aires d'accueil de la commune.
* Dès lors que les communes remplissent leurs obligations, il faut qu'elle voient leurs moyens juridiques renforcés pour lutter contre les stationnements illicites.
La loi (article 28 de la loi de 1990) permet déjà au maire d'interdire par arrêté le stationnement des caravanes sur le reste du territoire de sa commune dès lors qu'elle satisfait aux obligations de la loi et aux dispositions des schémas départementaux. Cette possibilité sera élargie aux maires qui participeront à la réalisation d'une ou de plusieurs aires au niveau intercommunal.
Lorsqu'un stationnement contreviendra à cet arrêté :
- le maire aura la capacité de saisir le tribunal de grande instance pour obtenir l'évacuation forcée de caravanes irrégulièrement stationnées sur un terrain privé, si ce stationnement est de nature à porter atteinte à la sécurité, la salubrité et la tranquillité publiques ;
- le juge aura la faculté d'assortir son ordonnance d'évacuation d'une injonction, à défaut de quitter le territoire communal, de rejoindre l'aire d'accueil aménagée. Cette injonction vaudra décision d'expulsion de tout autre terrain qui serait occupé en violation de cette injonction.
Cette procédure vise à dispenser le maire, en cas de déplacement d'un groupe au sein du territoire communal, de recommencer l'ensemble de la procédure d'expulsion. Des mesures seront également prises pour limiter les délais de justice.
Ces pouvoirs accrus accordés aux maires qui respectent leurs obligations ne concernent naturellement pas les personnes stationnant sur des terrains dont ils sont propriétaires.
* Enfin, par-delà le problème crucial de la réalisation des aires, s'affirme aussi la nécessité de diversifier les réponses en fonction de l'évolution des modes de vie des gens du voyage.
On peut estimer, même si les chiffres en ce domaine ne sont que des ordres de grandeur, à environ 70 000 le nombre de semi-sédentaires pouvant rester plusieurs mois sur un même lieu et à plus de 100 000 celui des sédentaires. Cette tendance prend ses racines dans une évolution en profondeur du contexte économique qui conduit à la disparition de nombreuses activités traditionnelles des gens du voyage.
Dans ce contexte, il est nécessaire de faciliter le développement maîtrisé de petites aires daccueil de type " terrain familial " :
- en permettant, en l'absence de P.O.S., l'aménagement hors des espaces urbanisés de terrains destinés à l'accueil des gens du voyage ;
- en précisant que l'accueil des gens du voyage fait partie des besoins que les documents d'urbanisme doivent nécessairement prendre en compte ;
- en prévoyant les conditions dans lesquelles peuvent être aménagés des terrains familiaux sur lesquels les caravanes pourront durablement stationner.
Concilier le droit à un habitat adapté et la libre circulation des personnes d'une part, les aspirations légitimes des populations de l'autre, dans un rapport équilibré des droits et des devoirs de chacun : tel est l'objectif de ce texte. Parce qu'elles sont directement concernées par la question de l'accueil des gens du voyage, les communes sont les partenaires naturels de cette politique. Parce qu'il s'agit là d'une action d'intérêt général, la solidarité, nationale mais aussi départementale, doit s'exercer. L'enjeu est la cohabitation harmonieuse de tous, par delà les différences sociales et culturelles. Là est l'ambition de ce projet.
Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.
Je vous remercie de votre attention.
(source http://www.equipement.gouv.fr, le 12 mai 1999)