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Vie publique
L'essentiel de Vie publique
L'espace
Numéro 20 - Vendredi 11 juillet 2025

Depuis près d'une décennie, l'espace émerge comme un nouvel environnement stratégique. Si les premiers exploits de la conquête spatiale étaient avant tout une question de prestige pour les États, les intérêts commerciaux, stratégiques, voire militaires, ont pris le pas sur une simple course à l'espace. La dernière évolution, le « New Space », a bouleversé les équilibres traditionnels et la notion de puissance spatiale. On vous explique l'essentiel sur ces nouveaux enjeux.

Pourquoi on en parle ? 

Il s'est passé un peu plus d'un an entre le dernier lancement d'Ariane 5 (le 5 juillet 2023) et le lancement inaugural d'Ariane 6 (le 9 juillet 2024). Le premier lancement commercial de la version à deux boosters de la fusée, Ariane 62, le 6 mars 2025, a mis en orbite le satellite militaire CSO-3 pour le compte de la Direction générale de l'armement (DGA). Le système CSO est une nouvelle génération de satellites d’observation militaire, conçue pour fournir des images de haute qualité à l'armée. Cinq autres vols sont prévus en 2025, dont le premier vol de la version quatre boosters, Ariane 64, fin 2025.

Qu'est-ce qu'une puissance spatiale ? 

Un État est qualifié de puissance spatiale lorsqu'il est autonome pour la fabrication et le lancement de ses satellites. Aujourd'hui, seule une dizaine d'États disposent de cette capacité. Les États-Unis et la Russie, héritiers de la course à l’espace entamée dans les années 1950, restent les piliers historiques du domaine spatial. La France, troisième puissance spatiale historique, joue un rôle central via sa contribution à l’Agence spatiale européenne (ESA) et notamment le développement des lanceurs Ariane. L'Europe est considérée comme une puissance spatiale, à l'organisation :

  • horizontale, entre l'Agence spatiale européenne (23 États membres, dont 3 hors Union européenne [UE]) et l'UE (27 États membres) ;
  • verticale, entre ces organisations et leurs États membres.

Au-delà des puissances historiques, d'autres pays se sont imposés comme des acteurs incontournables du domaine spatial, tels que la Chine, l’Inde ou encore le Japon.

Les puissances spatiales dans le monde
Le New Space 

Jusqu’au début des années 2000, l’espace était un domaine réservé aux États. Mais depuis, des entreprises privées, comme SpaceX ou Blue Origin, ont pris une place grandissante dans l’exploration spatiale. Elles développent de nouvelles technologies de lancement, de satellites et même de tourisme spatial. C'est ce qu’on appelle le New Space. D’après un rapport de l'Assemblée nationale, cette nouvelle organisation entre commande publique et marché dans le domaine spatial est apparue aux États-Unis, sous l’impulsion de la NASA. Un ensemble d'évolutions caractérise le New Space : multiplication des acteurs spatiaux (startups, GAFAM - acronyme pour Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) ; innovations technologiques de rupture (réutilisation des équipements, miniaturisation, impression 3D, moteurs réallumables…) ; nouveaux modes de financement et baisse du coût de l'espace ; essor des méga-constellations de petits satellites.

 

LES MOTS DANS L'ACTU
Astronaute

Personne qui effectue ou a effectué un vol dans l'espace extra-atmosphérique et, par extension, la personne formée en vue d'un tel vol, selon FranceTerme. D'autres termes existent et sont utilisés selon la nationalité du passager d'un engin spatial : cosmonaute (russe), spationaute (français) ou taïkonaute (chinois). L'astronaute est américain, mais l'usage du mot s'est imposé pour toutes les nationalités.

Constellation de satellites

Il s'agit d'un ensemble de satellites remplissant des fonctions complémentaires ou identiques, selon FranceTerme. Ces satellites sont répartis dans l'espace, en orbite basse ou moyenne, de façon à assurer des missions communes de télécommunication, de radionavigation ou d'observation de la Terre, sans interruption. L'essor des constellations de satellites en orbite basse génère mécaniquement un risque croissant de brouillage.

 

La France et l'Europe, à la conquête de l'espace 

La France devient une puissance spatiale en novembre 1965 ; l'Europe, en décembre 1979. La création de l'Agence spatiale européenne (ESA), en mai 1975, par onze États, dont la France, permet à l'Europe spatiale de s'affirmer. Dès 1979 et sur plusieurs décennies, le programme Ariane sera un succès commercial et technologique. Les lancements se font depuis le Centre spatial guyanais (CSG), à Kourou. La France représente près de la moitié du secteur spatial européen et 35% de ses emplois, selon un rapport parlementaire. Mais l'organisation institutionnelle est morcelée. Pour y remédier, l’Union européenne a lancé un programme spatial doté de 14,8 milliards d’euros sur la période 2021-2027. Cependant, le budget spatial européen est insuffisant (8,1 Md€ en 2021) comparé à celui des États-Unis (40 Md$, soit 35 Md€). Les États-Unis disposent de capitaux privés très importants et s'appuient sur des opérateurs privés, le New Space. Les développements récents du New Space représentent pour la France et l'Europe un risque de décrochage. La tutelle du secteur spatial en France est passée en 2020 du ministère de la recherche au ministère de l'économie, afin de combler le retard français et favoriser l’innovation industrielle.

8 dates clés sur la conquête spatiale française et le programme Ariane
Où commence l'espace ? 

L'espace extra-atmosphérique est situé au-delà de la partie de l'atmosphère terrestre où la densité de l'air permet le vol des aéronefs. Autrement dit, l’espace commence là où finit notre atmosphère. Mais cette limite reste floue : l’atmosphère ne s’arrête pas brusquement, elle s’amincit progressivement sur plusieurs centaines de kilomètres. On considère que cette limite se situe à environ 50 km d’altitude. Mais la Fédération aéronautique internationale (FAI) a choisi de fixer une limite plus nette à 100 km : c’est la ligne de Kármán. La question se pose avant tout pour les États en termes de frontières : où s’arrête l’espace aérien souverain d’un pays, et où commence l’espace extra-atmosphérique qui ne peut être revendiqué par aucun État ? Il n'existe pas de consensus politique sur cette question. La zone litigieuse est située entre 80 kilomètres et 120 kilomètres au-dessus du niveau de la mer.

Code galactique 

En 1963, l'Assemblée générale des Nations unies a adopté une résolution qui consacre neuf principes juridiques fondamentaux :

 

  • l’exploration et l’utilisation de l’espace se font dans l’intérêt de toute l’humanité ;

  • la liberté d'exploration et d'utilisation de l'espace pour tous les États ;

  • l’interdiction de toute appropriation nationale d’une partie de l’espace ;

  • un usage à des fins exclusivement pacifiques (sanctuarisation de l'espace) ;

  • la responsabilité des États pour leurs activités spatiales ;

  • la coopération et l’assistance mutuelle entre États ;

  • un contrôle national sur les objets envoyés dans l’espace ;

  • la responsabilité des États en cas de dommages causés sur Terre, dans l’atmosphère ou dans l’espace ;

  • enfin, les astronautes sont considérés comme des envoyés de l’humanité et les États leur doivent assistance en cas d'accident.

     

 

Les États parties au Traité s'engagent à ne mettre sur orbite autour de la Terre aucun objet porteur d'armes nucléaires ou de tout autre type d'armes de destruction massive, à ne pas installer de telles armes sur des corps célestes et à ne pas placer de telles armes, de toute autre manière, dans l'espace extra-atmosphérique.

 

Article IV du Traité de l'espace (1967).

Quel droit s'applique dans l'espace ?

Dès le début de la conquête de l'espace, les États ont souhaité établir des règles spécifiques pour la conquête spatiale. Cinq traités conclus entre 1967 et 1979 constituent le droit de l'espace. Ces textes sont complétés par des accords internationaux. Les principes généraux de la Charte des Nations unies s'appliquent aussi dans l'espace. 


Un nouvel espace conflictuel ? 

Les pays ayant historiquement participé à la conquête spatiale sont devenus de plus en plus dépendants de ce milieu (météorologie, communications, surveillance…), selon un rapport sur la stratégie spatiale de défense. Ils ont développé de nouvelles vulnérabilités. L'arsenalisation de l'espace, soit le fait de placer des armes en orbite, s'est développée dès la Guerre froide. Elle s'intensifie ces dernières années, du fait d'un contexte géostratégique dégradé et malgré la sanctuarisation de l'espace. La France a pris conscience du retard accumulé en 2018, lorsqu'un satellite russe a espionné un satellite franco-italien. Cet événement a enclenché l'élaboration d'une stratégie spatiale de défense. En 2019, les membres de l'OTAN ont reconnu l'espace comme le cinquième domaine opérationnel, avec les milieux terrestre, maritime, aérien et cyber. En 2019, le commandement de l'espace est créé en France et en 2020, l'armée de l'air devient « armée de l'air et de l'espace ».

L'ambition de la France se porte sur deux niveaux :

  • protection des satellites grâce à la surveillance de l'environnement spatial ;
  • défense dans l'espace des intérêts spatiaux français et européens face aux actes inamicaux, illicites ou agressifs.
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LE CHIFFRE CLÉ

C'est le nombre d'objets actuellement en orbite suivis par les réseaux de surveillance spatiale, selon le Bureau des débris spatiaux de l'ESA. Depuis le début de l'ère spatiale en 1957, 6 960 fusées ont été lancées (hors échecs) afin de placer 22 310 satellites en orbite, dont :

  • 14 690 sont encore dans l'espace ;
  • 12 000 sont encore en activité.

Tous les objets n'étant pas catalogués, on estime qu'il y aurait également environ 140 millions de débris spatiaux de plus de 1 millimètre. Le risque de collision est particulièrement élevé dans certaines zones, comme l'orbite terrestre basse, où se concentrent beaucoup de satellites. Les objets d'une taille supérieure à 1 centimètre sont suffisamment grands pour causer des dommages catastrophiques lors d'une collision, selon le rapport 2025 sur l'environnement spatial de l'ESA.

Objectif Lune : le retour 

Entre le 21 juillet 1969 et le 14 décembre 1972, douze hommes ont marché sur la Lune. Depuis cette date, plus aucun homme n'a foulé le sol lunaire. Plusieurs explications : coût des programmes, développement des usages commerciaux et stratégiques de l'espace (il est plus intéressant de mettre en orbite des satellites), mais aussi désintérêt progressif des nations pour le prestige de la conquête spatiale. Pourtant, en 2011, la NASA annonce le développement d'un lanceur super-lourd, le Space Launch System (SLS), afin de préparer une présence permanente sur la Lune. En 2019, les États-Unis annoncent le programme Artemis afin de permettre le retour de l'homme sur la Lune à l'horizon 2024, délai qui ne sera pas tenu, puis des vols habités vers Mars. Le premier vol du lanceur lourd SLS a eu lieu en 2022. La NASA a retenu les entreprises Blue Origin et SpaceX afin de développer des vaisseaux lunaires. D'ici à 2027, les États-Unis ont prévu de renvoyer des hommes sur la Lune.

L'extrait de la Doc'
Protéger les planètes, défendre notre planète

À la phase initiale euphorique de l'ère spatiale, qui imaginait voir atterrir des humains sur Mars et établir des bases permanentes sur la Lune dès les années 1980, a succédé une phase plus réaliste, qui a intégré que la « conquête spatiale » était coûteuse, risquée et moins prioritaire que d'autres sujets terrestres. Les États ont tenté de réglementer l'exploration et l'utilisation de l'espace. La récente révolution du NewSpace introduit un nouveau paramètre : un accès moins cher à l'espace par des acteurs privés - mais subventionnés par le secteur public. Désormais, le défi majeur consiste donc à définir des règles pour cette exploration et cette utilisation de l'espace, applicable à tous, afin de protéger les autres planètes autant que de défendre la nôtre.

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