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La dissuasion nucléaire
Numéro 19 - Vendredi 27 juin 2025

Face à la montée des tensions internationales, les grandes puissances, comme la Chine, la Russie ou les États-Unis, accélèrent la modernisation de leurs capacités militaires, notamment nucléaires. La France est le seul État membre de l’Union européenne à détenir l’arme nucléaire, depuis la sortie du Royaume-Uni de l'UE. En février 2025, le président de la République Emmanuel Macron a ouvert le débat sur un possible partage de la dissuasion nucléaire française à ses alliés européens, marquant un tournant stratégique pour l’avenir de la sécurité du continent. 

Pourquoi on en parle ? 

Les 6 et 9 août 2025 marquent les 80 ans des bombardements atomiques des villes japonaises d’Hiroshima et Nagasaki par les États-Unis. La capitulation du Japon, signée le 2 septembre 1945, met fin à la Seconde Guerre mondiale. Ces explosions atomiques ont causé entre 190 000 à 230 000 morts, sans compter les nombreux cancers dus aux radiations. Le pouvoir dévastateur de cette nouvelle arme fait entrer les relations internationales dans l’ère de la dissuasion nucléaire

Si tu veux la paix, prépare la guerre 

Le général de Gaulle déclarait en 1963 : « Nous sommes à l'ère atomique et nous sommes un pays qui peut être détruit à tout instant. À moins que l'agresseur ne soit détourné de l'attaque par la certitude qu'il subira lui aussi des destructions épouvantables ». La dissuasion nucléaire est une déclinaison de la dissuasion militaire, qui consiste à susciter la crainte d’une réponse militaire en cas de transgression d’un accord, d’une règle… Fondée sur la capacité d'un pays à infliger à un adversaire des dommages inacceptables (atteinte à ses intérêts vitaux), cette doctrine défensive vise à éviter une guerre majeure sur son sol. L'emploi de l'arme nucléaire n'est envisagé que dans des circonstances extrêmes de légitime défense.

Neuf puissances nucléaires 

Neuf États disposent actuellement de l’arme nucléaire : 

  • les cinq puissances nucléaires de la guerre froide : les États-Unis (qui réalisent leur premier essai nucléaire en 1945), la Russie (1949), le Royaume-Uni (1952), la France (1960), la Chine (1964) ;
  • trois autres États ont ouvertement reconnu l’avoir développée depuis la fin de la guerre froide : l'Inde (1974), le Pakistan (1998), la Corée du Nord (2006) ;
  • Israël est également considéré comme une puissance nucléaire, bien que le pays n'ait jamais officiellement reconnu posséder l'arme atomique.

D’autres pays, comme l'Iran, sont soupçonnés de développer des programmes nucléaires militaires. Le 13 juin 2025, Israël a lancé l'opération "Rising Lion" en bombardant le territoire iranien pour détruire les installations nucléaires. Les États-Unis ont, à leur tour, bombardé trois sites nucléaires iraniens le 22 juin.

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LE CHIFFRE CLÉ

C’est le nombre total estimé d’ogives nucléaires dans le monde en janvier 2025, selon l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI). Environ 9 614 ogives sont déployées ou stockées en vue d'une utilisation potentielle et 2 627 sont retirées du service en attente de démantèlement. La Russie et les États-Unis détiennent à elles seules près de 90% des armes nucléaires mondiales.

Nombre de têtes nucléaires par pays en janvier 2025
Qu’est-ce qu’une arme nucléaire ? 

Il s’agit d’une arme non conventionnelle qui utilise l’énergie libérée par la fission de noyaux atomiques lourds (uranium ou plutonium dans la bombe A) ou par ce même phénomène conjugué à la fusion de noyaux légers (d’hydrogène dans la bombe H). Les bombes H sont les plus puissantes. La première, testée en 1952 par les États-Unis, avait une puissance 500 fois supérieure à celle des bombes A qui ont frappé Hiroshima et Nagasaki.

De la prolifération… 

Durant la Guerre froide (de 1945 à la dislocation de l’Union soviétique, en 1991), de fortes tensions géopolitiques opposent le bloc occidental, mené par les États-Unis, au bloc de l’Est, dominé par l’Union soviétique. Les deux superpuissances se livrent à une course aux armements nucléaires. La dissuasion repose sur l’équilibre de la terreur : la crainte d’une destruction mutuelle empêche une confrontation directe entre les deux blocs. Les États-Unis, l'Union soviétique, la Chine, le Royaume-Uni et la France accumulent jusqu'à 70 000 têtes nucléaires. Dès 1963, les États-Unis appellent à des pourparlers avec l’Union soviétique pour limiter les armements. Malgré la signature du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (1968), les tensions persistent entre les deux Grands et de nouveaux pays acquièrent ce type d’armes. Mikhaïl Gorbatchev, arrivé au pouvoir en 1985, lance une politique de réduction des arsenaux nucléaires qui aboutit à la signature de traités. Depuis, les stocks ont été largement réduits.

…à la dénucléarisation ? 

L’Organisation des Nations unies (ONU) appelle depuis 1946 au désarmement. En 1996, l'Assemblée générale des Nations Unies adopte le traité d'interdiction complète des essais nucléaires (TICE), qui interdit la réalisation d'explosions nucléaires dans l’atmosphère, sous la mer, sur terre et sous terre. À ce jour, le TICE n'est toujours pas entré en vigueur, certains pays dotés de l'arme nucléaire ne l'ayant pas ratifié. La France a ratifié le traité en 1998. En 2013, l'ONU déclare le 26 septembre Journée internationale pour l’élimination totale des armes nucléaires et engage des négociations multilatérales en ce sens. Le traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN), adopté le 7 juin 2017, entre en vigueur en 2021. Les États signataires, parmi lesquels ne figure aucune puissance nucléaire, s'interdisent la mise au point, l'essai, la production, le stockage et l'utilisation d'armes nucléaires. En 2020, la France a déclaré qu'elle n'entendait pas y adhérer, jugeant le texte « inadapté au contexte sécuritaire international ». 

Pourquoi certains États sont-ils autorisés à posséder l'arme nucléaire ?

Le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) est signé en 1968 et entre en vigueur deux ans plus tard. Il vise à empêcher la diffusion de l’arme atomique dans le monde. Seuls les États dotés de l'arme nucléaire avant le 1er janvier 1967 peuvent la posséder. Il s'agit des cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies (Chine, États-Unis, Russie, France, Royaume-Uni). Ils s'engagent à ne pas transférer d'armes nucléaires à un État qui n'en est pas doté, ni à l'aider à en fabriquer. Les autres États s'engagent à ne pas acquérir l'arme nucléaire, en contrepartie d'un accès au nucléaire civil (production d'électricité). Le TNP est un traité quasi-universel puisque seuls quatre États ne l'ont pas signé

(Inde, Pakistan, Israël, Soudan du Sud). La Corée du Nord, qui a bénéficié des applications civiles du nucléaire dans le cadre du TNP, s'est retirée du traité en 2003. L'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) contrôle le respect de l’engagement des États non dotés de l’arme nucléaire.

Zones exemptes d’armes nucléaires 

Le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires autorise un groupe d’États à conclure des traités régionaux pour assurer « l'absence totale d'armes nucléaires sur leurs territoires respectifs ». Chacun de ces accords bannit l’utilisation ou le déploiement d’armes nucléaires sur une zone pour une durée illimitée et prévoit un contrôle. Il existe six zones exemptes d’armes nucléaires : l’Antarctique (traité signé en 1959), l’Amérique latine et les Caraïbes (1967), le Pacifique Sud (1985), l’Asie du Sud-Est (1995), l’Afrique (1996) et l’Asie centrale (2006).

La France, puissance nucléaire entre ciel et mer 

Trois types de vecteur permettent de transporter l’arme nucléaire jusqu’au lieu d’explosion : l'aviation, les missiles balistiques sol-sol et les sous-marins. La force de dissuasion nucléaire française repose sur deux modes de lancement : les avions Rafale regroupés au sein des Forces aériennes stratégiques (FAS) et les quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) qui composent la Force océanique stratégique (FOST).

La stricte suffisance : de quoi s’agit-il ? 

La France applique un principe de stricte suffisance pour déterminer le niveau de ses forces nucléaires. Elle développe un volume d’armes minimal, à même de causer des dommages inacceptables à un adversaire et compatible avec le contexte stratégique. Il ne s’agit donc pas d’adapter l’arsenal aux capacités adverses ou de se lancer dans une forme de course aux armements. Depuis la fin de la Guerre froide, l'arsenal nucléaire français a été réduit de moitié et compte aujourd'hui moins de 300 armes.

7 dates sur la dissuasion nucléaire française
Le partage nucléaire de l’OTAN 

L'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) est une alliance politico-militaire qui unit depuis 1949 des pays d’Europe et d’Amérique du Nord. Dans le cadre de sa politique de dissuasion, des États européens hébergent sur leur territoire des armes atomiques états-uniennes (partage nucléaire) : l'Italie, les Pays-Bas, l'Allemagne, la Belgique, la Turquie et, par le passé, le Royaume-Uni (en plus de son propre arsenal nucléaire). Les pays participant à cette politique sont tenus de prendre des décisions communes en la matière et d’entretenir conjointement le matériel nécessaire à l'emploi de cette force de frappe.

Combien coûte la dissuasion ? 

Le développement de l’arme nucléaire représente un investissement massif. La loi de programmation militaire 2024-2030 consacre 54 milliards d’euros à son entretien et à sa modernisation. 26 milliards d’euros sont alloués à la dissuasion en 2025, après 6,4 milliards en 2024 (+610%). Sa part dans le budget de la défense passe d’environ 12% en 2024 à 51,5% en 2025. Cette hausse inédite vise à financer la construction de la troisième génération de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE 3G), qui remplaceront progressivement les quatre SNLE de type « Triomphant » de 2035 à 2050, et les nouveaux missiles des composantes océanique et aéroportée.
 

LES MOTS DANS L'ACTU
Ogive nucléaire

C'est la tête d’une arme nucléaire, c'est-à-dire la partie antérieure d'un engin ou d'un projectile de l'artillerie atomique (obus, missile, torpille...) qui contient la charge nucléaire. Elle comprend : le cœur fissile (renfermant l’uranium ou le plutonium), la charge explosive et le détonateur.

Parapluie nucléaire

C’est l’engagement pris par un État disposant de l’arme nucléaire de défendre un État non nucléaire allié. Ce concept, né pendant la Guerre froide, permet d’éviter une prolifération nucléaire et de constituer des zones exemptes d’armes nucléaires.

L’Europe muscle sa défense 

Avec la guerre en Ukraine puis la politique étrangère portée par Donald Trump, l’Europe fait face à un degré de menace inédit depuis la fin de la Guerre froide. La Commission européenne a présenté, en mars 2025, le plan ReArm Europe (rebaptisé « Readiness 2030 »), qui mobilise 800 milliards d’euros, et un Livre blanc pour une défense européenne. Le programme SAFE (Security for Action for Europe), visant à mobiliser 150 milliards d’euros de prêts pour l’achat en commun d’armement, est adopté en mai 2025. Le budget français de la défense s’élève à 50,5 milliards d’euros en 2025 (+56% depuis 2017).

Une ouverture du parapluie nucléaire français ? 

Emmanuel Macron réaffirme, le 28 février 2025, sa volonté d'ouvrir le débat sur l'extension de la dissuasion nucléaire française à d'autres pays de l’Union européenne. Il répond ainsi à une déclaration du futur chancelier allemand révélant son intention de discuter avec les Britanniques et les Français sur ce point. Le ministre des armées, Sébastien Lecornu, précise en mars 2025 : « La production des armes, des vecteurs, leur contrôle et la mise en œuvre des forces nucléaires […] resteront françaises ». Plusieurs États membres ont salué cette proposition.
 

L'extrait de la Doc'
Armes nucléaires : le retour de la menace

Le principe fondamental de toute stratégie de dissuasion est la crédibilité. La doctrine française fait reposer cette crédibilité – politique, technologique et opérationnelle – sur cinq notions : la défense des intérêts vitaux de la nation ; la capacité d’infliger des dommages inacceptables ; l’indépendance nationale ; la stricte suffisance ; et la permanence. Deux composantes, aérienne et océanique, garantissent la crédibilité opérationnelle de la dissuasion française. Elles s’appuient sur trois forces, dont deux sont permanentes – les forces aériennes stratégiques (FAS) et la force océanique stratégique (FOST) – et une autre dite « de circonstances » – la force aéronavale nucléaire (FANu). Seul le président de la République peut engager les forces nucléaires.

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