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Vie publique
L'essentiel de Vie publique
Les lois mémorielles
Vendredi 03 octobre 2025

Reconnaissance du génocide arménien et de la traite de l’esclavage, délit de négation du génocide des juifs… Les lois mémorielles depuis 1990 reconnaissent et réparent des violences de l’histoire. Mais elles sont également des cibles récurrentes de controverses, tant du côté des historiens que du monde juridique et politique. Pour clôturer le 80e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, L'essentiel de Vie publique revient sur les rapports entre Nation et Histoire.

Pourquoi on en parle ? 

La loi entretient des rapports étroits avec l’Histoire, entre lois mémorielles et lois de réparation. Cette année, plusieurs textes visant à "réparer les violences de l'histoire" ont été débattus à l'Assemblée nationale. En juin 2025, les députés ont adopté une proposition de loi visant à indemniser les rapatriés hébergés dans des camps insalubres en France après la fin de la guerre d’Indochine en 1954. Le texte prévoit une procédure de réparations financières et l'instauration d'une journée nationale d'hommage, fixée au 8 juin. Une autre proposition de loi prévoit d'élever l'officier Alfred Dreyfus au rang de général à titre posthume, 130 ans après sa condamnation à tort pour trahison. Pour le rapporteur Charles Sitzenstuhl, il s’agit d’un « acte de réparation » symbolique, mais aussi d’un appel à « rester vigilant » face à la résurgence de l’antisémitisme en France. 

Qu’est-ce qu’une loi mémorielle ? 

Les lois mémorielles, qui constituent un élément de la politique mémorielle, ont pour point commun d’exposer un point de vue officiel sur des événements historiques. Elles traduisent un phénomène plus global, celui de vouloir régler les conflits par la voie législative. Ces lois ne constituent pas une catégorie de lois dotées d’un statut particulier, comme le sont les lois constitutionnelles, les lois référendaires et les lois organiques.

Quelles sont les lois mémorielles en vigueur en France ?
Un devoir de mémoire 

Les quatre lois mémorielles en vigueur - création du délit de négationnisme (« loi Gayssot »), reconnaissance du génocide arménien et de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité, reconnaissance de la Nation en faveur des Français rapatriés - ont été adoptées entre 1990 et 2005. Il y a un avant et un après 1990 :

  • Avant 1990, la pratique législative était davantage destinée à valoriser les gloires du passé dans une recherche d’union nationale.
  • Depuis 1990, les lois mémorielles au sens propre tendent à reconnaître et à réparer des violences de l’histoire et traduisent un nouveau paradigme de la relation au passé national. Elles relèvent du « devoir de mémoire », c’est-à-dire de l’obligation morale de se souvenir des événements historiques tragiques et de leurs victimes, afin que l’histoire ne se répète pas.
Quand la loi écrit l’Histoire... 

Les lois mémorielles poursuivent trois objectifs :

  • créer de nouveaux droits ou de nouveaux délits : c’est le cas de la « loi Gayssot » qui réprime le déni du génocide des juifs (négationnisme) ;
  • reconnaître un fait (fonction déclarative et symbolique) : c’est le cas de la loi du 29 janvier 2001, composée d’un seul article reconnaissant le génocide arménien de 1915 ;
  • donner une lecture d’un fait historique (pas toujours consensuelle) : l’article 2 de la loi du 21 mai 2001 dispose que les « programmes de recherche en histoire et en sciences humaines accorderont à la traite négrière et à l'esclavage la place conséquente qu'ils méritent ». En revanche, l’article 4 de la loi du 23 février 2005, qui disposait que les programmes scolaires reconnaissent « le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord », a suscité une vive polémique et a été abrogé en 2006.
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LE CHIFFRE CLÉ

C'est le nombre de journées nationales commémoratives officiellement reconnues par la France. Elles sont, à ce titre, inscrites dans la loi ou instaurées par décret. S’y ajoute une douzième cérémonie en hommage à Jean Moulin, organisée chaque 17 juin au Panthéon, à Paris, qui répond à un usage et non à un texte législatif ou règlementaire. D’autres dates ne figurant pas dans ce calendrier, tel que le 14 juillet, jour de la fête nationale, donnent lieu à des cérémonies spécifiques. Les événements qui ont marqué l’histoire locale peuvent également faire l’objet de commémorations. Le ministère des armées prend en charge l'organisation de ces cérémonies. 

Existent-ils d’autres lois en France en lien avec l’Histoire ? 

Un certain nombre d’autres lois ont une portée historique. C’est le cas, par exemple, de la loi du 6 juillet 1880 qui a instauré la fête nationale du 14 juillet, ou encore de celle du 14 avril 1954, qui a fait du dernier dimanche d’avril une journée consacrée au souvenir des victimes de la déportation et des camps de concentration de la Seconde Guerre mondiale. Mais elles ne sont pas considérées comme des lois mémorielles en tant que telles. De la même façon, la loi du 6 décembre 2012 établissant le 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc n’entre pas dans cette catégorie. Tout comme la loi du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d'Algérie.

Des mots pour mémoire 

En dehors des lois, la politique mémorielle passe aussi par des actions qui peuvent avoir un caractère symbolique très fort, telles que des discours de chefs d’État. C’est le cas de Jacques Chirac avec son discours du Vel' d'Hiv' du 16 juillet 1995, discours dans lequel la responsabilité de la France dans la déportation des juifs vivant sur son territoire durant la Seconde Guerre mondiale est reconnue pour la première fois par la République. Plus récemment, l'historien Benjamin Stora, dans son rapport sur les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d'Algérie du 20 janvier 2021, note que la déclaration d’Emmanuel Macron reconnaissant la responsabilité de l’État français dans la disparition de Maurice Audin, un militant de l'indépendance algérienne, « s’inscrit dans la grande tradition des décisions de reconnaissance historique du passé sombre de la France […] ».

 

LES MOTS DANS L'ACTU
Lieux de mémoire

Expression apparue dans les années 1980 qui désigne des lieux de souvenir et de recueillement liés à des événements exceptionnels du passé (guerres, crimes contre l’humanité…), dont la collectivité a choisi d’entretenir le souvenir. Il peut s'agir de sites historiques, de mémoriaux, de musées d'histoire ou encore de nécropoles nationales.

Politique commémorative

Elle donne lieu à des commémorations qui ont pour effet de mobiliser l'attention sur des événements et de marquer l'hommage rendu par la communauté nationale aux anciens combattants et aux victimes de conflits. Elle se traduit également par la mise en œuvre d'actions éducatives et la valorisation du patrimoine mémoriel. 

Les 4 piliers de la politique mémorielle
Quelles sont les critiques formulées à l’encontre des lois mémorielles ? 

Les lois mémorielles peuvent être critiquées pour plusieurs raisons. On peut leur reprocher :

  1. de restreindre la liberté de travail des historiens à travers une histoire « officielle » ;
  2. de contenir des termes larges et flous qui pourraient être incompatibles avec l’article 111-3 du Code pénal, selon lequel on ne peut être condamné pénalement qu’en vertu d’éléments clairement définis par la loi ;
  3. d’être contreproductif : la pénalisation du négationnisme pourrait renforcer certaines convictions ;
  4. de contrevenir au principe constitutionnel d’égalité entre citoyens, en reconnaissant certains crimes ou génocides et en ignorant d’autres, ce qui inciterait à une forme de « concurrence entre victimes ».

En même temps, les élus du peuple ne sont-ils pas dans leur rôle quand ils s’expriment sur les aspects de la mémoire collective ? Et n’existe-t-il pas une forme d’universalité des victimes, de telle sorte que l’inscription d’un crime contre l’humanité peut être vue comme une protection pour toutes les victimes potentielles ?

Pourquoi n’y a-t-il plus eu de lois mémorielles depuis 2005 ? 

Les controverses autour des lois mémorielles ont conduit à la constitution d’une mission parlementaire, présidée par Bernard Accoyer. En novembre 2008, elle a présenté ses conclusions à l’Assemblée nationale. Elle recommande :

  • que de telles lois qualifiant ou portant une appréciation sur l’histoire ne soient plus adoptées ;
  • que les lois mémorielles existantes ne soient pas remises en cause, dans un souci d’apaisement et de réconciliation autour du passé.

En même temps, la commission affirme que « le Parlement est dans son rôle quand il édicte des normes ou des limitations destinées à défendre des principes affirmés par le Préambule de la Constitution, notamment pour lutter contre le racisme et la xénophobie ».

L'extrait de la Doc'
Les lois mémorielles dans le monde : enjeux juridiques

En France, à l’égard plus spécifiquement des déclarations adoptées par le Parlement, la critique juridique s’est particulièrement concentrée sur l’argument de la « normativité » de la loi. Une loi devrait forcément interdire ou ordonner un comportement et une loi qui se contente de déclarer quelque chose n’est qu’une loi « bavarde », et pour cette raison elle est inconstitutionnelle. (…) L’insistance sur cet argument de la normativité conduisit à l’étrange issue de la controverse française sur les lois mémorielles : la préférence donnée à la « résolution », texte solennel adopté par l’Assemblée nationale ou le Sénat, qui n'a pas valeur législative et ne dénature donc pas la loi. Les chambres parlementaires, qui avaient perdu le pouvoir de voter de telles déclarations en 1958, retrouvèrent cette compétence en 2008, pour faire face à l’aversion qu’avaient suscitée les lois mémorielles.

 

Auteur : Thomas Hochmann

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