Voir la version en ligne
Vie publique
L'essentiel de Vie publique
L'État de droit
Numéro 22 - Vendredi 19 septembre 2025

L’État de droit est au cœur du fonctionnement des sociétés modernes. Véritable pilier de la démocratie, il prévient l'usage arbitraire du pouvoir et garantit la protection des droits et libertés fondamentaux de chacun. Aujourd’hui, l’État de droit fait face à de multiples défis : difficultés d’articulation entre droit national et européen, contestation du rôle des juges... Mais qu’entend-on réellement par État de droit ?

Pourquoi on en parle ? 

Le 10 septembre 2025, lors de la rentrée du Conseil d'État, le vice-président Didier-Roland Tabuteau a rappelé les missions des juridictions administratives pour garantir l'État de droit. "Il y a État de droit lorsque la vie en société est régie par des normes démocratiquement établies, c'est-à-dire issues de pouvoirs résultant du suffrage universel, et garantissant des libertés et droits fondamentaux, que chacun et notamment l’administration respectent le droit et, qu'en cas de litige, il y a un juge indépendant et impartial pour le faire prévaloir."

L'État de droit, c'est quoi ? 

Dans sa définition formelle, la notion d’État de droit s’oppose à celle de pouvoir arbitraire. Elle suppose que le pouvoir politique est soumis à des règles de droit hiérarchisées. Pour contrôler que l’État respecte le droit, une séparation des pouvoirs est nécessaire. C’est le pouvoir judiciaire, indépendant du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif, qui veille au respect de la prééminence du droit. L’État de droit suppose l’existence de juridictions indépendantes. Dans sa définition "substantielle", l’État de droit s’étend à la protection des libertés et droits fondamentaux.

Une philosophie politique 

En tant que système de philosophie politique, l’État de droit est considéré comme la principale caractéristique des régimes démocratiques. Fondé sur l’égalité des sujets de droit, l’État de droit consacre les règles de droit en tant qu’instruments de régulation de l’organisation politique et sociale. Face aux régimes totalitaires, l’État de droit incarne le concept de l’État libéral, fondé sur le respect des droits individuels. "L’État de droit, c’est donc à la fois un type d’État, c’est-à-dire un objet que l’on décrit, mais c’est aussi une idée de l’État, c'est-à-dire un objectif que l’on s’assigne" (Jean-Marc Sauvé).

 

Par État de droit, il faut entendre un État qui, dans ses rapports avec ses sujets et pour la garantie de leur statut individuel, se soumet lui-même à un régime de droit, et cela en tant qu'il enchaîne son action sur eux par des règles, dont les unes déterminent les droits réservés aux citoyens, dont les autres fixent par avance les voies et moyens qui pourront être employés en vue de réaliser les buts étatiques : deux sortes de règles qui ont pour effet commun de limiter la puissance de l'État, en la subordonnant à l'ordre juridique qu'elles consacrent.

 

Contribution à la théorie générale de l'État (1920-1922) - Carré de Malberg

La loi au-dessus de l’État

Juriste majeur du début du XXème siècle, Raymond Carré de Malberg a introduit en France la notion d’État de droit. 

Il affirme qu’un État doit se soumettre lui-même aux règles juridiques : celles qui garantissent les droits des citoyens et celles qui encadrent l’action publique. En somme, l’État de droit est une auto‐limitation de l’État.


Les trois clés de l’État de droit 

L’État de droit repose sur trois piliers : 

  • le respect de la hiérarchie des normes : chaque règle de droit doit se conformer à une règle qui lui est supérieure. Par exemple, en France, une loi doit être conforme à la Constitution. Pour y veiller, un contrôle de constitutionnalité des lois est assuré par le Conseil constitutionnel.
  • l’égalité devant la loi : la loi est la même pour tout sujet de droit, personnes physiques (les individus) et personnes morales (les organisations). L’État est une personne morale et ses décisions sont soumises au principe de légalité.
  • la mise en place de la séparation des pouvoirs, en opposition à la monarchie absolue où tous les pouvoirs étaient exercés par le monarque. Elle reconnaît trois pouvoirs (législatif, exécutif, judiciaire), exercés par des organes distincts, indépendants les uns des autres. Chacun de ces organes devient ainsi l’un des trois pouvoirs : le pouvoir législatif est exercé par le Parlement, le pouvoir exécutif est détenu par le chef de l’État et les membres du Gouvernement, le pouvoir judiciaire revient aux juridictions.
Le principe de la séparation des pouvoirs
Souveraineté populaire : la loi sous contrôle 

L’État de droit suppose la hiérarchie des normes, ce qui signifie, notamment, que les lois adoptées par le législateur doivent être conformes à la Constitution. On oppose parfois le contrôle de constitutionnalité à la souveraineté du peuple, arguant qu’au nom de la souveraineté populaire, une loi adoptée par le Parlement ne pourrait pas être remise en cause. Or, le peuple souverain détient le pouvoir constituant et la Constitution émane de la souveraineté populaire. Dès lors, le peuple souverain peut modifier la Constitution pour permettre l’adoption de la loi.

La justice, gardienne du droit 

Dans son discours de rentrée de septembre 2024, le vice-président du Conseil d'État a rappelé le rôle de la justice : "La justice exerce, dans un État de droit, une mission fondamentale : garantir le respect du droit. Du droit décidé par le peuple souverain dans ses fonctions constituante et législative. Le juge n'est là ni pour plaire ni pour déplaire, il n’est là ni pour soutenir ni pour contrecarrer les opinions. Il est là pour trancher un litige en donnant à la loi, expression de la volonté générale, et à ses textes d’application leur pleine portée, c'est-à-dire la portée que les pouvoirs exécutif et législatif, issus de processus démocratiques fondés sur le suffrage universel, ont entendu leur donner. Rien de plus, rien de moins. Son indépendance est le fondement de son office, elle n’est pas une commodité pour son confort, elle est l’ultime rempart pour la protection des droits de chacun."
 

LES MOTS DANS L'ACTU
Gouvernement des juges

Cette expression est, en fait, une critique de l'État de droit selon laquelle les juges, notamment les juges constitutionnels lorsqu'ils censurent une loi, s'opposeraient à la souveraineté populaire et mettraient en cause la démocratie.

État policier

On oppose souvent État de droit et État policier. L'État policier se caractérise par l'adoption de textes normatifs répressifs sans garanties pour les droits individuels et les libertés fondamentales.

Les transformations de l'État de droit 

Dans une conférence à la faculté de droit de Grenoble, Jean-Marc Sauvé, ancien secrétaire général du gouvernement et ancien vice-président du Conseil d'État, met en évidence deux mouvements dans la transformation de l'État de droit :

  • un mouvement de constitutionnalisation de l’État de droit et des droits fondamentaux qui lui sont associés, avec la création de cours constitutionnelles et la consécration de déclarations des droits de niveau constitutionnel. "C’est le cas de la France qui avait adopté le 26 août 1789 une Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, très inspirante mais sans effet juridique à laquelle s’est tout de même référé le préambule des Constitutions de 1946 et 1958. Sur cette base, le Conseil constitutionnel lui a, vous le savez tous, donné une portée juridique par sa décision du 16 juillet 1971 et il a engagé sur cette base un contrôle de constitutionnalité des lois" ;
  • un mouvement d'européanisation et d'internationalisation de l’État de droit. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), par exemple, joue un rôle central dans l’interprétation et l’application du droit de l’Union et elle assure en particulier la primauté, l’unité et l’effectivité de ce droit. 
L'extrait de la Doc'
Comment la notion d’État de droit a-t-elle émergé ?

Le besoin de reconnaître des limites au pouvoir de l’État souverain afin de ménager des droits et libertés a conduit à l’émergence de la notion d’État de droit. En France, le professeur Léon Duguit fait dériver l’État de droit du concept allemand de Rechtsstaat, qui est entendu comme la limitation de l’État par le droit : « Il faut affirmer énergiquement et inlassablement que l’activité de l’État, dans toutes ses manifestations, est limitée par un droit supérieur à lui, qu’il y a des choses qu’il ne peut pas faire, qu’il y en a qu’il doit faire, que cette limitation ne s’impose pas seulement à tel ou tel organe, qu’elle s’impose à l’État lui-même, pris comme personne » (Traité de droit constitutionnel, t. 3, E. de Boccard, 2e éd., 1923).

 

Auteur : Paul Le Calvé

Voir la publication
Pilier de la démocratie en Europe 

L'État de droit est un principe fondamental du Conseil de l'Europe. Au sein du Conseil de l'Europe, la Commission de Venise a défini des critères pour caractériser un État de droit : légalité, sécurité juridique, prévention de l'abus de pouvoir, égalité devant la loi et non-discrimination, accès à la justice. La Commission rappelle : "L'État de droit est lié non seulement aux droits de l’Homme mais aussi à la démocratie, c’est-à-dire à la troisième valeur fondamentale du Conseil de l’Europe. La démocratie implique l’association de la population aux décisions au sein d’une société ; les droits de l’Homme protègent l’individu contre l’arbitraire et des atteintes excessives à ses libertés, et garantissent la dignité humaine. L’État de droit veille à ce que l’exercice de la puissance publique soit circonscrit et fasse l’objet d’un contrôle indépendant."

Comment faire respecter l'État de droit dans l'UE ? 

Au sein de l'Union européenne (UE), l’État de droit est l’une des valeurs fondamentales garantissant la démocratie ainsi que les droits et les libertés des citoyens. Dans une communication publiée le 17 juillet 2019, la Commission européenne a présenté des mesures visant à faire respecter l’État de droit. Le mécanisme européen pour l’État de droit prévoit un processus de dialogue annuel sur l’État de droit entre la Commission, le Conseil et le Parlement européen, les États membres, les parlements nationaux, la société civile et d’autres parties prenantes. Le rapport sur l’État de droit constitue le fondement de ce processus. Pour faire respecter l'État de droit, la Commission européenne dispose aussi du mécanisme de conditionnalité en matière budgétaire. La Commission peut aussi activer l'article 7 du traité sur l'Union européenne (TUE) qui lui permet de sanctionner un État membre qui ne respecterait pas les valeurs énumérées dans le traité.

Respect de l'État de droit : où en sont les pays de l’Union européenne ?
État de droit sans frontières 

Aux Nations Unies, après la publication en 2011 des indicateurs de l’État de droit, l’Assemblée générale a adopté en 2012 une déclaration sur l’État de droit qui affirme que "l'État de droit vaut aussi bien pour tous les États que pour les organisations internationales". Le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), notamment, œuvre pour renforcer l'État de droit dans des pays en développement (accès à la justice, lutte contre les violences faites aux femmes et contre la traite des êtres humains, commissions de vérité après des conflits...).

L'État de droit est-il en crise ? 

Pour citer de nouveau Jean-Marc Sauvé, l'État de droit fait face à deux mouvements :

  • la remise en cause de la garantie des droits : pour lutter contre le terrorisme ou lors de la crise sanitaire, des lois d'exception ont été adoptées mettant en place un état d'urgence. Au-delà de l’état d’urgence, le risque est celui d'un cadre permanent de mesures de surveillance et de contrôle. "Le risque que des législations d’exception continuent d’être adoptées au fil de la part tragique de l’actualité n’est pas vain. Certes, depuis les lois dites "scélérates" qui ont été adoptées à la fin du XIXème siècle à la suite d’attentats terroristes, il est convenu de régulièrement dénoncer les législations dérogatoires au droit commun de la prévention et de la répression des infractions. Mais il est clair que depuis les attentats du 11 septembre 2001, le monde est entré dans un cycle dont on se demande quand il pourra prendre fin".
  • la contestation politique de l'État de droit et de son "bras armé", le juge : "aujourd’hui, non seulement le juge interprète la loi, mais de plus en plus souvent, il la juge, ce qui le conduit à l’écarter ou à la censurer, voire à la brider ou à la contraindre (...). C’est une profonde mutation au regard de la conception originelle de la séparation des pouvoirs et il en résulte un procès de plus en plus bruyant en illégitimité instruit contre lui. Car la loi est l’expression de la volonté générale ; elle émane du peuple ou de ses représentants. Les juges sortiraient par conséquent de l’office qui leur est assigné... [Or], il n’est pas de démocratie véritable sans juges indépendants et impartiaux."
POUR EN SAVOIR +
PODCAST
Pour tout savoir sur
Les institutions de la République
Qu'est-ce que l'État de droit ?
Écouter le podcast
SONDAGE
Que pensez-vous du rythme d’envoi de L’essentiel ?
Terminer

Vous pouvez consulter les lettres thématiques déjà publiées
sur notre site www.vie-publique.fr