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Vie publique
L'essentiel de Vie publique
Les prisons
Numéro 16 - Vendredi 16 mai 2025

La situation des prisons françaises est marquée par une surpopulation chronique. Depuis les années 80, le nombre de personnes incarcérées ne cesse d'augmenter. Cette situation a des répercussions multiples : conditions de vie dégradées, accès limité aux soins, manque d’activités, tensions entre détenus et personnels pénitentiaires... Malgré la construction de nouvelles places de prisons et le développement d’alternatives à l’emprisonnement, les politiques pénales peinent à inverser la tendance.

Pourquoi on en parle ?  

Le 11 mai 2025, le ministre de la justice Gérald Darmanin a envoyé une lettre aux magistrats avec des pistes de réforme pour améliorer le système judiciaire d'ici 2027 et lutter contre la surpopulation carcérale. Le ministre exclut la régulation carcérale, mais annonce l'ouverture d'une concertation sur la création de « prisons thématiques », inspirées du modèle allemand et organisées selon le niveau de dangerosité des détenus. En mars 2025, le ministre de la justice avait annoncé l'ouverture de deux prisons de haute sécurité pour accueillir les 200 narcotrafiquants considérés les plus dangereux. Leur création a été actée par une loi adoptée le 29 avril 2025. Celle de Vendin-le-Vieil (Pas-de- Calais) doit être opérationnelle le 31 juillet 2025 et celle de Condé-sur-Sarthe (Orne) à la mi-octobre 2025.

LES MOTS DANS L'ACTU
Régulation carcérale

Il s'agit d'un mécanisme proposant des stratégies pour résoudre le problème de la surpopulation carcérale : réduction de la durée d'exécution des peines, meilleure répartition des détenus dans les établissements pénitentiaires... Dans un avis adopté en mai 2024, la Commission consultative des droits de l'homme (CNCDH) recommande d'imposer à l'administration pénitentiaire d'agir dès qu'une prison atteint un taux d'occupation de 100%.

Milieu ouvert

C'est une modalité de suivi pénal qui s'exerce en dehors d'un établissement pénitentiaire. Il peut être ordonné avant le jugement (contrôle judiciaire), au moment du jugement (peine complémentaire, alternative à l'incarcération), ou après le jugement (aménagement de peine, libération sous contrainte). Au 31 décembre 2023, 171 100 personnes sont suivies en milieu ouvert et prises en charge par un service pénitentiaire d'insertion et de probation.

Quelles sont les missions de l’administration pénitentiaire ? 

L’administration pénitentiaire est dotée de deux missions :

  • Une mission de garde, qui consiste à prendre en charge les personnes incarcérées, exécuter les peines mais aussi assurer la sécurité des détenus et du personnel pénitentiaire ;
  • Une mission de prévention de la récidive et de réinsertion des détenus, principalement assurée par les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP). L’accomplissement de cette mission se traduit par des activités professionnelles, éducatives, culturelles, sportives…
Comment les prisons françaises sont-elles gérées ? 

Depuis une loi du 22 juin 1987, dite loi Chalandon, les prisons sont gérées soit par l'État lui-même, soit par le secteur privé : c'est ce que l'on appelle la gestion déléguée. Dans ce dernier cas, la conception, la construction et une partie de la gestion sont directement assurées par l'entreprise qui conclut le marché avec l'État. Celui-ci demeure néanmoins en charge des missions régaliennes (direction, surveillance...). Il s'agit donc d'un modèle intermédiaire entre une délégation pénitentiaire totale et le maintien intégral des missions dans le secteur public. Ce système a été mis en place en vue de répondre aux difficultés observées dans le parc pénitentiaire : mauvais état des établissements, surpopulation... En 2017, 54% de la population carcérale était enfermée dans une prison privatisée. Pour autant, la densité carcérale ne cesse d'augmenter.

Les prisons accueillent-elles toutes le même public ? 

Le type de prisons (maison d'arrêt, centre de détention, maison centrale...) dans lequel le détenu est incarcéré varie selon plusieurs éléments : durée de la peine, perspectives de réinsertion sociale, octroi d’un aménagement de peine, nécessité d’une hospitalisation… Certaines catégories de population ne peuvent pas être mélangées : c’est le cas des femmes et des hommes, ainsi que des mineurs et des majeurs. En France, il existe six établissements pénitentiaires pour mineurs. Néanmoins, les mineurs sont parfois incarcérés au sein d’une prison pour adulte, dans un quartier qui leur est réservé.

81 600
LE CHIFFRE CLÉ

C’est le nombre de personnes incarcérées au sein d’une prison française pour environ 62 000 places opérationnelles au 1er avril 2025, selon le ministère de la justice. 73% d’entre elles l’étaient à la suite d’une condamnation et 27% dans le cadre d’une détention provisoire, c’est-à-dire en attente de leur jugement. La densité carcérale augmente d’année en année, d’où l’expression de « surpopulation carcérale ». Le taux d'occupation des prisons était en moyenne de 123% fin 2023 (soit 123 personnes pour 100 places seulement). Il atteignait 146% au sein des maisons d'arrêt, qui accueillent des personnes placées sous détention provisoire ou condamnées à une peine inférieure à deux ans.

Une dégradation alarmante des conditions de détention 

Créé par la loi du 30 octobre 2007, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) est une autorité administrative indépendante chargée de veiller au respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté. Elle a la possibilité de visiter sur l’ensemble du territoire français tout lieu où des personnes sont privées de liberté – notamment les prisons. Dans son rapport 2023, le CGLPL alerte sur une forte dégradation des conditions de détention en France : cellules surpeuplées, hygiène défaillante (absence de cloisons pour le coin sanitaire, cellules non chauffées en hiver ou suffocantes en été…), temps de promenade réduits en raison de l’insécurité et de l’insalubrité des espaces, manque de surveillants et épuisement des personnels qui conduisent à des atteintes de plus en plus fréquentes aux droits fondamentaux des détenus. 

Le recours des détenus, un droit sans effet 

La France a été condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour conditions de détention inhumaines et dégradantes. Dans un arrêt du 30 janvier 2020, la CEDH a enjoint l’Etat français à prendre des mesures pour résoudre le problème de la surpopulation carcérale, en lien direct avec les conditions de détention. Elle a également relevé l’absence de recours effectif pour y remédier. En réaction à cet arrêt, une loi du 8 avril 2021 a créé un recours pour les détenus en cas de conditions indignes de détention. Sur la base de ce recours, le juge peut enjoindre à l’administration pénitentiaire de remédier aux conditions de détention indignes ou, en l’absence de changement, y remédier lui-même (par exemple, en ordonnant le transfèrement de la personne détenue dans un autre établissement). Dans un rapport de 2024, la CGLPL alerte néanmoins sur les limites de ce recours : nombre de dépôts faible, suivi des injonctions du juge limité… Les conditions de détention ne s’améliorent pas, et la France a de nouveau été condamnée par la CEDH en juillet 2023. 

Quelle est la situation de la France par rapport aux autres pays européens ? 

En 2023, douze pays européens présentaient une densité carcérale supérieure ou égale à 100%, selon une étude publiée en juin 2024 par le Conseil de l’Europe. La France figure parmi les pays qui présentent les taux de surpopulation carcérale les plus importants en Europe (119%), derrière la Roumanie (120%) et Chypre (166%). À titre de comparaison, des pays voisins comme l’Espagne (62%) ou l’Allemagne (78%) présentent des taux bien plus bas.

Surpopulation carcérale en Europe au 31 janvier 2023
Des mesures alternatives à la prison 

La justice peut prononcer des peines de substitution à la prison ferme pour les auteurs de délits (et non de crimes). Les premières peines alternatives ont été instaurées en 1975 puis en 1983 : il s'agit de peines restrictives ou privatives de droits (interdiction d’exercer certaines professions, confiscation d’un véhicule...), de travail d’intérêt général (TIG) et des jours-amende. A ces peines se sont ajoutées, en 2004, le stage de citoyenneté et, en 2007, la sanction-réparation. La loi du 23 mars 2019 a mis en place des mesures visant à diminuer le recours à la prison pour les courtes peines, considérées comme peu efficaces en matière de prévention de la récidive : interdiction des peines de prison en dessous d’un mois, création de la peine de détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE)… La Cour des comptes a récemment évalué la mise en œuvre de deux peines de substitution : la surveillance électronique et le travail d’intérêt général. Elle y appelle au déploiement de ces mesures et au renforcement de leur efficacité pour lutter contre la surpopulation carcérale.

L'extrait de la Doc'
La prison hors les murs ? À quoi sert la probation

La peine est souvent limitée à la prison dans l’esprit du grand public, l’enfermement carcéral tenant lieu de réponse emblématique et unique apportée aux criminels et délinquants depuis l’abolition de la peine de mort. Cette représentation commune néglige ainsi les autres opportunités de travailler efficacement avec des personnes délinquantes, singulièrement en milieu ouvert. Après la Seconde Guerre mondiale, plusieurs chantiers de réforme pénitentiaire ont été ouverts pour penser d’autres modalités d’exécution de la peine et prendre en compte, au-delà de la mission première de l’incarcération, un objectif de réinsertion sociale du détenu, l’institution carcérale se voyant confier également la préparation des suites de la détention. 

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Moins de peines d’emprisonnement ferme, mais des peines plus lourdes 

Si le nombre de condamnations à une peine de prison a fortement diminué entre 2014 et 2023, l’emprisonnement demeure la peine correctionnelle de référence. En 2023, 46% des peines prononcées par les juridictions pénales étaient un emprisonnement (ferme ou avec sursis), et 39% une amende. 15% seulement des peines étaient une alternative à la prison. Dans le même temps, la durée d’emprisonnement augmente (de deux mois en moyenne depuis 2020), ce qui ne résout pas le problème de la surpopulation carcérale. Selon le ministère de la justice, ces évolutions sont en grande partie liées à la loi du 23 mars 2019, qui a modifié l’échelle des peines : les peines de un mois à un an doivent désormais être aménagées (bracelet électronique, semi-liberté…). Au-delà d’un an, la peine est exécutée sans aménagement. Un rapport parlementaire de mars 2025 estime que cette règle a conduit certains tribunaux à prononcer des peines plus lourdes pour garantir qu’une partie soit exécutée en détention.

Plus de prisons, toujours autant de détenus 

Pour remédier à la surpopulation carcérale, le gouvernement a lancé, fin 2018, un plan de création de 15 000 nouvelles places de prisons d'ici à 2027. Ce plan doit porter à plus de 75 000 le nombre total de places disponibles. Mais au 1er mars 2025, seulement 4 500 nouvelles places ont été créées. En plus de ce retard, les coûts prévisionnels du plan sont passés de 4,3 à 5,55 milliards d'euros, selon un bilan du Sénat. Face à cette situation, le ministre de la justice a annoncé, en avril 2025, la création de 3 000 places de prison supplémentaires via des « structures modulaires », moins chères et plus rapides à construire, pour incarcérer les détenus en fin de peine ou condamnés pour de courtes durées. Pour la Cour des comptes, la construction de nouvelles prisons « n'a jamais permis de faire face à un besoin qui dépasse rapidement les capacités nouvelles ». Entre 1990 et 2020, le nombre de places en établissement pénitentiaire et le nombre de détenus ont évolué au même rythme (+25 000).

 

Les grandes dates de la politique pénitentiaire
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