Ce texte des sénateurs Étienne Blanc et Jérôme Durain traduit sur le plan législatif les recommandations du rapport qu'ils ont présenté en mai 2024 en conclusion de la commission d’enquête sur l'impact du narcotrafic en France.
Il contient une série de mesures pour lutter contre le trafic de drogue. Il a été modifié et enrichi par les parlementaires et le gouvernement au cours de son examen.
Lutte contre la criminalité organisée et le blanchiment d'argent
La loi prévoit la création, par acte règlementaire, d'un service chef de file en matière de lutte contre la criminalité organisée. Ce nouveau service sera chargé de piloter et de coordonner l’action interministérielle des services impliqués dans la lutte contre le narcotrafic mais aussi de manière plus globale contre le crime organisé. Il s'agira, selon le gouvernement, d'un "état-major criminalité organisée", à l'image de l'état-major permanent, l’EMaP, qui existe en matière d'anti-terrorisme.
Sur le plan judiciaire, un parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco) est institué sur le modèle des parquets financier (PNF) et anti-terroriste (Pnat). Il traitera les phénomènes criminels du haut du spectre et coordonnera l'action judiciaire. Ce nouveau parquet doit entrer en fonction en janvier 2026. Une loi organique définit en parallèle le statut du procureur de la République chargé de ce nouveau parquet.
Plusieurs dispositions du texte s'intéressent au blanchiment d'argent, afin de "frapper les narcotrafiquants au portefeuille". Les préfets pourront fermer temporairement les commerces ou d'autres lieux (sandwicheries, épiceries de nuit, pressings, locaux associatifs...) soupçonnés de blanchir l'argent de la drogue ou d'y organiser des trafics. Le Conseil constitutionnel a émis une réserve d'interprétation sur la fermeture des locaux associatifs, des lieux de réunion ou de culte, qui devra être "strictement nécessaire, adaptée et proportionnée". Les maires devront être informés de ces fermetures.
De nouveaux professionnels seront soumis aux obligations de vigilance et de déclaration à Tracfin en cas d'opérations suspectes : vendeurs et loueurs de voiture de luxe, de yachts ou de jets, marchands de biens et promoteurs immobiliers. Le paiement en liquide des voitures de location devient interdit.
Les capacités de collecte du renseignement par Tracfin et les pouvoirs des douanes sont étendus.
La présomption de blanchiment sera applicable aux opérations impliquant des "mixeurs" de crypto-actifs, qui constituent un levier de blanchiment répandu parmi les narcotrafiquants. Les prestataires de services sur actifs numériques ne pourront plus recourir à ces "mixeurs".
Une procédure administrative de gel des fonds des narcotrafiquants est instituée, sur le modèle de ce qui existe en matière de lutte anti-terroriste.
Techniques d'enquête et dossier coffre
La loi étend les pouvoirs des services de renseignement. Le dispositif expérimental des interceptions satellitaires, qui vise à prévenir des atteintes particulièrement graves à l’ordre public, comme le terrorisme ou la criminalité organisée, est prolongé jusqu'au 31 décembre 2028. Cette expérimentation devait prendre fin en juillet 2025.
Les juridictions et les enquêteurs disposeront d'autres outils : possibilité d’une infiltration civile des informateurs et activation à distance d’appareils fixes et mobiles sous certaines conditions et réserves formulées par le Conseil constitutionnel... De nouvelles procédures garantiront l'anonymat des enquêteurs spécialisés et des interprètes.
Un "procès-verbal distinct" ou dossier coffre, inspiré du droit belge, permettra de ne pas faire figurer au dossier d’une procédure pénale certaines informations portant sur la mise en œuvre de techniques spéciales d’enquête (par exemple écoutes) lorsque leur divulgation pourrait mettre gravement en danger une personne. Il s'agira uniquement des informations sur quand et où a été posé le dispositif et sur la personne qui a concouru à sa pose ou à son retrait. Les parlementaires ont encadré la possibilité d'ouvrir ce PV distinct, suivant l'avis du Conseil d’État au gouvernement du 13 mars 2025. Le code de procédure pénale prévoit d'ores et déjà un PV distinct par exemple pour l’anonymat de certains témoins. Le Conseil constitutionnel a jugé le dossier de coffre conforme à la Constitution. Il a toutefois censuré, au nom du respect des droits de la défense, les dispositions qui permettaient qu’à titre exceptionnel une condamnation puisse, dans certains cas, être prononcée sur la base d’éléments de preuve versés au dossier coffre.
Des mesures pour lutter contre l’usage détourné des nullités de procédure complètent ce volet.
Le Conseil constitutionnel a censuré l'article 15 de la loi qui autorisait les services de renseignement à expérimenter jusqu'à fin 2028 la technique algorithmique pour détecter des données de connexion et des adresses URL pouvant révéler des menaces liées aux trafics de drogue et d’armes. Il a de même censuré partiellement l'article L851-3 code de la sécurité intérieure en ce qu'il autorise la surveillance algorithmique des URL pour lutter contre le terrorisme et les ingérences étrangères.
Le texte final ne contient pas non plus l'obligation pour les messageries cryptées (comme WhatsApp, Signal, Telegram...) de mettre en œuvre des mesures techniques permettant aux services de renseignement d’accéder aux échanges des narcotrafiquants. Cette obligation, qui aurait conduit à mettre en place des portes dérobées (blackdoors) pour toutes les communications selon les députés, avait été introduite par un amendement sénatorial.
Statut du repenti, répression, lutte contre la corruption
Pour encourager les dénonciations de réseaux criminels, le régime des "repentis" est revu. Les personnes poursuivies pour crime de sang (meurtre, homicide, assassinat) pourront bénéficier de ce régime et voir leurs peines réduites jusqu’aux deux tiers. En outre, la protection des victimes et des témoins est accrue.
Sur le plan pénal, une infraction, inspirée de la législation italienne "antimafia", est instituée. Elle sera constituée par le seul concours à une organisation criminelle. La loi définit la notion d'organisation criminelle. Le recrutement par les narcotrafiquants de mineurs, via des plateformes en ligne ou les réseaux sociaux, comme "petites mains" sera puni jusqu'à 7 ans de prison et 150 000 euros d’amende.
Pour mieux lutter contre le trafic dans les outre-mer, la garde à vue "des mules" pourra être exceptionnellement prolongée jusqu'à 120 heures (contre 96 heures aujourd'hui). Elles encourront de plus une peine complémentaire d’interdiction de vol ou d'embarcation maritime, afin de les rendre "inemployables" par les narcotrafiquants.
Une interdiction administrative de paraître est créée pour empêcher les trafiquants et leurs "petites mains" de fréquenter les points de deal. Les locataires impliqués dans un trafic de drogue pourront être plus facilement expulsés de leur logement. Les préfets pourront enjoindre les bailleurs sociaux ou privés.
Face à "l'ubérisation" du narcotrafic, Pharos pourra demander le retrait et le blocage de contenus en ligne qui proposent d'acheter de la drogue.
La lutte contre la corruption liée au narcotrafic est renforcée dans les administrations sensibles, dans les ports et les aéroports.
Trafics en prison, nouveaux quartiers sécurisés
Des mesures visent les trafics et la sécurité dans les prisons.
Ainsi, par exemple, les trafiquants, qui poursuivent leur trafic en prison, verront leur peine allongée (cumul des peines sans possibilité de confusion), sauf décision spécialement motivée de la juridiction. L’administration pénitentiaire pourra utiliser des drones en particulier pour prévenir l’introduction d’objets interdits par projection ou par drone (produits stupéfiants, téléphones portables...).
Le texte créé par ailleurs, à initiative du gouvernement, des quartiers de lutte contre la criminalité organisée (QLCO), dans lesquels un régime strict de détention s'appliquera : parloirs avec dispositif de séparation sauf exceptions, fouilles intégrales systématiques après tout contact physique avec une personne extérieure, sous certaines réserves émises par le Conseil constitutionnel tenant au respect de la dignité de la personne humaine... L'affectation dans ces quartiers sera décidée par le ministre de la justice à titre exceptionnel pour un an renouvelable, afin que les détenus les plus dangereux rompent leurs liens avec les réseaux criminels. Les détenus sous le statut de repenti ne seront pas concernés. Le gouvernement et les parlementaires ont pris en compte l'avis rendu par le Conseil d’État le 13 mars 2025. Un décret devra préciser les conditions d'application de ce nouveau régime carcéral.
Pour limiter les extractions des détenus affectés dans ces QLCO, un article rendait systématique les comparutions par visio-audience devant les juges (durant toute la phase d'instruction et pour les audiences statuant sur la détention provisoire). Cet article a été censuré par le Conseil constitutionnel car la présentation physique d'un prévenu devant la juridiction pénale est une garantie des droits de la défense.
Le ministre de la justice a précisé, lors du vote du texte, que la première prison de haute sécurité ouvrira en juillet 2025, à Vendin-le-Vieil et la deuxième en octobre 2025 à Condé-sur-Sarthe. "Les 200 narcotrafiquants les plus dangereux y seront enfermés".
L'anonymat des agents pénitentiaires affectés dans ces quartiers devra être garanti. De façon plus générale, des dispositions visent à préserver l'anonymat de tous les personnels pénitentiaires dans les actes de procédure pénale et dans la gestion des détenus.
La sécurité des convois pénitentiaires est renforcée (caméras embarquées à bord de ces convois).
Cette page propose un résumé explicatif du texte pour le grand public. Elle ne remplace pas le texte officiel.
Sources
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Légifrance :
Loi n°2025-532 du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic (version initiale) -
Légifrance :
Loi n°2025-532 du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic (version consolidée) -
Conseil constitutionnel :
Décision n° 2025-885 DC du 12 juin 2025 -
Légifrance :
Dossier législatif : Sortir la France du piège du narcotrafic