Interview de M. Denis Kessler, vice-président délégué du MEDEF, dans "Valeurs actuelles" du 31 août 2001, sur la notion d'entreprise citoyenne, les plans sociaux et les relations de l'entreprise avec l'Etat.

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Circonstance : Université d'été du MEDEF à Jouy en Josas les 30 et 31 août 2001

Média : Valeurs actuelles

Texte intégral

Quel est l'objectif de cette université d'été ?
Promouvoir au sein de la communauté des entrepreneurs ainsi qu'entre eux et tous les acteurs de la société un large débat d'idées, ouvert, libre, contradictoire. Les responsables d'entreprise ont longtemps considéré qu'il suffisait d'avoir de solides convictions pour emporter l'adhésion. C'est certes nécessaire, mais il faut aussi savoir les étayer par de solides démonstrations. Cette université d'été part de la confrontation d'idées et d'expériences pour faire émerger les thèmes forts porteurs d'une vision entrepreneuriale de la société. Dans une démocratie, il est indispensable que ceux qui animent la sphère productive participent pleinement, activement au débat public, souvent monopolisé en France par ceux qui appartiennent à la sphère publique.
Quels acteurs avez-vous invités ?
Il ne s'agit pas d'une session de formation. Il ne s'agit pas de former je ne sais quel militant ! Non. L'université d'été du Medef a bel et bien une vocation universitaire, comme le montre d'ailleurs le choix du lieu. Pour que le débat soit le plus large possible, nous invitons donc non seulement des entrepreneurs mais aussi des responsables politiques, de gauche comme de droite, des syndicalistes, des intellectuels, des universitaires et des chercheurs. Et sachez qu'au sein des entrepreneurs il existe, et je m'en réjouis, une grande diversité d'opinions et de visions.
Pourquoi avoir choisi le thème "création de valeur, respect des valeurs" ?
Le fait que l'économie de marché soit le meilleur système de création de richesses n'est quasiment plus contesté par personne - même s'il a fallu beaucoup plus de temps en France qu'ailleurs pour comprendre qu'il n'y avait pas grand-chose de l'autre côté du mur de Berlin L'Histoire a tranché. En revanche, le débat sur les valeurs fait rage.
A côté de la création de valeur, autrement dit de la production de richesses, il nous faut aussi aborder les questions d'environnement, de relations sociales, de parité, de transparence, d'éthique, de qualité de vie, etc. pour répondre aux attentes de la société. Ces questions, si nous ne parvenons pas à les traiter, feront forcément l'objet d'interventions politiques, étatiques, bureaucratiques, qui pourront le cas échéant nuire à la création de valeurs. Notre université d'été 2001 veut montrer que l'on peut à la fois créer davantage de richesses tout en respectant davantage les valeurs de notre vie en société.
Pourquoi l'entreprise est-elle aussi attaquée en ces temps de croissance ?
Hier, la lutte des classes du schéma marxiste reposait sur une sorte de matrice simple : l'opposition frontale, irréductible, insurmontable entre employeurs et salariés en raison des droits de propriété de l'entreprise. Tout est imprégné par cette idéologie-là, qui justifiait l'intervention systématique de l'Etat dans tous les domaines. Elle a vécu, même s'il en reste des traces vivaces.
Mais d'autres supposées oppositions sont mises en avant, notamment par ceux qui contestent l'économie de marché. Les producteurs, donc l'entreprise elle-même prise comme un tout, ne pourraient pas respecter des valeurs clés. La contestation de l'entreprise porte moins sur les droits de propriété - souvenons-nous des nationalisations proposées comme remède miracle il y a à peine vingt ans ! - que sur toutes sortes de sujets, qui vont des atteintes à l'environnement à l'égalité des sexes ou des nationalités, en passant par l'éthique, l'emploi des OGM ou la mise en cause de l'utilité même des produits. Toutes ces questions sont en elles-mêmes pertinentes : il faut les traiter sur le fond, pour éviter qu'elles servent de nouveaux leviers à ceux qui cherchent un ersatz à la lutte des classes.
Cela signifie-t-il que vous en revenez au concept d'entreprise citoyenne ?
Non. L'entreprise citoyenne, c'était l'entreprise à laquelle on voulait simplement ajouter une dimension de solidarité pour la rendre acceptable. Ce que nous disons, nous, c'est que pour créer durablement de la valeur, l'entreprise est conduite à respecter des valeurs dans toutes les dimensions de sa gestion : vis-à-vis de ses salariés, de ses clients, de ses fournisseurs, de ses actionnaires, de ses concurrents, mais aussi vis-à-vis des autres instances telles que collectivités locales, etc. Prenez, par exemple, le principe de transparence : pour créer de la valeur, une entreprise doit le mettre en uvre, dans des limites à définir (secret des affaires ou de fabrication, délit d'initié). Fixer la frontière entre le secret et la transparence, à l'heure de l'Internet, sera d'ailleurs l'objet d'un atelier.
Le pouvoir politique cherche-t-il un alibi à ses propres carences quand il s'en prend comme il le fait à l'entreprise ?
L'Etat estime, en France, qu'il a le monopole de l'intérêt général et que tous les autres acteurs de la vie collective ne défendent que leurs intérêts particuliers. Il s'agit là d'une conception étatiste, totalement dépassée, ne correspondant pas à la réalité des démocraties modernes. Les entreprises sont directement partie prenante à la poursuite de l'intérêt général ! Et nous ne comprenons pas la violence avec laquelle certains en France cherchent à diaboliser l'entreprise. En réalité, ces tentatives de diabolisation ne servent qu'à justifier la bureaucratie et l'interventionnisme de l'Etat.
Certains attendent l'événement comme le surfeur attend la vague ; exploitant l'émotion, très souvent légitime, tout va s'enchaîner, l'indignation, puis la médiatisation, la pétition, la manifestation, la diabolisation de l'entreprise, la condamnation de ses dirigeants, pour arriver à une nouvelle législation et réglementation Nous sommes le seul grand pays où l'on légifère sous l'emprise de l'émotion. Prenez le cas de Marks Spencer : sa direction a annoncé la fermeture de ses magasins dans cinq pays européens ; la France est le seul de ces pays où l'on ait voté, en un mois, de nouvelles dispositions contre les licenciements sous le coup de l'émotion ! Ce n'est pas une bonne méthode de gouvernement. Celle-ci suppose sérénité et confiance. Et de la pédagogie, plutôt que de la démagogie.

(source http://www.medef.fr, le 3 septembre 2001)