Texte intégral
LAURENT MAUDUIT : Bonjour. Le ministre des Finances Laurent Fabius a levé le voile mardi dernier à l'Assemblée Nationale sur le mini-plan de relance que le gouvernement a mis au point pour conjurer le risque de ralentissement économique, un mini-plan de relance ou plutôt pour reprendre sa propre formulation un plan de consolidation de la croissance. C'est donc de ce plan que nous allons débattre aujourd'hui pour chercher à en mesurer la pertinence. A-t-il été bien calibré ou bien est-il insuffisant ou mal ciblé ? C'est donc pour répondre à ces interrogations que j'ai convié ce dimanche d'une part Denis Kessler, qui est vice-président du MEDEF, l'organisation patronale, et puis de l'autre Christian Pierret qui est secrétaire d' Etat à l'Industrie et qui est un proche de Laurent Fabius. Denis Kessler, c'est d'abord vers vous que je me tourne. Le gouvernement prend toute une rafale de mesures et dans le lot il y en a pour les ménage, je pense évidemment à la nouvelle prime pour l'emploi qui sera versée en début d'année, en janvier, mais l'essentiel des mesures ce sont les entreprises qui vont en bénéficier, soit sous la forme d'aides de trésorerie, amortissement accéléré, remboursement de TVA, soit sous forme d'aides sectorielles, je pense à l'assurance, au tourisme, aux transports aériens et puis il y a par ailleurs les mesures UMTS, la téléphonie mobile de troisième génération, je ne sais pas bien s'il faut le classer également dans cette catégorie, mais quoiqu'il en soit, pour une fois, vous qui avez souvent croisé le fer avec le gouvernement ces dernières années, est-ce que vous êtes beau joueur, est-ce que vous avez envie de dire soit à Laurent Fabius, soit à Lionel Jospin, soit à Christian Pierret qui est en face de vous, merci, voilà un plan bien calibré ?
DENIS KESSLER : Non. Je ne dirai pas merci pour la raison simple c'est que d'abord le gouvernement reconnaît avec beaucoup de retard un ralentissement économique qui maintenant se poursuit depuis plus d'un an et demi, il a été nié. Il y a peine un mois et demi on présentait un budget totalement irréaliste alors même que l'on disait que la croissance de la France était considérablement ralentie et devait continuer de se ralentir, nous avons insisté sur la dégradation de la compétitivité, sur le fait que les exportations à l'heure actuelle sont en contraction, nous avons montré que les coûts unitaires de main d'uvre galopaient plus rapidement en France que dans les autres pays européens, nous avons diagnostiqué la baisse de la rentabilité des entreprises, nous avions dit que l'investissement fléchissait, tout ceci était nié, il a fallu les évènements de New York pour que tout à coup on prenne quelques mesures. Quand on regarde les mesures, écoutez, non ce n'est pas sérieux, on ristourne 0,2 % de PIB alors même que la totalité des prélèvements obligatoires en France, tout le monde le sait, est de 45 %.
LAURENT MAUDUIT : Avant d'en venir aux mesures, Christian Pierret vous répondra peut-être tout-à-l'heure sur l'autisme du gouvernement mais quel est l'état de la situation, quel est l'état de la gravité de la situation ? Est-ce que l'autisme du gouvernement sur la conjoncture se poursuit ?
DENIS KESSLER : La situation économique française est grave dans la mesure où l'environnement dans lequel elle évolue se détériore de manière considérable, regardez les décisions récentes ou plus exactement les diagnostics récents qu'a faits le ministre Eichel sur la situation allemande, regardez la situation de récession qui existe à l'heure actuelle aux Etats-Unis, regardez la situation de récession qui existe à l'heure actuelle au Japon, notre environnement international s'est considérablement dégradé, notre environnement européen s'est considérablement dégradé et la situation française est une situation difficile, je crois qu'il faut le dire, il faut le dire parce que la vérité est à mon sens la seule éthique l'on peut avoir lorsqu'on fait un diagnostic sur une situation économique et sociale.
LAURENT MAUDUIT : Alors avant d'en venir aux détails des mesures, Christian Pierret vous êtes autiste ? Le gouvernement est autiste ?
CHRISTIAN PIERRET : Moi, j'aime bien ce que vient de dire Denis Kessler sur la vérité qui est la seule mesure juste de ce qu'il faut avancer. Les mesures que nous avons annoncées s'insèrent dans un contexte où la France tient plutôt mieux la route de la croissance que les autres pays de l'Union européenne. Elles visent à soutenir l'activité des entreprises et la consommation des ménages sans accroître les déficits, je pense que Denis Kessler devait être satisfait de cette idée saine et bonne et juste. Et donc, ce que nous voulons faire, c'est ne pas entamer la marge de manuvre dont dispose la BCE, et je souligne le rôle très positif de l'euro dans le fait que nous pouvons soutenir cette croissance, de ne pas donc obérer la marge de manuvre de la BCE pour qu'elle puisse continuer à baisser les taux d'intérêt. Donc, tout cela est sain, tout cela est économiquement et financièrement bien orienté et tient compte d'une bonne tenue de la France, n'en déplaise à monsieur Kessler.
LAURENT MAUDUIT : Alors clairement, pour en finir avec la conjoncture, est-ce que l'on peut totalement exclure une récession en France ? Vers quoi se dirige-t-on ? Est-ce que l'on est dans un univers illisible et du coup est-ce que l'on peut comprendre la volonté du gouvernement de ne pas être anxiogène, ou est-ce qu'on peut dire : la situation est plus grave que ne le dit aujourd'hui le gouvernement et donc il faudra avoir des mesures plus ambitieuses, plus musclées ?
DENIS KESSLER : Le regret que l'on a, c'est que depuis trois ans, quatre ans on insiste sur la nécessité de réformes structurelles de façon à préparer notre pays non seulement à des enjeux de compétitivité absolument incroyables mais aussi à des possibles retournements de conjoncture. Nous avons encore un déficit de 200 milliards de francs, qui augmente d'ailleurs dans le projet de loi initial, tel qu'il a été présenté, alors qu'on parle à l'heure actuelle du plan de relance américain, c'est évidemment un déficit qui n'existe pas puisqu'ils ont un excédent budgétaire et qu'ils ne se mettront pas en déficit. Donc, ce que nous regrettons, c'est clair, c'est qu'effectivement les années de croissance
n'ont pas été mises à profit pour pouvoir prendre les mesures structurelles qui permettraient à l'heure actuelle à la France d'envisager ce ralentissement dans des conditions d'une certaine sérénité. Nous n'avons aucune marge de manuvre ! La preuve, le plan qui vient de nous être présenté est vraiment un mini-plan.
Pause
LAURENT MAUDUIT : Retour à notre débat sur le plan de stabilisation de la croissance, le mini-plan de relance du gouvernement. Pendant que Denis Kessler critiquait la politique du gouvernement, je sentais Christian Pierret bouillir.
CHRISTIAN PIERRET : Oui, parce que je n'aime pas trop le catastrophisme de principe. Je crois qu'il faut savoir raison garder. Je veux simplement ici rappeler que les attentats pour spectaculaires qu'ils sont hélas, ne doivent avoir qu'un impact limité dans le temps sur la croissance. Car la crainte à mon avis d'une récession durable est totalement injustifiée. Et je soulignais tout-à-l'heure devant nos auditeurs que l'euro limite le risque le crise de change en cascade et donc nous avons une sorte d'assurance euro, que l'on va bien gérer la période qui s'ouvre devant nous. Par ailleurs je récuse totalement l'idée qu'il s'agisse d'un plan minimum. Je crois que le soutien à la consommation qui a entraîné chez nous une croissance plus forte que la moyenne des pays européens, le soutien à l'investissement qu'on vient de décider, des mesures que d'ailleurs beaucoup demandaient, je pense que Kessler les demandait, aussi sur l'amortissement exceptionnel de 30 % pour les biens acquis jusqu'au 31 mars 2002, la suppression d'un mois du décalage de remboursement de la TVA, tout cela sont des mesures que l'on demande depuis des années, des années, nous les prenons ! Et enfin le soutien aux nouvelles technologies, aux biotechnologies, les 150 millions d'euros - ce n'est pas une paille -pour la Banque de développement des PME, pour les jeunes entreprises, bref il y a un panel de mesures qui me paraissent très dynamiques. Et surtout qui donnent un signal de confiance. Tout cela, ajouté à ce que nous venons de décider sur l'UMTS, qui est un formidable signal vis-à-vis des autres pays européens qui s'enferrent dans une politique absurde, montre notre réactivité, notre souplesse et notre dynamisme.
LAURENT MAUDUIT : Alors Denis Kessler est-ce que dans le détail, au moins il y a des mesures habiles ?
DENIS KESSLER : Non, mais attendez en ce qui concerne Moi je trouve ça incroyable, nous sommes en l'an 2001, nous avons fait la zone euro, que l'on continue en France à faire un plan de relance de la consommation en distribuant du pouvoir d'achat sans aucune concertation avec les autres pays européens, que l'on annonce ça avant un sommet européen, on sait que dans une économie ouverte dans laquelle il y a liberté de circulation des capitaux, des biens, des marchandises, je dis très honnêtement que les producteurs des autres pays doivent remercier le gouvernement français puisque la relance à l'heure actuelle de la consommation française bénéficiera d'abord et avant tout aux producteurs des autres pays compte tenu de la structure de la consommation française. Que l'on puisse, vous vous rendez compte Ce que je regrette, moi fondamentalement, c'est qu'on nous dise sans arrêt, le vrai problème de l'Europe c'est un déficit politique. On avait l'occasion face à un choc qui affecte toutes les économies européennes, tous les pays européens, nous avions l'occasion en or de montrer la capacité enfin d'avoir une politique coordonnée, concertée économique, financière et monétaire en Europe, occasion loupée, la France fait cavalier seul alors même que d'autres pays décident de ne pas faire de plan de relance, regardez ce qui se passe en Allemagne où on dit il est hors question de faire un plan de relance, je comprends. Faire un plan de relance dans une économie ouverte bénéficie aux producteurs des autres pays. Il fallait privilégier entièrement l'investissement. C'est-à-dire la production française et à ce titre-là il fallait avoir des mesures massives et structurelles. Nous l'avons demandé.
CHRISTIAN PIERRET : Concrètement on ne peut pas privilégier l'investissement sans avoir une consommation qui soutient d'abord le marché national, vous le savez très bien. Et nos mesures sur l'investissement tiennent compte en effet d'un certain fléchissement depuis 6 à 9 mois de la formation brute de capital fixe dans les entreprises en France. Elles sont très adaptées, mais encore une fois elles ne veulent pas casser la mécanique. Il ne faut pas accroître les déficits, vous l'avez souligné, je suis d'accord avec vous, il ne faut pas entamer la marge de manuvre globale que nous avons et nous prenons donc des mesures équilibrées, dosées, suffisamment incitatives mais également suffisamment maîtrisées pour ne pas compromettre les équilibres économiques. Et c'est un bon service que la France rend à l'Europe que d'avoir un marché français qui est soutenu et c'est un bon service que nous rendons à la lutte contre le chômage que d'avoir une consommation soutenue.
LAURENT MAUDUIT : Alors, si on rentre dans le détail, Denis Kessler, par exemple, il y a certains secteurs où il y a des dispositifs particuliers, je pense à l'assurance, vous êtes le patron de la Fédération Française des Sociétés d'Assurances, il y a une démarche qui est engagée, pas d'aides directes mais plutôt modifications d'ordre réglementaire, il y a débat, est-ce que, ponctuellement, sur l'assurance, sur le tourisme, sur le secteur aérien, est-ce qu'il y a des initiatives qui, au moins, trouvent votre satisfecit ?
DENIS KESSLER : D'abord, sur l'investissement, ce qui est une chose importante. D'abord, le décalage d'un mois de la trésorerie et de son remboursement, on substitue dans le compte des entreprises une créance qu'avaient les entreprises sur l'Etat
LAURENT MAUDUIT : C'est une aide de trésorerie quand même
CHRISTIAN PIERRET : Oui
DENIS KESSLER : . De grâce, de grâce, ça ne change strictement rien au résultat
CHRISTIAN PIERRET : Ca fait 8 milliards d'aide de trésorerie, ce n'est pas négligeable en cette fin d'année.
DENIS KESSLER : 8 milliards d'aide de trésorerie, ça ne change rien aux comptes des sociétés puisqu'on substitue, je dis bien, une créance à une trésorerie. Mais bon, ceci dit, on aurait dû le faire depuis longtemps. Dont acte.
LAURENT MAUDUIT : Donc vous reconnaissez le caractère positif de cette mesure.
DENIS KESSLER : Dont acte. L'Etat devrait depuis longtemps rembourser ses dettes, c'est mon sentiment. Mais alors, l'autre mesure est particulièrement, très honnêtement, pour un économiste, non, ça, ce n'est pas sérieux
LAURENT MAUDUIT : L'autre mesure, c'est-à-dire.
DENIS KESSLER : L'autre mesure qui consiste à dire : vous achetez des biens d'équipement, à partir de demain, 17 octobre, jusqu'au 31, tiens, comme par hasard, jusqu'au 31 mars, hop, on vous fait un amortissement de 30 %. Un amortissement de 30 % qui impactera les comptes 2003, je vous signale, puisque c'est acheté d'ici là, ça impacte les comptes présentés en 2003. Et de dire que ceci est une aide structurelle à l'investissement, non. On sait très bien que ce type de mesures n'a qu'un effet transitoire, c'est-à-dire que l'on va gonfler et anticiper quelques achats de biens d'équipement, et immédiatement à partir du 2 avril au matin, 1er avril au matin, on va voir, au contraire, un ralentissement des biens d'équipement, c'est ce que l'on appelle des effets de calendrier purs. Je vous rappelle qu'en 1975, la mesure avait été prise, elle avait été catastrophique. Et quand on regarde les courbes d'investissement à l'époque, on a un gonflement transitoire et après une dépression de l'investissement, c'est sérieusement. C'est une meure pour donner un peu de couleurs à l'économie française au premier trimestre. De façon à ce que les indicateurs de l'économie française
LAURENT MAUDUIT : C'est préélectoral
DENIS KESSLER : Mais évidemment ! On va avoir, janvier, février, quelques mesures sur la consommation, quelques indicateurs sur l'investissement. Ca permettra de dire : regardez, il y a du rose aux joues. Non. Je crois que l'on n'a pas soigné le malade, on l'a un peu fardé.
CHRISTIAN PIERRET : Moi, je n'aime pas trop l'approche, malgré toute l'amitié que je porte à Denis Kessler, l'approche un peu politicienne dont il vient de faire preuve il y a un instant. Il est exact qu'une aide à l'investissement est toujours, on l'a constaté au cours des 50 dernières années, une aide qui avance l'investissement dans le temps. C'est vrai. Et c'est précisément ce dont nous avons besoin parce que ce qui nous différencie, cher Denis Kessler, c'est que nous, nous avons confiance dans le retour de la croissance à la fin du premier semestre 2002 et qu'il convient aujourd'hui d'avoir une mesure maîtrisée et adaptée pour relancer maintenant l'investissement, de manière temporaire, donc pour avancer en effet dans le temps l'investissement. C'est tout-à-fait ce que nous cherchons à faire. Et votre critique, en fait, conforte le bien-fondé de ce que nous avons fait.
LAURENT MAUDUIT : Alors, Christian Pierret, j'aimerais bien que l'on fasse un petit temps d'arrêt sur une mesure particulière qui est dans le paquet-cadeau global, qui est la mesure sur la téléphonie mobile de troisième génération. Laurent Fabius a annoncé au même moment le fait que les licences téléphoniques seraient le coût, le prix serait abaissé de 32,5 milliards par opérateur à 4 milliards à peu près. Est-ce que vous n'avez pas donc inséré dans ce dispositif une mesure qui en fait est une immense concession l'aveu d'une immense erreur du gouvernement sur la téléphonie mobile ?
CHRISTIAN PIERRET : Non, non, c'est l'aveu d'une reconnaissance pragmatique d'une situation réelle du marché. Et je suis heureux que le gouvernement auquel j'appartiens, et que nous ayons décidé cela avec Laurent Fabius et moi-même, ait, contrairement aux autres européens, notamment aux Allemands et aux Anglais, tenu compte de la réalité. La réalité, c'est qu'il y a un certain retard dans les attentes que nous avions tous au niveau européen vis-à-vis de l'UMTS. La réalité, c'est que les fabricants de terminaux UMTS ne seront pas prêts en 2002 et qu'ils le seront plutôt au début de 2003, la réalité, c'est que les marchés avaient dit qu'on était allé trop fort dans le montant des licences lors de leur attribution. Et donc nous sommes des gens pragmatiques et nous sommes des gens qui croyions en l'avenir de cette technologie. Donc, nous faisons tout ce qu'il faut pour que les Français et les entreprises françaises soient bien placés dans cette course.
LAURENT MAUDUIT : Denis Kessler, vous en donnez acte au gouvernement
DENIS KESSLER : J'en donne tout-à-fait acte au gouvernement. Je crois qu'il faut effectivement, et là je rejoins Christian Pierret, prendre des décisions pragmatiques face à une situation, je crois qu'il faut faire des diagnostics réalistes et ensuite avoir des thérapeutiques qui tiennent compte du diagnostic que l'on a fait. Vous me permettrez simplement un mot : c'est que malheureusement, nous n'avons pas procédé à une réforme du régime de retraite français, contrairement à ce que souhaitaient le MEDEF et notamment la CFDT, que la réponse qui nous a été faite, c'était le Fonds de réserve des retraites, doté principalement par les recettes de l'UMTS. A l'époque, nous avions déjà, nous nous étions interrogés sur la réalité de cet abondement qui était la seule mesure prise en matière de retraite. Force est de constater aujourd'hui que, malheureusement, le Fonds de réserve des retraites ne sera pas doté avec cette recette qui vient de disparaître qui était le prix de vente des licences UMTS. Donc le problème des retraites reste entier et, malheureusement, nous avons perdu là aussi quelque temps pour prendre cette réforme structurelle.
LAURENT MAUDUIT : Oui mais on a découvert
CHRISTIAN PIERRET : Il y aura d'autres ressources qui se substitueront à celles-ci
LAURENT MAUDUIT : Les socialiste d'un seul coup ont découvert qu'il y avait des autoroutes qu'on pouvait partiellement privatiser.
CHRISTIAN PIERRET : Non, non. Ce qu'il ne faut pas oublier, c'est que c'est en 2020 que nous aurons besoin de 1 000 milliards de francs dans ce Fonds des retraites et que sur le long terme, par l'allongement de 15 à 20 des licences, par le fait que l'on aura 4 licences au lieu de deux, les recettes globales seront sensiblement les mêmes que celles que nous attendions au départ. Plus étalées dans le temps, c'est vrai, et auxquelles nous adjoindrons d'autres réalisations d'actifs, le moment venu. Et donc je pense que la fragilité du Fonds des retraites n'est pas du tout à l'ordre du jour et que nous restons sur la même ligne. En 2020, nous aurons ce qu'il faut pour financer les retraites.
LAURENT MAUDUIT : Nous sommes arrivés au terme de notre débat. Denis Kessler et Christian Pierret, je vous remercie.
(Source http://www.medef.fr, le 5 novembre 2001)
DENIS KESSLER : Non. Je ne dirai pas merci pour la raison simple c'est que d'abord le gouvernement reconnaît avec beaucoup de retard un ralentissement économique qui maintenant se poursuit depuis plus d'un an et demi, il a été nié. Il y a peine un mois et demi on présentait un budget totalement irréaliste alors même que l'on disait que la croissance de la France était considérablement ralentie et devait continuer de se ralentir, nous avons insisté sur la dégradation de la compétitivité, sur le fait que les exportations à l'heure actuelle sont en contraction, nous avons montré que les coûts unitaires de main d'uvre galopaient plus rapidement en France que dans les autres pays européens, nous avons diagnostiqué la baisse de la rentabilité des entreprises, nous avions dit que l'investissement fléchissait, tout ceci était nié, il a fallu les évènements de New York pour que tout à coup on prenne quelques mesures. Quand on regarde les mesures, écoutez, non ce n'est pas sérieux, on ristourne 0,2 % de PIB alors même que la totalité des prélèvements obligatoires en France, tout le monde le sait, est de 45 %.
LAURENT MAUDUIT : Avant d'en venir aux mesures, Christian Pierret vous répondra peut-être tout-à-l'heure sur l'autisme du gouvernement mais quel est l'état de la situation, quel est l'état de la gravité de la situation ? Est-ce que l'autisme du gouvernement sur la conjoncture se poursuit ?
DENIS KESSLER : La situation économique française est grave dans la mesure où l'environnement dans lequel elle évolue se détériore de manière considérable, regardez les décisions récentes ou plus exactement les diagnostics récents qu'a faits le ministre Eichel sur la situation allemande, regardez la situation de récession qui existe à l'heure actuelle aux Etats-Unis, regardez la situation de récession qui existe à l'heure actuelle au Japon, notre environnement international s'est considérablement dégradé, notre environnement européen s'est considérablement dégradé et la situation française est une situation difficile, je crois qu'il faut le dire, il faut le dire parce que la vérité est à mon sens la seule éthique l'on peut avoir lorsqu'on fait un diagnostic sur une situation économique et sociale.
LAURENT MAUDUIT : Alors avant d'en venir aux détails des mesures, Christian Pierret vous êtes autiste ? Le gouvernement est autiste ?
CHRISTIAN PIERRET : Moi, j'aime bien ce que vient de dire Denis Kessler sur la vérité qui est la seule mesure juste de ce qu'il faut avancer. Les mesures que nous avons annoncées s'insèrent dans un contexte où la France tient plutôt mieux la route de la croissance que les autres pays de l'Union européenne. Elles visent à soutenir l'activité des entreprises et la consommation des ménages sans accroître les déficits, je pense que Denis Kessler devait être satisfait de cette idée saine et bonne et juste. Et donc, ce que nous voulons faire, c'est ne pas entamer la marge de manuvre dont dispose la BCE, et je souligne le rôle très positif de l'euro dans le fait que nous pouvons soutenir cette croissance, de ne pas donc obérer la marge de manuvre de la BCE pour qu'elle puisse continuer à baisser les taux d'intérêt. Donc, tout cela est sain, tout cela est économiquement et financièrement bien orienté et tient compte d'une bonne tenue de la France, n'en déplaise à monsieur Kessler.
LAURENT MAUDUIT : Alors clairement, pour en finir avec la conjoncture, est-ce que l'on peut totalement exclure une récession en France ? Vers quoi se dirige-t-on ? Est-ce que l'on est dans un univers illisible et du coup est-ce que l'on peut comprendre la volonté du gouvernement de ne pas être anxiogène, ou est-ce qu'on peut dire : la situation est plus grave que ne le dit aujourd'hui le gouvernement et donc il faudra avoir des mesures plus ambitieuses, plus musclées ?
DENIS KESSLER : Le regret que l'on a, c'est que depuis trois ans, quatre ans on insiste sur la nécessité de réformes structurelles de façon à préparer notre pays non seulement à des enjeux de compétitivité absolument incroyables mais aussi à des possibles retournements de conjoncture. Nous avons encore un déficit de 200 milliards de francs, qui augmente d'ailleurs dans le projet de loi initial, tel qu'il a été présenté, alors qu'on parle à l'heure actuelle du plan de relance américain, c'est évidemment un déficit qui n'existe pas puisqu'ils ont un excédent budgétaire et qu'ils ne se mettront pas en déficit. Donc, ce que nous regrettons, c'est clair, c'est qu'effectivement les années de croissance
n'ont pas été mises à profit pour pouvoir prendre les mesures structurelles qui permettraient à l'heure actuelle à la France d'envisager ce ralentissement dans des conditions d'une certaine sérénité. Nous n'avons aucune marge de manuvre ! La preuve, le plan qui vient de nous être présenté est vraiment un mini-plan.
Pause
LAURENT MAUDUIT : Retour à notre débat sur le plan de stabilisation de la croissance, le mini-plan de relance du gouvernement. Pendant que Denis Kessler critiquait la politique du gouvernement, je sentais Christian Pierret bouillir.
CHRISTIAN PIERRET : Oui, parce que je n'aime pas trop le catastrophisme de principe. Je crois qu'il faut savoir raison garder. Je veux simplement ici rappeler que les attentats pour spectaculaires qu'ils sont hélas, ne doivent avoir qu'un impact limité dans le temps sur la croissance. Car la crainte à mon avis d'une récession durable est totalement injustifiée. Et je soulignais tout-à-l'heure devant nos auditeurs que l'euro limite le risque le crise de change en cascade et donc nous avons une sorte d'assurance euro, que l'on va bien gérer la période qui s'ouvre devant nous. Par ailleurs je récuse totalement l'idée qu'il s'agisse d'un plan minimum. Je crois que le soutien à la consommation qui a entraîné chez nous une croissance plus forte que la moyenne des pays européens, le soutien à l'investissement qu'on vient de décider, des mesures que d'ailleurs beaucoup demandaient, je pense que Kessler les demandait, aussi sur l'amortissement exceptionnel de 30 % pour les biens acquis jusqu'au 31 mars 2002, la suppression d'un mois du décalage de remboursement de la TVA, tout cela sont des mesures que l'on demande depuis des années, des années, nous les prenons ! Et enfin le soutien aux nouvelles technologies, aux biotechnologies, les 150 millions d'euros - ce n'est pas une paille -pour la Banque de développement des PME, pour les jeunes entreprises, bref il y a un panel de mesures qui me paraissent très dynamiques. Et surtout qui donnent un signal de confiance. Tout cela, ajouté à ce que nous venons de décider sur l'UMTS, qui est un formidable signal vis-à-vis des autres pays européens qui s'enferrent dans une politique absurde, montre notre réactivité, notre souplesse et notre dynamisme.
LAURENT MAUDUIT : Alors Denis Kessler est-ce que dans le détail, au moins il y a des mesures habiles ?
DENIS KESSLER : Non, mais attendez en ce qui concerne Moi je trouve ça incroyable, nous sommes en l'an 2001, nous avons fait la zone euro, que l'on continue en France à faire un plan de relance de la consommation en distribuant du pouvoir d'achat sans aucune concertation avec les autres pays européens, que l'on annonce ça avant un sommet européen, on sait que dans une économie ouverte dans laquelle il y a liberté de circulation des capitaux, des biens, des marchandises, je dis très honnêtement que les producteurs des autres pays doivent remercier le gouvernement français puisque la relance à l'heure actuelle de la consommation française bénéficiera d'abord et avant tout aux producteurs des autres pays compte tenu de la structure de la consommation française. Que l'on puisse, vous vous rendez compte Ce que je regrette, moi fondamentalement, c'est qu'on nous dise sans arrêt, le vrai problème de l'Europe c'est un déficit politique. On avait l'occasion face à un choc qui affecte toutes les économies européennes, tous les pays européens, nous avions l'occasion en or de montrer la capacité enfin d'avoir une politique coordonnée, concertée économique, financière et monétaire en Europe, occasion loupée, la France fait cavalier seul alors même que d'autres pays décident de ne pas faire de plan de relance, regardez ce qui se passe en Allemagne où on dit il est hors question de faire un plan de relance, je comprends. Faire un plan de relance dans une économie ouverte bénéficie aux producteurs des autres pays. Il fallait privilégier entièrement l'investissement. C'est-à-dire la production française et à ce titre-là il fallait avoir des mesures massives et structurelles. Nous l'avons demandé.
CHRISTIAN PIERRET : Concrètement on ne peut pas privilégier l'investissement sans avoir une consommation qui soutient d'abord le marché national, vous le savez très bien. Et nos mesures sur l'investissement tiennent compte en effet d'un certain fléchissement depuis 6 à 9 mois de la formation brute de capital fixe dans les entreprises en France. Elles sont très adaptées, mais encore une fois elles ne veulent pas casser la mécanique. Il ne faut pas accroître les déficits, vous l'avez souligné, je suis d'accord avec vous, il ne faut pas entamer la marge de manuvre globale que nous avons et nous prenons donc des mesures équilibrées, dosées, suffisamment incitatives mais également suffisamment maîtrisées pour ne pas compromettre les équilibres économiques. Et c'est un bon service que la France rend à l'Europe que d'avoir un marché français qui est soutenu et c'est un bon service que nous rendons à la lutte contre le chômage que d'avoir une consommation soutenue.
LAURENT MAUDUIT : Alors, si on rentre dans le détail, Denis Kessler, par exemple, il y a certains secteurs où il y a des dispositifs particuliers, je pense à l'assurance, vous êtes le patron de la Fédération Française des Sociétés d'Assurances, il y a une démarche qui est engagée, pas d'aides directes mais plutôt modifications d'ordre réglementaire, il y a débat, est-ce que, ponctuellement, sur l'assurance, sur le tourisme, sur le secteur aérien, est-ce qu'il y a des initiatives qui, au moins, trouvent votre satisfecit ?
DENIS KESSLER : D'abord, sur l'investissement, ce qui est une chose importante. D'abord, le décalage d'un mois de la trésorerie et de son remboursement, on substitue dans le compte des entreprises une créance qu'avaient les entreprises sur l'Etat
LAURENT MAUDUIT : C'est une aide de trésorerie quand même
CHRISTIAN PIERRET : Oui
DENIS KESSLER : . De grâce, de grâce, ça ne change strictement rien au résultat
CHRISTIAN PIERRET : Ca fait 8 milliards d'aide de trésorerie, ce n'est pas négligeable en cette fin d'année.
DENIS KESSLER : 8 milliards d'aide de trésorerie, ça ne change rien aux comptes des sociétés puisqu'on substitue, je dis bien, une créance à une trésorerie. Mais bon, ceci dit, on aurait dû le faire depuis longtemps. Dont acte.
LAURENT MAUDUIT : Donc vous reconnaissez le caractère positif de cette mesure.
DENIS KESSLER : Dont acte. L'Etat devrait depuis longtemps rembourser ses dettes, c'est mon sentiment. Mais alors, l'autre mesure est particulièrement, très honnêtement, pour un économiste, non, ça, ce n'est pas sérieux
LAURENT MAUDUIT : L'autre mesure, c'est-à-dire.
DENIS KESSLER : L'autre mesure qui consiste à dire : vous achetez des biens d'équipement, à partir de demain, 17 octobre, jusqu'au 31, tiens, comme par hasard, jusqu'au 31 mars, hop, on vous fait un amortissement de 30 %. Un amortissement de 30 % qui impactera les comptes 2003, je vous signale, puisque c'est acheté d'ici là, ça impacte les comptes présentés en 2003. Et de dire que ceci est une aide structurelle à l'investissement, non. On sait très bien que ce type de mesures n'a qu'un effet transitoire, c'est-à-dire que l'on va gonfler et anticiper quelques achats de biens d'équipement, et immédiatement à partir du 2 avril au matin, 1er avril au matin, on va voir, au contraire, un ralentissement des biens d'équipement, c'est ce que l'on appelle des effets de calendrier purs. Je vous rappelle qu'en 1975, la mesure avait été prise, elle avait été catastrophique. Et quand on regarde les courbes d'investissement à l'époque, on a un gonflement transitoire et après une dépression de l'investissement, c'est sérieusement. C'est une meure pour donner un peu de couleurs à l'économie française au premier trimestre. De façon à ce que les indicateurs de l'économie française
LAURENT MAUDUIT : C'est préélectoral
DENIS KESSLER : Mais évidemment ! On va avoir, janvier, février, quelques mesures sur la consommation, quelques indicateurs sur l'investissement. Ca permettra de dire : regardez, il y a du rose aux joues. Non. Je crois que l'on n'a pas soigné le malade, on l'a un peu fardé.
CHRISTIAN PIERRET : Moi, je n'aime pas trop l'approche, malgré toute l'amitié que je porte à Denis Kessler, l'approche un peu politicienne dont il vient de faire preuve il y a un instant. Il est exact qu'une aide à l'investissement est toujours, on l'a constaté au cours des 50 dernières années, une aide qui avance l'investissement dans le temps. C'est vrai. Et c'est précisément ce dont nous avons besoin parce que ce qui nous différencie, cher Denis Kessler, c'est que nous, nous avons confiance dans le retour de la croissance à la fin du premier semestre 2002 et qu'il convient aujourd'hui d'avoir une mesure maîtrisée et adaptée pour relancer maintenant l'investissement, de manière temporaire, donc pour avancer en effet dans le temps l'investissement. C'est tout-à-fait ce que nous cherchons à faire. Et votre critique, en fait, conforte le bien-fondé de ce que nous avons fait.
LAURENT MAUDUIT : Alors, Christian Pierret, j'aimerais bien que l'on fasse un petit temps d'arrêt sur une mesure particulière qui est dans le paquet-cadeau global, qui est la mesure sur la téléphonie mobile de troisième génération. Laurent Fabius a annoncé au même moment le fait que les licences téléphoniques seraient le coût, le prix serait abaissé de 32,5 milliards par opérateur à 4 milliards à peu près. Est-ce que vous n'avez pas donc inséré dans ce dispositif une mesure qui en fait est une immense concession l'aveu d'une immense erreur du gouvernement sur la téléphonie mobile ?
CHRISTIAN PIERRET : Non, non, c'est l'aveu d'une reconnaissance pragmatique d'une situation réelle du marché. Et je suis heureux que le gouvernement auquel j'appartiens, et que nous ayons décidé cela avec Laurent Fabius et moi-même, ait, contrairement aux autres européens, notamment aux Allemands et aux Anglais, tenu compte de la réalité. La réalité, c'est qu'il y a un certain retard dans les attentes que nous avions tous au niveau européen vis-à-vis de l'UMTS. La réalité, c'est que les fabricants de terminaux UMTS ne seront pas prêts en 2002 et qu'ils le seront plutôt au début de 2003, la réalité, c'est que les marchés avaient dit qu'on était allé trop fort dans le montant des licences lors de leur attribution. Et donc nous sommes des gens pragmatiques et nous sommes des gens qui croyions en l'avenir de cette technologie. Donc, nous faisons tout ce qu'il faut pour que les Français et les entreprises françaises soient bien placés dans cette course.
LAURENT MAUDUIT : Denis Kessler, vous en donnez acte au gouvernement
DENIS KESSLER : J'en donne tout-à-fait acte au gouvernement. Je crois qu'il faut effectivement, et là je rejoins Christian Pierret, prendre des décisions pragmatiques face à une situation, je crois qu'il faut faire des diagnostics réalistes et ensuite avoir des thérapeutiques qui tiennent compte du diagnostic que l'on a fait. Vous me permettrez simplement un mot : c'est que malheureusement, nous n'avons pas procédé à une réforme du régime de retraite français, contrairement à ce que souhaitaient le MEDEF et notamment la CFDT, que la réponse qui nous a été faite, c'était le Fonds de réserve des retraites, doté principalement par les recettes de l'UMTS. A l'époque, nous avions déjà, nous nous étions interrogés sur la réalité de cet abondement qui était la seule mesure prise en matière de retraite. Force est de constater aujourd'hui que, malheureusement, le Fonds de réserve des retraites ne sera pas doté avec cette recette qui vient de disparaître qui était le prix de vente des licences UMTS. Donc le problème des retraites reste entier et, malheureusement, nous avons perdu là aussi quelque temps pour prendre cette réforme structurelle.
LAURENT MAUDUIT : Oui mais on a découvert
CHRISTIAN PIERRET : Il y aura d'autres ressources qui se substitueront à celles-ci
LAURENT MAUDUIT : Les socialiste d'un seul coup ont découvert qu'il y avait des autoroutes qu'on pouvait partiellement privatiser.
CHRISTIAN PIERRET : Non, non. Ce qu'il ne faut pas oublier, c'est que c'est en 2020 que nous aurons besoin de 1 000 milliards de francs dans ce Fonds des retraites et que sur le long terme, par l'allongement de 15 à 20 des licences, par le fait que l'on aura 4 licences au lieu de deux, les recettes globales seront sensiblement les mêmes que celles que nous attendions au départ. Plus étalées dans le temps, c'est vrai, et auxquelles nous adjoindrons d'autres réalisations d'actifs, le moment venu. Et donc je pense que la fragilité du Fonds des retraites n'est pas du tout à l'ordre du jour et que nous restons sur la même ligne. En 2020, nous aurons ce qu'il faut pour financer les retraites.
LAURENT MAUDUIT : Nous sommes arrivés au terme de notre débat. Denis Kessler et Christian Pierret, je vous remercie.
(Source http://www.medef.fr, le 5 novembre 2001)