Texte intégral
Q - Ma question s'adresse à Monsieur le Premier Ministre et concerne le Rwanda. Depuis des semaines, nous assistons , le monde assiste, à des massacres abominables qui se déroulent sur le sol du Rwanda. L'indifférence et l'impuissance de la communauté internationale ont scandalisé et continuent de scandaliser l'opinion. La France, pour sa part, a décidé d'agir. Elle a proposé, comme nous le savons, à l'ONU, d'envoyer sur place une force d'intervention humanitaire intervenant dans le cadre des résolutions du Conseil de sécurité.
C'est une décision courageuse, qui est d'ailleurs conforme à ce qu'il y a de meilleur dans la vocation de notre pays, à savoir le service du droit et de la liberté. Mais cette décision courageuse est aussi une décision risquée. En effet, la France doit-elle s'engager seule, si aucun de ses partenaires ou presque, partenaires européens et partenaires africains, n'accepte de participer à cette opération. Or la communauté internationale semble tergiverser.
Deuxième interrogation: la France peut-elle s'engager, alors que plusieurs organisations humanitaires, qui étaient les premières à réclamer d'ailleurs une intervention, aujourd'hui semblent émettre des critiques ou des inquiétudes à l'égard de cette intervention.
Enfin, la France peut-elle s'engager alors que l'un des deux camps en présence, le Front patriotique du Rwanda, a déclaré s'opposer à cette intervention?
Au moment où des soldats français vont peut-être se trouver engagés dans cette affaire au Rwanda, Monsieur le Premier Ministre, pourriez-vous nous indiquer quelles sont les intentions du gouvernement et son analyse dans cette affaire tout à fait tragique?
R - Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les députés, Monsieur le député. Le Conseil de sécurité des Nations unies va examiner dans quelques heures le projet de résolution autorisant la France, le Sénégal et d'autres Etats qui se joindraient à eux, à intervenir au Rwanda dans le cadre d'une opération humanitaire pour sauver les populations menacées. Pourquoi cette intervention?
Elle est d'abord justifiée par des considérations morales. Depuis deux mois, le drame qui se déroule dans ce pays a atteint un degré d'horreur qu'il était difficile d'imaginer. Des centaines de milliers de morts, plus de deux millions de personnes déplacées ; pas un jour, pas un jour où les organisations non gouvernementales ou la presse n'aient attiré l'attention de la communauté internationale et demandé sa mobilisation. Les efforts diplomatiques incessants menés par notre pays et par d'autres pour obtenir l'arrêt des massacres et un cessez-le-feu, ces efforts ont échoué. La force des Nations unies qui doit se déployer au Rwanda ne pourra le faire que d'ici plusieurs semaines. Fallait-il laisser les massacres se poursuivre d'ici là. Nous avons pensé que cela n'était pas possible, et qu'il était de notre devoir de réagir. Les conditions particulièrement difficiles qui existent au Rwanda ont amené le gouvernement à fixer un certain nombre de conditions ou de principes précis qui gouverneront cette intervention humanitaire.
Premier principe, la France n'agira qu'avec un mandat du Conseil de sécurité des Nations unies. Le gouvernement a considéré qu'une action de ce type qui répond à un devoir humanitaire malgré l'urgence, devait être autorisée par la communauté internationale. M. Boutros-Ghali nous a apporté un soutien sans réserve dès que nous lui avons fait part de notre intention de prendre une initiative. Les consultations engagées par notamment M. le ministre des Affaires étrangères, vont aboutir aujourd'hui, je l'espère, nous l'espérons tous, puisque le Conseil de sécurité se prononcera dans quelques heures sur le texte de résolution que nous avons déposé.
Deuxième principe: d'autres pays ont décidé de se joindre, selon différentes modalités, à notre action. En Afrique, le Sénégal, avec lequel nous avons un compagnonnage d'armes ancien, fournira une unité. Des discussions sont en cours avec d'autres pays. Le soutien politique de très nombreux Etats africains francophones, lusophones et anglophones, qui nous est adressé directement, est un encouragement.
En Europe, cette opération a reçu hier le soutien de l'UEO, et plusieurs pays membres de cette organisation nous ont fait part de leur disponibilité à apporter un soutien logistique, je cite: le Portugal, l'Espagne, l'Italie, la Belgique.
L'Italie pourrait même faire plus. Je suis en contact direct avec le Président du Conseil, M. Berlusconi. J'ajoute que la cellule de planification de l'UEO joue déjà un rôle de coordination des contributions des Etats membres à l'opération humanitaire.
Les Etats-Unis, enfin, nous apportent un soutien politique actif et s'engageront dans le domaine logistique. La France, qui souhaitait ne pas intervenir seule car elle estime que la dimension internationale de l'opération doit se manifester au-delà des déclarations d'intention - la France est donc entendue.
Troisième principe: il s'agit d'une opération où il peut être fait usage de la force, mais avec un objectif uniquement humanitaire: sauver des vies humaines et mettre à l'abri des enfants, des malades, des populations terrorisées. Cette force, je le redis très clairement, n'est pas une force d'interposition mais une force qui doit protéger les populations civiles. Celles qui sont menacées sont pour l'essentiel des populations tutsies, en zones contrôlées par le gouvernement. Elles pourront ainsi échapper au massacre des milices, auxquelles des centaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants ont déjà succombé, faute d'une action suffisamment rapide et suffisamment déterminée de la communauté internationale.
Nous agirons conjointement avec les forces qui s'associeront aux nôtres, de telle sorte qu'à partir des frontières, nous puissions favoriser la sécurité des populations menacées et leur permettre de recevoir le secours des organisations humanitaires.
En aucun cas, Mesdames et Messieurs les députés, nos forces n'interviendront en profondeur dans le territoire rwandais ou ne prendront parti dans des luttes internes au Rwanda ou à caractère régional. C'est la raison pour laquelle nous entretenons des contacts étroits avec toutes les parties concernées, y compris avec le FPR, et en dépit des déclarations que celui-ci a pu faire alors même qu'il était encore mal informé de nos intentions.
Quatrième principe enfin, l'opération sera de durée limitée. Son terme sera la fin du mois de juillet. Tout doit donc être fait pour que la Force des Nations unies, la MINUAR en cours de constitution, soit en mesure de se déployer rapidement. Notre intervention cessera dès l'arrivée de cette force. Il convient donc que la communauté internationale et tous les pays qui ont annoncé une contribution en hommes et en logistique ou en matériels mettent en pratique leur détermination, qu'ils en fassent la preuve , dans les meilleurs délais. Notre action doit avoir pour effet d'accélérer le déploiement de la force des Nations unies.
Mesdames et Messieurs les députés, l'intervention humanitaire de la France au Rwanda est une opération difficile. Personne ne se le dissimule et le gouvernement moins que tout autre. C'est pour cela que j'ai tenu à ce qu'elle s'entoure de tant de précautions, et qu'elle tient à agir en toute légalité internationale et avec d'autres partenaires. Le gouvernement a pris cette décision parce qu'il est conscient des responsabilités qui pèsent sur notre pays de par sa tradition historique, de par sa situation de membre permanent du Conseil de sécurité. Il l'a prise aussi parce qu'une solidarité ancienne et vivante unit notre pays à l'Afrique, et qu'il ne saurait laisser des populations africaines livrées au génocide. Il l'a prise parce que tous les recours diplomatiques et humanitaires ayant été épuisés, les massacres ne se sont pas arrêtés, et qu'il faut qu'à tout le moins certains Etats, dont la France, réagissent.
Cette décision est grave, et elle entraîne naturellement des réactions diverses, y compris sur les bancs de l'Assemblée, je le sais. Hier, l'unanimité se faisait de par le monde pour demander que quelqu'un se lève pour mettre fin à l'un des drames les plus insupportables de l'histoire récente. Agissons-nous aujourd'hui que nous voici aussitôt assaillis par le doute des uns et les soupçons des autres - je parle de nos partenaires étrangers, Mesdames et Messieurs les députés. Le choix a été fait. Chacun jugera, vous jugerez. Mais sachez que le gouvernement agira dans ce domaine conformément aux principes très précis que j'ai tenu à vous soumettre et à définir devant vous. J'ai confiance dans la capacité de nos armées à mener à bien cette mission. Tout sera fait pour que les soldats français ne soient pas mis dans des situations où ils n'auraient pas les moyens d'assurer leur sécurité.
Si notre initiative et celle des pays qui nous accompagnent atteint son but, je suis convaincu que la France aura été fidèle à l'engagement constant qui a été le sien au cours de l'histoire en faveur de la dignité de l'Homme. Je suis également convaincu qu'elle aura fait faire un pas supplémentaire à notre société internationale, qui marche difficilement mais qui doit continuer à marcher vers davantage de stabilité, vers davantage de justice.
C'est une décision courageuse, qui est d'ailleurs conforme à ce qu'il y a de meilleur dans la vocation de notre pays, à savoir le service du droit et de la liberté. Mais cette décision courageuse est aussi une décision risquée. En effet, la France doit-elle s'engager seule, si aucun de ses partenaires ou presque, partenaires européens et partenaires africains, n'accepte de participer à cette opération. Or la communauté internationale semble tergiverser.
Deuxième interrogation: la France peut-elle s'engager, alors que plusieurs organisations humanitaires, qui étaient les premières à réclamer d'ailleurs une intervention, aujourd'hui semblent émettre des critiques ou des inquiétudes à l'égard de cette intervention.
Enfin, la France peut-elle s'engager alors que l'un des deux camps en présence, le Front patriotique du Rwanda, a déclaré s'opposer à cette intervention?
Au moment où des soldats français vont peut-être se trouver engagés dans cette affaire au Rwanda, Monsieur le Premier Ministre, pourriez-vous nous indiquer quelles sont les intentions du gouvernement et son analyse dans cette affaire tout à fait tragique?
R - Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les députés, Monsieur le député. Le Conseil de sécurité des Nations unies va examiner dans quelques heures le projet de résolution autorisant la France, le Sénégal et d'autres Etats qui se joindraient à eux, à intervenir au Rwanda dans le cadre d'une opération humanitaire pour sauver les populations menacées. Pourquoi cette intervention?
Elle est d'abord justifiée par des considérations morales. Depuis deux mois, le drame qui se déroule dans ce pays a atteint un degré d'horreur qu'il était difficile d'imaginer. Des centaines de milliers de morts, plus de deux millions de personnes déplacées ; pas un jour, pas un jour où les organisations non gouvernementales ou la presse n'aient attiré l'attention de la communauté internationale et demandé sa mobilisation. Les efforts diplomatiques incessants menés par notre pays et par d'autres pour obtenir l'arrêt des massacres et un cessez-le-feu, ces efforts ont échoué. La force des Nations unies qui doit se déployer au Rwanda ne pourra le faire que d'ici plusieurs semaines. Fallait-il laisser les massacres se poursuivre d'ici là. Nous avons pensé que cela n'était pas possible, et qu'il était de notre devoir de réagir. Les conditions particulièrement difficiles qui existent au Rwanda ont amené le gouvernement à fixer un certain nombre de conditions ou de principes précis qui gouverneront cette intervention humanitaire.
Premier principe, la France n'agira qu'avec un mandat du Conseil de sécurité des Nations unies. Le gouvernement a considéré qu'une action de ce type qui répond à un devoir humanitaire malgré l'urgence, devait être autorisée par la communauté internationale. M. Boutros-Ghali nous a apporté un soutien sans réserve dès que nous lui avons fait part de notre intention de prendre une initiative. Les consultations engagées par notamment M. le ministre des Affaires étrangères, vont aboutir aujourd'hui, je l'espère, nous l'espérons tous, puisque le Conseil de sécurité se prononcera dans quelques heures sur le texte de résolution que nous avons déposé.
Deuxième principe: d'autres pays ont décidé de se joindre, selon différentes modalités, à notre action. En Afrique, le Sénégal, avec lequel nous avons un compagnonnage d'armes ancien, fournira une unité. Des discussions sont en cours avec d'autres pays. Le soutien politique de très nombreux Etats africains francophones, lusophones et anglophones, qui nous est adressé directement, est un encouragement.
En Europe, cette opération a reçu hier le soutien de l'UEO, et plusieurs pays membres de cette organisation nous ont fait part de leur disponibilité à apporter un soutien logistique, je cite: le Portugal, l'Espagne, l'Italie, la Belgique.
L'Italie pourrait même faire plus. Je suis en contact direct avec le Président du Conseil, M. Berlusconi. J'ajoute que la cellule de planification de l'UEO joue déjà un rôle de coordination des contributions des Etats membres à l'opération humanitaire.
Les Etats-Unis, enfin, nous apportent un soutien politique actif et s'engageront dans le domaine logistique. La France, qui souhaitait ne pas intervenir seule car elle estime que la dimension internationale de l'opération doit se manifester au-delà des déclarations d'intention - la France est donc entendue.
Troisième principe: il s'agit d'une opération où il peut être fait usage de la force, mais avec un objectif uniquement humanitaire: sauver des vies humaines et mettre à l'abri des enfants, des malades, des populations terrorisées. Cette force, je le redis très clairement, n'est pas une force d'interposition mais une force qui doit protéger les populations civiles. Celles qui sont menacées sont pour l'essentiel des populations tutsies, en zones contrôlées par le gouvernement. Elles pourront ainsi échapper au massacre des milices, auxquelles des centaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants ont déjà succombé, faute d'une action suffisamment rapide et suffisamment déterminée de la communauté internationale.
Nous agirons conjointement avec les forces qui s'associeront aux nôtres, de telle sorte qu'à partir des frontières, nous puissions favoriser la sécurité des populations menacées et leur permettre de recevoir le secours des organisations humanitaires.
En aucun cas, Mesdames et Messieurs les députés, nos forces n'interviendront en profondeur dans le territoire rwandais ou ne prendront parti dans des luttes internes au Rwanda ou à caractère régional. C'est la raison pour laquelle nous entretenons des contacts étroits avec toutes les parties concernées, y compris avec le FPR, et en dépit des déclarations que celui-ci a pu faire alors même qu'il était encore mal informé de nos intentions.
Quatrième principe enfin, l'opération sera de durée limitée. Son terme sera la fin du mois de juillet. Tout doit donc être fait pour que la Force des Nations unies, la MINUAR en cours de constitution, soit en mesure de se déployer rapidement. Notre intervention cessera dès l'arrivée de cette force. Il convient donc que la communauté internationale et tous les pays qui ont annoncé une contribution en hommes et en logistique ou en matériels mettent en pratique leur détermination, qu'ils en fassent la preuve , dans les meilleurs délais. Notre action doit avoir pour effet d'accélérer le déploiement de la force des Nations unies.
Mesdames et Messieurs les députés, l'intervention humanitaire de la France au Rwanda est une opération difficile. Personne ne se le dissimule et le gouvernement moins que tout autre. C'est pour cela que j'ai tenu à ce qu'elle s'entoure de tant de précautions, et qu'elle tient à agir en toute légalité internationale et avec d'autres partenaires. Le gouvernement a pris cette décision parce qu'il est conscient des responsabilités qui pèsent sur notre pays de par sa tradition historique, de par sa situation de membre permanent du Conseil de sécurité. Il l'a prise aussi parce qu'une solidarité ancienne et vivante unit notre pays à l'Afrique, et qu'il ne saurait laisser des populations africaines livrées au génocide. Il l'a prise parce que tous les recours diplomatiques et humanitaires ayant été épuisés, les massacres ne se sont pas arrêtés, et qu'il faut qu'à tout le moins certains Etats, dont la France, réagissent.
Cette décision est grave, et elle entraîne naturellement des réactions diverses, y compris sur les bancs de l'Assemblée, je le sais. Hier, l'unanimité se faisait de par le monde pour demander que quelqu'un se lève pour mettre fin à l'un des drames les plus insupportables de l'histoire récente. Agissons-nous aujourd'hui que nous voici aussitôt assaillis par le doute des uns et les soupçons des autres - je parle de nos partenaires étrangers, Mesdames et Messieurs les députés. Le choix a été fait. Chacun jugera, vous jugerez. Mais sachez que le gouvernement agira dans ce domaine conformément aux principes très précis que j'ai tenu à vous soumettre et à définir devant vous. J'ai confiance dans la capacité de nos armées à mener à bien cette mission. Tout sera fait pour que les soldats français ne soient pas mis dans des situations où ils n'auraient pas les moyens d'assurer leur sécurité.
Si notre initiative et celle des pays qui nous accompagnent atteint son but, je suis convaincu que la France aura été fidèle à l'engagement constant qui a été le sien au cours de l'histoire en faveur de la dignité de l'Homme. Je suis également convaincu qu'elle aura fait faire un pas supplémentaire à notre société internationale, qui marche difficilement mais qui doit continuer à marcher vers davantage de stabilité, vers davantage de justice.