Déclarations de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur la condamnation des essais nucléaires en Inde et au Pakistan et sur la prochaine rencontre de MM. Eltsine et Milosevic sur la question du Kosovo, Londres le 12 juin 1998.

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Circonstance : Réunion ministérielle du G8 et du Groupe de contact à Londres (Grande-Bretagne) le 12 juin 1998

Texte intégral

Nous sommes réunis aujourd'hui à Londres, précisément, pour renforcer notre action, pour arrêter cet engrenage de la guerre que nous voyons malheureusement se développer avec son cortège de malheurs. Le Groupe de contact est, depuis des semaines, déterminé a trouver une solution de fond, c'est-à-dire l'autonomie maximale pour le Kossovo par la négociation politique et nous avons, depuis des semaines donc, combiné beaucoup de pressions, mises en garde, avertissements, sanctions et en même temps, incitations politiques, en montrant aux Yougoslaves que, s'ils veulent réinsérer leur pays dans la communauté mondiale et d'abord européenne, il faut prendre une autre voie. Nous sommes obligés maintenant de montrer les dents, de changer de braquet parce que nous n'obtenons pas la solution que nous cherchons et qu'il faudra trouver de toute façon. Mais là, il y a une urgence : cet engrenage a pris une tournure encore plus dure. C'est pourquoi nous avons demandé à l'OTAN d'accélérer les études qui avaient été demandées, notamment par la France et les Etats-Unis, il y a plusieurs semaines, pour que tous les scénarios, et donc toutes les réponses, soient envisagées. Je dis bien toutes.
Q - Est-ce un ultimatum que le Groupe de contact envoie à Milosevic ?
R - Le Groupe de contact est très clair à chaque fois. Nous attendons, et cela, sans délai, que la répression soit immédiatement arrêtée et qu'une négociation véritable s'engage. Sans tergiverser.
Q - Avez-vous senti une évolution de la position de Moscou en attendant la réunion de mardi prochain ?
R - Je vous rappelle que les Russes sont dans le Groupe de contact comme les Européens, comme les Etats-Unis et que, malgré les différences de situations nationales, nous avons maintenu la cohésion du Groupe de contact ainsi que sa fermeté, ce qui est une condition sine qua non pour tenter de reprendre la maîtrise des événements. Chacun a une partition à jouer, mais dans le cadre de cette ligne générale. Les Russes, après un contact à Bonn, ont invité le président Milosevic : c'est une bonne initiative qui est soutenue par tout le monde et nous espérons très vivement que cela permettra aux Russes de convaincre le président Milosevic de revenir dans la voie que le Groupe de contact lui demande de suivre, qui est celle de la vraie négociation que nous avions cru pouvoir entamer et qui malheureusement, pour le moment, a tourné court.
Q - Maintenant, on attend mardi ?
R - On n'attend pas parce que nous avons demandé, sans attendre mardi, d'arrêter toute forme de répression, tout de suite. Donc, il n'y a pas d'attente, il n'y a pas de report. Il s'agit maintenant de réenclencher la solution politique.
Q - Mais que fait-on s'il ne se passe rien ?
R - Les études que nous avons demandées à l'OTAN, les réflexions que nous avons menées dans le Groupe de contact ainsi que dans d'autres réunions, européennes ou autres, ont précisément pour but de rassembler tous les éléments dont nous disposons maintenant pour prendre, le cas échéant, s'il le faut, malheureusement, les décisions adéquates.
Q - Décisions qui pourraient se traduire par une intervention militaire ?R - Des décisions qui peuvent signifier le recours à la force, sous une forme ou sous une autre, ce qui signifie donc passage par le Conseil de sécurité puisqu'il n'y a pas de recours à la force, dans la légitimité internationale, sans passer par le Conseil de sécurité, au titre du Chapitre VII. Mais nous avons préparé tous les éléments et tous les scénarios dans cette hypothèse. Maintenant, aujourd'hui, à Londres, ce vendredi, je ne peux pas vous en dire plus puisque la réunion de Moscou peut apporter des éléments./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 septembre 2001)
Je vous résume rapidement la situation : je pense que vous connaissez déjà les textes. Je dirais que c'étaient deux réunions fort utiles sur deux sujets que vous connaissez : la situation Inde/Pakistan et d'autre part, le Kossovo.
En ce qui concerne, l'Inde et le Pakistan, l'élément principal, c'est que le G8, dans ses travaux, dans sa réunion, a apporté un plein soutien à ce qui avait été fait par le P5, par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité à Genève. D'autre part, il y a eu une formation élargie, une sorte de réunion ad hoc, avec un certain nombre de pays non nucléaires, mais qui auraient pu l'être, et qui avaient été invités pour faire part de leur analyse de la situation et de ce qu'ils peuvent faire. C'était fort intéressant aussi. Il y avait l'Ukraine, le Brésil, l'Argentine, l'Afrique du Sud, qui est un pays qui a fait la démarche que vous savez, qui a démantelé ce qui avait été élaboré dans le passé et qui est en contact avec l'Inde et le Pakistan de façon particulière, plus que les trois autres que j'ai cités. Cela c'était très intéressant. Cela souligne une vraie cohésion de différents groupes de pays par rapport à la ligne qui a été arrêtée à Genève, qui est une ligne à la fois de pressions, de convictions par rapport aux deux pays, pour leur démontrer qu'ils se sont engagés dans une mauvaise voie, par rapport aux problèmes de sécurité dont ils nous parlent - tout pays a le devoir de se préoccuper de sa sécurité, naturellement - mais nous sommes convaincus qu'ils font fausse route. En même temps, l'approche qui a été retenue à Genève ne consiste pas à les ostraciser, mais à les convaincre en leur indiquant de façon extrêmement précise comment ils peuvent se remettre dans la bonne direction à la fois sur la question de la lutte contre la prolifération et en même temps sur la question de la tension régionale. Une des issues de cette réunion sera de constituer une sorte de comité d'experts, de "task force" d'experts qui seront en contact pour rassembler les informations et coordonner, ou en tout cas, avoir une vue d'ensemble de ce que font les uns et les autres. Nous avons reparlé de l'hypothèse, - mais les conditions ne sont pas réunies -, d'une réunion d'une de ces entités - le P5 qui a la préférence de la France, ou le G8 ou ce groupe ad hoc avec l'Inde et le Pakistan mais évidemment, il faudrait que l'on ait enclenché un engrenage vertueux. C'est une idée que nous maintenons dans le paysage. D'ici là, le groupe d'experts restera en contact. Mais naturellement, comme je l'avais dit clairement à Genève, pour nous, ce sont les membres du Conseil de sécurité qui doivent rester le pivot de tout, même s'il y a des réunions du G8 ou d'un groupe ad hoc ou de l'Union européenne ou du groupe asiatique. Mais les cinq membres permanents, de par la charte des Nations unies, ont la responsabilité de veiller au maintien de la paix. C'est tout à fait compatible avec cette géométrie variable que l'on a vu se développer aujourd'hui avec un réel intérêt.
En ce qui concerne le Kossovo, nous aboutissons à un texte qui est bon, que vous avez, et qui s'inscrit dans cette stratégie de pressions constamment renforcées, depuis le début mars, qui a démontré une fois de plus l'unité du Groupe de contact et sa fermeté. Il faut qu'il y ait les deux pour que ce soit significatif. Dans le même temps, comme vous le savez, les études que nous avons demandé à l'OTAN progressent. Je rappelle à cette occasion que la France a été le pays qui a le plus précocement, depuis plusieurs semaines, demandé des études larges et exhaustives sur tous les scénarios. On peut dire qu'on est passé de l'étude à la planification mais avant décision. Nous aurons vraiment d'ici peu tous les éléments pour prendre des décisions malheureusement nécessaires. Avant, intervient un élément très important qui est la visite du président Milosevic à Moscou. Nous avons tous approuvé le travail qu'ont fait les Allemands avec Boris Eltsine qui a eu cette idée d'inviter le président Milosevic à Moscou mais cela ne doit conduire en aucune façon à relâcher la pression ni à édulcorer ce que nous disons avec une constance complète depuis plusieurs semaines.
Voila donc où nous en sommes. L'échéance la plus immédiate est de voir si les Russes arrivent à convaincre Milosevic, compte tenu de la continuité, de la constance, de l'unité, de la fermeté du Groupe de contact, de revenir à la ligne que nous exigeons depuis des semaines, à juste titre, je crois, c'est-à-dire une vraie négociation pour trouver une vraie solution politique.
Tout à l'heure, je repartirai donc. M. Rugova vient à Paris demain, comme vous le savez, et il sera reçu par le président de la République. Donc, c'était une occasion de lui proposer de repartir avec moi. Dès la fin de notre rencontre, je le retrouve ici et je repars avec lui. Nous aurons l'occasion de faire le point./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 septembre 2001)