Texte intégral
Jean-Pierre Elkabbach. Est-ce que vous vous dites : quand j'entends Lionel Jospin, je m'écoute.
Nicole Notat. Voilà une question qui m'inciterait presque au narcissisme. Non, j'écoute le Premier ministre quand il parle.
Est-ce que vous entendez un pragmatique ouvert au marché ou un vrai socialiste comme certains le disent, quand on lit la presse, c'est un vrai homme de gauche et de l'autre côté, c'est presque un libéral. Vous le trouvez comment ?
J'ai entendu hier un Premier ministre qui s'attachait à répondre aux questions qui sont aujourd'hui celles de la société française dans un contexte de plus en plus mondialisé et européanisé. Il appelle nécessairement tout Premier ministre, qui a une ambition pour la France, à réfléchir aux nouvelles conditions de son intervention, de son pouvoir qui est moins national aujourd'hui mais plus européen et mondial.
Qu'est-ce que vous en pensez ? Face à la concurrence mondiale, à la compétition, au sort des entreprises, qu'est-ce que vous vous dites en l'écoutant ?
Dire aujourd'hui que le mode d'action et d'intervention de l'Etat est en train de changer, il a déjà largement changé, qu'on ne peut tout régler à partir de l'Etat, qu'on ne peut pas tout régler à partir de la France
Il ne faut pas tout attendre de l'Etat, vous êtes d'accord ?
Bien sûr, c'est évident qu'on ne peut pas tout attendre de l'Etat. En même temps, cela ne veut pas dire que l'Etat est privé de moyens d'intervention et n'a plus de moyens d'action.
Quand il dit : "on n'administre pas l'économie" ?
Cela fait déjà un certain nombre d'années d'ailleurs que c'est une réalité.
"Ce n'est pas par la loi qu'on régule l'économie", dit Monsieur Jospin. Pourtant, il y a deux lois sur les 35 heures ? Vous savez pourquoi ?
C'est à propos de Michelin qu'il a eu l'occasion de faire cette réponse. Il faut-il pas tirer cette phrase au-delà du sujet sur lequel elle est arrivée. Sur Michelin, sur les licenciements en général, le Premier ministre dit : "Nous ne sommes pas sans réglementation sur les licenciements, après c'est aux acteurs de l'entreprise, c'est au rapport de forces de jouer". Bien évidemment, c'est une réalité. Simplement, il faut que les syndicats aient les moyens d'intervenir, il faut bien voir qu'à Michelin, les moyens de l'intervention, surtout les moyens d'être écoutés, sont largement limités. C'est ce qui est choquant chez Michelin ?
Il y a des syndicats, au passage ...
Bien sûr qu'il y a des syndicats. La CFDT y joue d'ailleurs un rôle très important et je les sais très combatifs dans cette entreprise. Ce qui est choquant, indépendamment du fait qu'on annonce des licenciements au moment où l'entreprise est prospère, mais d'autres entreprises nous y ont aussi habitués, ce qui est surtout choquant, Michelin continue à être une entreprise où la politique du fait accompli est la règle, où le dialogue social et la négociation ne sont pas une réalité, où le chef d'entreprise s'emploie à vouloir mettre les salariés devant des décisions sur lesquelles ils n'ont rien à dire. Cela au moins aussi choquant chez Michelin qu'une décision qui concerne l'emploi. ()
Vous pensez qu'il n'y a rien à faire ?
Non. Nous avons organisé une grande mobilisation sur une décision qui nous avait aussi beaucoup choqués, c'est Vilvoorde. La décision concernant la fermeture de Vilvoorde n'a pas été remise en cause. Par contre la mobilisation et le rapport de force peuvent faire beaucoup sur la manière dont les salariés ne seront pas jetés à la rue, n'auront pas des licenciements secs, auront des possibilités de reconversion et de reclassement.
Vos oreilles ont dû vous siffler quand Monsieur Jospin a fait appel à vous, les syndicats, et qu'il vous somme, contre les suppressions d'emplois et les licenciements, en particulier chez Michelin, à la mobilisation générale. Est-ce que vous y allez ?
Chez Michelin, ils sont déjà dans l'action et ils n'ont pas l'intention de modérer tout ce qui pourra faire évoluer la situation. ()
Avec l'unité syndicale ?
Sans doute. Malheureusement, sur le terrain des licenciements, les syndicats finissent par avoir beaucoup de savoir-faire, parce que ce sont des situations qu'ils vivent de manière régulière.
C'est assez extraordinaire un Premier ministre qui réclame la pression sociale dans la rue contre la stratégie d'une entreprise privée.
Je le lis comme un espace que le Premier ministre ouvre à la nécessité et à l'utilité de l'intervention syndicale sur des questions qui ne peuvent plus être aujourd'hui complètement résolues par l'Etat. C'est un signe positif dans la manière dont le Premier ministre a parlé. ()
J'ai noté aussi que Robert Hue appelle, lui aussi, à manifester. Est-ce que vous marcherez avec Robert Hue sur la réduction du temps de travail ?
J'ai entendu Robert Hue dimanche soir et en l'écoutant faire un appel général, je me suis dit : "Je pensais que Robert Hue était en train de conduire une certaine rénovation, pour ne pas dire révolution, dans la conception du parti communiste à faire de la politique. Zut ! Le voilà qui retombe dans ses vieux errements." Les appels politiques à la mobilisation générale, c'est une confusion des genres entre la fonction syndicale et la fonction publique.
Il reprend du retard.
Si on veut, comme le Premier ministre le souhaite, que les forces sociales jouent pleinement leur rôle dans la vie française, il faut qu'elles aient les moyens de leur autonomie, il ne faut pas qu'elles soient sous la tutelle de personne.
Un mot sur les retraites. Des propositions vous seront faites au début de l'année prochaine. Martine Aubry fait paraît-il de la concertation. Est-ce que la CFDT acceptera, par exemple, sur l'allongement au conditionnel de la durée des cotisations, le même statut pour la fonction publique ?
La CFDT acceptera ce qui va dans le sens de la garantie pour les retraités de demain d'une pension digne de ce nom. Donc des évolutions qui ne sont pas des menaces, des évolutions qui ne seront pas des régressions, mais des évolutions qui seront le moyen pour les retraités de demain de continuer à avoir par un système de répartition, des garanties sur leur retraite.
(source http://www.cfdt.fr, le 14 septembre 1999)
Nicole Notat. Voilà une question qui m'inciterait presque au narcissisme. Non, j'écoute le Premier ministre quand il parle.
Est-ce que vous entendez un pragmatique ouvert au marché ou un vrai socialiste comme certains le disent, quand on lit la presse, c'est un vrai homme de gauche et de l'autre côté, c'est presque un libéral. Vous le trouvez comment ?
J'ai entendu hier un Premier ministre qui s'attachait à répondre aux questions qui sont aujourd'hui celles de la société française dans un contexte de plus en plus mondialisé et européanisé. Il appelle nécessairement tout Premier ministre, qui a une ambition pour la France, à réfléchir aux nouvelles conditions de son intervention, de son pouvoir qui est moins national aujourd'hui mais plus européen et mondial.
Qu'est-ce que vous en pensez ? Face à la concurrence mondiale, à la compétition, au sort des entreprises, qu'est-ce que vous vous dites en l'écoutant ?
Dire aujourd'hui que le mode d'action et d'intervention de l'Etat est en train de changer, il a déjà largement changé, qu'on ne peut tout régler à partir de l'Etat, qu'on ne peut pas tout régler à partir de la France
Il ne faut pas tout attendre de l'Etat, vous êtes d'accord ?
Bien sûr, c'est évident qu'on ne peut pas tout attendre de l'Etat. En même temps, cela ne veut pas dire que l'Etat est privé de moyens d'intervention et n'a plus de moyens d'action.
Quand il dit : "on n'administre pas l'économie" ?
Cela fait déjà un certain nombre d'années d'ailleurs que c'est une réalité.
"Ce n'est pas par la loi qu'on régule l'économie", dit Monsieur Jospin. Pourtant, il y a deux lois sur les 35 heures ? Vous savez pourquoi ?
C'est à propos de Michelin qu'il a eu l'occasion de faire cette réponse. Il faut-il pas tirer cette phrase au-delà du sujet sur lequel elle est arrivée. Sur Michelin, sur les licenciements en général, le Premier ministre dit : "Nous ne sommes pas sans réglementation sur les licenciements, après c'est aux acteurs de l'entreprise, c'est au rapport de forces de jouer". Bien évidemment, c'est une réalité. Simplement, il faut que les syndicats aient les moyens d'intervenir, il faut bien voir qu'à Michelin, les moyens de l'intervention, surtout les moyens d'être écoutés, sont largement limités. C'est ce qui est choquant chez Michelin ?
Il y a des syndicats, au passage ...
Bien sûr qu'il y a des syndicats. La CFDT y joue d'ailleurs un rôle très important et je les sais très combatifs dans cette entreprise. Ce qui est choquant, indépendamment du fait qu'on annonce des licenciements au moment où l'entreprise est prospère, mais d'autres entreprises nous y ont aussi habitués, ce qui est surtout choquant, Michelin continue à être une entreprise où la politique du fait accompli est la règle, où le dialogue social et la négociation ne sont pas une réalité, où le chef d'entreprise s'emploie à vouloir mettre les salariés devant des décisions sur lesquelles ils n'ont rien à dire. Cela au moins aussi choquant chez Michelin qu'une décision qui concerne l'emploi. ()
Vous pensez qu'il n'y a rien à faire ?
Non. Nous avons organisé une grande mobilisation sur une décision qui nous avait aussi beaucoup choqués, c'est Vilvoorde. La décision concernant la fermeture de Vilvoorde n'a pas été remise en cause. Par contre la mobilisation et le rapport de force peuvent faire beaucoup sur la manière dont les salariés ne seront pas jetés à la rue, n'auront pas des licenciements secs, auront des possibilités de reconversion et de reclassement.
Vos oreilles ont dû vous siffler quand Monsieur Jospin a fait appel à vous, les syndicats, et qu'il vous somme, contre les suppressions d'emplois et les licenciements, en particulier chez Michelin, à la mobilisation générale. Est-ce que vous y allez ?
Chez Michelin, ils sont déjà dans l'action et ils n'ont pas l'intention de modérer tout ce qui pourra faire évoluer la situation. ()
Avec l'unité syndicale ?
Sans doute. Malheureusement, sur le terrain des licenciements, les syndicats finissent par avoir beaucoup de savoir-faire, parce que ce sont des situations qu'ils vivent de manière régulière.
C'est assez extraordinaire un Premier ministre qui réclame la pression sociale dans la rue contre la stratégie d'une entreprise privée.
Je le lis comme un espace que le Premier ministre ouvre à la nécessité et à l'utilité de l'intervention syndicale sur des questions qui ne peuvent plus être aujourd'hui complètement résolues par l'Etat. C'est un signe positif dans la manière dont le Premier ministre a parlé. ()
J'ai noté aussi que Robert Hue appelle, lui aussi, à manifester. Est-ce que vous marcherez avec Robert Hue sur la réduction du temps de travail ?
J'ai entendu Robert Hue dimanche soir et en l'écoutant faire un appel général, je me suis dit : "Je pensais que Robert Hue était en train de conduire une certaine rénovation, pour ne pas dire révolution, dans la conception du parti communiste à faire de la politique. Zut ! Le voilà qui retombe dans ses vieux errements." Les appels politiques à la mobilisation générale, c'est une confusion des genres entre la fonction syndicale et la fonction publique.
Il reprend du retard.
Si on veut, comme le Premier ministre le souhaite, que les forces sociales jouent pleinement leur rôle dans la vie française, il faut qu'elles aient les moyens de leur autonomie, il ne faut pas qu'elles soient sous la tutelle de personne.
Un mot sur les retraites. Des propositions vous seront faites au début de l'année prochaine. Martine Aubry fait paraît-il de la concertation. Est-ce que la CFDT acceptera, par exemple, sur l'allongement au conditionnel de la durée des cotisations, le même statut pour la fonction publique ?
La CFDT acceptera ce qui va dans le sens de la garantie pour les retraités de demain d'une pension digne de ce nom. Donc des évolutions qui ne sont pas des menaces, des évolutions qui ne seront pas des régressions, mais des évolutions qui seront le moyen pour les retraités de demain de continuer à avoir par un système de répartition, des garanties sur leur retraite.
(source http://www.cfdt.fr, le 14 septembre 1999)