Interview de M. Jean-Pierre Chevènement, président du Pôle républicain , à "LCI" le 13 mai 2002, sur la création du Pôle républicain, composé de l'ancien Mouvement des citoyens élargi à de nouveaux membres, et sur la préparation des élections législatives 2002 .

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral


A. Hausser
Le Pôle républicain s'est réuni, hier, à Paris : vous avez lancé la campagne législative, mais pas encore présenté tous vos candidats et vous avez surtout à déplorer - je ne sais pas si vous le déplorer ou non - aucun accord avec le Parti socialiste. Ce qui fait que le PS va lancer des candidats contre vous-mêmes, contre G. Sarre. Vous êtes des figures symboliques. Où êtes-vous ?
- "Nous avons créé le Pôle républicain. C'est la seule force politique nouvelle qui émerge de l'élection présidentielle et qui a recueilli le soutien à peu près d'un Français sur 20. Nous avons obtenu plus de voix que beaucoup de forces politiques consacrées. Je pense aux Verts, au Parti communiste, à Démocratie libérale ou à d'autres encore. Il fallait créer à chaud ce nouveau parti. Le Mouvement des citoyens accepté de se fondre dans le Pôle républicain et nous avons désigné plus de 400 candidats, dont plus de la moitié ne viennent pas du Mouvement des citoyens. C'est donc une performance. Je n'hésite pas à le dire."
Il faut la transformer...
- "A partir de là, il faut transformer ce qu'était l'élan de la campagne, les 30.000 adhérents de nos comités de soutien qui souhaitaient continuer le combat, en une formation politique, qui tiendra son congrès constitutif à l'automne mais qui a déjà une direction provisoire. J'en suis le président. Elle présente ses candidats dans plus de 400 circonscriptions. A partir de là, j'avais fait une proposition bien précise d'un accord, limité mais défensif, avec le Parti socialiste, compte tenu de la victoire de J. Chirac et du fait que la dynamique des institutions donne un avantage à la droite libérale revenue au gouvernement. Cet accord a été repoussé. Ce n'est pas de mon fait."
Il paraît que vous ne voulez pas dire que vous êtes clairement de gauche ?
- "D'où nous parlent ceux qui nous posent ce genre de questions ? Ce sont ceux qui veulent privatiser le service public ? Privatiser EDF par exemple ? Ce sont ceux qui veulent porter l'âge de la retraite à 63 ans ? Ce sont ceux qui veulent réduire à zéro le déficit budgétaire d'ici 2004 ? Ce sont ceux qui mènent une politique sur les résultats de laquelle ils feraient bien de s'interroger, qui nous posent cette question ? Ce serait à rire si ce n'était pas à en pleurer. Très franchement, nous avons une ligne claire - je l'ai exprimée à plusieurs reprises - et nos concitoyens sont capables de juger pour savoir qui, en effet, veut maintenir les services publics, veut desserrer les contraintes européennes, veut faire reculer le chômage et la précarité. L'ambiguïté n'est pas chez nous. Elle est chez ceux qui nous accusent de l'être. Par exemple, M. Aubry dit qu'il y a de l'ambiguïté, ou alors M. Glavany."
Mais hier, dans vos propres débats, il y avait cet appel de la part de certains de vos membres à dire qu'il faut dire clairement que vous êtes de gauche, parce qu'entre la gauche et la droite, il n'y a pas de passage ?
- "C'est une question qui a été posée dans des débats très larges. Mais je réponds que nous sommes des républicains. Sur le plan de la conception économique, nous sommes plutôt à gauche parce que nous ne sommes pas pour la loi de la jungle mais, par ailleurs, sur le plan sociétal, nous considérons qu'il y a des institutions à défendre, comme par exemple l'école ou la nation, qui est le cadre de la démocratie. Par conséquent, nous représentons une exigence républicaine à laquelle beaucoup de socialistes ont tourné le dos. J'évoquais M. Glavany : il me taxe d'ambiguïté. Mais où est l'ambiguïté ? Elle est bien chez M. Glavany qui avait publié, il y a trois ans, un rapport sur la Corse qui s'appelait "le sursaut nécessaire", et qui a entériné, la queue basse, les accords de Matignon. Quand M. Aubry propose de repeindre à la va-vite le programme Jospin, tout en expliquant que d'une part elle tient compte des propositions de Jospin et d'autres part ce que les Français ont voulu dire, qui ne voit qu'il y a, là, une contradiction ? Au contraire, nous montrons qu'il y a un autre chemin que celui qu'indique une droite libérale et une gauche libérale, pareillement épuisées."
Sur le, plan des valeurs de la République, on peut dire que vous avez été entendu. J. Chirac a réagi très vivement, samedi soir, lorsque La Marseillaise a été sifflée au Stade de France. Vous avez parlé d'action préméditée. Mais quand vous le voyez faire cela, vous le soutenez et l'approuvez ?
- "Je parlais d'action préméditée de la part de ceux qui ont sifflé La Marseillaise. Evidemment, c'est une action des indépendantistes corses qui ont repris leurs attentats - enfin, qui ne les ont jamais cessé. On voit bien où a conduit la politique de faiblesse qui a été celle, non seulement de L. Jospin, mais aussi de J. Chirac, vis-à-vis de la revendication indépendantiste qui, je le rappelle, ne rassemble, lorsqu'il y a des élections, que 10 % des Corses."
Ils seront absents des législatives...
- "Ils se sont absentés des législatives, ils refusent le chemin des urnes. C'est la raison pour laquelle il faut être ferme vis-à-vis de tous ceux qui contestent les règles de la République, les règles de la démocratie. On ne peut pas concéder au chantage d'une minorité violente."
Le processus de Matignon a vécu - tout le monde en est d'accord - mais maintenant, on va s'attaquer à la décentralisation. Hier, le ministre des Libertés locales a reconnu une spécificité de la Corse à cause de son caractère insulaire. Est-ce que vous pensez que les idées que vous avez combattues vont être reprises ?
- "Il y a plusieurs spécificités en Corse. Une est la violence. C'est une spécificité : il y a une minorité violente qui, depuis 25 ans, fait régner la terreur, le chantage, le racket. Le problème est de savoir - c'est un problème qui concerne l'Etat et sa politique de sécurité, ainsi que les repères fondamentaux que l'on donne aux Français - si cela va continuer ou est-ce qu'on va prendre le taureau par les cornes ? C'est une question que je pose directement à J. Chirac. Est-ce qu'il sera en phase avec ses deux derniers discours, prononcés la veille ou l'avant-veille du premier tour de scrutin, ou bien est-ce qu'on va faire profil bas ? Nous avons été témoins de suffisamment de variations de la part de J. Chirac sur le dossier corse - je ne vais pas remonter à Tralonca ni au fait qu'après l'engagement du processus de Matignon, J. Chirac s'est mis aux abonnés absents et à laisser faire le Conseil constitutionnel. Nous avons besoin de clarté. Que la Corse ait des spécificités par ailleurs, c'est évident, c'est une île, personne ne va le contester. C'est le principe de la continuité territoriale. Par ailleurs, la Corse a un patrimoine culturel qu'il faut développer. Sans pourtant rendre l'apprentissage du corse obligatoire, parce qu'on sait très bien que c'est le vecteur de la corsisation des emplois, le vecteur d'une revendication ethniciste. La question qui est posée à tous les dirigeants de notre pays est de savoir s'ils veulent faire prévaloir les règles de la République - et pas seulement se contenter de défendre La Marseillaise quand elle est sifflée - et est-ce qu'ils veulent, dans leur action, traduire les principes républicains ?"
Est-ce que sur ce plan-là, vous n'avez pas déjà gagné avec la République que vous défendez depuis le début de votre combat ?
- "Il ne suffit pas que quelques branchés s'enroulent dans les plis des drapeaux tricolores et chantent à gorge déployée La Marseillaise pour que je m'estime satisfait. Pour moi, la politique consiste à traduire des intentions affichées en actes, dans une politique suivie, cohérente, qui défende la République et ses principes, l'autorité de la loi égale pour tous et qu'on fasse triompher ce principe en Corse comme dans nos banlieues, comme ailleurs, vis-à-vis de tous ceux qui fraudent le fisc, qui blanchissent l'argent sale. Il faut que la loi s'applique également."
Si des mesures énergiques sont prises, est-ce que vous soutiendriez le gouvernement de J. Chirac ?
- "Si des mesures énergiques sont prises, bien entendu. Je suis dans l'opposition, l'opposition républicaine et, de ce point de vue-là, nous ne sommes pas la même opposition que l'opposition sociale-libérale dominée par le Parti socialiste. Mais en tant que républicains, nous sommes constructifs : s'il y a des choses positives, nous le diront. Mme Bachelot a dit sur le nucléaire, des choses qui, à mon avis, vont plutôt dans le bon sens."
(Source :Premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 14