Texte intégral
Madame l'Ambassadeur,
Au moment de procéder à une cérémonie qui me procure un grand plaisir, je me remémore avec émotion l'une de nos dernières rencontres, lorsque nous avons, ensemble, donné le nom de Dulcie September à la place parisienne où était tombée votre compatriote sous des balles assassines le 29 mars 1988. Dans le vent et sous la pluie, vous nous avez donné, s'il en était encore besoin, des raisons d'espérer, de croire au pouvoir des hommes et des femmes pour forcer le changement et construire un avenir plus respectueux des valeurs humaines. Ensemble, nous avons dit combien le combat de Dulcie September était devenu, à la lumière des transformations de votre pays, un message d'espoir pour tous les opprimés.
Madame Barbara Masekela,
Permettez-moi de dire à vos amis ici présents, que vous même, par votre action et vos prises de position, êtes un autre exemple de ces hommes et ces femmes qui font avancer le monde. J'ai fait rechercher, dans votre histoire, ce qui vous y prédisposait. Quoi, de l'inné ou de l'acquis, si l'on se réfère aux grands théoriciens, pouvait le mieux aider à cerner votre personnalité et expliquer votre capacité à porter témoignage et à convaincre ?
I - L'inné paraît chez vous fondamental.
La forte identité de votre milieu familial vous a en effet profondément marquée à un triple point de vue :
- vous avez été élevée, suivant vos propres paroles, à "être extraordinaire". La famille Masekela cultivait par des liens très étroits entre ses membres une originalité marquée : il n'y avait chez vous de pire insulte que de qualifier le comportement de l'un d'entre vous de "non-Masekela", ce qui pouvait recouvrir beaucoup de péchés mais surtout le manque de personnalité ;
- mais vous êtes aussi une famille d'artistes dont un des représentants moins connus mais sûrement pas moins talentueux était votre père ;
- la dureté des années de plomb que connaissait alors l'Afrique du Sud contraria toute sa vie sa vocation ; ce ne fut heureusement pas le cas de votre frère, que je suis heureux de saluer aujourd'hui, et dont l'immense talent a largement dépassé les frontières d'Afrique du Sud pour faire de lui une des figures marquantes de votre pays à l'étranger.
- un troisième caractère est, si j'ose m'exprimer ainsi, le caractère si bien trempé des femmes de votre famille et je veux citer ici la figure emblématique de votre grand-mère qui n'aimait pas cacher ses sentiments et entendait faire régner l'ordre partout où elle passait.
II - Oui, votre "inné" était considérable, mais vous avez su l'amplifier, l'enrichir et y apposer votre style propre, que d'aucuns ont qualifié d'inimitable. Pour paraphraser Sacha Guitry, ayant hérité d'un nom, vous vous êtes fait un prénom en exaltant les éléments précédents :
- la famille est toujours pour vous un élément essentiel. Partout où vous avez été, votre maison est restée ouverte à tous les membres de votre famille, et je sais que ce qui vous a le plus cruellement manqué pendant vos quinze ans d'exil était la présence des vôtres. Heureusement, votre frère, chaque fois que cela a été possible, a été près de vous ;
- il fût et demeure pour vous un véritable jumeau. Je n'aurai garde d'oublier le dévouement avec lequel vous élevez votre fils et le neveu que vous avez recueilli, et l'on sait ce que cela signifie quand on connaît les charges d'une vie professionnelle comme la vôtre.
- Sur votre tempérament d'artiste, je m'étendrai moins, car on touche ici à votre jardin secret. L'art est pour vous "la voie qui mène au coeur". Je me suis laissé dire que vous avez écrit des poèmes très remarquables et je suis convaincu que vous continuez à taquiner la muse. Dans les temps d'exil à Lusaka, vous étiez d'ailleurs secrétaire à la Culture de l'ANC et tout le monde s'attendait en 1994 à votre nomination comme ministre des Arts et de la Culture. Le président Mandela en a décidé autrement, je dirais égoïstement, pour le plus grand bonheur de la France, "mère des arts". Nous ne lui en ferons pas reproche.
- Quant à la femme d'action, je ne crois pas non plus que j'ai besoin de m'étendre sur ce point : tous vos amis ici se souviennent avec émotion, et pour certains avec une crainte rétrospective, de l'époque où vous avez mené d'une main de fer le cabinet du président Mandela. Aujourd'hui, vous entamez une nouvelle carrière, cette fois dans les affaires. Le président Ramaphosa, figure de proue du "black management", ne pouvait rendre de plus grand hommage à vos talents qu'en vous appelant à ses côtés.
III - Un dernier point, à présent, qui témoigne de votre ouverture d'esprit et de votre très grande capacité d'aborder des réalités diverses, un point qui nous intéresse particulièrement aujourd'hui, je pense à votre relation à la France. A peine arrivée dans un pays que vous connaissiez à peine et pour un métier que vous n'aviez jamais exercé, vous avez consacré toute votre énergie à le découvrir mieux, à le labourer et, je crois pouvoir le dire, à l'aimer. En rien de temps, vous en avez appris la langue, et le ministre de la Francophonie que je suis, tiens à vous rendre, à ce titre, un particulier hommage. Vous vous y êtes fait d'innombrables amis, vous en avez visité presque toutes les régions, multipliant les contacts entre les collectivités locales et les associations des deux pays ; vous en connaissez comme personne les mille et une particularités, au premier rang desquelles je n'aurai garde d'oublier la gastronomie. Partout, vous avez porté l'image de votre pays au plus haut niveau, démarchant sans répit les industriels pour les convaincre que l'Afrique du Sud est un bon risque et vous avez, je crois, de ce point de vue, un grand nombre de succès à votre actif. Vous avez aussi, bien sur, consacré votre énergie aux domaines artistiques car vous avez compris que l'art et la culture étaient désormais affaire d'échanges et de connaissance mutuelle. Je signalerai en particulier le retour en Afrique du Sud de la donation Sekoto et la réussite du Festival de Nantes qui a accueilli en 1997 plus de trois cents artistes sud-africains.
Bref, dans le temps trop court de votre séjour dans mon pays, vous avez été ce qu'on appelle un "grand ambassadeur", connue de tous, admirée de tous et, je peux en témoigner, aimée de tous. M. Jacques Chirac avait de bonnes raisons de vous distinguer par la décoration que je vais maintenant vous remettre, conscient de l'honneur qui m'échoit en cette circonstance :
- " Barbara Masekela, au nom du président de la République et en vertu des pouvoirs qui me sont conférés, je vous fais Grand officier dans l'Ordre national du Mérite.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 juin 1999)
Au moment de procéder à une cérémonie qui me procure un grand plaisir, je me remémore avec émotion l'une de nos dernières rencontres, lorsque nous avons, ensemble, donné le nom de Dulcie September à la place parisienne où était tombée votre compatriote sous des balles assassines le 29 mars 1988. Dans le vent et sous la pluie, vous nous avez donné, s'il en était encore besoin, des raisons d'espérer, de croire au pouvoir des hommes et des femmes pour forcer le changement et construire un avenir plus respectueux des valeurs humaines. Ensemble, nous avons dit combien le combat de Dulcie September était devenu, à la lumière des transformations de votre pays, un message d'espoir pour tous les opprimés.
Madame Barbara Masekela,
Permettez-moi de dire à vos amis ici présents, que vous même, par votre action et vos prises de position, êtes un autre exemple de ces hommes et ces femmes qui font avancer le monde. J'ai fait rechercher, dans votre histoire, ce qui vous y prédisposait. Quoi, de l'inné ou de l'acquis, si l'on se réfère aux grands théoriciens, pouvait le mieux aider à cerner votre personnalité et expliquer votre capacité à porter témoignage et à convaincre ?
I - L'inné paraît chez vous fondamental.
La forte identité de votre milieu familial vous a en effet profondément marquée à un triple point de vue :
- vous avez été élevée, suivant vos propres paroles, à "être extraordinaire". La famille Masekela cultivait par des liens très étroits entre ses membres une originalité marquée : il n'y avait chez vous de pire insulte que de qualifier le comportement de l'un d'entre vous de "non-Masekela", ce qui pouvait recouvrir beaucoup de péchés mais surtout le manque de personnalité ;
- mais vous êtes aussi une famille d'artistes dont un des représentants moins connus mais sûrement pas moins talentueux était votre père ;
- la dureté des années de plomb que connaissait alors l'Afrique du Sud contraria toute sa vie sa vocation ; ce ne fut heureusement pas le cas de votre frère, que je suis heureux de saluer aujourd'hui, et dont l'immense talent a largement dépassé les frontières d'Afrique du Sud pour faire de lui une des figures marquantes de votre pays à l'étranger.
- un troisième caractère est, si j'ose m'exprimer ainsi, le caractère si bien trempé des femmes de votre famille et je veux citer ici la figure emblématique de votre grand-mère qui n'aimait pas cacher ses sentiments et entendait faire régner l'ordre partout où elle passait.
II - Oui, votre "inné" était considérable, mais vous avez su l'amplifier, l'enrichir et y apposer votre style propre, que d'aucuns ont qualifié d'inimitable. Pour paraphraser Sacha Guitry, ayant hérité d'un nom, vous vous êtes fait un prénom en exaltant les éléments précédents :
- la famille est toujours pour vous un élément essentiel. Partout où vous avez été, votre maison est restée ouverte à tous les membres de votre famille, et je sais que ce qui vous a le plus cruellement manqué pendant vos quinze ans d'exil était la présence des vôtres. Heureusement, votre frère, chaque fois que cela a été possible, a été près de vous ;
- il fût et demeure pour vous un véritable jumeau. Je n'aurai garde d'oublier le dévouement avec lequel vous élevez votre fils et le neveu que vous avez recueilli, et l'on sait ce que cela signifie quand on connaît les charges d'une vie professionnelle comme la vôtre.
- Sur votre tempérament d'artiste, je m'étendrai moins, car on touche ici à votre jardin secret. L'art est pour vous "la voie qui mène au coeur". Je me suis laissé dire que vous avez écrit des poèmes très remarquables et je suis convaincu que vous continuez à taquiner la muse. Dans les temps d'exil à Lusaka, vous étiez d'ailleurs secrétaire à la Culture de l'ANC et tout le monde s'attendait en 1994 à votre nomination comme ministre des Arts et de la Culture. Le président Mandela en a décidé autrement, je dirais égoïstement, pour le plus grand bonheur de la France, "mère des arts". Nous ne lui en ferons pas reproche.
- Quant à la femme d'action, je ne crois pas non plus que j'ai besoin de m'étendre sur ce point : tous vos amis ici se souviennent avec émotion, et pour certains avec une crainte rétrospective, de l'époque où vous avez mené d'une main de fer le cabinet du président Mandela. Aujourd'hui, vous entamez une nouvelle carrière, cette fois dans les affaires. Le président Ramaphosa, figure de proue du "black management", ne pouvait rendre de plus grand hommage à vos talents qu'en vous appelant à ses côtés.
III - Un dernier point, à présent, qui témoigne de votre ouverture d'esprit et de votre très grande capacité d'aborder des réalités diverses, un point qui nous intéresse particulièrement aujourd'hui, je pense à votre relation à la France. A peine arrivée dans un pays que vous connaissiez à peine et pour un métier que vous n'aviez jamais exercé, vous avez consacré toute votre énergie à le découvrir mieux, à le labourer et, je crois pouvoir le dire, à l'aimer. En rien de temps, vous en avez appris la langue, et le ministre de la Francophonie que je suis, tiens à vous rendre, à ce titre, un particulier hommage. Vous vous y êtes fait d'innombrables amis, vous en avez visité presque toutes les régions, multipliant les contacts entre les collectivités locales et les associations des deux pays ; vous en connaissez comme personne les mille et une particularités, au premier rang desquelles je n'aurai garde d'oublier la gastronomie. Partout, vous avez porté l'image de votre pays au plus haut niveau, démarchant sans répit les industriels pour les convaincre que l'Afrique du Sud est un bon risque et vous avez, je crois, de ce point de vue, un grand nombre de succès à votre actif. Vous avez aussi, bien sur, consacré votre énergie aux domaines artistiques car vous avez compris que l'art et la culture étaient désormais affaire d'échanges et de connaissance mutuelle. Je signalerai en particulier le retour en Afrique du Sud de la donation Sekoto et la réussite du Festival de Nantes qui a accueilli en 1997 plus de trois cents artistes sud-africains.
Bref, dans le temps trop court de votre séjour dans mon pays, vous avez été ce qu'on appelle un "grand ambassadeur", connue de tous, admirée de tous et, je peux en témoigner, aimée de tous. M. Jacques Chirac avait de bonnes raisons de vous distinguer par la décoration que je vais maintenant vous remettre, conscient de l'honneur qui m'échoit en cette circonstance :
- " Barbara Masekela, au nom du président de la République et en vertu des pouvoirs qui me sont conférés, je vous fais Grand officier dans l'Ordre national du Mérite.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 juin 1999)