Interview de M. Jean-Pierre Chevènement, président du Pôle républicain, à "RTL" le 27 mai 2002, sur l'action du nouveau gouvernement mis en place après l'élection présidentielle et sur la préparation des élections législatives.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Elkrief -
Vous présentez 408 candidats pour le Pôle républicain à cette campagne législative. Mais d'abord un mot sur la visite de G. Bush : la France sacrée "meilleure alliée contre le terrorisme" par le président américain ; est-ce un compliment agréable à entendre pour vous ?
- "S'il s'agit de la coopération au niveau du renseignement, je crois que c'est exact ; s'il s'agit de cautionner une politique aventuriste, par exemple, une guerre contre l'Irak, la Somalie, le Yémen, et que sais-je encore, cela demande examen. J'observe en tout cas qu'aucun des sujets qui fâchent n'a été abordé à Paris. C'est dommage."
Un petit peu tout de même : l'écologie, les divergences commerciales ont été évoquées.
- "On n'en a pas beaucoup entendu parler. Je regrette que cette tournée du président Bush soit plutôt une sorte de revue de détails des alliés."
En ce moment, les relations entre la France et les Etats-Unis ne sont pas au beau fixe. Elles sont quand même relativement crispées, tout le monde l'observe.
- "Ce sont les commentaires de la presse, mais dans la réalité, la France ne prend aucune initiative qui puisse déplaire aux Etats-Unis. On ne l'a pas entendue sur les grands sujets, comme par exemple le Proche et le Moyen Orient. La France est aux abonnés absents. Peut-être cela tient-il à la conjoncture électorale."
Parlons justement de cette conjoncture électorale, et peut-être d'abord du gouvernement Raffarin, avec en premier celui qui est au ministère de l'Intérieur aujourd'hui, N. Sarkozy. Il est présent sur tous les fronts, on le voit dans les quartiers difficiles. On le voit à Sangatte, il parle des flash-ball pour les policiers. C'est une vraie rupture sur la politique de sécurité ?
- "Non, je ne le crois pas. D'ailleurs, l'insécurité perdure."
Cela fait trois semaines qu'ils sont là...
- "Bien entendu, on ne peut pas demander à monsieur Sarkozy d'obtenir rapidement des résultats. Encore qu'il bénéficiera certainement d'une certaine décélération de la délinquance qui était observée depuis quelques mois. Donc, il n'arrive pas forcément à un mauvais moment. Je pense qu'on va juger le Gouvernement sur ses actes. Je le dis franchement, le Conseil de sécurité intérieure ..."
... Présidé maintenant par le Président Chirac ...
- " Absolument - peut être la pire et la meilleure des choses. Il existait déjà, présidé par le Premier ministre et il peut fonctionner à l'envers, c'est-à-dire qu'il peut conduire à une mise sous tutelle du ministère de l'Intérieur par les autres ministères et par le Premier ministre et le Président de la République. Ce qui est important, ce sont les crédits qui seront mis en place pour les lois de programmation. J'ai entendu parler de 6 milliards d'euros sur cinq ans à la fois pour la justice et pour les forces de l'ordre. C'est peu si on veut bien se rappeler les besoins qu'il y a dans le domaine des prisons, en matière d'effectifs des juges, des auxiliaires de justice et, naturellement, en matière d'effectifs de police pour accompagner le déploiement de la police de proximité et la modernisation indispensable dans les domaines comme les communications de police. Sans parler des commissariats, de l'armement, des équipements de protection."
Donc, il n'en fait pas assez ? N. Sarkozy, pourtant, est déjà un peu critiqué par ci par là, et notamment par la gauche, pour son activisme, son omniprésence.
- "Je ne le critique pas pour son omniprésence. Il peut effectivement faire des visites de commissariats, aller sur le terrain, c'est tout à fait normal."
C'est son boulot, c'est normal ?
- "C'est son boulot pour un nouveau ministre de l'Intérieur. Donc, je ne le critique pas pour cela. J'attends de voir quelle cohérence il y aura entre la politique en matière de justice et la politique dans le domaine de la police. Par exemple, est-ce qu'on va toiletter les dispositions de la loi Guigou, qui font peser sur les gardes à vue des charges procédurales excessives. Quelles mesures seront prises pour faire prévaloir l'unité de la politique pénale dans la transparence ? Des instructions individuelles, oui, mais publiques, écrites, versées au dossier. Quelles dispositions seront prises notamment contre les mineurs multirécidivistes ? De qui dépendront ces centres fermés ? On sait que l'administration dont ils pourraient dépendre - la Protection judiciaire de la jeunesse - n'y est pas favorable, donc, il y a un vrai problème d'autorité de l'Etat. Ou alors, il faut que ces centres fermés soient placés, comme je l'avais proposé, sous la double tutelle de la Protection judiciaire de la jeunesse et de l'administration pénitentiaire. Mais il faut un acte de volonté politique. Il faut une vraie autorité, il ne faut pas seulement des effets de communication, comme on l'a vu par exemple à Strasbourg, où monsieur Sarkozy est allé sur place se rendre compte des résultats d'une procédure diligentée par la justice."
Concrètement, le Gouvernement bénéficie apparemment de bons sondages. J.-P. Raffarin a une bonne cote de popularité. Cela vous surprend-il ? Le caractère, le profil de J.-P. Raffarin changent un peu de la classe politique habituelle ?
- "Le Gouvernement, jusqu'à présent, n'a rien fait. C'est une apparence, c'est de la communication. C'est un gouvernement qui est fait pour gagner les élections. Donc, monsieur Raffarin ne tombe pas sous le coup des reproches qui étaient faits à A. Juppé, à tort ou à raison. Mais ses projets sont inquiétants dans un certain nombre de domaines : les privatisations, le maintien d'une ligne libérale en matière européenne, - visible dans le choix du directeur de cabinet de monsieur de Villepin, monsieur Vimont qui était le directeur de cabinet de madame Guigou. C'est quand même le signe d'une grande continuité."
Oui, c'est un homme très européen.
- "Qu'est-ce qu'on va faire des accords de Barcelone sur la retraite, la réduction à zéro du déficit en 2004, des services publics ?
Vous avez posé un certain nombre de questions, et vous dites "on attend et on regarde". A quoi servez-vous, à quoi sert votre campagne après un échec à la présidentielle ? Vous repartez, et ce qui est frappant, c'est que pendant l'élection présidentielle, vous avez dit : "Je ne suis ni de gauche ni de droite, je suis républicain."
- "Non, je n'ai jamais dit cela."
Pardon monsieur Chevènement, je vais finir ma question. Ici même, vous l'avez répété plusieurs fois lorsqu'on vous interrogeait pour savoir si vous étiez encore de gauche. Et puis, tout d'un coup, campagne législative, et vous dites : "Je n'ai jamais renié la gauche, je suis à gauche, je me sens plus socialiste que les socialistes". Comment ça se fait ?
- "Je n'ai jamais dit ce que vous venez de mettre dans ma bouche. J'ai dit : "La droite et la gauche continueront à exister, mais sous des formes différentes". Vous vous reportez à mon discours de Vincennes, le 9 septembre. Je vous le récite de tête : "La droite et la gauche continueront à exister. Mais au-dessus de la droite et au-dessus de la gauche, il y a la République". Cette perspective du dépassement, elle est toujours actuelle, d'une certaine manière, même si mon parcours vous le connaissez, il est à gauche, même si je pense que la refondation républicaine à laquelle je travaille pose le problème de la manière dont la gauche pourra se reconstruire. Et, à mon sens, elle ne pourra se reconstruire qu'à travers la République. Donc, je reste fidèle à ma ligne de conduite, même si quelquefois elle est mal comprise ou déformée volontairement."
Combien vous espérez de députés ?
- "Aujourd'hui, je pense que nous aurons quelques députés. Nous aurons aussi beaucoup de voix, car ceux qui ont voté pour moi comprennent ce que je veux leur dire. Il ne suffit pas de changer de gouvernement, il faut changer de politique. La droite fait comme si elle avait gagné le 5 mai ; c'était un plébiscite anti-Le Pen, et la gauche qui était contre la cohabitation en redemande ! Mais je pose la question : pour quoi faire ? Et naturellement, je pose la question du contenu de la politique, du retour du politique, de la réorientation de la construction européenne, de la citoyenneté, de l'affirmation de l'autorité de la loi."
(source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 27 mai 2002)