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Où en sont les négociations avec l'UMP ?
"Négociations" est un bien grand mot. L'UMP s'est attribué, unilatéralement, 536 circonscriptions sur 577. Vous voyez ce qui restait pour l'UDF ! Je ne pouvais accepter ce diktat. Non pas seulement parce que cela aurait été déshonorant. Mais aussi parce que l'opposition ne deviendra pas majorité, et ne pourra pas demain gouverner la France, sans ce pluralisme que l'UDF garantit. C'est pourquoi nous avons décidé d'investir nos propres candidats dans quelque 20 % des circonscriptions françaises. J'ai dit à Jean-Pierre Raffarin et à Alain Juppé que si l'on souhaitait améliorer la situation, j'y étais prêt.
Votre score à la présidentielle peut-il encore justifier l'existence de l'UDF ?
Obtenir près de 7 % [6,84 %], arriver quatrième, c'était un succès que beaucoup n'attendaient pas. C'est une situation de renaissance. Depuis des années, on avait pris l'habitude de voir l'UDF céder, reculer, composer et disparaître. Cette fois, un courant politique nouveau s'affirme et se fera respecter. Et ce courant politique, deuxième pôle de la majorité future, est nécessaire au succès électoral autant qu'au gouvernement futur de la France. Rien ne serait plus dangereux pour la France que de limiter la majorité au parti du président. Ce mouvement se construit autour d'Alain Juppé. Que ceux pour qui Jacques Chirac et Alain Juppé servent de référence se retrouvent, quoi de plus normal ? Mais des millions de nos concitoyens cherchent une autre approche et d'autres références. C'est pour eux que l'UDF résiste.
Quels principes motivent votre refus d'adhérer à l'UMP ?
Premier principe : pour moi, on ne fait pas un parti pour un homme. On bâtit un parti autour d'idées. Les hommes sont faibles, ils changent, ils se dérobent. Deuxième principe : le pluralisme et l'équilibre des pouvoirs sont l'essence même de la démocratie. Vouloir regrouper de force toutes les sensibilités de droite et du centre dans un parti unique, et imaginer que ce parti pourrait détenir en France tous les pouvoirs, Elysée, Matignon, 24 ministres sur 27, Sénat, Assemblée nationale demain, présidence des grandes magistratures de contrôle, c'est créer une situation dont je dis sans crainte de me tromper qu'elle est sans aucun précédent dans notre histoire, ni dans les autres démocraties du monde. Le général de Gaulle, en dépit de sa dimension historique et des défis qu'il avait à relever, n'a jamais recherché un tel monopole ! Je suis pour des partis d'idées, et je suis pour le pluralisme. Voilà mes principes.
Vous semblez privilégier Alain Juppé dans vos critiques. Est-ce une manière de ne pas attaquer Jacques Chirac ?
Non. L'UMP, c'est la stratégie de Jacques Chirac, autant que d'Alain Juppé. Mais un président de la République n'est pas un président de parti, même s'il a voulu ce parti. C'est donc à Alain Juppé que je m'adresse, puisqu'il apparaît que l'UMP se constitue autour de lui. Et je ne le critique pas. Simplement, je revendique ma différence, et je ne changerai pas de ligne.
Jacques Chirac semble décidé à vous rayer du paysage politique...
Vous le dites, on le dit. Mais dans quel but ? Je me suis engagé pour le faire élire. J'ai tenu meeting entre les deux tours, précisément à Marseille et contre Le Pen. J'appartiens à sa majorité, actuelle et future. Alors, c'est vrai, je résiste à certains de ses choix. Mais Jacques Chirac devrait savoir que quand on veut construire une maison, il vaut mieux s'appuyer sur ce qui résiste, plutôt que sur ce qui plie.
Y a-t-il eu de réelles pressions sur vos élus ?
Bien sûr, et des dizaines d'exemples en attestent. Mais la responsabilité n'est jamais complètement du côté de ceux qui font pression. Elle est aussi du côté de ceux qui y cèdent..
Avez-vous pesé les risques d'échec, pour vous-même et pour la droite ?
Je n'envisage pas l'échec. La majorité des Français, de droite comme de gauche, j'en suis persuadé, ne veut pas de la cohabitation. En même temps, les mêmes répugnent à donner tous les pouvoirs à un parti unique. C'est précisément à cette double attente que l'UDF répond : non à la cohabitation et non au monopole du pouvoir. En ce sens, nous rendons un sacré service à l'opposition qui veut devenir majorité.
Serge Lepeltier, président délégué du RPR, a évoqué la possibilité pour la droite de ne pas retirer ses candidats dans le cas d'une triangulaire dangereuse PS, FN, UMP. Qu'en pensez-vous ?
Cette attitude est intenable. Si la triangulaire est vraiment dangereuse, il faudra faire barrage à l'extrême droite. La gauche a voté massivement Chirac contre Le Pen. Les Français ne comprendraient pas que la même discipline ne joue pas, si besoin, en sens inverse. Les principes républicains qui ont prévalu lors de l'élection présidentielle doivent prévaloir aussi aux élections législatives. Et pour moi je me tiendrai clairement à ces principes, à condition qu'il n'y ait aucune manuvre.
Au lendemain du 1er tour vous appeliez à une "majorité plus ouverte". La composition du gouvernement correspond-elle à cette attente ?
Dans les circonstances extraordinaires où nous étions placés, il existait à mes yeux, une chance unique pour poser les questions essentielles de notre avenir de manière "transpartisane". Violences, insécurité, retraites, dépenses publiques : tout cela appelle des réponses si lourdes de conséquences que, pour les mettre en uvre, le soutien d'un seul camp ne suffit pas. Dans les circonstances graves, le redressement de la France n'est plus l'affaire d'un seul camp.
Comment vous situez-vous par rapport à la majorité obtenue le 5 mai par Jacques Chirac ?
L'UDF est partie prenante de la majorité présidentielle. Nous avons voté pour Jacques Chirac et fait campagne pour lui. Nous voulons aider le gouvernement, et nous voulons conserver notre liberté de jugement.
Vous avez déclaré que les ministres mis en examen devaient démissionner, parce qu'il y a "dans tout pouvoir un devoir d'exemplarité". Avez-vous changé d'avis ?
Non, je n'ai pas changé d'avis.
Propos recueillis par Yves Bordenave et Philippe Ridet
(Source http://www.udf.org, le 28 mai 2002)