Texte intégral
Libération du 23 avril 2002
Libération : La CFDT avait décidé au début de la campagne électorale de demeurer neutre électoralement pendant cette campagne présidentielle. Devant un second tour Chirac Le Pen, votre confédération peut-elle continuer dans cette voie ?
Nicole Notat. Le résultat du premier tour a provoqué à la CFDT la consternation, et un état de choc. Nous ressentons comme un affront l'arrivée au second tour du leader de l'extrême droite. La CFDT a donc décidé de revenir à l'essentiel : il s'agit de défendre la démocratie et les valeurs qui la fondent. Devant une telle situation, il faut non seulement que Le Pen perde l'élection, ce qui semble pratiquement assuré, mais il est important qu'il réalise le score le plus faible possible. Et plus il y aura de votants au second tour, plus son score sera faible. C'est pourquoi nous appelons nos adhérents et nos sympathisants à participer massivement au scrutin, et à voter pour Jacques Chirac. Je tiens à préciser qu'il ne s'agit pas là d'un retour de la CFDT à une position partisane. Depuis bien longtemps nous ne donnons plus de consigne de vote. Nous savons aussi que cela ne va pas de soi pour des militants et des adhérents qui ont des affinités dans un autre camp que celui de Jacques Chirac. Mais aujourd'hui l'essentiel est en cause. Le rassemblement du camp de la démocratie et des valeurs de la république est nécessaire ; Il n'y a pas d'autre choix que de voter pour Jacques Chirac..
Des syndicalistes souhaitent aussi affirmer l'unité du camp syndical contre l'extrême-droite à l'occasion du 1er mai. Quelle sera l'attitude de la CFDT ?
Ce mardi après midi, une réunion doit avoir lieu pour permettre une expression utile le 1er mai . Le mouvement syndical peut apporter sa pierre au combat contre l'extrême droite.
Les analyses montrent que Jean-Marie Le Pen est en tête du vote des ouvriers. Les syndicalistes se sentent-ils interpellé par cet état de fait ?
Les ouvriers, pas plus que les autres, n'ont vocation à se fourvoyer dans de fausses réponses. Nous devons affirmer, face aux doutes et aux mécontentements qui existent à l'égard de la politique, que les bonnes réponses ne peuvent pas être trouvées du côté du populisme, de l'extrémisme, et de la surenchère démagogique. Nous devons, à notre place, aider, éclairer ceux qui sont tentés par ces tentations et les convaincre que ce sont des impasses, pour leurs propres intérêts. Plus généralement, la France a besoin de retrouver des corps intermédiaires forts, qui assument cette fonction auprès de tous ceux qui ont besoin de se situer dans le monde complexe dans lequel nous vivons : il y faut davantage qu'une image d'émotion à la télévision le soir ou quelques petites phrases ! Les médias et les sondeurs ne sont pas des relais suffisants entre les responsables politiques et les citoyens ou entre les syndicalistes et les salariés, pour écouter et comprendre les mécontentements, les frustrations, et construire des vraies réponses. Seule une démocratie plus participative peut permettre à chacun de se construire un point de vue fondé, de structurer les opinions et de tourner le dos à tous les simplismes. À défaut, la France sera menacée par la démocratie d'opinion, ou par la démocratie directe, qui sont les ennemies de la démocratie.
On a peu parlé du programme économique et sociale du Front national. Qu'en pensez-vous ?
Qu'il est urgent de le faire connaître, même si Jean-Marie Le Pen s'emploie à le masquer. On y voit la suppression de l'impôt sur le revenu, rien que ça !, et, en même temps, l'augmentation de la TVA, ce qui au total, pénalise les bas revenus. On y voit des attaques en règle contre la sécurité sociale. On y voit la mise à mal de l'éducation nationale, et on y voit encore la négation pure et simple de l'Europe. Voilà une véritable impasse sur notre avenir ! On y voit surtout toutes les propositions inspirées par la xénophobie, le repli national et le racisme. Cette explication, nous allons la faire connaître à nos militants et à nos adhérents. Cela participe de l'éclairage que nous devons aux salariés dans ce moment décisif.
Il y a le vote Le Pen, mais aussi une désertion d'une partie des salariés, les plus précaires notamment, pour les partis de gouvernement? Comment l'expliquez-vous ?
Que ces salariés ne trouvent pas, auprès des responsables politiques, les réponses qu'ils attendent, c'est une chose Mais trop de responsables politiques croient qu'en se faisant l'écho des expressions immédiates des salariés, ils vont accroître leur audience, leur crédibilité et leur efficacité. Or, ce n'est pas en rajoutant de l'inquiétude à l'inquiétude que l'on répond aux besoins qui s'expriment ! Dans ce monde complexe, il est de la responsabilité des dirigeants politiques, comme des syndicalistes, de dire la réalité telle qu'elle est. Non pas pour se déclarer impuissant à la changer, mais pour pouvoir indiquer au contraire où sont les vraies réponses, où il faut agir.
La CFDT a été très critique avec Lionel Jospin avant l'ouverture de la campagne. À posteriori le regrettez-vous ?
Évidemment non ! Tout pouvoir politique a besoin de son contre-pouvoir. La force, la vitalité, l'efficacité de notre démocratie en dépendent.
Des commentateurs font un parallèle avec l'Italie, où les centrales syndicales symbolisent, pour une partie de l'opinion, les garanties de certains choix de société. Cette évolution est-elle possible en France ?
Attention ; la droite française, dans sa plus grande partie, n'est pas la droite italienne. C'est même la spécificité de la droite française de refuser d'englober l'extrême droite. C'est tout à son honneur.
(Source http://www.cfdt.fr, le 23 avril 2002)
France Inter - Le 25 avril 2002
S. Paoli Faut-il, comme le souhaite E. Balladur, renoncer aux manifestations du 1er mai, afin d'éviter tout incidents qui pourraient être exploités par le Front national ? La CFDT, au début de la semaine, avait proposé un défilé syndical commun pour les droits des travailleurs et contre l'extrême droite. Propositions acceptées par la CGT et l'UNSA-FSU. La règle syndicale de la neutralité, habituellement appliquée, est-elle, aujourd'hui, remise en cause ? Dans un entretien accordé à Libération, il y a 48 heures, vous disiez qu'aujourd'hui, c'est l'essentiel qui est en cause. Est-ce pour cette raison-là qu'en effet les syndicats se posent à eux-mêmes la question de la neutralité ?
- "Bien sûr. Et le fait d'agir, le fait de prendre une position claire par rapport au deuxième tour de l'élection présidentielle, ne modifie en rien, pour la CFDT évidemment, son attachement à son indépendance. Nous nous sommes réveillés comme tout le monde avec un coup sur la tête, dans la consternation, à l'idée même qu'en France le leader de l'extrême droite soit dans la compétition au second tour de la présidentielle. Ce n'est pas possible. La France est un pays démocratique, attaché aux valeurs de liberté, de fraternité, d'ouverture sur le monde. Il est urgent de revenir à l'essentiel, de se dire qu'il faut assurer le moins de voix possibles au leader de l'extrême droite. Et c'est la raison pour laquelle, en tant que syndicalistes, mais aussi en tant que syndicalistes souhaitant aussi éclairer les yeux des salariés qui sont aussi des citoyens, nous disons qu'aucune voix ne doit manquer au seul candidat républicain qui reste en lice, J. Chirac. Il faut donc voter pour lui."
Comment vous posez-vous la question des moyens d'actions ? Comment faire en sorte aujourd'hui, de trouver les meilleures clés pour faire comprendre aux Français les enjeux de ce deuxième tour ?
- "Je crois d'abord que beaucoup l'ont compris maintenant, et que d'une manière quasi instinctive, beaucoup de gens se disent aujourd'hui que non, ce n'est pas possible. Cette mobilisation un peu spontanée que nous voyons, , nous le sentons nous aussi - nos responsables nous le disent -, il y a comme un sursaut citoyen, un sursaut civique. Et de ce point de vue, il faut bien évidemment l'entretenir le plus longtemps possible. Il faut aussi, je crois - et c'est notre rôle, en tout cas, tel que nous le concevons - éclairer les salariés et leur dire de ne pas se laisser intoxiquer. Ils peuvent être séduits, à un moment où certains d'entre eux sont inquiets, à un moment où d'autres sont désabusés, à un moment où l'indifférence grandit par rapport aux responsables politiques. Mais rien de tout cela ne peut justifier de se fourvoyer dans des impasses ; car c'est une impasse de penser que les surenchères démagogiques que les populismes, que les extrémismes de droite en particulier, peuvent être une solution pour ceux-là même qui veulent autre chose. C'est carrément faire un choix qui va à contre-courant de leur intérêt, à contre-courant, je crois, de ce à quoi ils sont attachés. Oui, le mouvement syndical, comme tout mouvement - je pense aussi aux associations -, ont un rôle à jouer dans cet éclairage de ce que signifie vraiment les positions de ce courant d'extrême droite en France. En fait, oui, il faut s'en méfier. C'est dangereux et ce n'est pas, je crois, ce que à quoi beaucoup sont attachés."
C'est l'appel à l'intelligence qu'il faut faire aussi. Il faut peut-être éviter le rejet systématique de l'autre, y compris dans les manifestations du 1er mai. Certains de ceux qui ont voté pour le Front national l'ont fait par inquiétude par peur, peut-être par manque d'informations ou de compréhension. A ceux-là, que dites-vous ?
- "A ceux-là, je dis : "Regardez, informez-vous. Aller voter, c'est un premier acte posé pour exprimer votre choix, mais faites-le". Finalement, quand on est citoyen et que l'on fait cet acte, cela demande un petit peu d'efforts. Pas seulement un réflexe à un moment donné. Informez-vous sur ce qui est caché dans le programme de l'extrême droite. Vous verrez. Je crois qu'à ce moment-là, il faut aussi exiger des réponses nouvelles, il faut être exigeant vis-à-vis des partis politiques qui sont en situation de gouverner la France. Sans doute, il y a là, énormément, d'enseignements à tirer de ce scrutin. Il y a sans doute beaucoup de choses à moderniser dans la vie politique française. C'est une exigence qu'il faudra poser. L'urgence, aujourd'hui, c'est que vraiment pas une voix ne manque au candidat républicain, tout faire pour que le score de l'extrême droite soit le plus faible possible dans ce pays qui ne mérite pas cette situation."
Mais quand vous entendez un homme comme M. Balladur s'inquiéter des manifestations du 1er mai, qui dit : "Attention un dérapage pourrait servir justement le propos de J.-M. Le Pen" ?
- "Nous avons, nous-mêmes, été attentifs à cela : ne pas faire de cet homme une victime. Je crois qu'aujourd'hui, nous avons dépassé ce moment. Il est au contraire nécessaire d'utiliser toutes les voix, tous les moyens pour expliquer de quoi il s'agit, pour attirer l'attention, élever les consciences, et les prises de conscience. C'est à cela que doit servir le 1er mai. Bien évidemment, nous souhaitons et nous veillerons à ce qu'il soit tout à fait pacifique et à contre-courant de toute violence."
Comment considérez-vous la question des sondages ? Considérez-vous qu'il faut les prendre avec la plus grande prudence ? Pour ce deuxième tour, peut-être qu'il est bon de le répéter : rien n'est joué ?
- "Surtout, sur les sondages, je dirais que cela ne peut pas, aujourd'hui, être le seul moyen de relations, le seul mode de communication entre l'Etat, les responsables politiques ou tout autre responsable national et le citoyen. Cette affaire-là est dangereuse, car finalement, les citoyens et les salariés se disent avant d'aller voter : "On m'annonce déjà le résultat". C'est contre-productif par rapport à la prise de conscience et au fait que chacun se dise : "Non, j'ai quand même un rôle à jouer. Rien n'est joué. C'est ce que je vais faire qui va décider de ce que sera le deuxième tour". Les sondages, il en faut, il faut en user mais il ne faut pas en abuser dans cette période."
Notre démocratie, ces valeurs républicaines auxquelles nous sommes si nombreux à être attachés, est confrontée à une question particulière : ce deuxième tour, en réalité, commence à ressembler à un référendum qui serait pour ou contre les valeurs républicaines ? Est-ce que vous le percevez comme ça ?
- "Oui, je crois qu'il faut aussi aller un petit peu au-delà. Bien sûr qu'il s'agit de faire un vote pour écarter des thèses et un courant d'extrême droite en France. Je crois qu'il faut faire plus : en affirmant ce choix, c'est en même temps l'affirmation que nous attendons que notre pays se ressaisisse, nous attendons que les valeurs de la République que nous prônons soient entendues et redeviennent vivantes dans la responsabilité de ceux qui auront à conduire les affaires de la France demain."
J'imagine que pour une femme comme vous, c'est une réflexion grave que de dire publiquement ce que vous avez déjà dit, c'est-à-dire que vous allez voter Chirac. Là, vous ne vous êtes pas caché derrière autre chose ?
- "Oui, je l'ai dit, parce que c'est l'essentiel qui est cause. Quand nous faisons cela, nous ne revenons pas à un choix partisan à la CFDT, nous ne sommes pas non plus en train de demander à quiconque qui a des préférences et des affinités différentes à l'égard de la famille que représente J. Chirac d'adhérer à ce programme du parti qui le soutient. Ce n'est pas de cela bien évidemment dont il s'agit. C'est vraiment le sursaut républicain, c'est retourner à l'essentiel et c'est finalement décider, par nous-mêmes, de ce que nous voulons ou de ce nous ne voulons pas."
Votre analyse personnelle de la situation politique ce matin, à 10 jours du second tour ? Un professeur de Science-Po dit qu'il faut bien comprendre que rien n'est joué, que la victoire d'un J. Chirac n'est pas du tout assurée et que cela peut être un score très serré. Comment le percevez-vous à travers l'etat du pays ?
- "Franchement, je ne crois pas qu'il y ait, en France, plus que ce qui s'est exprimé de voix potentielles pour le leader de l'extrême droite. Et je pense même peut-être qu'un certain nombre d'entre eux se disent : "Ai-je vraiment voulu cela?". Je ne veux pas non plus, aujourd'hui, annoncer des lendemains qui seraient des lendemains catastrophiques pour la France. Mais, en tout cas, même si ce n'est pas l'idée de voir arriver l'extrême droite en France - je n'y crois pas pour ce pays -, c'est même moins que cela dont il s'agit. C'est le score qui sera le sien. C'est ce score qui de toute façon est une tâche pour la France. C'est celle-là qu'il faut maintenant réduire au minimum. C'est la raison pour laquelle je dis qu'il faut se mobiliser, qu'il faut participer au scrutin et qu'il faut maintenant se prononcer pour le seul candidat républicain resté en lice."
(Source :Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 30 avril 2002)
Libération : La CFDT avait décidé au début de la campagne électorale de demeurer neutre électoralement pendant cette campagne présidentielle. Devant un second tour Chirac Le Pen, votre confédération peut-elle continuer dans cette voie ?
Nicole Notat. Le résultat du premier tour a provoqué à la CFDT la consternation, et un état de choc. Nous ressentons comme un affront l'arrivée au second tour du leader de l'extrême droite. La CFDT a donc décidé de revenir à l'essentiel : il s'agit de défendre la démocratie et les valeurs qui la fondent. Devant une telle situation, il faut non seulement que Le Pen perde l'élection, ce qui semble pratiquement assuré, mais il est important qu'il réalise le score le plus faible possible. Et plus il y aura de votants au second tour, plus son score sera faible. C'est pourquoi nous appelons nos adhérents et nos sympathisants à participer massivement au scrutin, et à voter pour Jacques Chirac. Je tiens à préciser qu'il ne s'agit pas là d'un retour de la CFDT à une position partisane. Depuis bien longtemps nous ne donnons plus de consigne de vote. Nous savons aussi que cela ne va pas de soi pour des militants et des adhérents qui ont des affinités dans un autre camp que celui de Jacques Chirac. Mais aujourd'hui l'essentiel est en cause. Le rassemblement du camp de la démocratie et des valeurs de la république est nécessaire ; Il n'y a pas d'autre choix que de voter pour Jacques Chirac..
Des syndicalistes souhaitent aussi affirmer l'unité du camp syndical contre l'extrême-droite à l'occasion du 1er mai. Quelle sera l'attitude de la CFDT ?
Ce mardi après midi, une réunion doit avoir lieu pour permettre une expression utile le 1er mai . Le mouvement syndical peut apporter sa pierre au combat contre l'extrême droite.
Les analyses montrent que Jean-Marie Le Pen est en tête du vote des ouvriers. Les syndicalistes se sentent-ils interpellé par cet état de fait ?
Les ouvriers, pas plus que les autres, n'ont vocation à se fourvoyer dans de fausses réponses. Nous devons affirmer, face aux doutes et aux mécontentements qui existent à l'égard de la politique, que les bonnes réponses ne peuvent pas être trouvées du côté du populisme, de l'extrémisme, et de la surenchère démagogique. Nous devons, à notre place, aider, éclairer ceux qui sont tentés par ces tentations et les convaincre que ce sont des impasses, pour leurs propres intérêts. Plus généralement, la France a besoin de retrouver des corps intermédiaires forts, qui assument cette fonction auprès de tous ceux qui ont besoin de se situer dans le monde complexe dans lequel nous vivons : il y faut davantage qu'une image d'émotion à la télévision le soir ou quelques petites phrases ! Les médias et les sondeurs ne sont pas des relais suffisants entre les responsables politiques et les citoyens ou entre les syndicalistes et les salariés, pour écouter et comprendre les mécontentements, les frustrations, et construire des vraies réponses. Seule une démocratie plus participative peut permettre à chacun de se construire un point de vue fondé, de structurer les opinions et de tourner le dos à tous les simplismes. À défaut, la France sera menacée par la démocratie d'opinion, ou par la démocratie directe, qui sont les ennemies de la démocratie.
On a peu parlé du programme économique et sociale du Front national. Qu'en pensez-vous ?
Qu'il est urgent de le faire connaître, même si Jean-Marie Le Pen s'emploie à le masquer. On y voit la suppression de l'impôt sur le revenu, rien que ça !, et, en même temps, l'augmentation de la TVA, ce qui au total, pénalise les bas revenus. On y voit des attaques en règle contre la sécurité sociale. On y voit la mise à mal de l'éducation nationale, et on y voit encore la négation pure et simple de l'Europe. Voilà une véritable impasse sur notre avenir ! On y voit surtout toutes les propositions inspirées par la xénophobie, le repli national et le racisme. Cette explication, nous allons la faire connaître à nos militants et à nos adhérents. Cela participe de l'éclairage que nous devons aux salariés dans ce moment décisif.
Il y a le vote Le Pen, mais aussi une désertion d'une partie des salariés, les plus précaires notamment, pour les partis de gouvernement? Comment l'expliquez-vous ?
Que ces salariés ne trouvent pas, auprès des responsables politiques, les réponses qu'ils attendent, c'est une chose Mais trop de responsables politiques croient qu'en se faisant l'écho des expressions immédiates des salariés, ils vont accroître leur audience, leur crédibilité et leur efficacité. Or, ce n'est pas en rajoutant de l'inquiétude à l'inquiétude que l'on répond aux besoins qui s'expriment ! Dans ce monde complexe, il est de la responsabilité des dirigeants politiques, comme des syndicalistes, de dire la réalité telle qu'elle est. Non pas pour se déclarer impuissant à la changer, mais pour pouvoir indiquer au contraire où sont les vraies réponses, où il faut agir.
La CFDT a été très critique avec Lionel Jospin avant l'ouverture de la campagne. À posteriori le regrettez-vous ?
Évidemment non ! Tout pouvoir politique a besoin de son contre-pouvoir. La force, la vitalité, l'efficacité de notre démocratie en dépendent.
Des commentateurs font un parallèle avec l'Italie, où les centrales syndicales symbolisent, pour une partie de l'opinion, les garanties de certains choix de société. Cette évolution est-elle possible en France ?
Attention ; la droite française, dans sa plus grande partie, n'est pas la droite italienne. C'est même la spécificité de la droite française de refuser d'englober l'extrême droite. C'est tout à son honneur.
(Source http://www.cfdt.fr, le 23 avril 2002)
France Inter - Le 25 avril 2002
S. Paoli Faut-il, comme le souhaite E. Balladur, renoncer aux manifestations du 1er mai, afin d'éviter tout incidents qui pourraient être exploités par le Front national ? La CFDT, au début de la semaine, avait proposé un défilé syndical commun pour les droits des travailleurs et contre l'extrême droite. Propositions acceptées par la CGT et l'UNSA-FSU. La règle syndicale de la neutralité, habituellement appliquée, est-elle, aujourd'hui, remise en cause ? Dans un entretien accordé à Libération, il y a 48 heures, vous disiez qu'aujourd'hui, c'est l'essentiel qui est en cause. Est-ce pour cette raison-là qu'en effet les syndicats se posent à eux-mêmes la question de la neutralité ?
- "Bien sûr. Et le fait d'agir, le fait de prendre une position claire par rapport au deuxième tour de l'élection présidentielle, ne modifie en rien, pour la CFDT évidemment, son attachement à son indépendance. Nous nous sommes réveillés comme tout le monde avec un coup sur la tête, dans la consternation, à l'idée même qu'en France le leader de l'extrême droite soit dans la compétition au second tour de la présidentielle. Ce n'est pas possible. La France est un pays démocratique, attaché aux valeurs de liberté, de fraternité, d'ouverture sur le monde. Il est urgent de revenir à l'essentiel, de se dire qu'il faut assurer le moins de voix possibles au leader de l'extrême droite. Et c'est la raison pour laquelle, en tant que syndicalistes, mais aussi en tant que syndicalistes souhaitant aussi éclairer les yeux des salariés qui sont aussi des citoyens, nous disons qu'aucune voix ne doit manquer au seul candidat républicain qui reste en lice, J. Chirac. Il faut donc voter pour lui."
Comment vous posez-vous la question des moyens d'actions ? Comment faire en sorte aujourd'hui, de trouver les meilleures clés pour faire comprendre aux Français les enjeux de ce deuxième tour ?
- "Je crois d'abord que beaucoup l'ont compris maintenant, et que d'une manière quasi instinctive, beaucoup de gens se disent aujourd'hui que non, ce n'est pas possible. Cette mobilisation un peu spontanée que nous voyons, , nous le sentons nous aussi - nos responsables nous le disent -, il y a comme un sursaut citoyen, un sursaut civique. Et de ce point de vue, il faut bien évidemment l'entretenir le plus longtemps possible. Il faut aussi, je crois - et c'est notre rôle, en tout cas, tel que nous le concevons - éclairer les salariés et leur dire de ne pas se laisser intoxiquer. Ils peuvent être séduits, à un moment où certains d'entre eux sont inquiets, à un moment où d'autres sont désabusés, à un moment où l'indifférence grandit par rapport aux responsables politiques. Mais rien de tout cela ne peut justifier de se fourvoyer dans des impasses ; car c'est une impasse de penser que les surenchères démagogiques que les populismes, que les extrémismes de droite en particulier, peuvent être une solution pour ceux-là même qui veulent autre chose. C'est carrément faire un choix qui va à contre-courant de leur intérêt, à contre-courant, je crois, de ce à quoi ils sont attachés. Oui, le mouvement syndical, comme tout mouvement - je pense aussi aux associations -, ont un rôle à jouer dans cet éclairage de ce que signifie vraiment les positions de ce courant d'extrême droite en France. En fait, oui, il faut s'en méfier. C'est dangereux et ce n'est pas, je crois, ce que à quoi beaucoup sont attachés."
C'est l'appel à l'intelligence qu'il faut faire aussi. Il faut peut-être éviter le rejet systématique de l'autre, y compris dans les manifestations du 1er mai. Certains de ceux qui ont voté pour le Front national l'ont fait par inquiétude par peur, peut-être par manque d'informations ou de compréhension. A ceux-là, que dites-vous ?
- "A ceux-là, je dis : "Regardez, informez-vous. Aller voter, c'est un premier acte posé pour exprimer votre choix, mais faites-le". Finalement, quand on est citoyen et que l'on fait cet acte, cela demande un petit peu d'efforts. Pas seulement un réflexe à un moment donné. Informez-vous sur ce qui est caché dans le programme de l'extrême droite. Vous verrez. Je crois qu'à ce moment-là, il faut aussi exiger des réponses nouvelles, il faut être exigeant vis-à-vis des partis politiques qui sont en situation de gouverner la France. Sans doute, il y a là, énormément, d'enseignements à tirer de ce scrutin. Il y a sans doute beaucoup de choses à moderniser dans la vie politique française. C'est une exigence qu'il faudra poser. L'urgence, aujourd'hui, c'est que vraiment pas une voix ne manque au candidat républicain, tout faire pour que le score de l'extrême droite soit le plus faible possible dans ce pays qui ne mérite pas cette situation."
Mais quand vous entendez un homme comme M. Balladur s'inquiéter des manifestations du 1er mai, qui dit : "Attention un dérapage pourrait servir justement le propos de J.-M. Le Pen" ?
- "Nous avons, nous-mêmes, été attentifs à cela : ne pas faire de cet homme une victime. Je crois qu'aujourd'hui, nous avons dépassé ce moment. Il est au contraire nécessaire d'utiliser toutes les voix, tous les moyens pour expliquer de quoi il s'agit, pour attirer l'attention, élever les consciences, et les prises de conscience. C'est à cela que doit servir le 1er mai. Bien évidemment, nous souhaitons et nous veillerons à ce qu'il soit tout à fait pacifique et à contre-courant de toute violence."
Comment considérez-vous la question des sondages ? Considérez-vous qu'il faut les prendre avec la plus grande prudence ? Pour ce deuxième tour, peut-être qu'il est bon de le répéter : rien n'est joué ?
- "Surtout, sur les sondages, je dirais que cela ne peut pas, aujourd'hui, être le seul moyen de relations, le seul mode de communication entre l'Etat, les responsables politiques ou tout autre responsable national et le citoyen. Cette affaire-là est dangereuse, car finalement, les citoyens et les salariés se disent avant d'aller voter : "On m'annonce déjà le résultat". C'est contre-productif par rapport à la prise de conscience et au fait que chacun se dise : "Non, j'ai quand même un rôle à jouer. Rien n'est joué. C'est ce que je vais faire qui va décider de ce que sera le deuxième tour". Les sondages, il en faut, il faut en user mais il ne faut pas en abuser dans cette période."
Notre démocratie, ces valeurs républicaines auxquelles nous sommes si nombreux à être attachés, est confrontée à une question particulière : ce deuxième tour, en réalité, commence à ressembler à un référendum qui serait pour ou contre les valeurs républicaines ? Est-ce que vous le percevez comme ça ?
- "Oui, je crois qu'il faut aussi aller un petit peu au-delà. Bien sûr qu'il s'agit de faire un vote pour écarter des thèses et un courant d'extrême droite en France. Je crois qu'il faut faire plus : en affirmant ce choix, c'est en même temps l'affirmation que nous attendons que notre pays se ressaisisse, nous attendons que les valeurs de la République que nous prônons soient entendues et redeviennent vivantes dans la responsabilité de ceux qui auront à conduire les affaires de la France demain."
J'imagine que pour une femme comme vous, c'est une réflexion grave que de dire publiquement ce que vous avez déjà dit, c'est-à-dire que vous allez voter Chirac. Là, vous ne vous êtes pas caché derrière autre chose ?
- "Oui, je l'ai dit, parce que c'est l'essentiel qui est cause. Quand nous faisons cela, nous ne revenons pas à un choix partisan à la CFDT, nous ne sommes pas non plus en train de demander à quiconque qui a des préférences et des affinités différentes à l'égard de la famille que représente J. Chirac d'adhérer à ce programme du parti qui le soutient. Ce n'est pas de cela bien évidemment dont il s'agit. C'est vraiment le sursaut républicain, c'est retourner à l'essentiel et c'est finalement décider, par nous-mêmes, de ce que nous voulons ou de ce nous ne voulons pas."
Votre analyse personnelle de la situation politique ce matin, à 10 jours du second tour ? Un professeur de Science-Po dit qu'il faut bien comprendre que rien n'est joué, que la victoire d'un J. Chirac n'est pas du tout assurée et que cela peut être un score très serré. Comment le percevez-vous à travers l'etat du pays ?
- "Franchement, je ne crois pas qu'il y ait, en France, plus que ce qui s'est exprimé de voix potentielles pour le leader de l'extrême droite. Et je pense même peut-être qu'un certain nombre d'entre eux se disent : "Ai-je vraiment voulu cela?". Je ne veux pas non plus, aujourd'hui, annoncer des lendemains qui seraient des lendemains catastrophiques pour la France. Mais, en tout cas, même si ce n'est pas l'idée de voir arriver l'extrême droite en France - je n'y crois pas pour ce pays -, c'est même moins que cela dont il s'agit. C'est le score qui sera le sien. C'est ce score qui de toute façon est une tâche pour la France. C'est celle-là qu'il faut maintenant réduire au minimum. C'est la raison pour laquelle je dis qu'il faut se mobiliser, qu'il faut participer au scrutin et qu'il faut maintenant se prononcer pour le seul candidat républicain resté en lice."
(Source :Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 30 avril 2002)