Interviews de M. Jean-Pierre Chevènement, candidat du Mouvement des citoyens à l'élection présidentielle de 2002, à "France 2" le 2 avril, à "France Inter" le 9 avril, à "La Chaine Info" le 11 avril 2002, sur son engagement dans la défense des valeurs républicaines et sur son projet politique pour la France.

Prononcé le

Média : France 2 - France Inter - La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

France 2, le 2 avril 2002
F. Laborde - Nous allons évidemment parler de la campagne pour l'élection présidentielle, mais aussi du contexte international et de ce qui se passe au Proche-Orient - les nouvelles occupations dans la vieille ville de Bethléem et les craintes d'une possible explosion autour de Ramallah. On a le sentiment qu'au fond, parce qu'il y a une élection présidentielle en France, les responsables de ce pays ne se prononcent pas trop sur ce qui se passe au Proche Orient, peut-être moins qu'ils l'auraient fait dans d'autres circonstances. Est-ce vrai ?
- "Cela ne date pas d'aujourd'hui : la voix de la France est à peine audible et - il faut bien le constater - c'est l'administration Bush qui pèse ou refuse de peser sur l'évolution de ce conflit. En l'occurrence, elle ne fait pas appliquer la résolution 1402 qu'ont pourtant votée les Nations Unies."
A l'heure actuelle, ce sont les Japonais qui envoient un émissaire là-bas. Faudrait-il que la France envoie un émissaire, que le président de la République et que le Premier ministre s'expriment davantage ?
- "Aujourd'hui, il est tard, car voilà plus d'un an que cette évolution désastreuse est enclenchée et que nous sommes pris dans une escalade dont on ne voit pas la fin. Mais il faut bien évidemment que la France porte le message de la citoyenneté, du dialogue des cultures et impose, contribue à imposer en tout cas, fasse pression sur les Etats-Unis, pour que puissent coexister deux Etats, l'un étant d'ailleurs la garantie de la sécurité de l'autre - la création d'un Etat palestinien viable étant la garantie la meilleure de la sécurité d'Israël. Sécurité à laquelle Israël a droit."
Est-ce qu'il y a un risque d'exportation du conflit ? On a vu en France des synagogues qui sont attaquées, des jets de pierres... Est-ce que c'est une poussée dans l'antisémitisme, est-ce que c'est une exportation du conflit du Proche-Orient ?
- "Il est clair que ces actes "judéophobes" - mot qu'emploie P.-A. Taguieff, c'est à dire qu'ils s'en prennent à des synagogues, à des lieux de cultes, à des écoles juives - ont quelque chose à voir avec le conflit du Proche-Orient, mais la République ne devrait pas tolérer cette importation sur son sol d'un conflit qui lui est étranger, sur lequel elle devra avoir des positions fermes. Mais elle ne peut pas accepter qu'on puisse confondre des juifs avec Israël et Israël avec la politique du gouvernement Sharon : ce sont là des amalgames inacceptables et la loi devrait être respectée, le Gouvernement devrait la faire respecter avec beaucoup plus de force, car il est clair qu'on a depuis une bonne quinzaine d'années laissé la place aux communautaristes. Cela remonte à "l'affaire du foulard" : on s'est adressé aux communautés, on a considéré qu'elles faisaient partie du décor en quelque sorte, on a oublié de s'adresser aux citoyens."
C'est à dire qu'il faut aller au-delà ? Mais vous allez, vous, aujourd'hui à Strasbourg et vous allez rencontrer notamment la communauté israélite de Strasbourg. Est-ce que vous allez faire la même chose après avec la communauté musulmane ?
- "S'il y a des actes de discrimination vis-à-vis des Arabes ou vis-à-vis des musulmans ou des amalgames indignes, je ferai exactement la même chose. Il va de soi que pour moi, c'est la loi républicaine qui est en cause. Et je manifesterai ma sympathie bien évidemment aux autorités de la communauté juive et strasbourgeoise."
On voit que les derniers sondages - en tout cas dans Le Figaro - redonnent J. Chirac en tête. Est-ce que vous pensez que c'est précisément la situation internationale qui donne la primeur au Président sortant ?
- "C'est beaucoup plus profond que cela. Je dirai que tout événement - et en particulier s'il s'agit des événements de Nanterre - donne lieu à une exploitation par le président de la République ou par le Premier ministre dont les faits et gestes occupent l'essentiel de l'espace médiatique."
L. Jospin et J. Chirac seront d'ailleurs, ce matin, ensemble à Nanterre, pour saluer la mémoire des conseillers municipaux abattus lors de cette fusillade...
- "J'y serai également, mais sachez d'avance que les caméras ne vous montreront que L. Jospin et J. Chirac, c'est-à-dire qu'il y a une récupération de l'espace médiatique, et un commentaire des sondages qui fait que les enjeux de la campagne sont oubliés. Vous parliez de la constitution européenne que l'un et l'autre vous promettent sans vous expliquer ce que va devenir la constitution française, c'est-à-dire la souveraineté nationale, notre liberté de citoyen. Cela n'occupe aucune place dans le débat. C'est une honte : notre pays va perdre sa souveraineté nationale, si du moins le mot constitution européenne a un sens, et je suis le seul à m'être engagé à consulter le peuple français par référendum sur le traité qui sera issu en 2004 de la conférence intergouvernementale. Prenez l'exemple de la Corse, l'unité et l'indivisibilité de la République : vont-ils la maintenir ou vont-ils accepter de déléguer la loi à une section du peuple français, c'est-à-dire au mépris de l'idée républicaine, selon laquelle la France est une communauté de citoyens sans distinction d'origine. Est-ce qu'on va continuer à vendre la République par appartements, comme M. Chirac l'a aussi promis à la Guadeloupe et aux départements d'Outre Mer, en leur accordant par avance des statuts à la carte ? Que va devenir le statut d'EDF, est-ce que EDF va rester publique ? Non, ils parlent de la privatisation d'EDF. Or, c'est le support de la modernisation de notre filière électronucléaire. Donc, je suis le seul à m'engager à maintenir le statut public d'EDF et naturellement l'égalité d'accès de tous les citoyens au service public. Voilà ce dont on devrait parler dans une campagne comme celle-là."
Vous avez le sentiment aujourd'hui que votre parole n'est pas suffisamment entendue et que les propositions que vous faites, en ce qui concerne l'avenir de ce pays, ne sont pas exprimées ? Pourtant, vous êtes parti tôt en campagne...
- "Mais je pense que les vrais sujets ne sont pas abordés. Là où il y a contradiction, là où il y a effectivement des différences - je vous ai parlé de la souveraineté nationale, du service public, de l'unité de l'indivisibilité de la République..."
Et les retraites...
- "Et les retraites, que fait-on des retraites ?"
L'éducation nationale...
- "Les fonds de pension... Quelle place les uns et les autres font-ils aux fonds de pension ? Je n'en fais aucune, parce que je considère que le principe de la répartition doit être maintenu. Mais cela ne suffit pas à épuiser le sujet. Il y aurait de vrais débats à organiser sur ces questions. Je constate que la campagne électorale nous achemine vers une américanisation totale de la vie politique et accroît le risque du vote défouloir pour des candidats qui crient fort mais ne proposent rien."
Le Pen, A. Laguiller...
- "Le Pen et A. Laguiller bénéficient d'une promotion de la part de gens que, dans le passé, on pouvait penser moins complaisants, mais qui là, parce qu'ils défendent le statu quo, l'un et l'autre parce qu'il y a deux candidats officiels qui représentent le même programme et puis deux candidats défouloir... Et avec cela, le citoyen est parfaitement cadré, il n'y a pas d'échappée possible. Sauf en votant pour moi, J.-P. Chevènement, qui propose un programme construit, un programme mobilisateur, un moyen de sortir de ce système que j'appelle "le pareil au même"."
Est-ce qu'au fond, ce n'est pas aussi parce que, dans ce pays, quand on est comme vous, un peu en dehors précisément de ces schémas très établis, il y a un moment où on n'est pas au milieu du jeu ?
- "C'est-à-dire que quand on n'est pas dans la routine de pensée, quand on n'est pas dans le penser conforme, quand on essaie de proposer quelque chose de neuf, d'audacieux, qui rompt avec les propositions très courtes que font une droite et une gauche pareillement essoufflées - une gauche qui a tourné depuis longtemps le dos au peuple, une droite qui a tourné depuis longtemps le dos à la Nation -, quand on essaie de se situer dans une perspective républicaine, c'est-à-dire conforme à l'intérêt public, effectivement, votre voix peut-être moins entendue. Mais je fais confiance aux Français, je fais le pari sur leur intelligence et je suis convaincu qu'ils voteront pour moi, parce qu'ils verront, avec ma candidature, la seule offre qui leur permette véritablement d'en sortir."
(Source :Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 2 avril 2002)
France Inter, le 9 avril 2002
J.-M. Four - Votre parcours singulier fait de vous un homme politique hors du commun. Membre fondateur du Parti socialiste, coutumier des missions et des claquements de portes dans les gouvernements, vous fûtes quatre fois ministres et avez démissionné trois fois. Miraculé de la République après l'accident médical que l'on sait, fondateur du Mouvement des citoyens et puis du Pôle républicain, vous êtes prétendant au titre de troisième homme dans la course à l'Elysée. Votre mot clé est "République" : "restaurer la République". J'imagine que le slogan vous paraît d'autant plus d'actualité, ce matin, avec la mort de ce policier à Vannes ?
- "Bien sûr, parce que les policiers ont pour tâche de faire respecter la loi. Et le meurtre d'un policier témoigne d'un mépris profond de la loi. Je rends hommage à ce policier et je pense à sa famille. Je veux souligner le tribut que payent chaque année les policiers au maintien de la loi républicaine. Ils sont plusieurs à y laisser la vie et des milliers à être blessés en service. Je crois que dans une affaire comme cela, on doit s'interroger sur les peines qui sanctionnent ces assassinats barbares. J'espère que la justice saura faire preuve de la fermeté nécessaire."
Restaurer la République, dans votre programme, concrètement, cela veut dire quoi ? Cela se traduit comment ?
- "Cela veut dire revenir à ces principes et à ces valeurs trop oubliées. Par exemple : l'autorité de la loi égale pour tous. On voit une grande complaisance à l'égard de toutes les formes de communautarisme, d'ethnicisme. On entend que, par exemple, des référendums régionaux pourraient être organisés. Qu'est-ce que cela veut dire par rapport à la loi républicaine qui est, depuis la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, la même pour tous ? Cela veut dire que l'on va vers une certaine désagrégation de l'Etat républicain. En même temps, naturellement, le respect de la loi est dans le coeur des citoyens. Qu'est devenue l'éducation civique ? Ou est la conception de la citoyenneté, comme équilibre de droits et de devoirs ? Avons-nous mené une politique d'accès à la citoyenneté pour tous ces jeunes frappés par le chômage qui habitent nos quartiers d'habitat populaire ? Il est clair que non. La volonté à manquer. La République, c'est l'égalité. Nous laissons, au contraire, se creuser les inégalités, en nous résignant à la mondialisation financière. Bref, il y a une reprise de conscience qui est nécessaire, un sursaut républicain à organiser pour faire que ces valeurs républicaines inspirent vraiment l'action des gouvernants."
En même temps, tous les candidats, peu ou proue, se réclament du républicanisme et de la République ?
- "Mais c'est trop facile. Quand on contresigne dans le dos des citoyens des engagements aussi forts que le report à 63 ans de l'âge de la retraite, la libéralisation du service public - EDF qui va être privatisé - ou bien encore quand on souscrit des engagements budgétaires qui équivalent à un nouveau plan Juppé..."
Là, vous visez et J. Chirac et L. Jospin ?
- "Je vise J. Chirac et L. Jospin solidaires, qui ont signé ces engagements qui représentent le travail de conseils des ministres qui siégeraient pendant deux ans dans le dos des Français, à Barcelone, au dernier conseil européen. Je considère que c'est un mépris du peuple, alors que nous sommes engagés dans un débat présidentiel qui devrait, justement, permettre de traiter de ces grandes orientations à découvert et d'argumenter. Il me semble que là, le pacte républicain est blessé. Il l'est de mille autres manières : la montée des communautarismes s'observe à vue d'oeil. Mais je dirais que cette complaisance à l'égard des communautarismes est ancienne. Et je pourrais multiplier les petits faits qui vous montrent que tous nos gouvernants successifs en ont été complices."
La singularité qui est la vôtre et, que j'évoquais, tout à l'heure, n'est telle pas en train de disparaître ? On voit dans les intentions de vote des derniers sondages que vous êtes redescendu - si j'ose dire - à 7 ou 8 %. Vous êtes en train de devenir un candidat parmi d'autres ?
- "Je ne crois pas, parce qu'il y avait un sondage très intéressant fait par internet, sur 5.000 personnes, qui a paru dans Le Monde samedi, qui montre qu'il y a près de la moitié des Français qui n'ont pas choisi, qui sont hésitants. Et dans ces hésitants, il y a trois candidats qui se détachent nettement en tête - Chirac, Jospin - bien sûr ; on ne parle que d'eux -, mais aussi J.-P. Chevènement qui, de ce point de vue là, est resté carrément et clairement le troisième homme."
Sincèrement, au fond de vous-même, vous pensez que vous serez présent au second tour ?
- "Oui, je le pense."
Et si vous n'êtes pas présent au second tour, que verrez-vous entre les deux tours ?
- "Vous m'invitez à me placer dans l'hypothèse de la défaite. Je ne le fais pas volontiers, mais à ce moment-là, je l'ai dit, je me placerai du point de vue de la République, du point de vue de la France."
Dans le cas de figure où vous seriez présent au second tour face à J. Chirac - puisqu'on voit que dans les dernières enquêtes, c'est surtout L. Jospin qui enregistre une certaine érosion - devriez-vous alors assumer une position finalement d'homme de gauche, puisque vous seriez face à un candidat représentant globalement droite ?
- "Je ne changerai pas ma position parce que je pense qu'aujourd'hui les définitions de la droite et de la gauche sont épuisées. Ils se retrouvent d'ailleurs sur presque tout. Fondamentalement, je ne dis pas que la gauche et la droite vont disparaître. Non, je ne le dis pas. Tel n'est pas mon discours, mais je pense qu'il y a, dans la recherche de l'intérêt public, des solutions qui dépassent les schémas convenus, une démarche républicaine qui peut mobiliser beaucoup d'électeurs de gauche et de droite. Ce qui ferait que j'aborderai le combat avec J. Chirac avec beaucoup de pugnacité, parce que J. Chirac a tourné le dos à tout l'héritage que lui avait laissé le général De Gaulle. C'est quand même un homme qui a abandonné ce qui faisait la spécificité du gaullisme : c'est lui qui a mis M. Giscard d'Estaing au pouvoir, qui l' a fait battre, c'est lui qui a accepté le traité de Maastricht pour capter les voix de l'UDF, il a tourné le dos à ses engagements de 1995. Il a réintégré l'Otan. Je pense que j'aurai une position forte pour le combattre, non seulement du point du monde du travail - un point de vue qui reste le mien, car je veux mettre le monde du travail au coeur de la société - mais aussi du point de vue de la meilleure orthodoxie gaulliste. Je dirais que par rapport à J. Chirac, je me sens beaucoup plus porteur du message qu'a laissé le général De Gaulle que n'importe qui d'autre."
Deux questions, que j'ai posées de la même manière à F. Bayrou, hier. Quelle est pour vous l'idée symbole de votre programme, pour que cela soit clair dans l'esprit des auditeurs ?
- "Pour moi, l'idée symbole est le sens et le retour aux valeurs républicaines, parmi lesquelles je mets naturellement la souveraineté nationale, sans laquelle il n'y a pas de démocratie. J'aimerai m'en expliquer, parce que P. Le Marc, hier, a classé les candidats en deux catégories : ceux qui acceptaient les solidarités européennes et ceux qui voulaient s'en échapper. Moi, je ne considère pas qu'accepter à Barcelone l'engagement de réduire à zéro les déficits - engagement pris par J. Chirac et L. Jospin - soit faire preuve de solidarité européenne. La plupart des gouvernements européens aimeraient se délier des engagements du pacte de stabilité que L. Jospin avait qualifié de "super Maastricht" et qui plafonne à 3 % le déficit. Il me semble que là, on souscrit un engagements qui va plus loin : c'est "déficit zéro", alors que la récession est là, alors que les prix du pétrole s'envolent et que le problème est de savoir quels moyens nous allons nous donner pour lutter contre la récession et contre le gonflement du chômage, contre l'accroissement de la précarité. La solidarité européenne telle que moi je la ressens, cela consiste à faire passer le bon sens, l'intelligence au premier plan et à desserrer un carcan d'obligations souscrites à la légère par des hommes politiques aveugles."
Deuxième question : si vous êtes élu le 5 mai, que faites-vous d'abord en arrivant à l'Elysée ?
- "Il faut nommer un Premier ministre..."
Quelles mesures et premières décisions ?
- "Les premières mesures que je m'engage à prendre concernent la sécurité. Le Parlement sera réuni sans tarder et, naturellement, un certain nombre de loi seront votées pour la police et la gendarmerie d'une part, et pour la justice d'autre part. On sait que pratiquement plus de 80 % des plaintes qui sont déposées auprès d'elle ne sont pas suivies d'effets. Vous le savez : plus du tiers des peines de prison de moins d'un an ne sont pas exécutées. Il y a beaucoup à faire pour que la justice marche. J'ajoute que je réunirai une conférence des revenus, pour examiner comment on peut relever le Smic et les bas salaires en faisant glisser les cotisations de la Sécurité sociale, aujourd'hui assises sur les salaires, sur une base plus large et plus juste. Voilà deux directions."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 9 avril 2002)
LCI, le 11 avril 2002
A. Hausser - Vous défendez les valeurs de la République, son unité. Je ne sais pas si vous eu le temps de prendre entièrement connaissance des propositions de J. Chirac en matière de décentralisation. Il propose une révision de la Constitution, d'inscrire les régions dans la Constitution, d'instaurer un référendum d'initiative locale, de transférer des pouvoirs économiques aux collectivités locales, tout en prônant une péréquation financière. Est-ce que cela vous semble plus convenable qu'un éclatement de la République ?
- "C'est du n'importe quoi. L. Jospin a fait des propositions qui sont très inquiétantes pour l'unité nationale, comme celle de référendums régionaux, parce qu'on ne consulterait non plus le peuple français mais des peuples régionaux. Et J. Chirac n'est pas du tout un rempart contre les lubies jospiniennes. Lui aussi propose de réviser la Constitution. Pour quoi faire ? Des statuts à la carte pour l'Outre-Mer, c'est-à-dire très exactement la même chose en Guadeloupe que ce que L. Jospin propose en Corse. Et puis des référendums locaux, dont on voit très bien que les élus seraient maîtres de l'énoncé. Monsieur Blanc, par exemple, en Languedoc-Roussillon, pourrait interroger les Languedociens. Comment voulez-vous maintenir l'unité de la République ?"
Il se défend de cela. Il dit qu'il n'est pas question d'interroger les régions sur certaines lois...
- "Mais il propose un référendum local..."
Il dit qu'il faut maintenir les fonctions régaliennes de l'Etat...
- "Oui, mais enfin, il n'en prend pas le chemin, puisqu'il propose de réviser la Constitution qui est littéralement considérée par ceux qui ont la charge de la garder, comme un papier jetable, une sorte de kleenex. Ils veulent réviser la Constitution tous les jours : à Barcelone, ils bafouent la démocratie en repoussant à 63 ans l'âge de la retraite, en privatisant le service public, en s'engageant dans un nouveau plan de rigueur. Et quand ils viennent à Paris, ils jouent à "plus décentralisateur que moi, tu meurs". Est-ce sérieux ? Je demande quand même aux Français de faire attention au fait que leurs responsables sont en réalité des irresponsables qui bradent le capital accumulé par les générations. La France, on a mis du temps pour la construire. On ne peut pas comme cela faire des référendums régionaux, des évolutions à la carte, des lois qu'on adapte. Je rappelle que les députés RPR, comme les députés socialistes, ont voté la proposition de loi Méhaignerie, qui permet aux collectivités territoriales de modifier la loi. Ils ont perdu tout bon sens."
Vous êtes maire d'une grande ville. Vous vous rendez bien compte que les centres de décision sont éloignés des initiatives que vous souhaitez prendre et que vous êtes obligé d'aller à Paris...
- "Bien sûr, parce qu'il y a des questions d'intérêt national. Si vous voulez que tout se règle localement, alors effectivement dans la vallée du Mont-Blanc, on va fermer le tunnel de Chamonix. Alors, la vallée de la Maurienne va être embouteillée ! Il faut quand même garder le sentiment qu'il y a des questions qui relèvent d'un intérêt plus vaste, de l'intérêt général. On ne peut pas comme cela distribuer le pouvoir, pour se concilier des bonnes grâces de quelques féodaux."
Et pour vous, il n'est pas nécessaire d'inscrire la région dans la Constitution ?
- "La région, elle existe. On peut l'inscrire dans la Constitution. Mais franchement, ce n'est pas une réforme essentielle. Il faut quand même aller au coeur des choses. Et au coeur des choses, on voit qu'ils abdiquent l'intérêt national. Je citais tout à l'heure l'exemple du plan de rigueur auquel ils ont souscrit, en promettant de réduire à zéro le déficit budgétaire en 2007. Mais ça, cela veut dire un super-plan Juppé. L. Jospin parlait jadis à propos du pacte de stabilité de "super-Maastricht". Mais là, ils ont conclu un "super super-Maastricht" dans le dos du peuple français."
Autrement dit, il est presque inutile de voter...
- "Effectivement, ils nous volent le débat. Les Français doivent être rendus conscients de cela et voter pour le seul qui peut en effet défendre l'intérêt du pays et faire en sorte que la France reste la République."
La République, pour vous, c'est une République sûre, vous le dites souvent. Vous avez préconisé deux lois-programmes sur la sécurité et sur la justice. Vous avez instauré la police de proximité et pourtant, la sécurité reste quand même au coeur des préoccupations des Français...
- "Dans le même temps que se mettait en route cette réforme que j'ai voulue, on avait écarté la proposition d'une loi de programmation pour la police et la gendarmerie, alors qu'ensuite, on a créé des postes sous la pression de la rue. On a écarté les propositions que je faisais en matière de délinquance des mineurs. Et on a refusé la politique d'accès à la citoyenneté qui est le complément d'une politique de fermeté. Et j'ajoute qu'en même temps, on a mis en oeuvre la loi Guigou avec ses dispositions qui rendaient les gardes à vue très difficiles et qui compliquaient le travail des enquêteurs et des magistrats. Donc, il ne faut pas s'étonner du résultat."
On a raté l'intégration ?
- "C'est un problème beaucoup plus vaste. Mais il faut croire en la France pour faire aimer la France. Et bien évidemment, les gouvernements successifs ont cédé devant tous les intérêts particuliers, les communautarismes qui aujourd'hui risquent de se développer et de mettre gravement en danger la paix publique, l'ordre sur le territoire national. Donc, il faut réaffirmer les règles républicaines. C'est le moment. Il faut que la France s'exprime, il faut la maintenir, il ne faut pas brader la République, la vendre par appartement comme ils le font..."
Vous pensez aux manifestations qui se sont déroulées le week-end dernier et aux actes antisémites qui se déroulent un peu partout et qui se multiplient ?
- "Ce sont des actes tout à fait condamnables, comme le sont également les discriminations ou les actes de racisme antimusulmans. Nous devons considérer qu'il y a des citoyens français, point final, indépendamment de leur origine, mais faire appliquer fermement la loi."
Vous êtes proche de certains travaillistes israéliens. Aujourd'hui, que vous disent-ils quand vous leur parlez, quand vous leur téléphonez ?
- "La position de S. Ben Ami, par exemple, c'est de considérer qu'une intervention extérieure est aujourd'hui nécessaire pour mettre un terme à une escalade qui ne conduit nulle part, parce qu'en définitive, s'il n'y a plus que le Hamas, c'est-à-dire les intégristes, il n'y a aucune raison que cela s'arrête jamais. C'est-à-dire que l'horreur sera au rendez-vous - et on le voit avec ces attentats. Toute l'expérience historique montre qu'on ne peut pas facilement éradiquer le terrorisme. Regardez aujourd'hui l'Algérie. Tout cela est une impasse et il est temps que monsieur C. Powell, le secrétaire d'Etat américain, presse le pas. Je crois qu'il a pris beaucoup trop son temps jusqu'à présent."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 11 avril 2002)