Texte intégral
J.-P. Elkabbach "Notat à Matignon" ! Vous avez vu le magazine Expansion ? Il y va fort ! En tout cas, il a choisi en Une, avec une belle photo : "Notat, premier ministre : elle seule peut réformer la France". Vous l'avez vu ?
- "Oui, bien sûr, je l'ai vu. C'est une idée, je vous avoue, que je trouve un peu surprenante. En même temps, elle est rassurante, parce que les auteurs de cette idée ne me semblent pas sur le point de devenir présidents de la République. Pour ma part, comme je n'aspire pas, comme vous le savez, à cette fonction, il n'y a pas péril en la demeure. En tout cas, je le dis encore une fois solennellement, sincèrement : je ne m'y vois pas et je ne le souhaite pas."
A quelles conditions serait-ce envisageable ?
- "Ce n'est pas une idée, je vous le redis, à laquelle je réfléchis. Au demeurant, qu'est-ce que cela révèle, cette affaire-là, me semble-t-il ? L'idée qui est dans l'air du temps, c'est l'idée finalement, qu'aujourd'hui, on recherche des gens pour des responsabilités politiques qui ne sont pas tout à fait dans le moule traditionnel des dirigeants d'aujourd'hui, qui ont des trajectoires différentes. C'est une chose que d'être à la tête de la CFDT - à la tête d'un syndicat -, c'en est à mes yeux une autre que d'être à la tête d'un gouvernement ou même dans un gouvernement."
Mais L'Expansion ajoute, avec dix pages documentées et élogieuses sur vous : "Premier ministre, que ce soit avec Chirac ou avec Jospin". Parce que vous êtes bien apparemment avec les deux.
- "Ou avec n'importe qui d'autre, ce n'est pas une perspective que je caresse."
Est-ce que cela veut dire qu'il vaut mieux ne pas être dans l'appareil d'Etat pour transformer la société ?
- "Cela ne veut pas dire cela. Il faut à la fois que des gens assument des responsabilités à la tête de l'Etat, bien sûr, pour transformer la société, mais il faut aussi qu'il y ait dans la société des acteurs qui assument aussi leur rôle, leurs responsabilités, pour agir en son sein, aussi pour des changements dans la société."
Pourquoi ? Cela ne se fait pas en ce moment ? Pas assez ?
- "Cela ne se fait sans doute pas assez en France. Cela se fait mieux ailleurs. C'est notre histoire, où l'Etat est prépondérant, où les corps intermédiaires sont faibles. C'est une des raisons pour lesquelles, je crois qu'il convient de continuer à travailler au renforcement de ces corps intermédiaires."
Mais ce n'est pas que vous, vous ne vous sentez pas incapable de ces responsabilités-là ?
- "Je n'en ai pas envie. Pourquoi ? Ce n'est pas une question de capacité. C'est que, je vous le redis, cette espèce de confusion des genres, que ce que l'on a pu faire dans des conditions qui sont celles de la responsabilité syndicale conduirait automatiquement à assumer des responsabilités politiques. Non. Une conversion, c'est possible. Il y a des gens qui peuvent en avoir envie. Il y a des gens qui peuvent y aspirer. Ce n'est tout simplement pas mon cas."
En fait, j'en parle, mais je ne suis pas chargé ni par l'un ni par l'autre de désigner le Premier ministre !
- "Vous me rassurez."
Mais c'est dans la tête de beaucoup de gens. Il y a toutes ces pages dans Challenges : "La vérité sur l'adieu de N. Notat à la CFDT", une interview intéressante dans le Point d'aujourd'hui de C. Pégard sur vous et la réforme - "Comment on réforme", on y viendra. La campagne, en dehors de quelques candidats, met en relief des convergences Jospin-Chirac, au point qu'on pourrait confondre dans certains cas leurs projets. Est-ce que c'est bon ou est-ce que c'est mauvais ?
- "Je ne fais pas partie de ceux qui s'en plaignent dès lors que les zones de convergence sont réelles et dès lors qu'elles correspondent à un vrai rassemblement autour d'un certain nombre d'idées et de projets, de ce qu'il convient de faire pour la France. Quand j'entends, par exemple sur la réforme des retraites, des idées qui, à quelques exceptions de vocabulaire près, se rejoignent autour de l'idée qu'il faut réformer le système par répartition, car c'est lui qui est le premier garant de nos retraites de demain, et puis qu'il faut après réfléchir à la dose de capitalisation et les conditions dans lesquelles il faut le faire..."
On le dit timidement : "la dose de capitalisation"...
- "Oui, j'ai l'impression que dans cette campagne, cette idée est en train d'avancer, et je trouve qu'elle avance plutôt dans des conditions qui sont responsables et non caricaturales. Donc, je me félicite de cela. Ce n'est pas pour moi un handicap. Dans la campagne, c'est même peut-être un atout pour les décisions qui seront à prendre demain."
Même si les deux principaux candidats cherchent à se distinguer, se différencier ?
- "C'est naturel. Ecoutez ! Dans une campagne électorale, c'est la compétition, donc évidemment qu'il faut continuer à trouver des différences. Et puis, il y en a par ailleurs."
L. Fabius sur les retraites, pronostique une harmonisation public-privé en termes d'alignement de la durée de cotisation.
- "Vraisemblablement, dans la mesure où la question de l'avenir des retraites des fonctionnaires est aussi problématique que celle des salariés du privé, les conditions d'accès à la retraite des fonctionnaires sera sur la table. La question de la durée de cotisation, du niveau de la cotisation, tous les ingrédients qui sont dans la réforme, le seront aussi pour les fonctionnaires, dont vraisemblablement la durée."
Si l'on vous écoute, vous dites : les convergences, ce n'est pas mal. Mais, alors sur quoi, le moment venu, on va les départager ? Est-ce que les critères du choix, c'est aujourd'hui le "défi de bonne gueule" ?
- "Je pense qu'aujourd'hui - moi je remarque cela, modestement, à mon niveau -, ce qui amène les gens à faire un choix, ce sont des critères très divers. Oui, les programmes et les projets, ça compte - pour ma part, ça compte - mais aussi, à un certain moment, la fidélité à un vote, à une famille politique. Cela peut aussi être, à un moment donné, l'attachement à une question très particulière, où on scrute la position des candidats, qui fera le vote final. Voilà. Donc, je crois que les citoyens aujourd'hui sont mobiles dans leurs choix électoraux."
Est-ce qu'il faut retenir celui qui tient ses promesses électoraux ou celui qui ne les tient pas ? Par exemple, vous avez travaillé avec les deux, L. Jospin et J. Chirac. Qui croyez-vous le plus quand il fait une promesse ?
- "Pour ma part, je ne suis pas une obsessionnelle de la relation entre les promesses et les actes. Je souhaite connaître les choix des candidats, je sais aussi que, expérience faite et dans la réalité, dans le principe de réalité qui est celle de conduire un gouvernement et de mener une politique, il y a parfois des ajustements, des adaptations. Quand les choix sont bons, je souhaite qu'ils irriguent les décisions et les actes. Quand les choix sont mauvais, si les gens changent en situation, je ne trouve pas cela très problématique."
Qu'est-ce que vous pensez du fait que le candidat Jospin promet de ne pas imiter, d'une certaine façon, le Premier ministre Jospin, puisque, maintenant, il privilégie la négociation et le contrat ?
- "Comme vous le savez, c'était un point de divergence, -même un peu de contestation, voire d'affrontement - avec le gouvernement actuel. C'est une évolution de la position de L. Jospin par rapport à ce qu'il disait précédemment et surtout, par rapport à ce qu'il a pratiqué. J'en prends, je dirais, acte avec une grande satisfaction, parce que les principes qui président aux engagements aujourd'hui, bien évidemment, seront utiles pour demain."
Est-ce que privatiser EDF ou réduire, mettons à 49 %, la part de l'Etat, pour la CFDT, c'est un scandale ?
- "Je crois qu'on a appris, aujourd'hui, nous les syndicalistes, mais aussi les salariés des entreprises qui ont ouvert leur capital, que ce n'était pas parce qu'on ouvrait le capital - à condition de garder la mission de service public, à condition de garder la spécificité des relations sociales dans ces entreprises - ce n'est pas le péril pour l'entreprise demain. Simplement, il faut garantir à la fois des ouvertures quand c'est nécessaire pour le capital, mais aussi l'égalité d'accès de tous les citoyens à ces services publics, la qualité de ce service public ; ça, oui, il faut y tenir en France, il faut y tenir en Europe. En ce sens, le sommet de Barcelone me semble avoir été un bon sommet."
Je ne vous demande pour qui vous votez, de toute façon, est-ce que ce n'est pas sans surprise ? La CFDT, on sait vers qui elle penche, non ?
- "[Au sein de] la CFDT, historiquement, la proportion d'adhérents, de sympathisants, ont toujours été en général plutôt à gauche. Les adhérents et les sympathisants de la CFDT se détermineront. Simplement, nous sommes une organisation de masse, nous aspirons à l'être de plus en plus. A partir de ce moment-là, il est normal et naturel que ce ne soit pas la sensibilité politique qui empêche de participer à la vie de la CFDT. Les adhérents et les sympathisants de la CFDT sont libres dans leur choix préférentiel."
Mais par exemple, N. Notat, ce jour-là, elle va au soleil, elle s'abstient ou elle vote ?
- "N. Notat-citoyenne ira évidemment voter. Il n'est à mes yeux pas normal de ne pas aller accomplir cet acte citoyen. J'irai évidemment voter pour les présidentielles et les législatives."
Il y aurait beaucoup encore à vous dire. On note simplement qu'il y en a beaucoup qui se battent pour rester à l'Elysée ou pour y entrer. Vous, vous vous battez - d'une certaine façon, vous vous organisez - pour sortir de la CFDT ?
- "Bientôt."
(Source :Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 21 mars 2002)