Déclaration de M. Robert Hue, président du PCF et candidat à l'élection présidentielle, sur les orientations qu'il préconise en matière d'immigration, sur la nécessité d'établir une relation privilégiée entre l'Europe et la Méditerranée et ur la question du Proche-Orient, Marseille le 20 mars 2002.

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Mesdames, Messieurs, chères amies et camarades,
Je veux tout d'abord vous dire combien je suis heureux d'être ici, à Marseille, cette grande ville chaleureuse, populaire et solidaire.
Il n'y a pas que le mistral et le sirocco qui soufflent sur la canebière ! Il y a aussi, malgré les difficultés et les coups reçus, cet esprit critique, rebelle et combatif, toujours vivant, et si loin du conformisme intellectuel et politique bourgeois.
Si une personnalité française de l'histoire symbolise cette ville, c'est le caricaturiste Honoré Daumier, progressiste, inclassable, féroce dénonciateur des injustices sociales, fidèle défenseur des gens qui souffrent et qui travaillent.
Marseille, c'est avant tout la porte de la Méditerranée. Une porte toujours ouverte - ainsi la voulons-nous - aux échanges humains et à la culture des autres.
Voici exactement 40 ans, le 18 mars 1962 plus précisément, un accord mettait fin à la guerre d'Algérie. Vous comprendrez que j'en dise un mot.
Ce 18 mars, jour de commémoration des combats et des morts, ne symbolise pas la victoire d'un camp contre l'autre, mais plutôt celle de la paix pour les deux.
Il s'agit, en réalité, de la fin de l'époque coloniale. Une nouvelle période historique s'ouvrait alors pour la France, mais aussi, naturellement, pour l'Algérie.
Je ne puis développer devant vous toute l'histoire dramatique d'une guerre qui aboutit aux accords d'Evian et à ce qui suivit.
Je veux surtout souligner le devoir de vérité qui s'impose à tous, et en particulier à l'Etat français. Nul ne pourra oublier les crimes de la politique coloniale commis en son nom.
Et surtout pas les communistes français, qui ont combattu cette politique. Pour bâtir entre l'Algérie et la France un avenir de relations constructives, à la hauteur de la densité historique du passé, notre pays se doit d'assumer celui-ci avec lucidité et honnêteté.
Les communistes sont prêts à y contribuer en particulier, pour ce qui les concerne avec, tout à la fois un nécessaire regard critique et une certaine fierté.
Assumer, cela veut dire aussi ne pas oublier de répondre concrètement aux revendications légitimes des harkis et de leur famille. 40 ans après, ce ne sera pas trop tôt !
Assumer, cela veut dire, en fait beaucoup de choses pour l'amitié d'aujourd'hui entre les peuples algériens et français. Et je veux saisir l'occasion qui m'est ici offerte pour dénoncer l'ignoble instrumentalisation raciste de l'immigration par Le Pen et Megret.
Il nous faut combattre avec la même détermination ce racisme que l'on dit "ordinaire", et la violence d'une extrême droite qui se nourrit des peurs qu'elle entretient et des mensonges qui lui sont si familiers.
Il est tellement simple, n'est-ce pas, de faire des immigrés les boucs émissaires prétendument responsables de toutes les insécurités.
Faire de la nationalité ou de la couleur de la peau le critère essentiel d'une politique dite de sécurité, ce n'est pas seulement proférer une abomination, c'est aussi entretenir la dangereuse illusion que les vrais et graves problèmes auxquels nous sommes aujourd'hui confrontés pourraient trouver une solution dans des pratiques discriminatoires. C'est considérer l'autre, le citoyen de l'autre rive, à priori comme un ennemi potentiel.
A l'inverse de cette conception particulièrement réactionnaire, indigne des principes républicains les plus élémentaires, je crois nécessaire d'apporter, dans le débat politique actuel, une vision de l'immigration fondée sur une éthique et sur des principes.
Premièrement, l'égalité de droits, notamment à l'emploi, qui doit fonder le refus de toute exclusion, de toute surexploitation, et naturellement de toute forme de racisme.
Deuxièmement, une politique de l'immigration ouverte, qui doit être source de co-développement et d'acquis sociaux dans l'intérêt mutuel du pays de départ et du pays d'accueil, mais aussi dans l'intérêt de la personne, c'est à dire du migrant et de sa famille.
Troisièmement, parce que l'immigration est aujourd'hui, le plus souvent une expatriation obligée, une conséquence du sous-développement, l'exigence d'une grande politique française et européenne de coopération et d'aide au développement s'impose comme une nécessité pressante.
Elle ne constitue pas, certes une réponse miracle, mais elle est indispensable sur le long terme, face à cet enjeu essentiel du 21ème siècle que constitue la satisfaction des besoins sociaux et culturels essentiels de l'ensemble des peuples vivant sur notre planète.
Le droit de circulation, qui appartient à toute personne, ne devient, en effet, une vraie liberté qu'à partir du moment où chacun dispose des moyens d'en disposer.
Et dans ce monde capitaliste structuré par les inégalités, les dominations, les exploitations qui lui sont liées, ces moyens là se conquièrent pas à pas contre les politiques ultra-libérales, contre les pouvoirs et les institutions qui les gèrent, contre l'humiliation hégémonique des Etats-Unis.
Les communistes sont partie prenante de ce combat qui, de Seattle à Porto Alegre commence à grandir, à mûrir, et à rassembler dans le monde entier des forces sociales et politiques les plus diverses, des progressistes, des communistes, des écologistes, des féministes, des pacifistes
Dans ce mouvement anti-libéral nous agissons afin que s'exprime un courant anti-capitaliste, une vision politique claire, porteuse d'alternative, de propositions c'est à dire d'une vraie perspective de transformation radicale.
Nous constatons, d'ailleurs qu'il y a en Europe et en Méditerranée un besoin d'action commune et de convergence pour changer durablement les choses, pour changer les rapports entre Etats, entre l'Union européenne et les pays du Sud et de l'Est de la Méditerranée.
Vous, chers amis et camarades, qui êtes les riverains de cet espace social maritime, façonné tant par l'histoire que par la géographie, vous savez mieux qui quiconque combien cette Méditerranée est à la fois zone de crises et de contradictions et, en même temps, espace de rencontres et de civilisation commune.
Cette réalité est, au fond, une banalité. Mais elle a, cependant, des conséquences d'une considérable importance pour demain.
Comment penser l'avenir de l'Europe, en effet, sans lier celle-ci à l'espace Méditerranéen ? Comment construire un avenir commun lorsqu'une fracture économique et sociale si profonde sépare la rive sud de la rive nord ? Quelles politiques concrètes faut-il conduire pour jeter des passerelles humaines, combler les gouffres de pauvreté, bâtir des amitiés citoyennes ?
N'y a-t-il pas une responsabilité particulière des pays formant "l'axe" de l'Europe du Sud ? Une responsabilité et, j'ajouterai, un intérêt commun à rééquilibrer une construction européenne qui souffre d'une sorte d'héliotropisme euro-atlantique exacerbé, résultat pathologique de la domination des capitaux et des modes de gestion anglo-saxons, de la pensée unique "blairiste" et bruxelloise.
Faire toute sa place à l'Europe du sud pour une ouverture vers la rive sud, cela veut dire, pour moi, s'engager à faire jouer à la construction européenne un autre rôle dans le monde que celui de pilier secondaire de la mondialisation capitaliste sous hégémonie américaine ; cela veut dire aller chercher d'autres références, d'autres exigences que celles de la privatisation et du marché ; cela veut dire répondre en priorité aux enjeux du développement et procéder au moins au doublement de l'aide internationale publique au développement.
Les quinze ont décidé de porter la leur à 0,39% du PNB, soit 0,6% de plus que la moyenne communautaire actuelle. Comment ne pas se souvenir que l'objectif de 0,7% du PNB - c'est à dire à peu près le double - fut fixé à la fin des années 60, voici plus de 40 ans ?
Comment ne pas souligner la contradiction majeure entre la reconnaissance quasi universelle de la légitimité des exigences financières du développement et les contraintes budgétaires mastrichiennes ultra-restrictives qui dominent la politique économique des quinze ?
Oui, il faut sortir de cette logique ultra-libérale qui tire le sud comme le Nord vers le bas. Et lorsque 200 000 salariés d'Europe, avec leurs syndicats, manifestent, il y a quelques jours, à Barcelone, pour une Europe sociale et de plein emploi, ils s'inscrivent aussi dans la vision d'une Europe solidaire pour le co-développement.
Je souhaitais, vous l'avez compris, souligner l'importance que j'attache à ces questions d'une façon générale et permanente. Et j'ai évidemment fortement traité de ces enjeux lors de mon récent voyage au Mali. Mais je souhaitais le faire spécifiquement aujourd'hui alors qu'est réunie actuellement dans la ville mexicaine de Monterrey la Conférence internationale de l'ONU sur la pauvreté et le développement.
Cette conférence devrait être, à mon sens, le moment et le lieu, pour la France et pour l'Europe, de faire entendre une voix déterminée et une grande ambition : la coopération et le développement.
Mais pour l'instant, hélas, cette grande ambition c'est 0,6% ! ! ! On était pourtant en droit d'espérer que les Européens seraient parmi les premiers à tirer les enseignements des évènements du 11 septembre et de leurs causes fondamentales, c'est à dire les réalités d'un monde dans lequel 1,2 milliards d'habitants vivent avec moins de 1 dollar par jour. Un monde où plus de 2 millions d'Africains meurent du Sida en une année.
Un mot encore sur ces questions.
Bien sûr, la volonté d'établir une relation privilégiée entre l'Europe et la Méditerranée est ancienne. L'idée d'association date du Traité de Rome, et depuis la Conférence intergouvernementale de Barcelone en 1995, une politique d'ensemble et une suite d'accords bilatéraux entre l'Union européenne et les pays de l'autre rive commencent à constituer ce que l'on appelle le "partenariat eu méditerranéen".
Le principe et le cadre de ce partenariat privilégié me paraissent tout à fait positif. Les attentes de vie meilleure, de justice, de démocratie, de sécurité sont colossales. Cette idée d'une zone de prospérité partagée de part et d'autre de la Méditerranée peut y répondre.
L'annulation de la dette et la mise en uvre de coopérations favorables à l'emploi, à la formation, à la recherche, à la maîtrise des technologies devraient accompagner cette vision d'un rôle particulier de l'Europe, et donc de la France. J'en ai fait un de mes engagements prioritaires. J'y crois.
Hélas, la réalité est bien loin de cela et aussi des espoirs exprimés si fortement par nos amis progressistes du sud.
Ce partenariat, en effet, s'est essentiellement structuré sur l'ouverture d'une zone de libre échange à l'horizon 2010, dans l'intérêt bien compris des groupes financiers et du patronat européen.
Et les pays concernés vont souffrir. On sait en effet qu'une part non négligeable de l'industrie du Maghreb ne résistera pas à la suppression des barrières tarifaires.
Non seulement les politiques conduites dans le cadre du partenariat n'ont suscité aucune dynamique, n'accordant à celui-ci aucune crédibilité au regard des besoins, mais en outre, la logique libérale dominante, et la priorité donnée au privé contre les secteurs publics, font peser sur les pays de la rive sud des risques considérables.
Cet échec affligeant montre une fois encore qu'on ne peut confondre sans dommage durable pour les peuples les exigences du développement et celles de la marchandisation capitaliste.
J'ai souligné, cependant, que le cadre est positif. Celui-ci comporte, il est vrai, un deuxième volet, social culturel et humain qui mérite examen : associer les acteurs sociaux à la construction euro-méditerranéenne est indispensable pour apporter à cette dernière une légitimité et un contenu démocratique et citoyen.
Le partenariat n'atteindra pas la dynamique et la crédibilité tant attendue sans un investissement de toutes les forces sociales et politiques qui se retrouvent dans un projet de co-développement, au Nord comme au Sud.
Mais, la construction européenne dans son ensemble, "l'euromed" - comme on dit - est conçue d'en haut. N'y cherchez pas la concrétisation des idées qui vous sont chères : celles de citoyenneté, d'intervention populaire, de consultation de la société civile et de tous les acteurs, de rencontres et partages culturels
Vous trouverez d'abord une technocratie et des gouvernements qui imposent, par exemple, la libre circulation des capitaux et des marchandises tout en limitant au maximum celle des femmes et des hommes.
Le Schengen féodal est dépassé. Il nourrit les ressentiments. Il contribue à entretenir les nationalismes les plus étroits, les intégrismes les plus archaïques et les plus dangereux, qui trouvent déjà tant de mauvaises raisons d'existence dans les injustices, les corruptions et dans le mépris des droits de l'homme affiché par certains régimes.
Je pense en particulier à l'état policier du Président Ben Ali. Et je constate aussi combien les jeunes de Kabylie ou d'autres régions d'Algérie subissent une répression particulièrement dure.
Je sais que ces questions vous tiennent à cur. Je sais ce que Marseille a toujours apporté à la solidarité avec les peuples du sud, avec les sans papiers, avec les courageuses femmes algériennes, avec la jeunesse de chaque pays de la rive sud, avec tous les démocrates, les forces de gauche, les progressistes, porteurs d'une alternative positive et refusant tout à la fois l'Islamisme politique radical et l'autoritarisme de régimes à bout de souffle.
Oui, la France a une responsabilité : celle de maintenir un haut niveau de coopération entre elle-même, l'Union européenne d'une part et l'ensemble des pays de la rive sud, d'autre part ; celle de contribuer à faire des accords euro-méditerranéens un vrai cadre du développement dans toutes ses dimensions.
Sans complaisance vis à vis des dérives autoritaires et des atteintes aux droits de l'homme. Je suis persuadé que l'ouverture et les échanges constituent la meilleure chance pour les nouvelles générations de ces pays. C'est en tous les cas ce que nous disent nos partenaires progressistes du Sud, eux qui ne disposent même pas, parfois, du minimum de libertés pour s'exprimer.
Enfin, chers amis et camarades, il y a une question, celle du Proche-Orient, sur laquelle je souhaite m'exprimer. Et je veux le faire avec toute la force et la gravité qu'exige la situation.
Je le dis solennellement, ici, à Marseille, ville de solidarité : si la France et l'Europe ne prennent pas d'urgence l'initiative qui s'impose, si elles n'ont pas le sursaut de responsabilité collective nécessaire pour arrêter le bain de sang alors, les Européens perdront pour longtemps toute chance d'acquérir la crédibilité politique et la capacité de jouer un rôle dans le monde. Ils ne pourront plus invoquer le 3ème volet du partenariat euro-méditerranéen qui leur en offre pourtant le cadre. Il sera trop tard.
Les termes de l'équation à résoudre sont connus. En dehors de Sharon et de ses coalisés d'extrême droite, tout le monde reconnaît aujourd'hui que l'issue dépend de l'effort qui sera entrepris simultanément pour rétablir une sécurité partagée sur le terrain et pour enclencher un nouveau processus de négociation.
Il faut une perspective politique ! Il faut redonner un espoir au peuple palestinien. Ariel Sharon, lui-même, a dû renoncer à imposer la condition de 7 jours de calme consécutifs comme préalable à la reprise d'un dialogue.
A l'évidence, la politique sécuritaire, la répression brutale, aveugle, massive, le déferlement des chars, les assassinats ciblés, les bombardements, les bouclages et l'humiliation c'est à dire l'intolérable politique d'Ariel Sharon n'apporteront jamais la moindre solution.
Cette politique, que les Etats-Unis eux-mêmes commencent à critiquer, nourrit le désespoir et l'escalade de la violence, y compris par des actes de terreur contre des civils, que l'autorité palestinienne a elle-même condamné.
Pourtant, une issue est possible. J'en suis persuadé. Aujourd'hui, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité soutiennent l'application du plan Terret, qui précise les conditions d'un cessez le feu, et l'application du plan Mitchell qui fixe les conditions du rétablissement de la sécurité, accompagné d'un gel de la colonisation.
De la même manière, ils ont approuvé, tous les cinq, l'initiative saoudienne qualifiée par Georges Bush d'acte "courageux". Et le Conseil de sécurité, enfin, vient d'adopter une résolution inscrivant la création d'un Etat palestinien dans la perspective d'une solution politique.
La communauté internationale est en capacité d'agir. Il est donc normal que nous attendions de la France et de ses partenaires européens l'implication politique et diplomatique déterminée qui pourra faire pencher la balance.
C'est possible.
C'est pourquoi le parti communiste a multiplié les initiatives, tout en participant naturellement aux actions nationales unitaires. Et je pense à la prochaine journée de mobilisation du 23 mars.
Parce que l'Europe a selon nous un rôle décisif à jouer, j'ai pris l'initiative de réunir le 12 mars, à Strasbourg, 12 partis de gauche et organisations progressistes d'Europe en présence de Leila Shahid et de Zeev Sternhell, co-fondateur de "la Paix Maintenant".
Avec moi avaient pris place notamment Fausto Bertinotti, d'Italie ; Gaspar Llamazares, d'Espagne ; Gabriela Zimmer, d'Allemagne ; Nicos Costantopoulos, de Grèce cinq premiers dirigeants de forces politiques qui comptent, pour dire l'importance que nous allons désormais attacher tous ensemble à obtenir de l'Europe un engagement véritable pour la paix dans la justice.
Des convergences très fortes se sont exprimées sur l'analyse de la situation et sur les actions possibles. Dans cet esprit, nous avons lancé une adresse commune au Sommet des chefs d'Etat et de gouvernement réuni il y a quelques jours à Barcelone pour demander, en particulier, l'envoi d'une force internationale de protection des populations civiles et une initiative politique européenne qui s'inscrive dans la perspective de l'Etat palestinien qui aura Jérusalem-Est pour capitale.
La coopération entre progressistes européens a ainsi franchi un pas inédit et cela dans l'expression de la solidarité avec le peuple palestinien et les forces de paix israéliennes.
Voilà, Mesdames, Messieurs, chers amis et camarades, les quelques mots que je souhaitais prononcer à Marseille. Sans doute ai-je cependant laissé certaines questions dans l'ombre, ne serait-ce que sur ces enjeux méditerranéens dont l'importance grandira aux cours des années qui viennent. Mais nous aurons d'autres occasions d'en reparler.
Je vous remercie de votre attention.
(Source http://roberthue2002.net, le 21 mars 2002)