Déclaration de Mme Dominique Voynet, secrétaire nationale des Verts, sur la campagne des Verts pour les élections législatives en Ile de France, Paris le 4 juin 2002.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Texte intégral

Cher(e)s ami(e)s,
Merci à vous d'être venu(e)s pour ce meeting de soutien aux candidats et aux candidates de l'Ile de France, Verts et paritaires, juste avant la toute dernière ligne droite de ces législatives
Il faut se méfier des situations où l'on annonce le résultat des élections avant qu'elles n'aient eu lieu, et les sondeurs, dans cette période incertaine, ont bien raison d'être discrets.
Nous ne sommes pas en tout cas entrés dans cette bataille avec des certitudes inébranlables ou avec des explications simplistes sur ce qui s'est passé en France depuis 6 semaines.
Le 21 avril a révélé une crise politique, morale et sociale profonde dont nous n'avons pas fini de mesurer les conséquences.
Depuis des semaines, nos concitoyens, les jeunes, les démocrates discutent, posent et reposent la question du sens et de l'utilité de la politique.
Ils l'ont fait dans la rue à l'occasion du 1er mai, puis quelques jours plus tard par leur vote quand il s'est agi de faire barrage à Le Pen.
Ils continuent à le faire plus sourdement, d'une manière peut-être qui ne correspond pas aux habitudes des partis ou des médias.
Et ce qui nous paraît confus pourrait bien, là encore, être le signe de nos propres difficultés à entendre ce qui nous dérange.
Même si M. Raffarin, du haut de sa récente et incertaine promotion ne veut pas débattre. Même si les commentateurs sont en mal de petites phrases. Même si aucun meeting ne fait salle comble : le débat continue, et nous devons écouter, aller au devant du questionnement, réinterroger les propositions toutes faites et les programmes clefs en main.
Désormais Chiraquisée, Juppeisée, la droite aurait tort de croire que le chemin qu'elle pense ouvert devant elle, est un boulevard.
A peine propulsée au pouvoir, par le miracle d'institutions qui donnent à un candidat à 19 % la possibilité de composer à sa main un gouvernement monocolore, la voilà qui se prend les pieds dans ses propres surenchères, dans les contradictions prévisibles de ses promesses parfaitement démagogiques.
Il est vrai que M. Chirac se moque des programmes et qu'il aura tôt fait de pencher du côté où il tombe toujours.
Baisser les impôts des riches, charger la barque des comptes de la Sécu pour satisfaire sa propre clientèle, augmenter les déficits publics après avoir juré le contraire, et puis le jour venu, sous prétexte d'équilibre, tailler massivement dans les dépenses et les services publics ;
Voilà le chemin annoncé d'une droite qui cherche ses modèles presque caricaturalement chez Berlusconi et chez Bush.
Lors de la visite de ce dernier, on devait d'ailleurs voir ce qu'on allait voir à propos de Kyoto, du protectionnisme américain, ou du Moyen-Orient.
Et puis on n'a rien vu, à part les claques dans le dos du président américain sur le perron de l'Elysée.
Alors donc, à la trappe la hausse du SMIC : vive la baisse des charges sur les emplois non qualifiés qui encouragent non pas l'embauche, mais la pression à la baisse sur les salaires les plus faibles.
A la trappe les 35 h : vous avez eu la flexibilité, vous aurez en plus les heures supplémentaires !
A la trappe le financement en faveur d'une agriculture plus respectueuse de l'environnement : Jacques Chirac est de retour au Ministère de l'Agriculture : bienvenue à la défense et illustration de la PAC. Vive les intérêts des gros agriculteurs, vive l'agriculture productiviste et tant pis pour les milliers de petits paysans victimes de ce système depuis des décennies.
A la trappe les jolis discours écolos, l'écofiscalité, les économies d'énergie : Mme Bachelot déroule le tapis rouge devant M. Saint Josse, le nucléaire, les constructeurs automobiles.
Ca ne lui coûtera pas cher de dire demain que l'environnement doit être inscrit dans la Constitution, comme le Droit du travail ou l'Egalité qui y figurent déjà
Il faut bien enfin remercier les lobbies qui vous ont soutenu dans les périodes difficiles, renvoyer les ascenseurs pour les pantouflages des temps d'opposition, installer quelques fondés de pouvoir de grandes multinationales à des postes clefs !
Je veux bien que la civilité politique oblige à donner un peu de crédit à des nouveaux arrivants, mais le temps presse :
Il est nécessaire de prévenir nos concitoyens que avons affaire là au projet le plus à droite depuis Georges Pompidou..
Contrairement à ce que je lis ici ou là, et même si M. Raffarin est un maître dans l'art du chloroformage ou du bonneteau, il dirige un gouvernement de combat, qui prépare un mélange dangereux de retour en arrière et de fuite en avant.
Son propos est simple : faire sauter une à une les digues sociales et écologiques qui résistent encore à la déferlante libérale.
La mobilisation policière qu'organise M. Sarkozy nuit après nuit, n'est pas qu'une simple gesticulation : sous les hourras des syndicats les plus réactionnaires, elle prépare des bavures qu'elle cautionne par avance. Il ne sortira rien de bon de cette stigmatisation des quartiers pauvres par des opérations à grand spectacle.
Ce ne sont pas les Verts qui manquent de réalisme sur toutes ces questions !
C'est tous ceux qui ont mis l'obsession sécuritaire comme thème unique de cette campagne ; qui mélangent volontairement des problèmes aussi différents que les grands trafics, la délinquance des jeunes, l'immigration et les incivilités du quotidien.
Leurs solutions aggraveront le mal qu'ils prétendent combattre. Comment pourrait-il en être autrement avec des gens qui font l'apologie de cette société égoïste d'injustice, d'inégalités, de violence et de guerre et ne voient pas d'autre méthode que la répression pour réparer les maux que leur système fabrique jour après jour ?
A ce dangereux petit jeu, le gagnant risque hélas d'être l'extrême droite.
Sans diffuser un tract ou presque, sans coller une affiche sauf dans les beaux quartiers, les extrémistes tablent sur une montée des tensions et sur le discrédit inévitablement rapide des politiques de droite, pour poursuivre leur sinistre progression.
Nous avons cru un peu vite que la scission de quelques aventuriers mégretistes avait porté un coup décisif à l'aventure totalitaire.
Nous n'avons pas assez vu combien, en France comme en Europe, elle se nourrit en permanence de la lente corrosion des anciennes identités, du discrédit des autorités établies et du recul des idéologies du progrès, de l'éloignement des centres de décision, de la montée des affaires, d'une certaine impuissance de la politique, aux yeux de beaucoup, à ne changer ne serait-ce qu'un peu de leur quotidien.
Cette poussée de l'extrême droite en Europe, on la contiendra bien sûr par l'affirmation sans équivoque de la préférence démocratique chaque fois que nécessaire. Mais ça ne suffira pas.
On ne pourra la faire reculer que si nous entretenons tous des contacts permanents avec nos concitoyens.
Si les associations et les syndicats retrouvent leur place dans une vraie démocratie sociale ; si nous inventons de nouvelles réponses politiques, si nous ouvrons de nouveaux espaces de dialogue civique.
Nous n'avons aucune illusion sur l'attitude de la droite : Lepeltier, Secrétaire général du RPR a dit tout haut ce qu'elle pense tout bas : le Front Républicain c'est bon pour la gauche, pas pour la droite.
Nous ne devons donc compter que sur nous-mêmes : Le Pen ne s'est pas trompé en affirmant que les Verts étaient ses principaux ennemis.
Nous revendiquons en effet le titre de principaux ennemis du Front National et nous sommes mobilisés pour faire obstacle à son projet qui nous promet la liberté pour les capitaux, la répression pour les citoyens, les jeunes et les immigrés en particulier.
Le Front National ne défend pas les pauvres : il défend les riches et les rentiers. Il ne défend pas la France : il défend à l'intérieur une logique d'écroulement de notre pays et à l'extérieur une logique de guerre.
En retirant 100 de leurs candidats les Verts ont fait, dans l'immédiat, ce qui était nécessaire pour éviter que ne se reproduise le scénario catastrophe du 21 avril,.
Il faut cependant le dire : nous ne serons quittes de nos propres responsabilités, nous ne serons efficaces avec tous les Verts et toute la gauche en Europe contre la poussée conservatrice et d'extrême droite, que si nous sommes nous-mêmes capables de balayer devant notre propre porte.
Nous ne sommes pas des adeptes de l'autoflagellation ou du masochisme en politique. Mais nous devons entendre ce que nous disent nos concitoyens, essayer de comprendre ce qu'ils pensent !
François Hollande a bien fait de mettre fin à cette discussion hallucinante sur le nom d'un éventuel premier ministre de gauche avant même que les électeurs aient désigné leurs représentants.
Il a eu raison de commencer à infléchir son discours sur la division de l'ex-majorité plurielle comme cause de la défaite, alors que celle-ci n'a été au contraire qu'une conséquence de la faiblesse de sa pluralité et de la difficulté à agir en fonction de la diversité de ses composantes.
On ne peut pas se contenter non plus de l'explication courte qui voudrait qu'on ait seulement mal communiqué sur un excellent bilan.
Les Verts pourraient aussi se livrer à cette petite opération qui consiste à repasser le mistigri au partenaire : je me souviens des rebuffades subies par les Verts à l'occasion du mouvement des chômeurs de l'hiver 1997, ou quand nous insistions sur la régularisation des sans papiers.
J'ai encore en mémoire notre demande insistante pour qu'on écoute plutôt les infirmières que les patrons routiers ou les lobbys du transport aérien. Notre réticence devant les baisses d'impôts. Nos avertissements à l'Assemblée sur les 35 h, et pour finir sur une note cruelle, notre opposition à cette autre hasardeuse expérimentation que fut l'inversion du calendrier électoral !
Mais cette façon de mettre tout sur le dos du voisin, ne fait pas progresser la cause commune.
La gauche a besoin à la fois d'être de gauche et d'être unie. D'être ferme sur ses valeurs et de s'ouvrir à la nouveauté. D'être positive sur beaucoup de ses réalisations, et de s'interroger, pour l'avenir, sur les conditions de réussite de la réforme.
Dans une société de plus en plus éclatée, les mesures même les plus légitimes à priori peuvent produire du ressentiment, si elles ne sont pas suivies jusqu'au bout d'une veille minutieuse et d'un combat quotidien pour leur bonne application.
Je pense à la réduction du temps de travail dont nous prônons à juste titre la poursuite, mais qui, de temps conquis pour ceux qui peuvent la négocier dans de bonnes conditions, se transforme pour les autres en samedis travaillés, en pauses réduites, en stress ou en baisse de revenus
Je pense aux emplois jeunes, qui ont pu être une voie d'accès à des emplois stables pour des milliers de jeunes diplômés mais se sont transformés parfois pour d'autres, moins qualifiés, en véritables impasses.
Je pense aussi à toutes les mesures sociales, dont nous demandons l'extension ou la généralisation, mais à qui il arrive, de réglementations tatillonnes en guichets bureaucratiques, d'alimenter aussi des frustrations, par d'absurdes effets de seuil, par des évictions et des discriminations parfaitement insupportables : ceux qui ont fait la queue à un guichet d'URSSAF ou qui attendent la décision d'une Commission locale d'insertion à propos de leur RMI, savent bien ce dont il est question.
En plus donc du fond des programmes eux-mêmes, qu'il faut profondément revisiter comme les Verts l'ont fait pour le leur à l'occasion de ces législatives, c'est notre façon de faire de la politique qui doit changer.
La politique, en tout cas celle qui se fixe pour but le changement écologique et social, ne peut pas être faite de simples mesures tombées d'en haut : elle doit, en permanence être la confrontation entre les orientations générales adoptées par le suffrage universel et les conditions de leur mise en uvre pour celles et ceux qui sont censés en bénéficier.
Les Verts ont donc mis au cur de leur campagne non seulement des propositions de politique publique pour que la société reprenne sa marche en avant sur le chemin de la réforme, mais aussi celles qui visent à approfondir la démocratie sociale, économique, écologique.
Le droit de vote pour les résidents étrangers non communautaires, l'extension de la capacité des syndicats à contrer les stratégies purement financières des multinationales, la représentation des chômeurs, la réforme du débat public pour tous les grands projets d'équipement ou d'installations industrielles, la possibilité pour les jeunes d'élire leurs représentants dans une branche de la Sécurité Sociale qui leur soit propre.
Tout cela forme un ensemble de mesures portées spécifiquement par les Verts ; elles complètent l'avancée indispensable ver la 6è République, la poursuite de la décentralisation et la réforme de l'Etat.
On ne parviendra pas à traiter des dossiers aussi sensibles que la défense des retraites par répartition, si l'on prend des décisions sous la pression des lobbies les plus forts, en l'occurrence ceux des assurances privées, sans la participation de tous ceux qui, jeunes, retraités, salariés et chômeurs veulent parvenir à un compromis équilibrant à la fois sécurité et niveau des pensions, prélèvement juste sur la richesse produite, préservation des intérêts des générations futures.
Faute de cette négociation, la vision du court terme l'emportera dans ce domaine comme dans tant d'autres : à l'arrivée, l'inégalité qui mine déjà les sociétés développées, sera accrue et continuera à fabriquer de la désaffection civique.
Voilà pourquoi, après le message démocratique, le second message des Verts dans cette campagne a été l'exigence de plus d'égalité et de solidarité.
Nos sociétés se sont laissées enfermer dans la statistique de la moyenne, sans voir combien les écarts entre les extrêmes avaient continué à croître.
- Ecart entre les revenus et les richesses, qu'il convient de réduire par l'élévation des bas salaires et la hausse des minima sociaux ainsi que par une réforme fiscale de grande ampleur.
- Ecart dans l'accès au savoir et donc aussi à des emplois de qualité, qu'il faut réduire par un droit réel à la formation tout au long de la vie, par une mutation profonde de notre école, de ses méthodes
- Ecart dans la qualité de la vie au quotidien, dans la confrontation au bruit, à la pollution des sols, des eaux, de l'air, dans l'accès à la nature, qu'il faut réduire par de nouvelles politiques de transport, d'urbanisme, d'occupation des sols, de logement social de qualité.
- Ecart entre les territoires, urbains ou ruraux, qu'il faut réduire par le maintien et l'adaptation de nos services publics, par le soutien à l'innovation économique et sociale, par la réforme des coopérations et des solidarités entre communes.
Tous ces écarts sont incompatibles avec l'idée même d'un développement écologiquement équilibré : ils installent la société dans la gestion des urgences, dans la réparation, dans le sentiment du " sauve qui peut " généralisé. Ils favorisent la fabrication de bouc-émissaires, là où au contraire la générosité et la solidarité sont nécessaires.
C'est dans cet esprit que les Verts ont accordé à la dimension internationale et européenne une place si grande dans cette campagne.
Si nous ne portons pas, nos messages et nos pratiques à la hauteur des enjeux, nous continuerons à courir demain derrière les multinationales et les organisations qui régentent l'économie et la finance.
Alors que des dizaines d'entreprises, dont Arcelor, anciennement présidée par Francis MER, annoncent ces jours-ci de nouvelles charrettes de licenciements et de délocalisation, ce retard constituera de plus en plus un handicap dans la lutte contre le chômage.
A vrai dire, les interdépendances écologiques, économiques, à l'uvre dans le monde, n'autorisent plus la même distinction qu'auparavant entre l'intérieur et l'extérieur.
Le cruel attentat de Karachi nous a rappelés horriblement que notre pays fournissait des armes à l'un et à l'autre des belligérants indiens ou pakistanais qui se préparent à l'affrontement le long de la frontière du Cachemire.
Nous ne pourrons pas indéfiniment construire la solidité de certain de nos emplois sur de telles aventures, la solidité de nos exportations sur le soutien à la dictature de Ben Ali ou de quelques autres, et sur le mépris constant des droits de l'homme.
Nous ne pourrons pas entretenir longtemps la fiction qu'une police même européenne des frontières, nous protégera contre les désordres nés de la misère du Sud, de l'effondrement des économies des pays pauvres, des trafics en tout genre qui se développent dans les paradis fiscaux.
Il n'y a aucune solution dans le repli sur les frontières ; il n'y a aucune solution non plus dans la construction d'une Europe superpuissance, fermée, simple concurrente des USA dans la mise en coupe réglée du monde.
L'actualité de ces jours-ci montre ainsi le retard pris dans la construction d'une véritable Europe sociale et démocratique :
La Commission, sous prétexte de lutte contre l'appauvrissement de la ressource halieutique, envisage de détruire une bonne partie de la flotte artisanale, au lieu de s'attaquer à la grande pêche industrielle, et tout cela pour encourager la pêche minotière et la croissance exponentielle de la pisciculture, particulièrement polluante
Ce sont donc les emplois, la qualité de l'éducation, de la santé et de l'environnement, que nous défendons quand nous proposons une Constitution fédérale démocratique, une harmonisation par le haut des politiques communes et de la fiscalité, de véritables services publics européens.
Cher(e)s ami(e)s,
Démocratie, Egalité, Construction européenne pour un ordre international plus juste, Ecologie, la société française a besoin de plus de Verts pour progresser dans ces directions inséparables.
Personne d'autre que nous n'aura le courage d'inverser les tendances spontanées : aujourd'hui la réouverture du tunnel du Mont-Blanc, demain la création d'une folle usine de traitement du lisier en Bretagne, après-demain la relance, coûteuse et absurde du nucléaire, celle-là même qui conduit une région comme La Hague à l'aventure écologique et à la catastrophe industrielle.
Le rapport de l'IFEN, publié il y a quelques semaines, a montré malgré les progrès accomplis, que la relance de la croissance après 1997 avait abouti à une reprise de la dégradation de certaines ressources naturelles dans notre pays.
Les discours sur le développement durable ne suffisent pas : c'est toute notre organisation sociale et économique qui doit être transformée pour éviter la catastrophe.
Un vrai groupe Verts à l'Assemblée, c'est la possibilité pour la société qui résiste à la poussée libérale, d'être écoutée et sollicitée ; c'est un moyen pour que la gauche ne soit pas tentée de revenir aux graves ambiguïtés qu'on a vécu depuis 5 ans.
C'est surtout, en positif, l'ouverture sur un véritable contrat d'actions et de réformes, pour lier l'action parlementaire et gouvernementale avec la transformation de la société en profondeur.
Alors les 9 et 16 juin, faites le choix du bulletin Vert !
Et le 17 juin au matin, faites le choix de venir, comme plusieurs milliers de nos concitoyens depuis un mois, renforcer notre mouvement !
(source http://www.les-verts.org, le 6 juin 2002)