Texte intégral
F. Laborde La grève des médecins continuent, les négociations ayant échouées hier. Manifestement, les médecins veulent qu'on leur donne tout de suite des garanties sur une consultation à 20 euros et ils n'en démordent pas.
- "La revalorisation des actes médicaux est quelque chose d'inéluctable. Nous l'avions analysé en son temps avec plusieurs confédérations syndicales. Nous avons rencontré des confédérations syndicales de médecins il y a à peu près huit mois et nous avions mis au point une convention alternative qui intégrait cette revalorisation du niveau des actes médicaux. C'est donc quelque chose qui me parait normal, logique. Il faut en négocier les termes avec la Caisse nationale d'assurance-maladie, c'est l'interlocuteur qui est habilité pour négocier ce genre de chose."
Dire "qu'on refile la patate chaude", pour dire les choses un peu vulgairement, comme on l'on vu écrit ici et là, est faux ? Ce n'est pas E. Guigou qui donne cela à faire à J.-M. Spaeth, c'est vraiment le rôle de la CNAM ?
- "Il faut reprendre les négociations au niveau de la CNAM. Ce n'est pas le seul conflit où on s'aperçoit que ce n'est pas forcément à la première séance que l'on aboutit sur des conclusions qui sont partagées. Je sais, par le travail que nous avons fait avec les organisations de médecins l'an dernier, qu'il est possible d'articuler à la fois une satisfaction à la demande des médecins, une révision des pratiques médicales pour une amélioration des prestations et du dispositif de santé. Par exemple, ils avaient accepté de revenir à une tarification unique des visites sur l'ensemble du territoire, d'abandonner en quelque sorte le secteur 2 - ce qui n'était pas une mince concession de leur part. Je suggère donc que les bases de cette discussions entre 4 confédérations de salariés et les organisations majoritaires des médecins puissent servir - pourquoi pas ? - de base de négociations pour sortir de cette crise."
Qui défendez-vous dans cette crise ? Les médecins ne sont pas à la CGT... Alors, plutôt les salariés ?
- "Les médecins, comme ils l'avaient dit pour partie en leur temps, sont victimes d'une logique qui remonte au plan Juppé et dont nous ne sommes pas fondamentalement et totalement sortis depuis. On voit bien que l'on continue d'avoir des crises dans le secteur de la santé, qu'il s'agisse de l'hôpital, des professionnels. Or aucun système de santé n'est viable en se fondant sur des désaccords ou sur des oppositions avec les professionnels dans une particularité de notre système de santé qui articule d'une part, médecine libérale et d'autre part, réseau public."
Est-ce que ce n'est pas le système de santé et aussi le système conventionnel de gestion de la Sécu qui est aujourd'hui totalement dépassé ? Le patronat n'y est plus et ne faut-il pas dire à un moment qu'on privatise, qu'on nationalise, mais qu'il faut sortir de ce système un peu bâtard ?
- "Effectivement, le patronat n'y est plus. Il souhaitait que son départ facilite l'entrée des assurances, une privatisation de la Sécurité sociale pour faire court. Cela correspond à la philosophie du Medef. Or, ce n'est pas tant le principe de la convention - il faut un accord de partenariat entre la Sécurité sociale et les professionnels de santé - que le contenu de cette convention qui est en cause. C'est le fait ne pas avoir révisé fondamentalement les conventions qui défendent le principe de la maîtrise comptable des dépenses de santé qui se trouvent aujourd'hui dans une impasse. C'est ce qu'il faut réviser."
Si la négociation n'aboutit pas très vite, il y aura une augmentation sauvage des consultations - on a déjà vu ici ou là que les médecins passent à 20 euros. Les patient paient et ne sont pas choqués outre mesure.
- "Autant je reconnais tout à fait - et nous avions donné notre accord sur ce point, je le redis - une revalorisation des actes des médecins, autant je suis en désaccord avec ces décisions unilatérales décidées pour l'instant par quelques médecins qui augmentent le niveau de leurs consultations, ce qui a pour conséquence d'en faire payer le prix aux patients, aux assurés sociaux. Cela doit donner lieu à un accord, à une négociation avec la Sécurité sociale."
Même si les assurés sont d'accord pour payer plus ?
- "Les assurés sociaux, au fil du temps, ne pourront pas être d'accord, si c'est eux qui supportent la différence, parce qu'ils ne seront pas remboursés sur la base de ce niveau de consultation qui serait réévalué de manière unilatérale."
Il y a d'autres grognes : on a vu les gendarmes, les policiers, les marins-pompiers... Est-ce que l'on n'assiste pas à un mouvement de contestation qui prend de l'ampleur et qui dépasse le cadre de la contestation habituelle d'avant un grand scrutin électoral ?
- "Je me souviens de l'initiative que nous avions organisé en octobre, dans un contexte international très particulier. Vous vous souvenez que nous avions eu beaucoup de critiques sur l'opportunité à ce que les organisations syndicales posent les problèmes sociaux qui étaient à l'ordre du jour, selon nous, dans les entreprises, dans les services publiques, la fonction publique, sur les salaires, l'emploi. Je remarque que depuis cette mobilisation du 16 octobre, nous ne cessons d'assister à une multiplication des tensions et des mouvements, des aspirations à ce que les attentes des salariés soient mieux entendues et mieux négociées. Qu'il s'agisse d'interlocuteurs publics - les pouvoirs public et le Gouvernement - ou des interlocuteurs privés comme le Medef, force est de constater qu'il est peu disposé à négocier sur les attentes qui s'expriment dans les entreprises. Je pense donc que nous allons vers des sources de tension qui vont se multiplier indépendamment des échéances politiques qui existent dans notre pays. D'année en année, on s'aperçoit que les mouvements revendicatifs font fi de ce type de rendez-vous."
Le 15 janvier, le Medef tient un congrès extraordinaire à Lyon. Vous-même, vous manifesterez le même jour à Lyon avec un certain nombre de mots d'ordre. Ce sera la grande rencontre entre deux cultures différentes de ce pays ?
- "Le Medef, quoi qu'il en pense, n'est pas le seul à incarner ce qui se passe dans les entreprises. Les salariés, via leurs organisations syndicales, ont aussi des choses à dire. Le Medef prône l'instabilité, le risque, veut préparer les esprits des salariés à plus de risques et d'instabilité à l'avenir, prône un recul de l'âge de départ à la retraite, défend le principe d'une privatisation possible de la Sécurité sociale. En contrepartie, nous, au contraire, nous défendons le fait qu'il est possible d'avoir de nouvelles garanties sociales dans ce pays. Nous prônons par exemple l'édification d'un nouveau statut du travail salarié dans le pays, nous avons besoin de nouvelles garanties, de nouvelles sécurités."
Qui intègre de nouvelles idées comme la mobilité ?
- "Oui, mais nous ne pouvons pas nous faire à l'idée d'être de plus en plus des salariés "Kleenex" dans les entreprises, alors que c'est ce qui se multiplie de plus en plus."
Mobile, oui, jetable, non ?
- "Mobile sur la base de choix individuels, le choix des salariés. Nous souhaitons aussi que nous soit reconnu un pouvoir d'intervention dans la gestion des entreprises. Or, de ce point de vue, le Medef souhaite conserver une espèce de droit divin en matière de gestion des entreprises."
Est-ce que le vrai débat d'idée dans ce pays n'est pas en train de se passer au niveau des acteurs sociaux et pas au niveau de la classe politique qui, avant les échéances électorales, se dispute davantage les postes que les idées ?
- "Je considère que le débat politique a toute sa légitimité. Ce que je souhaite, c'est que la dimension sociale des problèmes qui se posent dans la société soit aussi présente dans le débat politique. Les mobilisations, notamment celle du 15 janvier, contribueront, je l'espère, à ce que les candidats déclarés ou devant le faire, les partis politiques se positionnent aussi en fonction..."
Donnerez-vous des consignes de vote ?
- "La CGT s'exprimera à l'occasion des rendez-vous électoraux mais n'aura pas de consigne de vote, si en termes de consignes, on sous-entend "appel en faveur de tel ou tel candidat"."
Vous ne direz pas de voter pour tel candidat ? Vous direz plutôt à gauche quand même ?
- "La CGT aura des choses à dire dans le cadre de cette campagne électorale, mais pas pour appeler en faveur de tel ou tel candidat, cela fait déjà de nombreuses années que ce n'est plus le cas."
(Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 11 janvier 2002)
S. Paoli La liberté d'entreprendre entraînerait-elle fatalement la violence sociale ? Le Conseil constitutionnel, censurant la définition du licenciement économique, inscrite dans la loi de modernisation sociale adoptée en décembre à l'Assemblée nationale, dénonce ce qu'il juge être une "atteinte excessive à la liberté d'entreprendre". Le Parti communiste, à l'origine de la définition, y voit, lui, un mépris des salariés. B. Thibault, vous êtes secrétaire général de la CGT. Pour Force Ouvrière, M. Blondel dit que ce qui vient de se passer ne changera rien. Qu'en dites-vous ?
- "Cela change la situation, dans la mesure où il y a un débat qui est monté en puissance durant ces derniers mois, suite aux décisions d'un certain nombre d'entreprises de procéder à des licenciements économiques et surtout un débat lié au fait que le bien-fondé du caractère économique de ce licenciement était contesté. Je fais référence à des épisodes comme Moulinex ou Lu, des entreprises dont la situation économique ne justifiait pas forcément de procéder à des licenciements économiques. C'est ce qui a amené le législateur, suivant les péripéties que chacun connaît, à un résultat qui a consisté à ce qu'une majorité de représentants à l'Assemblée nationale décide de redéfinir le licenciement économique. Et c'est ce que le Conseil constitutionnel vient de désavouer. Et ce que je trouve grave dans cette décision, c'est surtout les attendus qui entourent la décision : comme vous le rappelez depuis hier, c'est un parti pris en faveur de la théorie patronale. Les licenciements d'aujourd'hui, nous dit-on, préservent l'emploi de demain. C'est ce que nous contestons lorsque nous voyons un certain nombre de plans de licenciement qui nous sont proposés dans les entreprises."
Vous dites, comme R. Hue pour le Parti communiste, qu'il faut reprendre la discussion et qu'il faut reproposer un autre texte ?
- "Il appartient forcément au législateur d'examiner la situation nouvellement créée. Je remarque que pour ce qui est des prérogatives du Conseil constitutionnel, tous les droits prévus dans la Constitution ne sont pas traités à égalité d'application. Un autre droit est aujourd'hui très largement contesté : c'est une phrase qui précise notamment que chacun a le droit d'avoir un emploi. C'est inscrit dans la Constitution et j'aimerais bien à ce propos, que le Conseil constitutionnel prenne aussi davantage parti pour les salariés. Là, il y a le parti pris de ce qu'a défendu le Medef et le patronat en général depuis des mois."
Est-ce qu'il n'y a pas surtout à nouveau l'illustration du fait que dans ce pays, on ne se parle peut-être pas suffisamment, notamment entre employeurs et salariés ? Quand le Conseil constitutionnel dit que ce qu'il a censuré empêchait peut-être l'entreprise précisément de mieux se protéger en cas de crise et donc de mieux protéger les salariés, en limitant sa marge de manoeuvre, il y a un argument... Qu'en dites-vous ?
- "Sur l'ensemble des licenciements, ce que nous avons aussi essayé de mettre en avant durant ces mois, c'est qu'on ne reconnaissait pas le droit aux salariés d'intervenir sur les choix stratégiques, les choix de gestion des entreprises. Cela nous est encore contesté. Aujourd'hui par exemple, je vais devoir assister deux administrateurs salariés qui sont traduits devant un tribunal avec un journaliste et un directeur de journal, pour délit d'initié. On leur reproche de ne pas avoir gardé confidentielles certaines informations qu'ils avaient sur la situation économique de l'entreprise. Ils le contestent, mais le fait même que l'on attaque suivant ce type de procédure montre bien que la patronat a tendance à défendre une espèce de droit divin. C'est nous qui devons avoir la vérité révélée sur les choix stratégiques, les choix de gestion. Or, nous sommes dans une société qui va devoir reconnaître de plus en plus des droits nouveaux aux salariés d'intervenir aussi sur les choix stratégiques et les choix économiques. Ne serait-ce que parce que nous voyons bien qu'il y a un conflit d'entreprise entre des actionnaires qui demandent aujourd'hui une rentabilité de plus en plus importante de leurs fonds investis, et de l'autre, des salariés qui n'ont que leur contrat de travail pour vivre. Il y a donc là des intérêts contradictoires qui sont au coeur des conflits d'intérêt dans une entreprise."
Quand on entend dire que la discussion n'a pas été menée simplement avec le Parti communiste, s'agissant du Gouvernement, mais aussi avec les syndicats - C'est madame Guigou qui le disait -, est-ce vrai ? Avez-vous été consultés ?
- "Sur la procédure, je ne fais que répéter une critique que j'ai déjà exprimée en son temps à propos de l'élaboration de cette loi comme sur d'autres textes : il est un fait que ce Gouvernement ne reconnaît pas suffisamment l'espace que devraient occuper les organisations syndicales avant l'élaboration de textes législatifs, de règlements, de décrets. C'est une critique que nous avons formulée depuis des mois. Ce que je retiens sur le résultat après la décision du Conseil, ce n'est pas le plus important. Le plus important, c'est le résultat [sic]. Le résultat, c'est qu'il y avait une nouvelle définition du licenciement économique qui se trouve aujourd'hui censurée. C'est donc une très mauvaise nouvelle pour les salariés."
Quand vous entendez un E.-A. Seillière dire que le Gouvernement vient de subir une "leçon", dénonçant son "improvisation" et son "manque de travail" - pour citer à peu près ce que disait monsieur Seillière -, que répondez-vous ?
- "Le Medef est dans la logique de ses positionnements antérieurs. Demain, à Lyon, de nouveau, il va faire pression, comme il l'a dit, sur les politiques, en vue de la campagne présidentielle et de la campagne législative qui va suivre. C'est la raison pour laquelle nous allons aussi nous mobiliser à Lyon demain, avec d'autres organisations syndicales, pour dire que le Medef est loin d'être le seul habilité à exprimer des opinions sur ce qu'est la réalité des entreprises et surtout sur ce que sont les attentes des salariés sur les problèmes sociaux d'aujourd'hui."
Là, vous venez de planter le décor : on parle d'enjeux sociaux, et d'un seul coup, on débouche immanquablement maintenant sur les enjeux politiques. On est dans un affrontement droite-gauche, parce qu'il y a les échéances que l'on sait ?
- "Chacun est à même de constater qu'il y a des commentaires tout à fait différents selon les partis. Les partis de droite ont semble-t-il tendance à se réjouir de la décision du Conseil constitutionnel qui renforce le pouvoir exclusif des entrepreneurs vis-à-vis des salariés. Cette décision aboutit à cela. Et les partis de gauche [sont] bien évidemment déçus dès lors qu'ils avaient essayé de redéfinir une nouvelle conception du licenciement économique. Mais c'est à chaque citoyen d'en tirer [ses] conclusions. En tant qu'organisation syndicale, ce que je mesure aujourd'hui, c'est que nous avons une arme de moins pour nous défendre dans les entreprises. Ce que nous n'obtenons pas en droit par le Conseil constitutionnel, il va falloir aller le chercher par d'autres moyens et notamment par la mobilisation dans les entreprises."
Justement, on voit bien à quel point ce clivage politique droite-gauche, qui est train de se remettre en place, bloque aussi un petit peu le mécanisme social. Que reste-t-il de la Refondation sociale ? Qu'en est-il de cette volonté réformiste, que vous avez affichée vous-même quand vous êtes arrivé à la tête de la CGT en disant que [maintenant, il fallait faire] bouger les choses ?
- "C'est une question qu'il faudrait poser au Medef, puisque c'était l'initiateur de cette opération de refondation sociale. [C'est] un échec sur le fond : il y a toute une liste de sujets sociaux de premier plan qui avaient été arrêtés et qui devaient [faire] l'objet de négociations, voire de conclusions d'accord, avec le patronat sur un plan interprofessionnel. Le Medef, il y a quelques semaines, nous a dit qu'[il] arrêtait cette opération-là et qu'[il] avait décidé de faire de la politique et de faire pression sur les politiques. D'où l'absence de négociations sur des enjeux tout à fait importants, comme la formation professionnelle, l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes dans les entreprises, la situation des cadres, la question des salaires dans les entreprises. Bref, nous sommes dans un statu quo du point de vue du dialogue social. Le patronat décide de faire de plus en plus de politique. Il est évident que les salariés ne devront pas être sur la réserve le moment venu, eux aussi, au moment de ces échéances."
Cela veut dire que vous annoncez, d'ici les échéances présidentielles et législatives, une forte action de la CGT sur tout le terrain social ?
- "Nous nous sommes mobilisés dès la rentrée, au mois d'octobre, lors d'une journée d'action à quatre confédérations syndicales. On l'avait à certains égards critiquée, compte tenu du contexte international. Ce dont je me rends compte depuis, c'est que cette journée d'action n'était que le révélateur de ce qui est en train de se passer dans le secteur public, dans le secteur privé et pas simplement dans le secteur de la santé, qui est un des secteurs où l'on voit bien les mécontentements les plus aigus aujourd'hui. On l'a vu dans différents corps de métier et dans les semaines à venir, nous n'aurons de cesse de mettre en évidence des revendications qui ne sont pas satisfaites aujourd'hui."
(Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 14 janvier 2002)