Déclaration de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, et interview à "Eurosatory Daily" sur la coopération européenne en matière d'armement, notamment terrestres, l'effort envisagé en faveur de l'équipement militaire et la contribution française à la Force de réaction rapide, Villepinte le 17 juin 2002.

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Circonstance : Inauguration du salon d'armement Eurosatory, à Villepinte le 17 juin 2002

Média : Eurosatory Daily

Texte intégral

Déclaration à Villepinte le 17 juin 2002 :
Madame le Maire,
Messieurs les Ambassadeurs,
Messieurs les chefs d'état-major,
M. le délégué général pour l'armement,
Monsieur le Président du GICAT,
Mesdames, Messieurs,
C'est pour moi un honneur et un plaisir que d'inaugurer cette édition 2002 d'Eurosatory. Ce salon de référence dans le domaine des matériels de défense terrestre m'offre en effet l'occasion d'un premier contact direct et global avec vous. Votre présence atteste du succès grandissant de cet événement et de son ouverture à l'international. Je souhaite ainsi la bienvenue aux nombreuses délégations étrangères et représentations de pays étrangers.
Le rayonnement de ce salon repose aussi sur la qualité des relations qui ont été tissées depuis de nombreuses années avec les petites et moyennes industries et entreprises. Les initiatives du GICAT avec notamment le " village de la sous-traitance et de la diversification " sont, à cet égard, exemplaires.
Je tiens, donc, à remercier tout particulièrement le GICAT, organisateur de ce salon, et notamment son président et ses collaborateurs, pour leur investissement constant au service de l'industrie française et européenne.
Cette édition d'Eurosatory intervient, c'est vrai M. le président, dans un contexte de rupture dont il importe de souligner les traits les plus marquants.
1. Tout d'abord, l'évolution des menaces a modifié les conditions d'emploi de nos forces, notamment terrestres ; et nous devons en tirer les conséquences.
1.1. En un peu plus de dix ans, notre monde, c'est une banalité de le dire, a considérablement changé. Les récents conflits, aux portes même de l'Europe ou sur des théâtres d'opérations plus lointains, ont nécessité et nécessitent des conditions nouvelles d'emploi de la force terrestre : les missions sont toujours plus diversifiées et plus complexes ; la participation aux opérations extérieures s'est multipliée. On avait pu croire, à un moment donné, l'emploi de la force terrestre détrôné par les évolutions technologiques. Elle apparaît aujourd'hui plus nécessaire que jamais.
1.2. Compte tenu de ces changements, la complémentarité entre les différents armements et systèmes de défense pour faire face aux nouvelles menaces est désormais indispensable :
- les systèmes d'appui sont aujourd'hui ouverts et évolutifs ; ils reposent sur l'action combinée et efficace d'un ensemble d'unités et d'entités : hommes, véhicules, robots, drones, tous doivent agir de manière coordonnée et interactive ;
- la maîtrise de l'information est bien entendue de plus en plus capitale ;
- la présence de plus en plus fréquente de partenaires lors d'opérations extérieures, notamment de maintien de la paix, nécessite une interopérabilité irréprochable ;
- l'éloignement de certaines missions nécessite enfin une véritable capacité de projection de nos forces.
2. Face à l'ensemble des nouvelles menaces, il est de notre responsabilité d'apporter des réponses adaptées. Cela passe d'abord par la reprise d'un effort financier national. Il est souhaité par le Président de la République, et en rupture avec l'évolution de ces dernières années.
2.1- L'adaptation indispensable de notre appareil de défense fait partie des priorités du Gouvernement. Le futur projet de loi de programmation militaire pour la période 2003-2008 répondra à cette attente et à cette volonté. Il devrait être déposé au Parlement avant la fin de cette année. Ce projet, voulu par le Président de la République, se traduira par un effort de redressement du budget d'équipement des armées. Le modèle d'armée pour 2015 défini par l'actuelle loi de programmation reste sa référence, confortée par des enseignements récents.
Nous allons donc poursuivre et renforcer le déploiement et le renouvellement des grands systèmes de défense, dans tous les domaines du combat aéroterrestre : hélicoptères Tigre et NH90, chars Leclerc et VBCI, missiles, systèmes d'information, de renseignement ou de commandement, systèmes de communications, systèmes d'artillerie, programme d'équipement du combattant
Enfin, notre capacité de maintien en condition opérationnelle devra être établie dès la prochaine Loi de Finances. C'est une attente forte de nos armées, c'est une de mes priorités.
2.2- Les menaces étant plus évolutives, elles nécessitent une capacité d'adaptation et d'anticipation. Ceci suppose un effort important de recherche et de prospective, auquel je suis particulièrement attachée.
Nous préparons déjà les futurs systèmes d'assistance aux opérations en y consacrant d'importants efforts d'études prospectives. Par exemple le concept fédérateur de " bulle opérationnelle aéroterrestre " répondant aux exigences opérationnelles du combat de contact, comporte le projet d'un futur véhicule de combat, l'EBRC (Engin Blindé à Roues de Contact). L'efficacité d'un tel engin reposera surtout sur des moyens complémentaires comme les 'systèmes de systèmes' c'est-à-dire tout l'environnement d'assistance et d'aide à la décision que sont les robots ou les drones de renseignement.
3. Notre politique d'acquisition doit également s'inscrire dans une démarche résolument européenne.
Je suis convaincue que ce tournant majeur ne peut être négocié sans une politique européenne ambitieuse, grâce à un meilleur effort de recherche, de développement et une politique coordonnée d'équipement en commun.
3.1. Je suis confiante dans la possibilité de progresser dans cette voie de coopération. Pour cela, nous devons approfondir les démarches européennes en cours et la France, j'en suis persuadée et j'y engage ma responsabilité, doit retrouver son rôle moteur dans la construction de l'Europe de Défense.
Avec l'Organisation Conjointe de Coopération en matière d'Armement (OCCAR) et l'accord signé dans le cadre des travaux de la Lettre d'Intention (LOI), nous disposons d'un cadre institutionnel et juridique adapté qui favorisera les avancées ultérieures.
Dans mes contacts bilatéraux avec mes collègues, j'ai d'ailleurs pu mesurer la volonté commune de progresser en la matière.
La coopération européenne ne se limite pas à l'interopérabilité de nos forces ou à l'utilisation plus efficace de nos budgets d'équipement. Elle doit permettre également l'émergence d'une industrie européenne de la Défense, forte et autonome. Elle est garante de notre capacité à exister sur le plan international. Elle est, aussi, riche en retombées technologiques, économiques et sociales.
Cette conviction, qui est la mienne, n'est pas toujours partagée par tous, et je regrette de voir certains de nos partenaires investir dans des efforts de recherche, notamment américains, alors que notre recherche européenne, réputée pour son excellence, est disponible pour répondre à nos besoins. Tout ceci démontre encore une fois, s'il était besoin de le répéter, la nécessité de relancer la politique européenne de Défense. La France, renforcée par la future loi de programmation, y contribuera. Et à cet égard, je me réjouis de ce que M. Javier Solana ait répondu favorablement à notre invitation. Je crois que sa présence sur Eurosatory est un signal important, que je souhaite souligner.
3.2. Nous devons d'ores et déjà préparer les prochains programmes avec nos partenaires européens, en veillant à la meilleure cohérence dans l'expression des besoins.
Une démarche commune de prospective, qu'on a appelé " ECAP ", prépare les coopérations européennes de l'avenir. Elle a permis d'identifier les déficits capacitaires existant au sein de l'Union Européenne. Plusieurs de ces thèmes sont directement en prise avec les enjeux du combat aéroterrestre futur : qu'il s'agisse des hélicoptères de combat et de transport, des capacités de déploiement du commandement et de la communication au niveau des opérations, des " systèmes de systèmes " associés.
Riches de ces expériences, nous devons encourager, de manière pragmatique, les coopérations européennes, selon des modalités adaptées à chaque projet. Les échanges réguliers entre les armées doivent permettre la convergence ou au moins la coordination dans l'expression des besoins. C'est la condition du succès de demain.
Cette démarche est particulièrement nécessaire en matière d'armement terrestre. En effet, si certains secteurs, comme l'aéronautique, ont bien avancé dans la voie de la coopération européenne, il reste, messieurs, du chemin à parcourir, particulièrement pour les matériels terrestres comme les véhicules blindés ou les éléments de la fonction " feux ".
Par exemple, l'Europe ne compte pas moins de quatre maîtres d'uvre dans le domaine des chars de combat, avec plus de 12 sociétés pour les véhicules blindés et plusieurs dizaines dans le domaine des munitions !! Pour gagner en compétitivité et en efficacité, nous devons engager l'industrie nationale et européenne de défense dans une réflexion sur l'architecture globale des systèmes capables de dialoguer entre eux et d'agir de manière combinée. Cette restructuration doit être menée en garantissant une capacité de long terme de maintenance de nos équipements terrestres.
Votre salon contribue activement à la réflexion sur l'harmonisation des besoins. Il permet des échanges à tout niveau entre les différentes armées. Je vous encourage tous à poursuivre dans cette voie.
Je voudrais, en terminant, vous redire toute la confiance que j'ai dans la capacité industrielle et technologique de notre industrie française de défense. Nous disposons d'équipements de haut niveau technologique, qui ont fait leur preuve dans des conflits récents et j'ai pu le constater directement en me rendant sur différents théâtres d'opérations extérieurs.
Ces systèmes, j'ai pu le constater aussi, rencontrent des succès internationaux, qui prouvent leur adéquation aux besoins. Ils apportent une réponse optimale en termes de rapport coût-efficacité : l'hélicoptère NH90 a été choisi récemment par plusieurs pays européens et mérite ainsi véritablement aujourd'hui un label de programme européen ; de même, le Tigre a été choisi par l'Australie et nous espérons pouvoir élargir ce programme à l'Espagne. Nos systèmes de commandement remportent également d'importants succès.
Les mécanismes existants de soutien aux exportations devront donc être utilisés de façon optimale. Nous veillerons à ce que nos industriels puissent assurer la promotion de leurs équipements à l'exportation dans les conditions les plus favorables possible.
Ainsi, je terminerai mon intervention, en vous disant, dans un contexte ce matin particulier, que j'ai tenu à être parmi vous pour vous signifier mon engagement, à vos côtés, dans la construction d'une Europe de la Défense qui soit forte et compétitive, et dans laquelle la France doit assumer pleinement les responsabilités qui sont les siennes. Je ne pourrai malheureusement pas, puisque j'ai une obligation en fin de matinée, participer à la visite inaugurale, ce que je regrette. Mais le délégué général pour l'armement et le chef d'état-major de l'armée de terre ne manqueront pas de me rendre compte de leurs impressions.
Je voudrais dire à toutes les délégations ici présentes, combien je suis sensible à leur participation, et leur souhaiter un excellent séjour en France et un grand succès au Salon Eurosatory.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 17 juin 2002
Interveiw à "Eurosatory Daily" le 17 juin 2002 :
Comment faire avancer l'Europe de la Défense ? L'Europe doit-elle entrer en compétition avec les États-Unis ? Avec quels moyens financiers ?
Depuis Saint-Malo et les conseils européens d'Helsinki, Nice et Laeken, la mise en place des capacités militaires européennes et des structures de décision a progressé. Le Président de la République a affirmé le rôle moteur que doit jouer la France dans la construction de l'Europe de la Défense. La conférence d'amélioration des capacités, en novembre dernier, a eu pour objet d'identifier les lacunes à combler, notamment en matière de renseignement, de commandement et de contrôle, de transport stratégique et de frappe à distance de sécurité, afin d'atteindre l'objectif global que les Européens se sont fixés. Les États membres ont convenu, pour remédier à ces lacunes, d'un plan d'action dénommé ECAP (European Capability Action Plan) fondé sur des décisions nationales coordonnées. L'initiative sur les capacités de défense de l'OTAN dont nous avons approuvé le principe, pourra converger avec l'approche des Européens.
Cette démarche n'est pas sous-tendue par un esprit de compétition avec nos alliés américains : l'effort de défense que souhaite fournir la France et le développement des capacités européennes visent à satisfaire un besoin de sécurité, un niveau de défense adéquat et cohérent avec les valeurs que la France partage avec ses alliés. Que ce soit en Afghanistan ou au Kosovo, les opérations conduites avec les Américains confirment que nos matériels sont interopérables : il faut veiller à ce que cela reste vrai, notamment par un effort technologique.
La maîtrise de l'ensemble des capacités technologiques correspondant à nos ambitions en matière de Défense et le maintien de l'excellence de nos armements supposent un effort soutenu dans le domaine de la recherche et de la technologie, qu'il est plus efficace de mener avec nos partenaires européens. La France consacre aujourd'hui environ 20 % de ses ressources d'études amont à des coopérations internationales, notamment avec l'Allemagne et le Royaume-Uni. Des accords, comme celui conclu en novembre 2001 sur les systèmes aériens de combat, devraient être élaborés également dans les domaines qui, comme la Bulle opérationnelle aéroterrestre (BOA), conditionnent certains développements à venir de l'armement terrestre.
Le président de la République s'est prononcé pour un accroissement de l'effort de Défense, afin que la France puisse atteindre ses objectifs propres comme ceux de la politique européenne de sécurité et de défense, et jouer pleinement son rôle dans le monde. C'est une priorité. Le futur projet de loi de programmation militaire (2003-2008), qui sera déposé au Parlement avant la fin de l'année 2002, marquera un effort de redressement du budget d'équipement des armées pour assumer nos ambitions en matière de Défense, en prenant en compte les enseignements tirés de la participation militaire à la lutte contre le terrorisme.
Quel est le rôle de la France dans la mise en place d'une politique européenne d'armement et la création d'un marché européen de l'armement ?
La France a été l'un des initiateurs de l'approche capacitaire au niveau européen, visant à consolider les efforts de défense respectifs des États membres et à renforcer la synergie de leurs projets nationaux et multinationaux. Elle a, dès l'origine, uvré à la mise en place de l'organisation conjointe en matière de Coopération d'armement (OCCAR), qui, dotée depuis janvier 2001 de la personnalité juridique, préfigure l'agence européenne de l'armement. Nous participons à nombre de programmes en coopération avec nos partenaires européens, comme les hélicoptères Tigre et NH 90, le radar Cobra, la famille de systèmes sol-air futurs (FSAF) ou l'avion de transport A 400 M.
Il est vrai que dans d'autres domaines, comme le Véhicule blindé de combat de l'infanterie (VBCI), une telle coopération n'a pas été possible, les besoins opérationnels et les calendriers étant trop divergents. Cela ne fait que confirmer que l'harmonisation des besoins et des concepts d'emploi est un préalable indispensable. L'élaboration d'un concept commun pour la force de réaction rapide y contribuera, de même qu'un examen des profondes mutations, en cours, dans les conditions d'emploi de la force terrestre dont les crises récentes ont démontré l'ampleur.
La construction de l'Europe de l'armement ne se limite pas à réaliser des programmes en coopération. La France s'est attachée depuis plusieurs années à favoriser la consolidation de l'industrie française et européenne de Défense, essentielle à la préservation en Europe d'une base technologique et industrielle, pour doter au meilleur coût nos forces en équipements et permettre à ce secteur industriel d'affronter dans de bonnes conditions la compétition internationale. Ce mouvement, plus avancé dans les secteurs de l'aéronautique et de l'électronique, doit encore se poursuivre dans les secteurs naval et terrestre. Les industriels européens ont des concurrents très sérieux en Amérique du Nord, mais aussi et de plus en plus en Asie. L'immobilisme devant la dispersion européenne signifierait probablement que, dans une à deux décennies, la capacité de fournir les navires et les blindés du meilleur niveau se serait fortement réduite en Europe. Je ne me satisfais pas d'une telle situation.
Quel est l'avenir de l'industrie de défense européenne si l'Europe continue à acheter hors d'Europe ?
La question est légitime : au-delà du soutien à la consolidation de notre base industrielle, nous devons être en mesure, en réduisant nos lacunes capacitaires, d'harmoniser nos politiques d'acquisition, en leur donnant une assise financière solide.
Afin de répondre aux missions militaires susceptibles d'être confiées à la force de réaction rapide de l'Union européenne, va-t-on vers une spécialisation des missions et des moyens de chaque pays ?
L'une des priorités de l'Union a été de définir et mettre en place des moyens et les capacités nécessaires pour lui permettre de prendre des décisions en matière de prévention des conflits et de gestion des crises (" missions de Petersberg "), et de les mettre en uvre. L'Union a souligné sa détermination à développer une capacité autonome de décision, là où l'OTAN en tant que telle n'est pas engagée, de lancer et de conduire sous sa propre direction des opérations militaires, en réponse à des crises internationales. Le volume global de l'engagement de la France s'élève à environ 20 % de la force de réaction rapide, soit une contribution terrestre de 12 000 hommes, avec des moyens aériens et navals appropriés, soit près de 100 avions de combat, et 12 bâtiments, dont le porte-avions.
C'est dans le domaine des capacités clés que la France fournit proportionnellement sa plus forte contribution. Dans le domaine du commandement, elle met à la disposition de l'Union ses états-majors de niveau stratégique et opératif, ainsi que des états-majors tactiques et des moyens projetables de communication, notamment par satellite. Dans le domaine du renseignement, elle offre des capacités d'imagerie satellitaire, ainsi que des moyens de reconnaissance et de surveillance du champ de bataille. Dans le domaine de la mobilité, elle participe de manière substantielle à l'effort collectif.
Ces exemples montrent qu'à l'opposé d'une spécialisation qui serait contraire à nos intérêts, une mutualisation méthodique des ressources disponibles des Européens - comme il a été décidé de le faire pour les capacités de projection aérienne - constitue la réponse appropriée.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 19 juin 2002)