Tribune de M. François Chérèque, secrétaire national de la CFDT, dans "Le Monde" du 2 juillet 2002, sur les avantages et les conditions d'une concertaion efficace entre l'Etat et les partenaires sociaux, notamment la refonte des règles de la négociation collective.

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

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Chantre du dialogue social pendant la campagne, la nouvelle majorité va devoir maintenant faire la démonstration de sa détermination et de sa cohérence. Le premier faux pas sur l'annonce de l'augmentation du smic sans concertation préalable avec les partenaires sociaux n'est pas de bon augure. Aussi la déclaration de politique générale du premier ministre devant l'Assemblée nationale sera-t-elle l'occasion de vérifier la volonté du gouvernement de traduire dans les faits les engagements de campagne du président de la République et de sa majorité parlementaire. Ce rendez-vous avec la démocratie sociale ne peut être manqué. L'agenda qui s'ouvre à présent, chargé de dossiers décisifs - l'emploi, la formation, la retraite, l'assurance-maladie ... -, souligne chaque jour la nécessité d'ouvrir ce chantier. Bref, l'heure est maintenant venue de passer aux actes.
Au moment où Jean-Pierre Raffarin s'apprête à proposer un contrat aux représentants du peuple, il faut rappeler les raisons qui plaident pour une véritable politique de dialogue social. Le dialogue social, c'est tout d'abord un instrument de réforme pertinent face à la diversité des situations et à la rapidité des évolutions qui supposent souplesse et adaptation plutôt que centralisation : la " taille unique " imposée d'en haut confond trop souvent égalité et uniformité.
C'est ensuite un espace d'appropriation sociale indispensable des réformes : alors même que beaucoup ont le sentiment de subir les changements, alors que les centres de pouvoir semblent s'éloigner de la réalité vécue par les salariés, la négociation collective réintroduit de la décision au bon niveau et donne à chacun les moyens de reprendre pied dans son destin.
En somme, dans un contexte marqué par le recul des formes de participation à la vie collective, le dialogue social est tout à la fois un art de la réforme, un apprentissage collectif de la responsabilité et une mise en mouvement de la démocratie participative. Il ne consiste pas à anesthésier les rapports de force : à l'inverse, il organise la confrontation des intérêts de manière à trouver des compromis profitables à tous et à se prémunir ainsi des égoïsmes corporatistes. En cela, le dialogue social est incontournable dans la recherche de l'intérêt général.
Reste que la réussite d'une politique de dialogue social est suspendue à plusieurs exigences à satisfaire impérativement. La première concerne le temps du dialogue social. Nos relations sociales souffrent depuis trop longtemps d'une culture de la décision politique qui, pour faire événement, brûle bien souvent les étapes de la concertation et de la négociation. Le dialogue social n'est pas une grand- messe de vingt-quatre heures. C'est une course de fond qui ne s'accommode pas du sprint politique : construire des compromis prend certes du temps, mais c'est un temps gagné sur l'incompréhension et les blocages qu'engendrent régulièrement les décisions tranchantes et les décrets univoques. La deuxième exigence touche à l'usage politique du dialogue social. Qu'un gouvernement cherche à en tirer bénéfice est dans l'ordre des choses. Mais le dialogue social doit être conçu comme une démarche globale et constante. Rien ne serait pire qu'une sollicitation à géométrie variable : aux partenaires sociaux les "patates chaudes" et aux politiques les plats sûrs et "rentables". Le dialogue social ne serait alors rien d'autre qu'une échappatoire politique ; on aurait confondu démocratie sociale et instrumentalisation de la société civile.
La troisième exigence concerne l'espace du dialogue social. Quelle doit être l'articulation des compétences entre ceux qui négocient des accords collectifs et ceux qui font la loi ? Il ne s'agit pas de tracer entre eux une nouvelle ligne Maginot ou d'affirmer la supériorité du contrat sur la loi. Il s'agit d'organiser une "nouvelle donne" qui laisse leur chance à la négociation et à la prise de responsabilités au plus près du terrain, des besoins, des attentes et des difficultés.
Il revient au gouvernement de prendre l'initiative de cette clarification devant l'Assemblée. La tentation de court-circuiter la négociation pourrait être d'autant plus grande demain que la nouvelle majorité parlementaire est large et confortable. Le dialogue social n'y survivrait pas longtemps.
La quatrième exigence, peut-être la plus décisive, est de réformer les règles de la négociation collective. Si tout le monde s'accorde à donner plus de responsabilités aux partenaires sociaux, il faut alors inévitablement renforcer leur légitimité. Chacun sait que la signature d'une seule des cinq centrales qui bénéficient d'une présomption de représentativité suffit à valider un accord collectif. Ce système est aujourd'hui caduc. Il fragilise le dialogue social : les accords signés, souvent minoritaires, sont systématiquement contestés. Il encourage l'irresponsabilité et la division : puisqu'il suffit qu'un syndicat signe, d'autres se sentent confortés dans une attitude de spectateur toujours critique, jamais engagé. Il favorise un syndicalisme aux "mains blanches", laissant à d'autres le soin de les mettre dans le cambouis.
Cette hypocrisie fonctionne bien : la signature d'un seul permet d'engranger des acquis qu'en privé personne ne boude. Mais elle n'a que trop duré. Le dialogue social, pour être efficace, doit être organisé autrement. C'est pourquoi la CFDT défend la solution de l'accord majoritaire. Pour qu'un accord soit valide, il faudra qu'il ait été signé par une ou plusieurs organisations représentant plus de la moitié des salariés de l'entreprise ou d'un même secteur d'activité. Il faudra à cet effet organiser une élection de représentativité, dans toutes les entreprises de chaque branche professionnelle, afin de mesurer le poids de chaque organisation. Une élection ouverte à tous les syndicats, sans exclusive.
Ce système a plusieurs avantages.
Il permettra d'abord de responsabiliser les partenaires sociaux : ceux qui ne signent pas, comme ceux qui signent, devront alors s'expliquer devant les salariés sur leur choix, au regard du contenu de l'accord, et prendre leur part dans les échecs et les réussites. Cette dynamique favorisera la coopération plutôt que la division, l'engagement plutôt que le refus, le changement plutôt que l'immobilisme. Enfin et surtout, ces nouvelles règles seront un formidable atout pour resserrer les liens entre salariés et syndicats : aux premiers, la responsabilité de donner leur voix à l'organisation la mieux capable, à leurs yeux, de bien négocier avec l'employeur. Aux seconds, l'obligation de rendre des comptes sur la confiance ainsi donnée.
En somme, le dialogue social exige plus que la simple volonté de discuter : il appelle une architecture et des règles nouvelles. Le rôle des responsables politiques est de donner les impulsions nécessaires à cette réforme fondamentale dont les enjeux sont tout autant sociaux que politiques : le 21 avril a montré combien il était urgent de revitaliser les modes de participation à la vie collective.
Au final, le dialogue social est la seule voie possible. La déclaration de politique générale du premier ministre nous dira si ce gouvernement a entendu le message.
(source http://www.cfdt.fr, le 19 juillet 2002)