Déclaration de M. Georges Sarre, porte-parole du Pôle Républicain, sur son analyse des résultats des élections présidentielle et législative et sur la position de son mouvement dans le débat politique, Paris, le 25 juin 2002.

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J'invite aujourd'hui toutes celles et tous ceux qui ont rejoints les comités de soutien à Jean-Pierre Chevènement à se réunir pour débattre. Le temps des analyses, des explications, du débat est venu. Il faut aller jusqu'au bout. Que les bouches s'ouvrent et que la volonté de se rassembler sur des bases claires se traduise dans les textes et les actes.
Après les quatre épisodes électoraux que nous venons de vivre - et dont absolument personne n'avait prévu les résultats - le premier devoir est d'en tirer les enseignements.
Le premier de ceux-ci est une confirmation de la désaffection profonde des Français à l'égard de la politique telle qu'elle s'est pratiquée ces dernières années. Le succès massif des chiraquiens, obtenu dans un climat général de désenchantement, de résignation, d'abstention massive, n'est en aucun cas le signe d'une adhésion populaire.
Moins de 20 % des voix pour un Président de la République candidat à sa réélection est le score le plus bas jamais enregistré ; l'absence de candidat de gauche au second tour montre que l'opinion a plus maltraité encore les socialistes et le premier ministre sortant.
Jean-Pierre Chevènement avait bien vu depuis longtemps que la France en avait assez de cette droite qui avait trahi la Nation, de cette gauche qui avait oublié le peuple, et qui s'accordaient assez bien pour accompagner la mondialisation libérale tant la fracture allait en s'alourdissant sans cesse pour les couches populaires.
La ligne politique qu'il avait proposée, de revenir en tout et pour tout aux valeurs de la République, le positionnement qu'il avait adopté de se présenter comme l'homme de la Nation, indépendant de toutes les factions tout cela a dans un premier temps éveillé dans l'opinion un réel intérêt. Enfin, on découvrait une autre perspective que celle d'une alternance succédant à une autre.
Mais le système n'a pas " turbulé ". Il a réagi avec brutalité. Chirac d'abord, Jospin ensuite, obligés d'entrer en campagne plus tôt que prévu, ont alors occupé les médias. La marginalisation des autres candidats et en particulier de Jean-Pierre Chevènement a été méthodiquement organisée par un grand matraquage médiatique sur le thème du duel prétendu inévitable au second tour entre Chirac et Jospin ; ce duel dont précisément l'opinion ne voulait pas. Dans un tel contexte un score supérieur à 5 %, à l'issue d'une bonne campagne peut être regardé comme très honorable et prometteur pour l'avenir.
Le premier tour des présidentielles, sans véritable débat politique, déterminait par avance les résultats des trois autres scrutins. Eliminant Le Pen. Refusant la cohabitation, les Français ne pouvaient envoyer à l'Assemblée nationale une majorité hostile au Président. Le cadre du scrutin majoritaire a fait le reste, permettant au parti socialiste et dans quelques circonscriptions, au parti communiste, de limiter les dégâts et laminant les Verts, sauf à Paris, ainsi que le Pôle républicain. Le Président et l'Assemblée issus de ces scrutins marqués par la confusion et le désintérêt ne sont en aucun cas représentatifs de l'opinion.
Les vainqueurs contrôlent certes l'ensemble des pouvoirs publics. Mais le pays ne les appuie pas et les jugera à leurs actes. Les vaincus, si lourde soit la défaite, ne sont pas sans appuis ni sans espoir.
Comment se caractérise aujourd'hui la situation du pays et celle de notre mouvement ?
La République est-elle en crise ? La France est-elle menacée ?
Je continue à penser que, malheureusement, notre analyse est juste. Les Français sont-ils conscients de cette situation ? Ils la ressentent profondément, mais ils n'arrivent pas à l'exprimer. A l'élection présidentielle, les candidats hors système ont recueilli plus de 40 % des suffrages exprimés. 40 % des chômeurs qui ont voté, 30 % des ouvriers qui ont voté, 20 % des jeunes qui ont voté, ont mis dans l'urne un bulletin au nom de Jean-Marie Le Pen.
Il existe en France un fort sentiment diffus de crise profonde. Nos concitoyens protestent dans le brouillard. Il est encore trop épais. Nous n'avons pas eu les moyens de le dissiper.
Notre analyse est juste à quelques nuances près. Notre tactique ne pose pas de problèmes majeurs. Reste donc à examiner notre stratégie. Celle-ci consistant à dire que, au-dessus de la droite, au-dessus de la gauche, il y a la République. Nous voulions donc rassembler les républicains quelle que soit la rive dont ils venaient. Nous n'avons pas été compris. Tout au moins, les Français ont compris que nous disions ni droite, ni gauche. Ils ne s'y sont pas retrouvés. La conséquence fut brutale aux élections législatives.
Je ne vais pas maintenant m'interroger pour savoir si le clivage entre la droite et la gauche est toujours pertinent. Je sais seulement qu'il existe toujours profondément dans les mentalités. Je dirai même que, d'une certaine façon, nos concitoyens qui se réclament de la gauche sont les plus viscéralement attachés à l'appartenance à ce camp, à cette tradition.
Pourtant, on peut aussi se demander si une grande partie des couches populaires se retrouve encore dans la gauche telle qu'elle est devenue en ces deux décennies, au cours desquelles elle a exercé le pouvoir pendant trois fois cinq années consécutives. Les couches populaires, surtout dans le nord et l'est de la France, ont massivement quitté la gauche classique pour se réfugier dans la protestation. Pour une bonne part, celle-ci s'est donc manifestée par l'abstention ou par le vote pour le Front National.
La droite libérale et le Parti socialiste avec ses alliés se disputent les 20 % d'inclus dans la société en cours de mondialisation, en prenant quelques mesures plus spectaculaires qu'efficaces en direction des 20 % d'exclus. Mais, ils laissent à leurs craintes et à leurs frustrations les 60 % de reclus. Les ouvriers, les employés et d'autres n'ont plus de parti, n'ont plus d'expression politique. Bien évidemment, tout cela est en tendance et en mouvement. C'est naturellement vers ceux là que nous devons prioritairement nous tourner. C'est je le crois notre objectif prioritaire.
Dans ce contexte et dans les conditions difficiles - il faut le reconnaître - qui sont les nôtres, nous devons nous atteler à la construction d'une organisation se déclarant ouvertement être la gauche républicaine. Une gauche fidèle à elle-même est d'abord patriote. L'internationalisme ne se confond pas avec le mondialisme : dans internationalisme, il y a nation et c'est déterminant. La gauche doit être surtout populaire. Elle ne peut exister qu'en étant l'expression de tous ceux qui travaillent ou qui sont provisoirement exclus.
Rien dans les annonces du gouvernement actuel ne laisse augurer qu'il se prépare à apporter des réponses adaptées. Seul le retour aux valeurs de la République apportera ces réponses : valeurs de citoyenneté et de laïcité ; valeurs de liberté et de responsabilité politique ; valeurs d'égalité, de fraternité, de solidarité.
N'oublions jamais que la République est sociale ou qu'elle n'est pas. Pas de République sans priorité à l'éducation et à la formation, sans protection sociale, sans redistribution en faveur des plus démunis.
Mais la République, ce n'est pas non plus la démagogie, le laxisme face à l'insécurité, l'acceptation passive des orientations européennes actuelles, conduisant à désarmer les pouvoirs publics démocratiquement élus face aux marchés financiers, à démanteler les services publics. Quand la gauche se laisse aller dans cette direction, elle ne répond pas aux attentes populaires.
Notre devoir aujourd'hui est de continuer à défendre fermement les valeurs de la République. Adressons-nous prioritairement à ces couches nombreuses de la population qui se sentent étrangères au système politique actuel et le manifestent en s'abstenant ou parfois en si réfugiant dans ces votes protestataires : les ouvriers, beaucoup d'employés, des patrons et des salariés de petites entreprises, et parmi eux tout particulièrement les jeunes.
Nous n'avons pas encore réussi à leur faire comprendre que la promesse d'un avenir est la réponse à leurs inquiétudes, la sauvegarde de leurs intérêts. Organisons-nous maintenant pour y réussir.
Le gouvernement actuel n'attend que l'audit sur les finances publiques pour feindre de découvrir que leur situation oblige à tourner le dos aux promesses du candidat Chirac. Nous avons un premier avant goût de ses orientations anti-sociales avec la hausse des cotisations sociales et les baisses d'impôts privilégiant les contribuables les plus fortunés. Nous nous situerons dans une opposition vigilante et résolue.
Notre mouvement n'a pas à reprendre au sein d'une gauche plurielle qui a cessé d'exister la place que le Mouvement des citoyens avait cessé d'y occuper depuis de longs mois. Mais il doit être attentif aux débats qui commencent à s'ouvrir dans les autres organisations, tout particulièrement, mais non pas bien sûr exclusivement celles de l'ancienne gauche plurielle. Il devra veiller à conserver son autonomie, son analyse, son projet et à refuser tout sectarisme en restant ouvert à tous les républicains. Se positionner sans ambiguïté sur l'axe gauche-droite ne diminuera en rien notre capacité de rassembler.
Le congrès que nous tiendrons à la fin de l'année devra permettre d'approfondir les valeurs républicaines dans le contexte nouveau, d'organiser notre mouvement de la gauche républicaine - l'appellation est à inventer- en vue de leur défense et d'ouvrir les voies du dialogue avec toutes les forces politiques et sociales intéressées à ces valeurs.

(source http://www.georges-sarre.net, le 1 juillet 2002)