Déclaration de Mme Corinne Lepage, ministre de l'environnement, sur la politique de développement durable de la France et les priorités d'action de la Commission du développement durable (eau, climat, biodiversité) New York le 8 avril 1997.

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Circonstance : 5ème session de la Commission du développement durable à New York le 8 avril 1997

Texte intégral

Le ministre néerlandais ayant exprimé les vues de l'Union européenne sur ce que devrait être l'avenir de notre commission et de ses travaux, permettez-moi de consacrer mon intervention à quelques thèmes particuliers, dont l'importance me paraît prioritaire.

Monsieur le Président,
En dépit d'efforts indéniables depuis Rio, il reste beaucoup à faire pour que les phénomènes économiques et sociaux qui menacent la paix du monde, qui empêchent la majorité des hommes de dépasser le stade de la lutte pour la survie, ou qui dégradent notre planète au point d'y mettre en danger la vie, soient durablement enrayés. Nous avons maintenant identifié les activités humaines dont l'expansion incontrôlée affecte les équilibres écologiques majeurs. Nous avons trouvé la méthode qui devait nous permettre de parvenir à une nouvelle étape de notre histoire, celle du développement durable. Mais nous sommes encore loin d'avoir mis en oeuvre les moyens de cette ambition, pourtant vitale. Le rendez-vous de New York en juin prochain doit être l'occasion de dépasser les échanges de vues. Il doit permettre à nos chefs d'Etat et de gouvernement de donner une impulsion déterminante à la mise en oeuvre des principes du développement durable. Tel est l'esprit dans lequel mon gouvernement aborde cette nouvelle session de la Commission du développement durable.

Monsieur le Président,
Chaque gouvernement doit commencer par faire dans son pays ce qu'il est en son pouvoir d'accomplir pour contribuer à réunir les conditions d'un développement durable. Nous savons tous que les pays les plus riches sont aussi ceux qui consomment le plus de ressources naturelles et contribuent le plus aux pollutions qui nous affectent. C'est donc à eux que revient la responsabilité principale dans cette affaire. Conscient de cette vérité, et convaincu que l'on ne peut modifier durablement les principales tendances sans l'effort de chaque individu et de chaque groupe social, le gouvernement français a engagé depuis Rio une action en profondeur, pour que l'idée du développement durable s'impose dans l'esprit des Français comme un objectif aussi important que la démocratie, la liberté, ou l'égalité.

Cette politique s'est développée depuis septembre 1995 et a culminé avec l'organisation d'Assises du développement durable. Dans chaque région française, les représentants de l'Etat et des collectivités décentralisées, des associations et des forces vives de la nation ont participé aux Assises du développement durable, destinées à lancer un grand débat national sur la signification et les implications pratiques de cette notion. Au total, plus de 15000 personnes ont été ainsi mobilisés au cours de ces réunions qui se sont tenues en 1996. J'ai pour ma part, à la demande du Premier ministre, consulté tous les groupes identifiés par l'Agenda 21 comme acteurs principaux, afin de les mobiliser et de recueillir leurs vues. J'ai également engagé une opération de réflexion et de synthèse dans l'ensemble des ministères français, pour qu'ils proposent des mesures nouvelles en vue du développement durable. En outre, la Commission française du développement durable a établi un rapport comportant des propositions qui a servi de base à l'élaboration d'une stratégie du développement durable. Ces initiatives ont abouti, en décembre 1996, à des Assises nationales du développement durable, au cours desquelles le bilan de ces travaux a été dressé. Le Premier ministre y a présenté la stratégie française du développement durable, qui fera l'objet au cours des prochaines semaines d'un plan d'action du gouvernement, soumis à l'approbation du Parlement. Je tiens les principaux actes des assises et le texte de la stratégie française à la disposition de ceux qui le souhaitent.

J'ai souhaité développer ce thème en mobilisation des personnes de toutes origines : industriels, agriculteurs, enseignants, scientifiques, intellectuels, hommes politiques, médecins et syndicalistes, parce qu'il me paraît important de se souvenir qu'on ne décrète pas plus le développement durable qu'aucun autre changement profond de société. Nous appelons nos pays à une nouvelle révolution culturelle, au passage de la société de consommation et de la production de masse à la société soucieuse de la qualité autant que de la quantité, et consciente de ses responsabilités écologiques envers les générations futures.

Monsieur le Président.
Cet effort national doit coexister avec une action déterminée en vue de construire des solidarités internationales solides. Chacun sait à quel point la France est attachée à la construction communautaire, ainsi qu'à l'édification progressive d'une Europe élargie. Le développement durable doit être l'un des maîtres-mots de cette construction. Ceci vaut également pour les pays d'Europe centrale et orientale, dont la progressive modernisation économique doit être accompagnée d'un volet environnemental suffisamment ambitieux.

Mais nous voulons maintenir et consolider aussi d'autres liens. C'est la raison qui a inspiré la création du Fonds français pour l'environnement mondial, décalque bilatéral de l'instrument multilatéral, le Fonds pour l'environnement mondial. C'est aussi la raison pour laquelle nous souhaitons que le prochain sommet des pays ayant en commun l'usage du français, qui se réunira à Hanoï en novembre prochain, soit l'occasion de discuter des voies et moyens d'une meilleure mise en oeuvre des principes de Rio. Les ministres francophones présents à New York se rencontreront sur ce thème dès demain. Cela me paraît une occasion favorable, car du partage d'une même langue, vecteur de culture, résulte une communauté de vues et la possibilité d'engager en commun des actions originales.

Monsieur le Président,
Mon pays souhaite voir la Commission du développement durable adopter, à partir de maintenant, une nouvelle attitude, plus à même à notre avis de favoriser la réalisation internationale du développement durable. Pour cela, il faut que la session extraordinaire adopte un programme de travail tourné vers l'action. Chaque année, la Commission du développement durable devrait être saisie d'un ou deux thèmes transversaux. Il lui reviendrait de les discuter dans tous leurs aspects, y compris financiers et technologiques. Ceci n'exclurait pas les débats généraux sur les transferts de techniques ou les financements. Ils sont fondamentaux et nous devrons veiller, par exemple, à ce que figurent en bonne place dans nos recommandations la reconstitution au niveau approprié des ressources du Fonds pour l'environnement mondial et la lutte contre la pauvreté. Mais il faut dépasser cette étape et aborder très concrètement les questions qui se posent à nos pays, veiller, thème par thème, à ce que les engagements de Rio soient tenus par tous. Telle est, pour nous, la condition pour que l'on dépasse les discussions abstraites et que l'on s'engage de façon sérieuse dans la réalisation des programmes jugés prioritaires.

Je prendrai pour seul exemple celui de l'eau.
Les rapports de la Commission du développement durable ont entériné les travaux de nombreux groupes d'experts, qui tous insistent sur la gravité de la situation et la nécessité d'une réforme profonde et radicale de la façon dont l'eau est utilisée, que ce soit dans les pays richement dotés ou dans ceux qui ne le sont pas. Nous savons que la plupart des maladies humaines sont provoquées par une eau impropre à la consommation. Nous savons que, dans l'état actuel des relations internationales, les problèmes de partage des eaux sont susceptibles de provoquer des conflits armés entre des dizaines de pays. L'utilisation abusive des nappes phréatiques ou des pollutions incontrôlées mettent en danger l'approvisionnement de régions entières. Des travaux pharaoniques entrepris de par le monde assèchent des mers intérieures, perturbent durablement les équilibres écologiques de régions entières. Le moment est venu de recenser les nombreuses initiatives qui ont vu le jour ces dernières années pour faire face à cette situation, de leur donner la priorité qu'elles méritent, et de les compléter ou les renforcer là où cela est nécessaire, afin qu'elles débouchent sur une nouvelle gestion des ressources en eau.

C'est pourquoi nous souhaitons, avec nos partenaires de l'Union européenne, que l'eau figure parmi les thèmes prioritaires de la Commission du développement durable dès 1998. La France a l'intention de présenter d'ici là des propositions concrètes pour un programme d'action, destiné à ce que des progrès décisifs soient accomplis d'ici dix ans, dans les pays développés aussi bien que dans les pays en développement, avec l'aide des institutions internationales d'aide au développement, mais aussi la participation active des gouvernements, des pouvoirs locaux, des entreprises, des associations et des particuliers.

D'autres sujets auraient mérité des développements particuliers. Je pense notamment à l'importante question de l'internalisation des coûts environnementaux, sur laquelle nous devons ensemble progresser. Je pense également au travail pionnier de construction d'indicateurs synthétiques du développement durable dans lequel se sont lancées les Nations unies. Mon pays a choisi de se porter pays test et de travailler en commun avec la Tunisie sur cette question en exemple de coopération Nord-Sud sur des sujets concrets.

Monsieur le Président,
Il importe que nous fassions aussi le bilan de l'effort accompli pour construire un droit universel de l'environnement, et donner vie aux textes sur le changement climatique, la biodiversité et la désertification, ainsi que de progresser en ce qui concerne les forêts.

L'Union européenne a annoncé les efforts qu'elle était prête à accomplir pour inverser la courbe des émissions de gaz à effet de serre et dissiper ainsi la menace de changements climatiques dont les effets sur notre planète seraient tout simplement incommensurables. Nous prenons ce faisant nos responsabilités et n'estimons pas y avoir un mérite particulier. En revanche, il serait tragique que les autres pays développés qui contribuent substantiellement aux émissions de ces gaz s'abritent derrière des difficultés de politique intérieure et conduisent la Conférence de Kyoto à l'échec. Si leurs opinions publiques ne croient pas à la réalité des menaces que fait peser le maintien des progressions actuelles, il leur revient de les éclairer. Nous ne comprendrons pas que l'on rate ce rendez-vous. Nous sommes convaincus que la session de juin doit être l'occasion d'annoncer ce que chacun a l'intention de faire, afin de faciliter le travail des négociateurs du Protocole de Kyoto. Quant aux pays en transition et aux pays en développement, dont deux au moins sont déjà parmi les plus importants émetteurs de ces gaz, certes ils sont en droit d'attendre, avant de s'engager dans des politiques de maîtrise des émissions de gaz au changement climatique ne dépend pas du plus ou moindre bon droit des pays émetteurs, et au bout du compte, si nous n'inversons pas les courbes, nous en subirons tous les conséquences, sans circonstances atténuantes.

La convention sur la biodiversité doit à nos yeux devenir le cadre de référence autour duquel s'organiseront les efforts de conservation et de protection de la diversité du vivant. C'est dans cet esprit que 1a France a élaboré un programme d'action pour la faune et la flore sauvage. En outre, la science fait des progrès rapides et il est du devoir des gouvernements de tirer les conséquences diplomatiques et commerciales des techniques de transformation du vivant dont nous observons les avancées permanentes. Ceci a conduit mon gouvernement à prendre, à titre national, des mesures exceptionnelles concernant la production d'organismes génétiquement modifiés et à inciter l'Union européenne à aller de l'avant en ce qui concerne la réglementation du transport international et de la commercialisation de ces produits. Nous participons avec un intérêt particulier à la négociation du protocole sur la biosécurité, et estimons qu'il devra se fixer des objectifs ambitieux, non pas pour entraver le commerce, mais pour garantir l'information des consommateurs et, surtout, la sécurité des hommes et la préservation de la biodiversité.

S'agissant enfin de la forêt, je souhaite simplement rappeler ici que la France agit en faveur de l'adoption rapide d'un instrument juridique contraignant pour la conservation des forêts, dont le rythme de disparition nous alarme. Ma délégation aura l'occasion de s'exprimer en détail sur cette question le 10 avril.

Monsieur le Président, je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 novembre 2001)