Texte intégral
Mesdames et Messieurs les ambassadeurs, Excellences,
Mesdames et Messieurs les directeurs,
Mesdames, Messieurs,
Temps privilégié de rencontres et d'échanges, réunion exceptionnelle de l'ensemble de nos représentants diplomatiques venus d'horizons si divers, la Conférence des Ambassadeurs constitue désormais une occasion attendue et privilégiée d'émergence et de partage de réflexions transversales, prémisses de l'action au service du rayonnement de notre pays. Ces réflexions sont nourries du brassage des cultures et des points de vue, dans un esprit de large ouverture et de dialogue. J'exprime ici toute ma gratitude à mes collègues du gouvernement, Messieurs Dominique de Villepin, Pierre-André Wiltzer et Madame Noëlle Lenoir pour leur aimable invitation.
Pour sa dixième édition, la Conférence a comme fil directeur la notion de puissance, puissance des Etats, puissance des Nations dans un monde en mouvement. Je suis particulièrement heureuse et honorée de participer avec vous à ce déjeuner-débat consacré à la formation des élites scientifiques et de vous adresser, en ouverture, ces quelques mots. Je me réjouis de l'occasion qui m'est donnée de vous rencontrer dans ce cadre prestigieux et de vous saluer au nom de l'ensemble de la communauté scientifique, universitaire et de l'innovation.
Notion bien changeante que celle de puissance, dans un monde qui a vu, il y a presque un an, la plus forte d'entre les puissances qui ait sans doute jamais existé basculer en quelques secondes dans l'horreur terroriste et le désarroi et, avec elle, une partie du monde. Notion chargée d'enjeux stratégiques également puisque bien souvent la puissance est comprise comme le pouvoir d'imposer, si besoin par la force, sa volonté ou, mieux, comme la capacité à résister à une volonté, perçue comme abusive, des autres. La "puissance", c'est avec "l'acte", l'une des deux modalités de l'être, comme nous le rappelle Aristote. Etre en puissance quand on est faible ou insuffisamment performant, c'est contenir en soi la promesse de croître. Quel plus beau programme pour notre pays, pour nos élites scientifiques, que de passer de la puissance à l'acte, des promesses à la réalité ?
Les grands enjeux de la formation des élites scientifiques
Dans un monde de plus en plus ouvert à la circulation rapide des compétences et des savoirs, la formation des élites scientifiques et la capacité de les retenir constituent des enjeux majeurs de la compétition internationale des Nations. Car la recherche et l'innovation sont aujourd'hui, plus que jamais, des moteurs du développement économique, culturel et social. La mondialisation des échanges ne s'applique pas, en effet, uniquement aux biens de consommation ou aux matières premières : elle touche également les connaissances scientifiques et techniques. Répondre efficacement à cette circulation accrue des savoirs et des compétences suppose nécessairement de mener une réflexion sur les méthodes de régulation de ces flux, au nombre desquelles figurent, bien évidemment, le développement des coopérations scientifiques internationales.
De façon paradoxale, la mobilité des élites scientifiques au niveau mondial est plus souvent envisagée en termes de "fuite des cerveaux" qu'en termes de chance pour le développement. Cette situation est, pour une large part, due aux inquiétudes que peut susciter la suprématie américaine dans le domaine de la formation des élites. Les Etats-Unis attirent, en effet, dans leurs universités, centres de recherche et entreprises innovantes des chercheurs venus aussi bien des pays en émergence ou en développement que d'Europe et, en particulier, de France. Ainsi, en 1998, 50 % des scientifiques européens qui allaient aux Etats-Unis pour se former au plus haut niveau de compétence universitaire s'y installaient définitivement après l'obtention d'un doctorat. Naturellement, nous n'avons rien d'équivalent parmi les quelques étudiants américains qui viennent étudier en Europe. Et vous savez bien que nous ne souhaitons pas que les étudiants étrangers des autres pays qui font le même mouvement vers l'Europe ne participent pas en retour au développement de leur pays d'origine.
La France, comme ses partenaires européens, doit faire face au défi que constitue le très inquiétant ralentissement démographique de notre continent : former des élites scientifiques suppose, dans cette perspective, d'anticiper pour les années à venir le déficit de chercheurs et d'ingénieurs en formant en France et à l'étranger les compétences dont les pays partenaires, tout autant que nous, ont besoin, mais également en offrant aux entreprises implantées à l'étranger des chercheurs et ingénieurs de grande qualité dans un environnement toujours plus internationalisé.
A l'heure où un renouvellement important des effectifs de chercheurs et enseignants-chercheurs des établissements publics de recherche est en cours, il est, par ailleurs, impératif d'attirer les jeunes - filles et garçons - vers les formations scientifiques et techniques les plus avancées et, pour les plus brillants et les plus motivés d'entre eux, vers les métiers de la recherche en leur donnant les moyens de s'y épanouir professionnellement.
Il s'agit pour la France, avec cet objectif, de viser l'excellence dans un pari renouvelé sur l'intelligence.
Favoriser la coopération universitaire, tirer parti des expériences d'échanges bilatéraux ou multilatéraux tels que vous avez pu les observer dans vos postes respectifs, promouvoir le brassage des cultures dans un esprit d'ouverture à l'autre et d'aide au développement, voilà autant d'enjeux qui s'offrent à nous aujourd'hui.
Je suis convaincue, pour ma part, que les orientations de notre politique de recherche et notre mobilisation en faveur de l'innovation conditionneront dans les décennies à venir l'influence et le rayonnement de la France en Europe et dans le monde.
Les outils
La politique de formation des élites scientifiques s'appuie d'un côté sur la formation initiale des étudiants à travers des coopérations universitaires, des programmes de bourses ou d'échanges entre la France et l'étranger et, de l'autre, sur la formation à la recherche par des coopérations scientifiques et des échanges de chercheurs doctorants ou post-doctorants.
La formation initiale en Europe et en France
Suite attendue d'un dispositif engagé dans le processus de la déclaration de la Sorbonne et des conférences de Bologne et Prague, le système européen de diplômes est en cours d'élaboration: il prévoit à terme rapproché l'harmonisation des diplômes européens suivant une architecture comportant trois niveaux, cohérents avec le reste du monde et facilitant ainsi la mobilité des étudiants, je veux parler du schéma "licence / mastère / doctorat".
Cette harmonisation viendra soutenir efficacement les formules d'échanges existantes : diplômes conjoints ou doubles diplômes. L'université Franco-Allemande offre une illustration exemplaire des réalisations rendues possibles par le tissage de ces réseaux entre les pays européens.
Grâce à l'essor de l'accueil des étudiants étrangers en France et de la coopération universitaire, la France est aujourd'hui, avec 195 000 étudiants étrangers environ, le deuxième pays d'accueil des étudiants étrangers en Europe après le Royaume-Uni. Longtemps espace de formation privilégié du monde francophone, africain particulièrement, la France a largement ouvert ses universités à l'Europe. Elle attire également de nouveaux publics en provenance des grands pays émergents d'Asie et, dans une moindre mesure, d'Amérique latine dont les effectifs enregistrent la progression la plus forte.
La mise en place, par le Ministère des Affaires Etrangères, de programmes de bourses d'excellence (Eiffel, Major, Duo), destinées aux meilleurs candidats sélectionnés par les universités et les grandes écoles constitue un levier puissant de la politique d'ensemble d'échanges et de coopérations universitaires.
Des fonds conjoints sont par ailleurs créés en partenariat avec les universités américaines les plus prestigieuses comme le MIT ou les universités de Berkeley et Stanford pour n'en citer que quelques-unes.
Des expériences d'envergure d'universités privées associant capitaux privés et publics comme l'Université française d'Egypte qui accueillera à l'automne sa première promotion ou l'Université française du Vietnam en gestation sont également en cours de réalisation.
Nous devons absolument faire mieux connaître et comprendre les cursus français et leurs équivalences internationales tout en soulignant les points forts de nos formations capables d'enrichir un parcours par une spécialisation absente des programmes d'enseignement des pays partenaires.
Dans ce contexte, l'agence Edufrance a récemment vu ses activités recentrées afin de promouvoir l'offre universitaire française et d'attirer en France des étudiants de haut niveau dans les 2ème et 3ème cycles - mission qui, naturellement, doit être vigoureusement relayée à l'étranger par le réseau culturel - et parallèlement de mettre en place les modalités d'un accueil de qualité des étudiants étrangers.
Première étape de la formation des élites scientifiques, la formation universitaire débouche ensuite, pour les étudiants les plus dynamiques et les plus brillants sur la recherche, qu'elle soit fondamentale ou appliquée.
La formation à la recherche en Europe et en France
La politique de formation des élites scientifiques s'intègre dans le dispositif européen et en particulier dans les mesures prises pour accroître les ressources humaines, pour attirer notre jeunesse vers les sciences et les techniques et lutter ainsi contre la "fuite des cerveaux" vers d'autres puissances. Le 6ème PCRD va ainsi consacrer, sur 4 ans, près d'1,6 milliards d'euros à la formation et à la mobilité des chercheurs, ce qui représente un doublement de la part des fonds par rapport au précédent programme-cadre (1998-2002).
De plus, le 6ème programme-cadre prévoit l'attribution de bourses à des chercheurs de très haut niveau venus des pays non européens.
Dans le cas des pays émergents ou en développement, une assistance aux boursiers pourrait faciliter leur retour dans leur pays d'origine. Enfin, pour la première fois, les chercheurs européens qui auront effectué des recherches hors d'Europe pourront bénéficier, à certaines conditions, de dispositions particulières pour leur retour en Europe.
Au niveau national il existe de très nombreux outils de coopération qui vous sont familiers : les programmes d'action intégrées (PAI), les programmes d'actions internationaux de recherche scientifique (PICS), les laboratoires mixtes et les futurs programmes de recherche en réseaux, pour n'en citer que quelques-uns.
Les organismes de recherche français dans leur ensemble ont développé des procédures leur permettant de recruter des chercheurs et enseignants-chercheurs de nationalité étrangère. Des chercheurs étrangers peuvent également être accueillis pour des séjours de courte ou de longue durée effectués à des fins de formation ou de recherche. Ainsi, en 2000, le CNRS comptait un peu plus de 5% de chercheurs étrangers dans sa population globale, originaires pour les 2/3 d'Europe et pour près de 15% des Etats-Unis. L'Institut Pasteur, pour sa part, compte près d'1/3 de chercheurs étrangers, alors que le CIRAD a vu en 2001 ses effectifs de chercheurs étrangers augmenter de 20% par rapport à l'année précédente.
Au travers de cet état des lieux de l'offre de formation initiale et à la recherche telle qu'elle se décline à l'échelle de l'Europe et à celle de la France, une ligne de force se dégage : la recherche de l'excellence des formations et des candidats.
Vous comprendrez aisément qu'il m'est impossible de citer, dans le cadre de cette intervention, tous les éléments d'un dispositif d'une grande richesse ; je compte sur vous pour nourrir notre réflexion des informations et suggestions que votre expérience vous aura permis de recueillir.
Perspectives
Sans formation des élites, il n'est pas de développement économique et social durable qui puisse être envisagé. Il n'est, surtout, pas de progrès partagé en direction des pays en développement. La France a en effet le devoir, lorsqu'elle forme dans ses universités, laboratoires de recherche ou établissements d'enseignement supérieur des étudiants ou chercheurs étrangers de tout mettre en uvre pour qu'ils puissent faire bénéficier leurs pays d'origine de ces échanges.
A cet égard, nous examinons avec une grande attention les études portées à notre connaissance par le groupe de travail sur les diasporas scientifiques qui réunit des chercheurs de l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD), le directeur de l'Observatoire des Sciences et des Techniques (OST) et des responsables du Ministère des Affaires Etrangères. Les modalités concrètes d'une mobilisation accrue des chercheurs et ingénieurs expatriés au profit de leur pays d'origine sont encore mal connues ; c'est pourquoi l'état des lieux des réseaux de diasporas scientifiques et techniques, leur apport à la coopération et au développement et les outils utilisés, tels ceux relevant des technologies de l'information et de la communication, m'intéresse particulièrement.
Surtout, si nous voulons renforcer la compétitivité de la France en matière de formation à la recherche, d'accueil de jeunes chercheurs étrangers et d'incitation au retour de nos propres chercheurs, il est impératif que nous menions une réflexion approfondie sur la question de l'excellence.
Le rayonnement et l'influence de notre pays passe en effet, j'en suis persuadée, par la diffusion, en France et à l'étranger, d'une culture de l'excellence. Il ne saurait, en effet, être question de former des élites sans développer une exigence élevée à tous les niveaux. Si nous voulons attirer et retenir en France les chercheurs les plus brillants et les plus dynamiques, il est nécessaire que les universités, les établissements d'enseignement supérieur, les laboratoires de recherche, privés ou publics, bénéficient à l'étranger d'une réputation d'excellence. Or si la qualité intrinsèque de nos chercheurs et de nos établissements d'enseignement et de recherche n'est pas en jeu, peut-être leur notoriété hors de nos frontières, liée pour une part à notre fonctionnement singulier, n'est-elle pas suffisante. Il incombe donc à chacun, dans son domaine de responsabilité propre, de promouvoir cette vision forte d'une France de l'intelligence, d'une France de la performance éducative et de l'efficacité scientifique.
Etendre notre rayonnement suppose ainsi non seulement de redonner au territoire français toute son attractivité - en termes d'environnement réglementaire, fiscal, administratif notamment - mais encore d'éveiller chez tous les acteurs de la formation et de la recherche et en particulier chez les plus jeunes d'entre eux, un esprit de conquête, une exigence de dépassement, une culture de l'innovation.
Nous souhaitons également dans cette perspective susciter chez nos chercheurs installés à l'étranger le désir de revenir en France par un dispositif d'accueil actuellement en voie de finalisation et dont vous ne manquerez pas d'être prochainement informés.
Pour nous, en effet, la politique de recherche ne saurait se concevoir indépendamment d'une mobilisation en faveur de l'innovation et du transfert technologique. Une large part de la recherche se fait dans les entreprises et c'est vers elles que doivent se diriger ceux qui sont porteurs de vrais inventions, riches de développement technologiques et de performances économiques. Afin d'attirer et de retenir sur notre territoire les investissements de recherche développement des entreprises étrangères, il est de toute première importance que les universités et centres de recherche répondent pleinement à leur vocation d'aimant en cette matière. Ne négligeons pas, dans cette perspective, le formidable atout que peut représenter pour des entreprises françaises en cours d'implantation dans des pays étrangers le vivier constitué par des ingénieurs et chercheurs nationaux formés à la française. Ces deux aspects contribuent, en effet, de façon décisive à l'influence et au rayonnement de la France dans le monde.
Mesdames et Messieurs les ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les directeurs,
Mesdames, Messieurs,
Voilà les quelques réflexions que je souhaitais partager avec vous. C'est à vous que je passe maintenant la parole en formant le vu que votre expérience en poste et votre connaissance des pays et des réseaux de coopération scientifique et technologique nous permette d'actualiser, de stimuler et de rendre plus vivante notre réflexion sur la formation des élites. J'en profite pour remercier Madame Beton-Delègue pour son rôle d'organisatrice et de modératrice.
Je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.recherche.gouv.fr, le 30 août 2002)
Mesdames et Messieurs les directeurs,
Mesdames, Messieurs,
Temps privilégié de rencontres et d'échanges, réunion exceptionnelle de l'ensemble de nos représentants diplomatiques venus d'horizons si divers, la Conférence des Ambassadeurs constitue désormais une occasion attendue et privilégiée d'émergence et de partage de réflexions transversales, prémisses de l'action au service du rayonnement de notre pays. Ces réflexions sont nourries du brassage des cultures et des points de vue, dans un esprit de large ouverture et de dialogue. J'exprime ici toute ma gratitude à mes collègues du gouvernement, Messieurs Dominique de Villepin, Pierre-André Wiltzer et Madame Noëlle Lenoir pour leur aimable invitation.
Pour sa dixième édition, la Conférence a comme fil directeur la notion de puissance, puissance des Etats, puissance des Nations dans un monde en mouvement. Je suis particulièrement heureuse et honorée de participer avec vous à ce déjeuner-débat consacré à la formation des élites scientifiques et de vous adresser, en ouverture, ces quelques mots. Je me réjouis de l'occasion qui m'est donnée de vous rencontrer dans ce cadre prestigieux et de vous saluer au nom de l'ensemble de la communauté scientifique, universitaire et de l'innovation.
Notion bien changeante que celle de puissance, dans un monde qui a vu, il y a presque un an, la plus forte d'entre les puissances qui ait sans doute jamais existé basculer en quelques secondes dans l'horreur terroriste et le désarroi et, avec elle, une partie du monde. Notion chargée d'enjeux stratégiques également puisque bien souvent la puissance est comprise comme le pouvoir d'imposer, si besoin par la force, sa volonté ou, mieux, comme la capacité à résister à une volonté, perçue comme abusive, des autres. La "puissance", c'est avec "l'acte", l'une des deux modalités de l'être, comme nous le rappelle Aristote. Etre en puissance quand on est faible ou insuffisamment performant, c'est contenir en soi la promesse de croître. Quel plus beau programme pour notre pays, pour nos élites scientifiques, que de passer de la puissance à l'acte, des promesses à la réalité ?
Les grands enjeux de la formation des élites scientifiques
Dans un monde de plus en plus ouvert à la circulation rapide des compétences et des savoirs, la formation des élites scientifiques et la capacité de les retenir constituent des enjeux majeurs de la compétition internationale des Nations. Car la recherche et l'innovation sont aujourd'hui, plus que jamais, des moteurs du développement économique, culturel et social. La mondialisation des échanges ne s'applique pas, en effet, uniquement aux biens de consommation ou aux matières premières : elle touche également les connaissances scientifiques et techniques. Répondre efficacement à cette circulation accrue des savoirs et des compétences suppose nécessairement de mener une réflexion sur les méthodes de régulation de ces flux, au nombre desquelles figurent, bien évidemment, le développement des coopérations scientifiques internationales.
De façon paradoxale, la mobilité des élites scientifiques au niveau mondial est plus souvent envisagée en termes de "fuite des cerveaux" qu'en termes de chance pour le développement. Cette situation est, pour une large part, due aux inquiétudes que peut susciter la suprématie américaine dans le domaine de la formation des élites. Les Etats-Unis attirent, en effet, dans leurs universités, centres de recherche et entreprises innovantes des chercheurs venus aussi bien des pays en émergence ou en développement que d'Europe et, en particulier, de France. Ainsi, en 1998, 50 % des scientifiques européens qui allaient aux Etats-Unis pour se former au plus haut niveau de compétence universitaire s'y installaient définitivement après l'obtention d'un doctorat. Naturellement, nous n'avons rien d'équivalent parmi les quelques étudiants américains qui viennent étudier en Europe. Et vous savez bien que nous ne souhaitons pas que les étudiants étrangers des autres pays qui font le même mouvement vers l'Europe ne participent pas en retour au développement de leur pays d'origine.
La France, comme ses partenaires européens, doit faire face au défi que constitue le très inquiétant ralentissement démographique de notre continent : former des élites scientifiques suppose, dans cette perspective, d'anticiper pour les années à venir le déficit de chercheurs et d'ingénieurs en formant en France et à l'étranger les compétences dont les pays partenaires, tout autant que nous, ont besoin, mais également en offrant aux entreprises implantées à l'étranger des chercheurs et ingénieurs de grande qualité dans un environnement toujours plus internationalisé.
A l'heure où un renouvellement important des effectifs de chercheurs et enseignants-chercheurs des établissements publics de recherche est en cours, il est, par ailleurs, impératif d'attirer les jeunes - filles et garçons - vers les formations scientifiques et techniques les plus avancées et, pour les plus brillants et les plus motivés d'entre eux, vers les métiers de la recherche en leur donnant les moyens de s'y épanouir professionnellement.
Il s'agit pour la France, avec cet objectif, de viser l'excellence dans un pari renouvelé sur l'intelligence.
Favoriser la coopération universitaire, tirer parti des expériences d'échanges bilatéraux ou multilatéraux tels que vous avez pu les observer dans vos postes respectifs, promouvoir le brassage des cultures dans un esprit d'ouverture à l'autre et d'aide au développement, voilà autant d'enjeux qui s'offrent à nous aujourd'hui.
Je suis convaincue, pour ma part, que les orientations de notre politique de recherche et notre mobilisation en faveur de l'innovation conditionneront dans les décennies à venir l'influence et le rayonnement de la France en Europe et dans le monde.
Les outils
La politique de formation des élites scientifiques s'appuie d'un côté sur la formation initiale des étudiants à travers des coopérations universitaires, des programmes de bourses ou d'échanges entre la France et l'étranger et, de l'autre, sur la formation à la recherche par des coopérations scientifiques et des échanges de chercheurs doctorants ou post-doctorants.
La formation initiale en Europe et en France
Suite attendue d'un dispositif engagé dans le processus de la déclaration de la Sorbonne et des conférences de Bologne et Prague, le système européen de diplômes est en cours d'élaboration: il prévoit à terme rapproché l'harmonisation des diplômes européens suivant une architecture comportant trois niveaux, cohérents avec le reste du monde et facilitant ainsi la mobilité des étudiants, je veux parler du schéma "licence / mastère / doctorat".
Cette harmonisation viendra soutenir efficacement les formules d'échanges existantes : diplômes conjoints ou doubles diplômes. L'université Franco-Allemande offre une illustration exemplaire des réalisations rendues possibles par le tissage de ces réseaux entre les pays européens.
Grâce à l'essor de l'accueil des étudiants étrangers en France et de la coopération universitaire, la France est aujourd'hui, avec 195 000 étudiants étrangers environ, le deuxième pays d'accueil des étudiants étrangers en Europe après le Royaume-Uni. Longtemps espace de formation privilégié du monde francophone, africain particulièrement, la France a largement ouvert ses universités à l'Europe. Elle attire également de nouveaux publics en provenance des grands pays émergents d'Asie et, dans une moindre mesure, d'Amérique latine dont les effectifs enregistrent la progression la plus forte.
La mise en place, par le Ministère des Affaires Etrangères, de programmes de bourses d'excellence (Eiffel, Major, Duo), destinées aux meilleurs candidats sélectionnés par les universités et les grandes écoles constitue un levier puissant de la politique d'ensemble d'échanges et de coopérations universitaires.
Des fonds conjoints sont par ailleurs créés en partenariat avec les universités américaines les plus prestigieuses comme le MIT ou les universités de Berkeley et Stanford pour n'en citer que quelques-unes.
Des expériences d'envergure d'universités privées associant capitaux privés et publics comme l'Université française d'Egypte qui accueillera à l'automne sa première promotion ou l'Université française du Vietnam en gestation sont également en cours de réalisation.
Nous devons absolument faire mieux connaître et comprendre les cursus français et leurs équivalences internationales tout en soulignant les points forts de nos formations capables d'enrichir un parcours par une spécialisation absente des programmes d'enseignement des pays partenaires.
Dans ce contexte, l'agence Edufrance a récemment vu ses activités recentrées afin de promouvoir l'offre universitaire française et d'attirer en France des étudiants de haut niveau dans les 2ème et 3ème cycles - mission qui, naturellement, doit être vigoureusement relayée à l'étranger par le réseau culturel - et parallèlement de mettre en place les modalités d'un accueil de qualité des étudiants étrangers.
Première étape de la formation des élites scientifiques, la formation universitaire débouche ensuite, pour les étudiants les plus dynamiques et les plus brillants sur la recherche, qu'elle soit fondamentale ou appliquée.
La formation à la recherche en Europe et en France
La politique de formation des élites scientifiques s'intègre dans le dispositif européen et en particulier dans les mesures prises pour accroître les ressources humaines, pour attirer notre jeunesse vers les sciences et les techniques et lutter ainsi contre la "fuite des cerveaux" vers d'autres puissances. Le 6ème PCRD va ainsi consacrer, sur 4 ans, près d'1,6 milliards d'euros à la formation et à la mobilité des chercheurs, ce qui représente un doublement de la part des fonds par rapport au précédent programme-cadre (1998-2002).
De plus, le 6ème programme-cadre prévoit l'attribution de bourses à des chercheurs de très haut niveau venus des pays non européens.
Dans le cas des pays émergents ou en développement, une assistance aux boursiers pourrait faciliter leur retour dans leur pays d'origine. Enfin, pour la première fois, les chercheurs européens qui auront effectué des recherches hors d'Europe pourront bénéficier, à certaines conditions, de dispositions particulières pour leur retour en Europe.
Au niveau national il existe de très nombreux outils de coopération qui vous sont familiers : les programmes d'action intégrées (PAI), les programmes d'actions internationaux de recherche scientifique (PICS), les laboratoires mixtes et les futurs programmes de recherche en réseaux, pour n'en citer que quelques-uns.
Les organismes de recherche français dans leur ensemble ont développé des procédures leur permettant de recruter des chercheurs et enseignants-chercheurs de nationalité étrangère. Des chercheurs étrangers peuvent également être accueillis pour des séjours de courte ou de longue durée effectués à des fins de formation ou de recherche. Ainsi, en 2000, le CNRS comptait un peu plus de 5% de chercheurs étrangers dans sa population globale, originaires pour les 2/3 d'Europe et pour près de 15% des Etats-Unis. L'Institut Pasteur, pour sa part, compte près d'1/3 de chercheurs étrangers, alors que le CIRAD a vu en 2001 ses effectifs de chercheurs étrangers augmenter de 20% par rapport à l'année précédente.
Au travers de cet état des lieux de l'offre de formation initiale et à la recherche telle qu'elle se décline à l'échelle de l'Europe et à celle de la France, une ligne de force se dégage : la recherche de l'excellence des formations et des candidats.
Vous comprendrez aisément qu'il m'est impossible de citer, dans le cadre de cette intervention, tous les éléments d'un dispositif d'une grande richesse ; je compte sur vous pour nourrir notre réflexion des informations et suggestions que votre expérience vous aura permis de recueillir.
Perspectives
Sans formation des élites, il n'est pas de développement économique et social durable qui puisse être envisagé. Il n'est, surtout, pas de progrès partagé en direction des pays en développement. La France a en effet le devoir, lorsqu'elle forme dans ses universités, laboratoires de recherche ou établissements d'enseignement supérieur des étudiants ou chercheurs étrangers de tout mettre en uvre pour qu'ils puissent faire bénéficier leurs pays d'origine de ces échanges.
A cet égard, nous examinons avec une grande attention les études portées à notre connaissance par le groupe de travail sur les diasporas scientifiques qui réunit des chercheurs de l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD), le directeur de l'Observatoire des Sciences et des Techniques (OST) et des responsables du Ministère des Affaires Etrangères. Les modalités concrètes d'une mobilisation accrue des chercheurs et ingénieurs expatriés au profit de leur pays d'origine sont encore mal connues ; c'est pourquoi l'état des lieux des réseaux de diasporas scientifiques et techniques, leur apport à la coopération et au développement et les outils utilisés, tels ceux relevant des technologies de l'information et de la communication, m'intéresse particulièrement.
Surtout, si nous voulons renforcer la compétitivité de la France en matière de formation à la recherche, d'accueil de jeunes chercheurs étrangers et d'incitation au retour de nos propres chercheurs, il est impératif que nous menions une réflexion approfondie sur la question de l'excellence.
Le rayonnement et l'influence de notre pays passe en effet, j'en suis persuadée, par la diffusion, en France et à l'étranger, d'une culture de l'excellence. Il ne saurait, en effet, être question de former des élites sans développer une exigence élevée à tous les niveaux. Si nous voulons attirer et retenir en France les chercheurs les plus brillants et les plus dynamiques, il est nécessaire que les universités, les établissements d'enseignement supérieur, les laboratoires de recherche, privés ou publics, bénéficient à l'étranger d'une réputation d'excellence. Or si la qualité intrinsèque de nos chercheurs et de nos établissements d'enseignement et de recherche n'est pas en jeu, peut-être leur notoriété hors de nos frontières, liée pour une part à notre fonctionnement singulier, n'est-elle pas suffisante. Il incombe donc à chacun, dans son domaine de responsabilité propre, de promouvoir cette vision forte d'une France de l'intelligence, d'une France de la performance éducative et de l'efficacité scientifique.
Etendre notre rayonnement suppose ainsi non seulement de redonner au territoire français toute son attractivité - en termes d'environnement réglementaire, fiscal, administratif notamment - mais encore d'éveiller chez tous les acteurs de la formation et de la recherche et en particulier chez les plus jeunes d'entre eux, un esprit de conquête, une exigence de dépassement, une culture de l'innovation.
Nous souhaitons également dans cette perspective susciter chez nos chercheurs installés à l'étranger le désir de revenir en France par un dispositif d'accueil actuellement en voie de finalisation et dont vous ne manquerez pas d'être prochainement informés.
Pour nous, en effet, la politique de recherche ne saurait se concevoir indépendamment d'une mobilisation en faveur de l'innovation et du transfert technologique. Une large part de la recherche se fait dans les entreprises et c'est vers elles que doivent se diriger ceux qui sont porteurs de vrais inventions, riches de développement technologiques et de performances économiques. Afin d'attirer et de retenir sur notre territoire les investissements de recherche développement des entreprises étrangères, il est de toute première importance que les universités et centres de recherche répondent pleinement à leur vocation d'aimant en cette matière. Ne négligeons pas, dans cette perspective, le formidable atout que peut représenter pour des entreprises françaises en cours d'implantation dans des pays étrangers le vivier constitué par des ingénieurs et chercheurs nationaux formés à la française. Ces deux aspects contribuent, en effet, de façon décisive à l'influence et au rayonnement de la France dans le monde.
Mesdames et Messieurs les ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les directeurs,
Mesdames, Messieurs,
Voilà les quelques réflexions que je souhaitais partager avec vous. C'est à vous que je passe maintenant la parole en formant le vu que votre expérience en poste et votre connaissance des pays et des réseaux de coopération scientifique et technologique nous permette d'actualiser, de stimuler et de rendre plus vivante notre réflexion sur la formation des élites. J'en profite pour remercier Madame Beton-Delègue pour son rôle d'organisatrice et de modératrice.
Je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.recherche.gouv.fr, le 30 août 2002)