Texte intégral
R. Elkrief.- On écoutait A. Duhamel qui parlait du projet Sarkozy, certains acteurs de la vie politique et sociale en France s'inquiètent de mesures de répression. D'autres, parfois les mêmes, s'inquiètent d'un retour présumé de l'ordre moral. La volonté d'interdire un roman, "Rose bonbon", les émotions sur les films pornographiques à la télé. Votre sentiment, c'est qu'il y a une tentation, peut-être de la part de certains députés UMP, de prendre une sorte de revanche et de rétablir un ordre moral en France aujourd'hui ?
- "Vraiment, je pense que personne ne rêve à l'ordre moral. Tous souhaitent qu'on assure de façon plus marquée la sécurité des Français. Les Français, l'ensemble de nos concitoyens perçoit la sécurité comme la garantie même de la liberté. Il n'y a pas la politique de N. Sarkozy et celle du ministre de la Culture, par exemple, ou d'autres ministres, il y a bien une politique globale du Gouvernement qui vise à assurer à l'ensemble de notre territoire, à l'ensemble de nos concitoyens les conditions d'une vie plus sûre."
Vous vous êtes quand même opposé à lui sur l'interdiction de ce fameux roman publié chez Gallimard, "Rose bonbon" ; vous étiez contre la censure, il se posait la question... Sur la pornographie, il y a des députés qui voulaient taxer les films pornographiques et qui s'insurgeaient, et vous, vous êtes plutôt pour le maintien. En tout cas, cela ne vous émeut pas plus que cela. Il y a quand même plusieurs tendances, on dirait.
- "Tout d'abord, je crois qu'il faut distinguer ces différentes questions. Pour la littérature, je crois qu'il faut que nous affirmions le principe, parce que c'est une conquête de notre civilisation, que les uvres de l'art, les uvres de l'esprit, les uvres littéraires ne peuvent pas être soumises à des censures préalables, administratives ou politiques. Ce serait une récession formidable de notre civilisation. Les uvres littéraires, elles relèvent de la responsabilité de leurs auteurs, de leurs éditeurs, des libraires quand ils les diffusent, du public quand il les achète. Si un livre pose problème parce qu'il contrevient à la loi, il faut que la justice tranche. Mais je crois qu'il serait tout à fait malvenu, malséant que l'autorité administrative"
Que la politique, que l'Etat s'en occupe ?
- "...Qu'un ministre, que ce soit celui de l'Intérieur ou celui de la Culture, décrète la classification des livres et indique pour chaque livre, quand il sort, à quel public il est destiné, ce serait ridicule."
Sur la pornographie, je voulais citer, par exemple, S. Royal au Grand Jury RTL-Le Monde, il y a deux semaines, où elle disait il y a légitimité de l'Etat et des pouvoirs publics à s'interroger sur l'effet de la violence et de la pornographie. Elle fait plusieurs propositions : double cryptage des films, diffusion à heure tardive, faire siéger au conseil d'administration des chaînes les associations représentant le monde éducatif.
- "Il y a un vrai problème, en effet, parce que la diffusion des films pornographiques, quand elle intervient sur les chaînes de télévision se livre dans l'espace de la communication sociale, dans l'espace de la vie sociale. Autant un livre n'est accessible que si on l'a acheté, si l'on a emprunté dans une bibliothèque, donc si on s'est engagé à son égard, autant un film peut être vu de façon inopinée par un regard non averti ou un regard fragile - le regard d'un enfant, par exemple. Donc se pose la question de la responsabilité des pouvoirs publics à l'égard de la diffusion des films pornographiques dans ces conditions-là. Je crois qu'il faut que nous sachions concilier le principe de liberté et de respect de la liberté des individus de choisir les programmes à leur convenance. Et d'autre part, naturellement, le souci tout aussi légitime de protéger les regards les plus fragiles. C'est la raison pour laquelle j'ai, dès mon arrivée rue de Valois, confié une mission de réflexion sur ce sujet à B. Kriegel."
Quand va--t-elle va rendre son rapport ?
- "B. Kriegel réunit une dernière fois sa commission à la mi-novembre - je crois bien que c'est le 14 novembre - de façon complète ; elle le fera dans une salle du Centre Pompidou et elle nous remettra son rapport à la fin du mois de novembre. Donc, nous disposerons de la base objective de réflexions qui nous permettra de prendre éventuellement des décisions qui rendront plus difficiles l'accès à certains programmes."
Dans ce contexte quelle est la différence entre un ministre de la Culture de gauche et de droite ? Est-ce qu'on n'a pas le sentiment que certains députés attendaient de vous que vous ayez une position de ministre de la Culture de droite par rapport à une gauche supposée laxiste ?
- "La culture appartient à l'ordre de l'esprit, à l'ordre de la création, ce n'est que par un abus qu'on peut la classifier tantôt de droite, tantôt de gauche. Je crois qu'il faut cesser de vouloir"
Pour vous, ce n'est pas une définition ?
- "Non, il faut cesser de prendre ou de tenter de prendre les créateurs, les artistes comme otages de la politique. Le phénomène culturel est un phénomène autonome, c'est un phénomène qu'il appartient au ministre de la Culture de servir et il ne faut pas que le ministre tente de s'en servir. Donc, je crois qu'il faut être extrêmement pudique à l'égard de la culture. Il faut servir la création, il faut servir la diffusion culturelle, il faut être respectueux également à l'égard de certains grands principes qui fondent justement notre culture et notre civilisation, dont le principe du respect de la liberté de créer et de s'exprimer."
Vos prédécesseurs ne diraient pas autre chose, me semble t-il... Parlons un instant de la TNT, car vous êtes aussi ministre de la Communication - la TNT, c'est la télévision numérique terrestre. Depuis quelques jours, on sait par le rapport de M. Boyon, que ce projet, finalement, pourrait voir le jour, avec un délai - plutôt 2004. Concrètement, c'est près de 33 chaînes disponibles pour 40 % de la population, avec un décodeur, sur le réseau hertzien - ni le câble, ni le satellite. Vous y allez quand même prudemment, sans enthousiasme, non ?
- "On y va avec conviction. Quand je suis arrivé rue de Valois, il y a près de six mois maintenant, j'ai trouvé le dossier de la mise en uvre de la TNT et surtout l'affirmation totalement irresponsable de mes prédécesseurs qui prétendaient que la TNT c'était pour 2003. Très rapidement, je me suis rendu compte que la masse des questions techniques, juridiques, économiques qui restaient à régler, qui étaient en attente d'une véritable réponse étaient considérables et qu'en tout état de cause, la TNT ne pourrait pas fonctionner en 2003. Elle permettra, à terme, à nos concitoyens de recevoir sur le réseau hertzien, donc sur le réseau principal de diffusion des programmes de télévision aujourd'hui, un beaucoup plus grand nombre de programmes : au lieu de six programmes aujourd'hui, une trentaine de programmes."
Vous n'avez plus vraiment de réserves, et notamment pour le service public qui aura trois canaux. On verra peut-être une chaîne internationale d'informations en continu ?
- "Les deux questions sont autonomes. D'une part, nous avons fait le choix de soutenir, d'accompagner le processus de mise en uvre de la TNT. Le Gouvernement a notamment mis en place un crédit spécial de 15 millions d'euros qui permettra sous forme d'avance le réaménagement des fréquences, et cela dès cette année. D'autre part, la question se pose de savoir combien de chaînes on réserve au service public sur ce mode de diffusion. Il est déjà assuré qu'il disposera de cinq chaînes : France 2, France 3, Arte, France 5 et La Chaîne parlementaire qui relève de l'initiative publique. La question qu'il faut se poser, c'est de savoir s'il faudra des chaînes publiques supplémentaires. Je crois qu'avant de donner une réponse définitive, il faut attendre l'annonce du choix que fera demain le CSA, le Conseil supérieur de l'audiovisuel, qui donnera la liste des chaînes qui accéderont, des opérateurs privés qui accéderont à l'exploitation sur le numérique terrestre."
Vous avez été très sévère avec le programme du service public en arrivant ; ils trouvent grâce à vos yeux aujourd'hui ?
- "On a jugé que j'avais été sévère avec le service public, mais je crois que cette sévérité était tout simplement la marque de mon attachement, de mon amour du service public de la télévision. Mais j'estime que pour légitimer l'existence d'un service public, il faut bien veiller à ce que ce service public soit singulier. Si la télévision publique fait ce que la télévision privée fait, et parfois fait très bien, je ne vois pas où est l'utilité d'un service public de la télévision."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 22 octobre 2002)
- "Vraiment, je pense que personne ne rêve à l'ordre moral. Tous souhaitent qu'on assure de façon plus marquée la sécurité des Français. Les Français, l'ensemble de nos concitoyens perçoit la sécurité comme la garantie même de la liberté. Il n'y a pas la politique de N. Sarkozy et celle du ministre de la Culture, par exemple, ou d'autres ministres, il y a bien une politique globale du Gouvernement qui vise à assurer à l'ensemble de notre territoire, à l'ensemble de nos concitoyens les conditions d'une vie plus sûre."
Vous vous êtes quand même opposé à lui sur l'interdiction de ce fameux roman publié chez Gallimard, "Rose bonbon" ; vous étiez contre la censure, il se posait la question... Sur la pornographie, il y a des députés qui voulaient taxer les films pornographiques et qui s'insurgeaient, et vous, vous êtes plutôt pour le maintien. En tout cas, cela ne vous émeut pas plus que cela. Il y a quand même plusieurs tendances, on dirait.
- "Tout d'abord, je crois qu'il faut distinguer ces différentes questions. Pour la littérature, je crois qu'il faut que nous affirmions le principe, parce que c'est une conquête de notre civilisation, que les uvres de l'art, les uvres de l'esprit, les uvres littéraires ne peuvent pas être soumises à des censures préalables, administratives ou politiques. Ce serait une récession formidable de notre civilisation. Les uvres littéraires, elles relèvent de la responsabilité de leurs auteurs, de leurs éditeurs, des libraires quand ils les diffusent, du public quand il les achète. Si un livre pose problème parce qu'il contrevient à la loi, il faut que la justice tranche. Mais je crois qu'il serait tout à fait malvenu, malséant que l'autorité administrative"
Que la politique, que l'Etat s'en occupe ?
- "...Qu'un ministre, que ce soit celui de l'Intérieur ou celui de la Culture, décrète la classification des livres et indique pour chaque livre, quand il sort, à quel public il est destiné, ce serait ridicule."
Sur la pornographie, je voulais citer, par exemple, S. Royal au Grand Jury RTL-Le Monde, il y a deux semaines, où elle disait il y a légitimité de l'Etat et des pouvoirs publics à s'interroger sur l'effet de la violence et de la pornographie. Elle fait plusieurs propositions : double cryptage des films, diffusion à heure tardive, faire siéger au conseil d'administration des chaînes les associations représentant le monde éducatif.
- "Il y a un vrai problème, en effet, parce que la diffusion des films pornographiques, quand elle intervient sur les chaînes de télévision se livre dans l'espace de la communication sociale, dans l'espace de la vie sociale. Autant un livre n'est accessible que si on l'a acheté, si l'on a emprunté dans une bibliothèque, donc si on s'est engagé à son égard, autant un film peut être vu de façon inopinée par un regard non averti ou un regard fragile - le regard d'un enfant, par exemple. Donc se pose la question de la responsabilité des pouvoirs publics à l'égard de la diffusion des films pornographiques dans ces conditions-là. Je crois qu'il faut que nous sachions concilier le principe de liberté et de respect de la liberté des individus de choisir les programmes à leur convenance. Et d'autre part, naturellement, le souci tout aussi légitime de protéger les regards les plus fragiles. C'est la raison pour laquelle j'ai, dès mon arrivée rue de Valois, confié une mission de réflexion sur ce sujet à B. Kriegel."
Quand va--t-elle va rendre son rapport ?
- "B. Kriegel réunit une dernière fois sa commission à la mi-novembre - je crois bien que c'est le 14 novembre - de façon complète ; elle le fera dans une salle du Centre Pompidou et elle nous remettra son rapport à la fin du mois de novembre. Donc, nous disposerons de la base objective de réflexions qui nous permettra de prendre éventuellement des décisions qui rendront plus difficiles l'accès à certains programmes."
Dans ce contexte quelle est la différence entre un ministre de la Culture de gauche et de droite ? Est-ce qu'on n'a pas le sentiment que certains députés attendaient de vous que vous ayez une position de ministre de la Culture de droite par rapport à une gauche supposée laxiste ?
- "La culture appartient à l'ordre de l'esprit, à l'ordre de la création, ce n'est que par un abus qu'on peut la classifier tantôt de droite, tantôt de gauche. Je crois qu'il faut cesser de vouloir"
Pour vous, ce n'est pas une définition ?
- "Non, il faut cesser de prendre ou de tenter de prendre les créateurs, les artistes comme otages de la politique. Le phénomène culturel est un phénomène autonome, c'est un phénomène qu'il appartient au ministre de la Culture de servir et il ne faut pas que le ministre tente de s'en servir. Donc, je crois qu'il faut être extrêmement pudique à l'égard de la culture. Il faut servir la création, il faut servir la diffusion culturelle, il faut être respectueux également à l'égard de certains grands principes qui fondent justement notre culture et notre civilisation, dont le principe du respect de la liberté de créer et de s'exprimer."
Vos prédécesseurs ne diraient pas autre chose, me semble t-il... Parlons un instant de la TNT, car vous êtes aussi ministre de la Communication - la TNT, c'est la télévision numérique terrestre. Depuis quelques jours, on sait par le rapport de M. Boyon, que ce projet, finalement, pourrait voir le jour, avec un délai - plutôt 2004. Concrètement, c'est près de 33 chaînes disponibles pour 40 % de la population, avec un décodeur, sur le réseau hertzien - ni le câble, ni le satellite. Vous y allez quand même prudemment, sans enthousiasme, non ?
- "On y va avec conviction. Quand je suis arrivé rue de Valois, il y a près de six mois maintenant, j'ai trouvé le dossier de la mise en uvre de la TNT et surtout l'affirmation totalement irresponsable de mes prédécesseurs qui prétendaient que la TNT c'était pour 2003. Très rapidement, je me suis rendu compte que la masse des questions techniques, juridiques, économiques qui restaient à régler, qui étaient en attente d'une véritable réponse étaient considérables et qu'en tout état de cause, la TNT ne pourrait pas fonctionner en 2003. Elle permettra, à terme, à nos concitoyens de recevoir sur le réseau hertzien, donc sur le réseau principal de diffusion des programmes de télévision aujourd'hui, un beaucoup plus grand nombre de programmes : au lieu de six programmes aujourd'hui, une trentaine de programmes."
Vous n'avez plus vraiment de réserves, et notamment pour le service public qui aura trois canaux. On verra peut-être une chaîne internationale d'informations en continu ?
- "Les deux questions sont autonomes. D'une part, nous avons fait le choix de soutenir, d'accompagner le processus de mise en uvre de la TNT. Le Gouvernement a notamment mis en place un crédit spécial de 15 millions d'euros qui permettra sous forme d'avance le réaménagement des fréquences, et cela dès cette année. D'autre part, la question se pose de savoir combien de chaînes on réserve au service public sur ce mode de diffusion. Il est déjà assuré qu'il disposera de cinq chaînes : France 2, France 3, Arte, France 5 et La Chaîne parlementaire qui relève de l'initiative publique. La question qu'il faut se poser, c'est de savoir s'il faudra des chaînes publiques supplémentaires. Je crois qu'avant de donner une réponse définitive, il faut attendre l'annonce du choix que fera demain le CSA, le Conseil supérieur de l'audiovisuel, qui donnera la liste des chaînes qui accéderont, des opérateurs privés qui accéderont à l'exploitation sur le numérique terrestre."
Vous avez été très sévère avec le programme du service public en arrivant ; ils trouvent grâce à vos yeux aujourd'hui ?
- "On a jugé que j'avais été sévère avec le service public, mais je crois que cette sévérité était tout simplement la marque de mon attachement, de mon amour du service public de la télévision. Mais j'estime que pour légitimer l'existence d'un service public, il faut bien veiller à ce que ce service public soit singulier. Si la télévision publique fait ce que la télévision privée fait, et parfois fait très bien, je ne vois pas où est l'utilité d'un service public de la télévision."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 22 octobre 2002)