Déclaration de M. Luc Guyau, président de la FNSEA, sur la régulation des marchés agricoles, le rôle de la PAC en Europe, la sécurité alimentaire et l'environnement, Nancy le 17 mai 2000.

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Circonstance : 82 ème congrès de la CNMCCA à Nancy le 17 mai 2000

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
Vous avez choisi cette année de réfléchir sur "le nouvel environnement économique et social" de l'agriculture. Je voudrais souligner tout l'intérêt de votre démarche. La réussite des agriculteurs sera en grande partie liée à leur capacité à répondre aux nouvelles exigences de leur environnement.
Or celui-ci est effectivement en mutation, sur le plan économique, celui des marchés et des filières, comme sur le plan des attentes de la société. Le contexte européen et international dans lequel est placée notre activité se transforme aussi rapidement, qu'il s'agisse de la construction européenne et des prochains élargissements, ou des négociations de l'OMC qui concernent notre secteur au premier chef.
La force des agriculteurs a toujours été de savoir évoluer pour répondre aux défis des marchés et aux attentes de la société. Nous l'avons montré depuis 50 ans en modernisant notre agriculture pour assurer l'indépendance alimentaire du pays et faire de l'Europe une grande puissance agro-alimentaire. Ces défis, les agriculteurs les ont relevés avec l'appui essentiel de tous leurs partenaires du mouvement coopératif et mutualiste que vous représentez. Je suis persuadé que cet appui restera un atout décisif pour l'avenir.
Bien sûr, les évolutions des demandes de la société peuvent parfois nous déstabiliser.
Pourtant je suis persuadé que nous devons y voir de nouvelles opportunités pour les agriculteurs, qui sont investis d'une mission de plus en plus large, en terme d'alimentation, d'équilibre des territoires, de responsabilité citoyenne dans la production en préservant l'environnement.
Mais nous avons aussi la volonté d'inscrire ces évolutions dans une perspective économique viable pour nos exploitations sur les marchés et dans la filière alimentaire.
C'est pourquoi je me félicite à la lecture de votre rapport, de constater que nous partageons une grande convergence de vue sur les enjeux pour notre secteur et les réponses que nous devons apporter. C'est pour moi le terreau fertile pour des actions communes, comme nous avons su en mener aussi bien sur les négociations européennes et internationales, que sur la grande distribution, ou l'environnement.
C'est ainsi que sur les enjeux internationaux, il est vital de réaffirmer la dimension stratégique de notre participation à l'équilibre alimentaire mondial. L'agriculture est une chance pour le rayonnement géostratégique de notre continent dans le monde. La population mondiale passera à 8 milliards en 2025. L'Inde, cette semaine, vient de dépasser le cap du Milliard d'habitant. A nous de répondre à cette demande, si ces marchés sont ouverts : nous le pouvons, nous le devons, c'est une chance pour les agriculteurs et pour le pays, alors ne laissons pas les autres s'en emparer à notre place ! La diversité de la production européenne, produits de base et produits transformés, montre clairement notre vocation exportatrice.
La FNSEA lors de son dernier Congrès de Strasbourg, a fait le point sur ses positions internationales. Pour nous, il s'agit de :
- répondre par une offre adaptée à la diversité de la demande sur des marches de plus en plus segmentés, marché local, national, européen, mondial. Et nous battre à armes égales avec nos concurrents.
- consolider le modèle agricole européen basé sur la multifonctionnalité de l'agriculture et des exigences propres en terme de qualité, de sécurité alimentaire, d'environnement, de normes sociales
- défendre la régulation des marchés agricoles, que nous avons su organiser dans l'Union Européenne avec les OCM. Il faut les préserver mais aussi réguler à l'échelle internationale les échanges agricoles. Ce doit être le rôle des négociations de l'Organisation Mondiale du Commerce. Ce n'est pas sur l'arbitre qu'il faut taper, c'est la partie qu'il faut gagner !
C'est pourquoi il nous faut continuer le combat mené à Seattle contre la banalisation de l'agriculture, pour la régulation des marchés et notre capacité à être présents sur les marchés mondiaux.
Pour se présenter en position offensive, encore faut-il que l'Union Européenne ne doute pas d'elle-même et s'appuie sur la PAC pour construire l'Europe. Les agriculteurs ont bâti l'Europe à travers 40 ans de politique agricole commune. Concernés au premier chef par son devenir, ils souhaitent une Europe plus proche d'eux, qui puisse décider et réagir vite. A cet égard, la FNSEA considère qu'il est vital de se donner les moyens budgétaires et institutionnels de l'élargissement. Et je me félicite des prises de positions de M. Rocard, au Congrès de la FNSEA, qui a déclaré avec force qu'on ne fera pas plus d'Europe avec moins de budget, de celles de M. Barnier qui a insisté avec force en plusieurs occasions, sur la nécessité de réformer les institutions de l'Union et du discours de M. Lamy au Conseil Economique et Social sur l'affirmation du modèle agricole européen dans les négociations commerciales.
Et nous souhaitons que la France, qui prendra la Présidence de l'Union Européenne en juillet, réaffirme le rôle de la PAC en Europe et s'oppose aux attaques contre le budget agricole et aux remises en causes techniques des OCM, qui reviendraient par la bande, aggraver les concessions de l'Agenda 2000. Le budget agricole n'est pas un trésor de guerre pour financer d'autres politiques.
Ce n'est pas lorsque les missions de l'agriculture s'élargissent, qu'il faut réduire toute marge de manuvre sur le budget. Et 0,5% du PIB européen pour assurer l'approvisionnement alimentaire des consommateurs, en quantité et en qualité, pour garantir leur sécurité alimentaire, pour occuper et valoriser les territoires, ce n'est pas excessif ! Surtout que les consommateurs et les citoyens sont de plus en plus sensibles à ces enjeux. Alors, expliquons leur que l'agriculture est une dépense qui rapporte !
La FNSEA et ses Associations Spécialisées, avec le CNJA, ont transmis aux autorités françaises leurs priorités pour la Présidence de l'Union Européenne. Engager des initiatives sur les OCM, construire une véritable sécurité alimentaire européenne, aller vers l'harmonisation fiscale, sociale et environnementale, engager la simplification administrative : voilà nos attentes. Bien sûr, tout ne sera pas réglé en six mois, mais il revient à la France de prendre des initiatives en ce sens et de rassembler des majorités autour de ces idées.
Nous avons besoin de politiques ambitieuses et je suis toujours surpris et déçu de la position du Ministre de l'Agriculture, qui, encore une fois, ce matin, se protège par avance des résultats qu'il ne pourrait obtenir à Bruxelles. Il ne faut pas partir battu, ce n'est pas ce qu'on demande à un ministre, alors, un peu plus d'ambition, voilà ce que nous voulons !
Les perspectives des agriculteurs seront donc liées à ces enjeux européens et internationaux. Mais elles dépendront aussi de plus en plus de notre capacité à tirer de la valeur ajoutée au sein de la filière alimentaire. A cet égard, l'action que nous avons menée ensemble, avec l'appui du CAF, face la grande distribution est exemplaire. Face aux dérives de la coopération commerciale, et au poids grandissant de la grande distribution, nous avons su alerter le Gouvernement, le Premier ministre et les Parlementaires et aboutir, après les Assises, à la loi de régulation économique actuellement en discussion au Parlement.
Notre objectif n'a jamais été de mettre à bas la grande distribution, mais de permettre à chaque acteur de la filière de vivre de son métier, sur la base de relations équilibrées.
Dès lors, nous espérons que le Sénat et la suite de la discussion parlementaire consolideront les avancées. Le cadre législatif nouveau doit nous permettre de construire à l'avenir des relations contractuelles plus équilibrées entre les producteurs, les transformateurs et les distributeurs.
Mais nous savons aussi que nous devons tout faire de notre côté pour mieux nous organiser et nous regrouper. Organiser notre offre, consolider nos outils économiques pour peser davantage face à l'aval.
Les perspectives des agriculteurs seront aussi liées à leur capacité à répondre aux demandes de la société. Sur la sécurité alimentaire comme sur l'environnement, l'agriculture est apparue souvent dans le collimateur. Les farines, les boues, l'ESB, la dioxineEt ceci au moment même où la sécurité alimentaire n'a jamais été aussi bien assurée et que nous avons fait des efforts croissants pour cela comme en atteste la traçabilité de nos produits. A nous de poursuivre cet effort. Mais aussi de faire reconnaître qu'on ne peut dissocier des exigences légitimes sur le plan sanitaire et environnemental, de la prise en compte tout aussi légitime de l'équilibre économique de nos exploitations.
La sécurité alimentaire a un coût qui doit se retrouver dans les prix des produits et il faut l'expliquer aux consommateurs.
Accumuler les taxes et les redevances sur l'agriculture n'est pas la bonne politique ni pour l'environnement, ni pour les exploitations. A cet égard, les arbitrages en cours sur la politique de l'eau sont pour nous particulièrement inquiétants. L'incitation est toujours préférable à la sanction. Les pratiques évoluent et l'engagement du CAF en faveur de l'agriculture raisonnée avec la qualification des exploitations, montre que nous sommes résolus à construire pour l'avenir. Plus de 50 % des agriculteurs, selon M. Paillotin, seraient déjà dans une démarche d'agriculture raisonnée. C'est la preuve de la bonne évolution des pratiques. Alors, qu'on nous fasse confiance et qu'on nous donne du temps !
Il reste que sur tous ces sujets, mieux communiquer, expliquer notre métier, bref, nous faire comprendre par les consommateurs et la société, est devenu essentiel.
C'est dans cet esprit que la FNSEA et le CNJA, avec votre appui, lancent les rencontres citoyennes de l'alimentation. Nous sommes tous conscients de l'intérêt stratégique de cette démarche pour l'image de l'agriculture, de notre alimentation et de nos produits.
Sans tarder, il nous faudra aussi être unis pour obtenir au plus vite le fond de communication agricole que le ministre de l'agriculture s'est engagé à mettre en uvre.
Il y a plus de trois ans, lorsque la loi d'orientation agricole a été annoncée, la FNSEA a manifesté son attachement à une "agriculture innovante, citoyenne et durable". Je suis persuadé que c'est le chemin que les agriculteurs doivent prendre. Nos exploitations doivent mieux maîtriser leur environnement économique et social. Cela passe aussi par une politique fiscale et sociale mieux adaptée à l'agriculture, par l'allégement des charges et la simplification administrative. Et nous examinerons avec attention tout ce qui pourrait redonner des marges de manuvres à nos entreprises, notamment dans le cadre des réflexions engagées par le rapport Marre Cahuzac.
Pour construire cette agriculture innovante, citoyenne et durable, je suis persuadé que l'appui des organisations professionnelles agricoles et du mouvement coopératif et mutualiste que vous représentez est une chance pour notre secteur. Réunis au sein du CAF, il nous appartient d'être ensemble les acteurs du changement pour notre secteur.
Le mouvement coopératif est le pilier du pouvoir économique des producteurs. C'est pourquoi, même si nous somme parfois critiques, nous savons que c'est un outil d'organisation collective irremplaçable et de plus en plus précieux face à nos autres partenaires. La coopération est engagée, elle aussi dans un mouvement de concentration. Elle doit conserver le lien essentiel avec les producteurs qui fait sa force et son originalité et qui lui permet d'être un levier pour le développement de l'économie et des territoires.
La solidarité des hommes, nous la vivons aussi au côté de la MSA et nous sommes fiers de nous battre pour notre régime social agricole. C'est pour nous un élément essentiel de la politique agricole et c'est pourquoi le Congrès de la FNSEA a porté en 1999 sur la question sociale. Nous continuerons à nous battre pour la revalorisation des retraites, le régime complémentaire obligatoire et pour une meilleure protection face aux risques, de tous ceux, jeunes, anciens, hommes, femmes, qui font la richesse et la diversité de notre agriculture. Et concernant le nouveau statut des conjoints collaborateurs, dans certains départements, les FDSEA en accord avec les caisses de MSA, ont décidé de rattacher d'office les agricultrices et agriculteurs concernés, à ce statut, sauf demande contraire de leur part. Je vous engage à faire de même dans tous les autres départements. S'agissant enfin de la réforme du mode de scrutin aux élections MSA, nous demandons que la priorité soit accordée au dialogue social et aux engagements des professionnels, selon les forces en présence, avant qu'une solution politique ne soit arrêtée.
Dans un environnement plus incertain, la protection par l'assurance face aux risques de notre activité sera aussi essentielle. La France et l'Europe sont en retard sur l'assurance récolte et l'assurance revenu par rapport aux Etats-Unis. Il est vital de combler ce déficit. Voilà un vaste champ ouvert pour les assureurs et je voudrais souligner la qualité du travail entre Groupama et la FNSEA dans le cadre de la mission Babusiaux. D'autre part, la protection contre les accidents du travail doit, elle aussi, s'améliorer et les assureurs auront un rôle capital à jouer. Tous les agriculteurs doivent être assurés. La prévention est notre priorité. Mais nous n'accepterons pas une renationalisation rampante du régime accident. Aux côtés de Groupama nous nous battrons en ce sens et je vous invite à nous suivre.
Quant au Crédit Agricole, "la Banque verte", même si elle est de plus en plus diversifiée, à aussi tout à gagner à rester solidement ancré dans le monde agricole. C'est cette attache qui a fait sa force et l'étendue de son réseau. Elle doit permettre au Crédit Agricole de continuer à être au côté des exploitations pour les accompagner dans leur évolution et face aux difficultés.
Soyons en certains : la complémentarité de nos différentes organisations est un atout pour le monde agricole. Et au nom d'une très grande majorité d'agriculteurs, je vous demande que la guerre ou la concurrence entre certaines coopératives s'arrête; que la MSA et Groupama jouent pleinement la complémentarité; que le Crédit Agricole et Groupama trouvent les moyens de la cohésion et de l'unité dans l'action sur le terrain. Et je souhaite que la FNSEA uvre chaque jour pour que nous n'oublions pas le "Serment de l'Unité Paysanne" sur lequel s'est construit l'agriculture et les organisations professionnelles que nous défendons. Demain, il sera peut-être trop tard. Je ne veux pas le regretter. Alors tous ensemble, solidaires, combatifs, inventifs et déterminés, sachons gommer nos différences dans l'unité d'action.
Cette unité nous devons la mettre en avant dans les prochaines échéances et je pense en particulier aux élections aux Chambres d'Agriculture. Bien sûr, le contexte est difficile, qu'il s'agisse du revenu agricole, des attaques contre l'agriculture, du contexte syndical ou des relations avec les pouvoirs publics. Mais ne doutons pas que le travail de fond que nous avons engagé sur tous les chantiers nous permettra de relever la tête sur le plan économique et dans la société, et que cet effort sera reconnu par les agriculteurs.
A nous d'unir nos forces car nous défendons la même conception de l'agriculture. A nous, partenaires du CAF, de nous rejoindre sur une plate-forme commune pour ces élections, qui nous servira de relais dans les départements et sur le plan national.
Alors, nous comptons bien mener ces élections, en lien avec les différentes organisations que vous représentez, pour mettre nos convictions aux services des agriculteurs et construire pour l'avenir, dans la durée, sur un projet commun pour une agriculture fière de ses réalisations et au service de la société toute entière.
Je vous remercie.
(source http://www.fnsea.fr, le 18 mai 2000)