Points de presse de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, sur les perspectives et les enjeux de la table ronde prévue à Paris en vue du règlement de la crise en Côte d'Ivoire, à Bouaké et à Abidjan le 4 janvier 2003

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Circonstance : Voyage de M. Dominique Galouzeau de Villepin en Côte d'Ivoire les 3 et 4 janvier 2003

Texte intégral

[Conférence de presse à Bouaké le 4 janvier 2003]
J'ai vu ce matin les différents représentants du Mouvement patriotique de Côte d'Ivoire (MPCI). Comme vous le savez, j'ai rencontré hier le président Gbagbo, le Premier ministre ivoirien, les différents responsables ivoiriens à Abidjan. Il était essentiel, dans les circonstances actuelles que connaît la Côte d'Ivoire, la crise ouverte que connaît la Côte d'Ivoire, de pouvoir établir les mesures d'urgence, les mesures de confiance qui permettent un plein respect du cessez-le-feu.
Le président ivoirien s'est engagé au départ des mercenaires, il s'est engagé à l'immobilisation des hélicoptères et au total respect du cessez-le-feu. Les représentants du MPCI ce matin ont pris l'engagement du respect du cessez-le-feu et de mesures de confiance qui seront étudiées en liaison avec le général Beth et les forces françaises pour permettre la sécurisation du cessez-le-feu et sa garantie.
Au-delà, il y a bien sûr, la nécessité d'une perspective politique, cette perspective est désormais écrite, c'est le 15 janvier à Paris, la réunion de l'ensemble des forces politiques de la Côte d'Ivoire et le MPCI a indiqué qu'il participerait à cette réunion.
Il est important que, sous l'égide des communautés régionales, de la CEDEAO, de l'Union africaine, des Nations unies, cette table ronde puisse déboucher sur des propositions concrètes permettant de refonder le pacte ivoirien. Il est important aussi que, très vite, au lendemain de cette réunion de Paris qui devrait durer environ une semaine, le 26 janvier vraisemblablement, à Paris, puisse se tenir la réunion des chefs d'Etats, de tous les chefs d'Etat africains concernés, ceux de la CEDEAO mais aussi la présidence de l'Union africaine, le Secrétaire général des Nations unies qui a pris l'engagement de participer à cette réunion de Paris, afin de confirmer et de garantir le processus politique engagé. Nous souhaitons que chacun puisse apporter, en effet, la garantie indispensable en terme de sécurité et la France, vous le savez apporte au premier chef sa contribution. A la garantie politique de ce processus, doit s'ajouter la garantie économique, car il faudra alors unir, au lendemain des réunions de Paris, toutes nos énergies pour permettre la reconstruction de la Côte d'Ivoire. La France prendra la tête des initiatives indispensables en liaison avec tous les bailleurs de fonds qui apporteront leur soutien à la Côte d'Ivoire.
Q - Combien de temps vous donnez-vous pour cette mission ?
R - La table ronde de Paris réunissant l'ensemble des forces politiques devrait durer une semaine, et nous espérons pouvoir réunir à Paris, le 26 janvier, l'ensemble des chefs d'Etat africains concernés, le Secrétaire général des Nations unies. J'ai longuement évoqué cette question avec M. Kofi Annan ainsi qu'avec l'ensemble des chefs d'Etat de la région et l'Afrique du sud. Nous souhaitons donc la pleine participation de l'ensemble de ces chefs d'Etat à la réunion de Paris.
Q - Et les rebelles qui sont à l'Ouest et qui ne respectent pas encore le cessez-le-feu avez-vous des garanties ?
R - Le Mouvement populaire ivoirien du grand ouest (MPIGO) et le Mouvement pour la justice et la paix (MJP) devaient participer à notre réunion ; ils n'ont pas pu y parvenir à temps. Le MPCI s'est engagé à leur faire passer le message que nous adressons aujourd'hui : le besoin d'un cessez-le-feu complet, sur l'ensemble de la ligne des opérations. Il est important que ce cessez-le-feu engage l'ensemble des mouvements de la Côte d'Ivoire.
Q - Et concernant les troupes du MPCI ?
R - Nous avons évoqué les mesures de confiance qui doivent permettre la pleine application du cessez-le-feu. Le général Beth et les forces françaises parleront au cours des prochains jours avec l'ensemble des mouvements pour étudier concrètement les mesures permettant la pleine application de ce cessez-le-feu
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 janvier 2003)
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[Conférence de presse à Abidjan le 4 janvier 2003]
Je voudrais d'abord vous remercier d'être présents pour ce point de presse final. Je voudrais vous exprimer, au terme de ce voyage, une conviction forte de la diplomatie française : pour sortir de cette crise ouverte, complexe et difficile, il n'y a pas de solution militaire possible, pas de solution militaire durable qui permette de régler les difficultés que connaît le pays. Seule une solution politique permettra effectivement de régler ces difficultés et j'ai la satisfaction d'avoir pu constater, lors de tous mes déplacements et mes entretiens, que c'est la conviction exprimée aujourd'hui par chacun.
C'est vrai des autorités ivoiriennes, c'est vrai des mouvements rebelles que j'ai rencontrés ce matin.
Désormais, je crois que toutes les conditions sont réunies pour engager le dialogue politique et agir de façon déterminée au service de la paix. Nous avons pu au cours de cette visite progresser dans deux domaines. Tout d'abord, des mesures d'urgence que justifie la situation ont été prises pour assurer un cessez-le-feu effectif et global. Hier le président Gbagbo s'est engagé publiquement, devant vous, à respecter un cessez-le-feu intégral, à renvoyer tous les mercenaires et à immobiliser tous les hélicoptères.
La France veillera strictement à ce que ces engagements soient respectés.
Les principaux représentants des mouvements rebelles que j'ai rencontrés ce matin se sont également engagés, publiquement, à renoncer à toute offensive, à respecter strictement le cessez-le-feu et à définir au cours des prochains jours, en liaison avec le général Beth, les conditions nécessaires, les mesures de confiance nécessaires, pour que le cessez-le-feu puisse être garanti. La France, là encore, veillera strictement à l'application de ces engagements.
Nous allons donc entamer une nouvelle phase, la phase de la négociation politique qui doit, pour réussir, être assortie des garanties claires indispensables.
La France s'est donc proposée et organisera à Paris, du 15 janvier au 23 janvier prochain une conférence réunissant l'ensemble des forces politiques ivoiriennes, y compris des représentants des mouvements politiques que j'ai rencontré ce matin comme le MPCI. Tous mes interlocuteurs, ceux que j'ai rencontrés hier, comme les personnalités que j'ai rencontrées ce matin, se sont engagés à être présents.
Cette réunion sera suivie d'une autre concernant l'ensemble des chefs d'Etat concernés, ceux bien sûr de la région représentant les Etats de la CEDEAO, mais aussi des grands pays africains qui souhaitent s'associer à ce mouvement et bien sûr, des représentants des principaux bailleurs de fonds. Cette réunion aura pour objectif de consacrer et de garantir les conclusions de la conférence de Paris.
La démarche française, comme vous pouvez le constater, soutient et prolonge les efforts de la médiation africaine. Il ne nous appartient pas de nous substituer - et c'est l'un des principes centraux de notre diplomatie -au travail de nos amis africains, nous allons accompagner, faciliter la recherche d'une solution, nous allons bâtir, sur les acquis du président Wade en exercice à la CEDEAO et du président Eyadema qui a uvré depuis de longs mois pour essayer de faire avancer les négociations dans le cadre des négociations de Lomé.
La France s'engage à garantir la solution qui sera dégagée par les Ivoiriens et les Africains eux-mêmes, en lui apportant son point d'appui avec la mobilisation de l'ensemble de la communauté internationale. Il est important - et d'ores et déjà, c'est un acquis - que la réunion des chefs d'Etat puisse être placée sous l'égide des organisations régionales et internationales telles que la CEDEAO, l'Union africaine, les Nations unies et le Secrétaire général des Nations unies M. Kofi Annan, que j'ai eu il y a quelques jours au téléphone, m'a confirmé qu'il viendrait à Paris pour assister à cette réunion.
Voici les grands traits de cette visite et je suis maintenant prêt à répondre à vos questions.
Q - Vous avez parlé d'un plan pour la paix, de l'arrêt du cessez-le-feu, mais au cas où l'on contournerait ce cessez-le-feu ?
R - Les mouvements rebelles que j'ai rencontrés ce matin m'ont confirmé les engagements qui étaient les leurs de respecter pleinement le cessez-le-feu. Je crois que les conditions sont aujourd'hui réunies pour que chacun tienne sa parole, évidemment, c'est un élément essentiel de la marche en avant vers la recherche d'une solution politique et le dispositif français est là, ainsi que la représentation de l'ECOMOG qui sera renforcée au cours des jours prochains, pour assurer et sécuriser la pleine application de ce cessez-le-feu.
Deux mouvements, dont je n'ai pas pu rencontrer les représentants compte tenu de notre calendrier qui était le nôtre et qui n'ont pas pu être présents à l'heure dite ce matin à Bouaké, seront évidemment informés par les représentants du MPCI que j'ai rencontrés. Ils feront passer le message mais, d'ores et déjà, j'ai bon espoir, compte tenu des indications qu'ils m'ont données ce matin, qu'ils comprendront l'esprit dans lequel la France travaille et auront à cur de tout faire pour que ce cessez-le-feu puisse conduire à la recherche d'une solution politique. C'est aujourd'hui, on peut le constater, l'intérêt de tous les Ivoiriens. Nous sommes dans une situation extrêmement difficile aujourd'hui en Côte d'Ivoire, je l'ai dit, c'est une crise ouverte et nous avons besoin de la mobilisation de tous les Ivoiriens, il s'agit du destin de ce pays, de son avenir, de cette Côte d'Ivoire que nous avons connue comme un pays exemplaire de tolérance, d'ouverture. Il faut retrouver cette harmonie perdue, il faut retrouver cette Côte d'Ivoire qui tourne aujourd'hui le dos à ce qu'elle a toujours été et retrouver cette fidélité si nécessaire à la fois pour l'image de la Côte d'Ivoire, pour la vie de tous les Ivoiriens, et aussi, pour l'équilibre de toute la région.
Q - Mais, si le cessez-le-feu n'est pas suivi, que va-t-il se passer ?
R - J'ai parfaitement répondu en disant que les forces françaises, comme les forces de l'ECOMOG, seront là pour vérifier et sécuriser, garantir l'application du cessez-le-feu. C'est dire que nous prendrons des deux côtés nos responsabilités et je dis bien, des deux côtés. Et je constate qu'il y a eu des violations des deux côtés au cours de ces derniers jours. L'événement le plus récent, et le plus sanglant, qui a fait 12 morts parmi les populations civiles est dans toutes les mémoires. Nous avons condamné, nous nous sommes indignés devant la situation et c'est pour cela que j'ai demandé au président Gbagbo que soient immobilisés les hélicoptères et que toutes les conséquences d'un tel acte puissent être tirées. L'esprit de responsabilité doit agir et être appliqué de part et d'autre.
Q - La France ne légitime-t-elle pas les mouvements rebelles en les autorisant à s'asseoir à la même table pour discuter avec des parties légalement instituées ?
R - Je l'ai dit, il n'y a pas de solution militaire durable au conflit. C'est une conviction qui s'exprime aujourd'hui de chaque côté. La solution doit donc être trouvée d'un point de vue pacifique, les forces ivoiriennes que j'ai rencontrée hier m'ont indiqué leur choix. Elles se concertaient d'ores et déjà pour faire des propositions dans le cadre de la réunion de Paris, se réunir et rencontrer les mouvements rebelles pour tenter de trouver des points permettant d'avancer. Il faut se rendre à l'évidence et ne pas nier l'évidence. Il y a aujourd'hui, un besoin de dialogue élargi pour faire face aux problèmes de la Côte d'Ivoire. Ces problèmes se sont accumulés depuis des années, la mise en cause de la Constitution, le problème de l'identité, l'ivoirité. Je crois qu'il est temps que tous les Ivoiriens se mettent autour d'une table. Je l'ai dit, il n'y a pas de solution militaire, et il n'y a pas, vraisemblablement, de moyens militaires permettant de régler le conflit. Soyons réalistes, il y a une volonté qui s'exprime aujourd'hui de la part des autorités ivoiriennes, de la part des mouvements rebelles, de la part de l'ensemble des chefs d'Etat de la région. La position qui est indiquée de cette participation, ce n'est pas la position française. Nous ne faisons que répéter la volonté qui s'exprime unanimement.
Je veux que la réponse à la question soit parfaitement claire, c'est l'expression de la volonté des autorités ivoiriennes, c'est l'expression de la volonté et l'engagement des mouvements rebelles ainsi que de l'ensemble des chefs d'Etat de la région ainsi marquée de participer à cette table ronde de Paris pour essayer de trouver une solution. Il s'agit de marquer une volonté politique, de passer d'une revendication militaire à une revendication politique. Il s'agit justement de transformer ce qui a fait tant de malheurs et de mal à la Côte d'Ivoire, ces derniers jours, le combat militaire, en une revendication politique pour essayer de régler les problèmes qui existent, qui sont indéniables, qui sont la marque aujourd'hui des douloureuses difficultés que connaît la Côte d'Ivoire pour essayer d'avancer. Chacun est mobilisé pour tenter de trouver une solution.
Q - Comment comptez-vous organiser cette réunion de Paris, la planifieriez-vous sur le style de ce que nous avions fait à Dayton, ou envisagez-vous plusieurs tables rondes. Lorsque vous parlez de la période du 15 au 23, exigerez-vous, si la France le peut, une signature ou un accord de paix ?
Question sur le dispositif militaire français ?
R - Concernant l'organisation de la réunion de Paris, elle est en préparation. Nous sommes en train de réfléchir aux modalités qui permettront d'organiser cette conférence et, ce, en liaison avec les principales parties concernées et avec les organisations qui apporteront leur soutien pour observer et faciliter la conduite de cette négociation politique. Nous serons amenés, au cours des prochains jours à définir à la fois l'ordre du jour, ceci implique que les parties se mettent d'accord très rapidement sur cet ordre du jour, et une fois de plus, je vous le dis, tout ceux que j'ai rencontré ont marqué clairement leur volonté de travailler dès maintenant. Ils se réunissent dès maintenant pour préparer cet ordre du jour. Nous prendrons donc nos décisions en liaison avec elles pour faciliter le travail de cette table ronde. Le souci, c'est évidemment d'aboutir très vite à un certain nombre de positions de principes, d'éléments et de modalités d'applications permettant de remettre la Côte d'Ivoire sur les rails, de replacer ce pays dans une logique politique qui permette d'associer l'ensemble des parties ivoiriennes.
Le but est effectivement que cette table ronde puisse déboucher très rapidement sur des résultats concrets et c'est pour cela que cette table ronde est adossée à une réunion prévue pour le 26 et 27 janvier - vraisemblablement à Paris - pour consacrer, pour couronner ce qui doit être obtenu par la négociation dans la première phase.
Je sais que la situation du peuple ivoirien justifie que les différentes forces politiques ivoiriennes se mobilisent. Lorsqu'il y a le feu à la maison, on prend des dispositions, on fait des sacrifices et on avance vers un accord. Je viens de revoir à l'instant le président Gbagbo, c'est bien dans cet esprit qu'il faut avancer, et je pense que tous mesurent aujourd'hui le sens de l'action.
Vous posez une question importante sur le dispositif français "Licorne ", vous me donnez l'occasion de saluer le courage de ces forces françaises qui sont ici et qui font preuve d'un professionnalisme, d'un sang-froid, absolument remarquables. Je peux le dire sans ambages : le travail des forces françaises fait beaucoup aujourd'hui pour la Côte d'Ivoire, et il n'y a pas d'autre pays qui puise se targuer d'en faire autant, il y a là un engagement français, une responsabilité, une fidélité française, à l'idée que nous nous faisons de la Côte d'Ivoire que je tiens à saluer de façon solennelle. Bien évidemment, cet engagement, cette mission ne va pas sans risques. Ces risques sont partie prenante de l'engagement français en Côte d'Ivoire, ces risques sont le pendant, si je puis dire, de la responsabilité de l'action que nous menons. Nous le faisons avec lucidité, nous le faisons en responsabilité et nous sommes tous conscients qu'il s'agit d'une tâche difficile, complexe, et c'est bien pour cela que nous souhaitons que chacune des parties comprenne le prix, le coût personnel, politique qu'engage la France dans cette action et c'est pour cela que je veux que chacun comprenne que nous nous situons dans une logique qui doit déboucher sur des résultats concrets où chacun sera jugé à l'aune de ses responsabilités : chacun travaille devant sa conscience, devant l'histoire, devant le peuple ivoirien. Je vous remercie
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 janvier 2003)