Interview de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, à RFI le 6 janvier 2003, sur les perspectives de règlement de la crise en Côte d'Ivoire.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

Q - Devant vous les belligérants se sont engagés à respecter le cessez-le-feu, mais ce n'est pas la première fois qu'ils vous font une telle promesse. Qu'est-ce qui vous fait penser qu'aujourd'hui c'est la bonne ?
R - Je crois qu'on a atteint un seuil en Côte d'Ivoire, une situation d'une extrême gravité, je crois que l'ensemble des acteurs de la crise ivoirienne aujourd'hui ont conscience qu'il est indispensable d'avancer dans la voie politique. Ils savent qu'il n'y a pas de solution militaire, et c'est forte de cette conviction que la France oeuvre en Côte d'Ivoire et que nous avons voulu dans un premier temps obtenir des mesures d'urgence : faire respecter le cessez-le-feu de part et d'autre, et le deuxième objectif bien sûr était d'avancer dans la recherche d'une solution politique.
Q - Alors faire respecter le cessez-le-feu, c'est notamment empêcher les hélicoptères gouvernementaux de franchir cette ligne. Si jamais ils le font à nouveau demain que ferez-vous ?
R - Le dispositif français qui est sur place, le dispositif "Licorne", est aujourd'hui doublé de la présence d'un certain nombre de représentants de l'ECOMOG et la vocation de l'ensemble de ces forces est de sécuriser le cessez-le-feu, de garantir le cessez-le-feu et dans ce contexte-là, le message que j'ai voulu faire passer à la fois aux autorités ivoiriennes, au président Gbagbo, comme aux rebelles, c'était que le respect de ce cessez-le-feu conditionnait l'étape politique dans laquelle nous voulions nous engager. Je crois qu'ils comprennent bien tout le sens de cet effort et c'est avec une grande satisfaction que je constate que le Mouvement populaire ivoirien du grand ouest (MPIGO), qui est un des mouvements rebelles de l'Ouest, a déclaré vouloir travailler dans le sens de ce cessez-le-feu et a accepté l'idée de participer à la table ronde des forces politiques de Paris.
Q - Mais jusqu'à présent lorsqu'un hélicoptère franchissait le cessez-le-feu, les Français le regardait voler sans rien faire, mais demain ?
R - L'engagement du président Gbagbo est clair et nous souhaitons que cet engagement soit respecté. Nous avons dit au président Gbagbo qu'en tant que forces françaises, nous ferons en sorte que par nos moyens, ce cessez-le-feu puisse être respecté. Il s'est donc engagé solennellement à ce que tous les mercenaires présents en Côte d'Ivoire puissent quitter le pays, et il s'est engagé par ailleurs à immobiliser les hélicoptères.
Q - Alors le MPIGO viendra en effet à Paris mais pour l'instant il ne respecte aucun cessez-le-feu. Si demain le MPIGO et son frère du grand ouest Mouvement pour la justice et la paix (MJP) se met à marcher sur San Pedro qu'est ce que vous allez faire ?
R - Il y a comme vous le savez, un grand nombre de Français à San Pedro, environ six cents. Nous sommes présents en Côte d'Ivoire à la fois avec l'objectif de sécuriser le cessez-le-feu mais aussi de sauvegarder les communautés française et étrangère. Nous ferons donc ce qu'il faut pour assurer cette mission. Les mouvements rebelles sont parfaitement informés de notre mission et j'ai souhaité rencontrer les rebelles de l'ouest, les mouvements du MPIGO comme du MJP mais ils n'ont pas pu parvenir à temps.
Q - Ils n'ont pas voulu où ils n'ont pas pu ?
R- Non, ils n'ont pas pu, ils étaient sur le chemin. Il se trouve que les délais d'acheminement ne leur ont pas permis de participer pleinement à la réunion, mais notre ambassadeur sur place doit les rencontrer dans les prochains jours pour leur faire passer le message ; lors des conversations que j'ai pu avoir avec le MPCI, ils m'ont assuré qu'ils allaient faire passer le message, que notre souhait de sécuriser le cessez-le-feu sur l'ensemble du pays était bien compris et qu'ils allaient se faire l'écho de cette volonté française auprès des autres mouvements rebelles.
Q - Dominique de Villepin, vous avez eu un accueil mouvementé à Abidjan. Est-ce que cette manifestation anti-française de vendredi devant la présidence ivoirienne ne montre pas qu'il y a de sérieuses dissensions au sein du pouvoir ivoirien ?
R - Je crois qu'il faut proportions garder : il s'agit là d'un incident marginal, anecdotique. Une centaine de personnes qui ont empêché notre marche vers le déjeuner que nous avions à la résidence de France où nous attendaient les forces politiques ivoiriennes.
Q - Oui mais quand même c'était dans l'endroit le mieux gardé de Côte d'Ivoire, cela ne pouvait pas être spontané ?
R - C'est bien pour cela que j'ai dit que vraisemblablement cette manifestation n'était peut-être pas tout à fait spontanée. Cela montre à quel point les esprits sont échauffés, à quel point l'inquiétude de la population est grande. Et c'est pour cela que j'ai tenu à expliquer quel était le sens de la présence française en Côte d'Ivoire. Je crois que chacun l'a bien compris, je dois dire et c'est une satisfaction que tous mes interlocuteurs ont marqué unanimement leur soutien à la présence française, au rôle de la France et à la volonté française d'essayer d'appuyer le processus politique.
Q - Mais est-ce que cela ne montre pas qu'il y a autour de M. Gbagbo des extrémistes qui peuvent peut-être faire échouer le dialogue à venir ?
R - Une centaine de personnes, je ne crois pas que cela soit suffisant à faire obstacle à un processus politique. Cela montre qu'il y a une crise politique ouverte. Il en faut plus pour contrarier la volonté de la France d'avancer vers la paix et vers la réconciliation. C'est essentiel pour la Côte d'Ivoire bien sûr, c'est essentiel aussi pour l'ensemble de la région et pour l'ensemble des pays avoisinants.
Q - Vous avez dit à Abidjan que le 15 janvier à Paris il faudra débattre de tout, il faudra aller au cur du problème ivoirien et parler notamment de cette fameuse question identitaire. Alors est-ce que vous estimez qu'il faut sortir de cette ivoirité qui crée des catégories entre Ivoiriens ?
R - Il y a beaucoup de questions. Il y a bien sûr la question de la Constitution, il y a la question de l'identité, celle de la loi foncière et j'ai constaté avec satisfaction que du côté du président Gbagbo comme du côté des mouvements rebelles, il y avait aujourd'hui un espace pour la discussion, pour faire avancer les choses. Donc je pense qu'il peut s'agir d'une réunion fructueuse et nous aurons avec nous le soutien des organisations régionales, de la CEDEAO, de l'Union africaine, des Nations unies. Il appartient aux Africains eux-mêmes avec le soutien de la communauté internationale de trouver les voies de la paix et de la réconciliation.
Q - Mais très concrètement la question identitaire pour beaucoup de nos auditeurs, c'est "est-ce que demain j'aurai une carte d'identité ivoirienne ?", est-ce que cette question sera mise sur la table à Paris ?
R - Bien sûr, je crois que tout doit être débattu. Dès lors que l'on veut passer d'une situation de crise ouverte, une situation de guerre à une situation de paix, rien ne doit être occulté et je constate avec satisfaction que tout le monde aujourd'hui est prêt à évoquer ces questions.
Q - Vous savez aussi qu'il y a cette question lancinante de l'éligibilité ou non d'Alassane Ouattara. Cette question doit-elle être résolue à la conférence de Paris ou est-ce que vous pensez comme certains qu'il faudrait amener le RDR à se choisir un autre dirigeant ?
R - Je crois qu'il est important que chacune des parties puisse se déterminer librement, le RDR est bien sûr invité à Paris, il lui appartient de désigner ses représentants.
Q - C'est-à-dire que si Alassane Ouattara veut participer à la Conférence de Paris, il le peut ?
R - Ce n'est pas à la France de décider qui doit participer à cette table ronde, c'est bien au mouvement politique ivoirien de le décider.
Q - Et sur le fond, que pensez-vous de cette question de l'éligibilité ou non d'Alassane Ouattara ?
R - Bien évidemment, ce n'est pas à la France de trancher cette question. Il appartient aux Ivoiriens eux-mêmes de définir le chemin qui doit être le leur. Ce que je peux constater à titre d'ami de la Côte d'Ivoire et à titre d'ami de l'Afrique, c'est que la Côte d'Ivoire a su dans le passé trouver des réponses, la Côte d'Ivoire a su véritablement être le pays de tolérance et d'ouverture. Quand on voit la situation aujourd'hui, quand on voit la xénophobie, la haine, la montée de l'intolérance, quand on voit la situation sur le plan humanitaire, - et nous avons les premiers alerté la communauté internationale, alerté la Commission des Droits de l'Homme devant les violences, devant les exactions, devant les risques d'interférence et d'ingérence qui existaient en Côte d'Ivoire -, il y beaucoup de travail à faire et nous sommes heureux d'avoir l'appui de l'ensemble des Etats africains, de l'ensemble de la communauté internationale pour nous aider avec les Ivoiriens, à trouver les voies d'une solution.
Q - Vous parliez d'intolérance à propos de la Côte d'Ivoire, il y a au Togo aujourd'hui comme en Côte d'Ivoire il y a deux ans, une réforme constitutionnelle qui vient d'être adoptée pour exclure le principal opposant de la prochaine présidentielle, comment réagissez-vous ?
R - Notre souhait c'est que la démocratie puisse fonctionner pleinement en Afrique, des progrès ont été faits au cours des dernières années et il est important que dans chaque Etat, le jeu démocratique puisse fonctionner pleinement et que dans les prochaines échéances togolaises, le jeu démocratique soit pleinement appliqué.
Q - Vous souhaitez que Gilchrist Olympio puisse se présenter ?
R - Nous souhaitons que sur le plan démocratique, les mesures soient prises pour permettre à cette démocratie de fonctionner dans les meilleures conditions.
Q - Le président Eyadema avait promis à Jacques Chirac il y a quatre ans qu'il ne se représenterait pas. Or, ça y est, avec cette réforme la voie est libre pour qu'il puisse se représenter, votre réaction ?
R - Nous attendons que les décisions soient prises et le moment venu, nous prononcerons ce que nous avons à dire.
Dominique de Villepin, je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 janvier 2003)