Déclaration de Mme Marie-George Buffet, secrétaire nationale du PCF, marquant son indignation après la libération, pour raison de santé, de Maurice Papon, à Paris le 20 septembre 2002.

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Circonstance : Rassemblement de protestation après la libération de Maurice Papon, à Paris le 20 septembre 2002

Texte intégral

Maurice Papon est libre.
Nous sommes indignés par cette décision.

Condamné pour complicité de crimes contre l'humanité en 1998 après des années de combat judiciaire, il est libre. Lui qui n'a jamais rien regretté et qui pourtant fut l'un des principaux artisans de la déportation de plus de 1500 juifs. Lui qui si longtemps s'est soustrait aux juges pour éviter les peines. Lui qui n'a eu de cesse de solliciter un régime de faveur et d'en bénéficier.
Maurice Papon est libre. Une fois la justice passée, on a pu croire que c'en était fini des années de plomb où la complaisance envers ces heures sombres et tragique était la règle.
Une fois la justice passée, on a pu croire que la mémoire ne serait pas brouillée, enfouie, bafouée.
Une fois la justice passée, on a pu croire que l'histoire plus jamais ne se tromperait de direction.
La condamnation de Maurice Papon, le refus de lui accorder la grâce, la reconnaissance par Jacques Chirac de la responsabilité de l'Etat français, on a pu croire que ces gestes ne souffriraient pas de contradiction. Si les mots ont un sens, le crime contre l'humanité est un crime hors-norme, il est l'horreur suprême. Et pourtant, Maurice Papon bénéficie d'un régime particulier, mieux traité que n'importe quel autre prisonnier de droit commun. Nous croyons que tout détenu doit pouvoir être soigné en prison. Mais si nous respectons la dignité de l'homme, nous voulons défendre la dignité de l'humanité. Par son attitude, cet homme continue à lui porter offense. Ne lui déplaise, une fois libéré de prison, Maurice Papon n'est pas libéré de ses crimes. Nous ne demandons pas vengeance, nous demandons justice. Aujourd'hui, nous avons mal à la mémoire, nous avons mal au plus profond de notre humanité.
La douleur qui nous revient vivement à présent fait porter nos craintes sur l'avenir. Que reste-t-il de ces gestes effroyables dans les comportements d'aujourd'hui ? Que reste-t-il encore de cette haine de l'autre, prêt à se loger dans les curs ? Que reste-t-il de ces idées effroyables, tapi en embuscade ? Que reste-t-il de ces lâchetés et de ces complaisances qui ont émaillé l'histoire ? Et si les voiles sombres de la Shoah venaient encore traîner leurs tristes oripeaux autour de nous. Encore aujourd'hui, à regarder le monde, à regarder plus près autour de nous, nous voyons ressurgir des signaux inquiétants. Des signaux de repli, de haine, d'égoïsme, de racisme, de violence, d'intolérance. Nous voulons les combattre. Le populisme et le fascisme ont parfois ce visage apparemment inoffensif, d'un vieil homme aux dehors respectables croulant sous le poids des ans. Nous voulons les combattre.
A l'inverse, que reste-t-il de ces noms gravés sur la pierre dans les camps de l'horreur ? Edifier des digues ne suffira pas. Il faut aller de l'avant pour dessiner avec d'autres couleurs le monde de demain. Des couleurs de tolérance, des couleurs de partage, des couleurs de respect de l'autre, des couleurs de fraternité, des couleurs de justice. Il nous incombe de ne pas oublier, de nous façonner à notre mémoire collective, pour emprunter demain les chemins où la lumière l'emporte sur la nuit.
D'ici, depuis ces lieux du Vel d'Hiv où furent rassemblés plus de douze mille personnes destinées à la mort les 16 et 17 juillet 1942, nous nous souvenons. Les images qui nous viennent sont celles de ces hommes, de ces femmes, de ces enfants juifs qui ont été déportés dans ces terribles convois pour être livrés à la barbarie nazie.
Avec le poète, avec Jean Ferrat, nous nous souvenons.
Ils étaient vingt et cent
Ils étaient des milliers
Nus et maigres, tremblants
Dans ces wagons plombés
Qui déchiraient la nuit
De leurs ongles battants
Ils étaient des milliers
Ils étaient vingt et cent.
Nous nous souvenons.
En leur mémoire, je vous propose d'observer une minute de silence.

(source http://www.pcf.fr, le 23 septembre 2002)