Interview de Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies, dans "Paris Match" du 13 février 2003, sur l'accident de la navette spatiale Columbia et sur l'avenir des vols habités.

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Circonstance : Désintégration de la navette spatiale Columbia au-dessus du Texas durant son processus de rentrée dans l'atmosphère, le 1er février 2003

Média : Paris Match

Texte intégral

Q - Comment avez-vous vécu, à Houston, le deuil des astronautes de Columbia ?
R - J'étais en effet à la cérémonie des funérailles, parmi la grande famille mondiale des astronautes, auprès de mes collègues américains bien sûr, mais aussi canadiens, européens, japonais C'était une commémoration digne et forte. Le président Bush a fait un discours plein d'hommages tout en se montrant très ouvert à la poursuite de la conquête de l'espace.
Q - Faut-il pour autant continuer les vols habités ?
R - Je pense que les sondes automatiques peuvent beaucoup, mais que l'esprit de conquête est inhérent à l'être humain et que rien ne remplace la perception de l'homme et sa capacité d'interagir à bord. Qu'attend le citoyen d'en bas d'une aventure comme la Station spatiale internationale (I.s.s.) ? Qu'elle lui raconte une belle histoire humaine, interethnique et multiculturelle, puisque seize pays y sont impliqués ; qu'elle fasse avancer la science du comportement humain autant que la recherche fondamentale, de manière plus précise que ne pourrait le faire un robot. Les vols habités, c'est la part de rêve Et le rêve est important pour mobiliser l'humanité.
Q - Quel est l'avenir de l'I.s.s., ce Meccano de l'espace à 100 milliards de dollars en cours d'assemblage ?
R - Tout dépend du moment où reprendront les vols de la navette. Si c'est dans peu de temps, rien ne sera changé : seuls resteront le souvenir et l'hommage. Dans tous les cas, les pays partenaires de ce vaste projet sont d'accord pour l'utilisation la plus rationnelle possible de ce laboratoire en orbite.
Q - L'Amérique reste le superpilote de l'I.s.s. N'y a-t-il pas là le germe d'un nouveau clivage : Europe et Russie d'un côté, Etats-Unis de l'autre ?
R - Au contraire, ce projet réunit toutes les forces de coopération scientifique internationale autour d'objectifs communs. Et le drame de Columbia a encore resserré les liens. La contribution de l'Europe y est de 8 %. La France a des laboratoires embarqués de physiologie et de physique des fluides. Et nous avons presque terminé le développement d'un gros module scientifique, Colombus, qui devait être emporté par Columbia à la fin 2004.

Q - La catastrophe survient dans un contexte de crise du secteur spatial. Le Cnes (Centre national d'études spatiales) est particulièrement déstabilisé
R - Le secteur n'avait en effet pas besoin de ça. La crise est venue de celle des télécoms, qui affecte les besoins de lancement, beaucoup moins importants qu'il y a quatre ans, et fait souffrir l'industrie. A cela s'est ajouté l'échec du vol 517 d'Ariane 5 le 11 décembre Le drame récent rend d'autant plus cruciale la détermination d'une politique européenne ambitieuse, avec un Cnes fort, puisque la France en est le moteur. Telle est la clé de l'indépendance de l'Europe dans la collecte d'informations utiles à la vie de tous les jours : depuis l'observation des risques naturels jusqu'à la surveillance du trafic aérien ou de la pollution maritime. Je remettrai dans ce sens une proposition en Conseil des ministres à la mi-mars.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 février 2003)