Texte intégral
Monsieur le Président,Monsieur le Ministre,Madame la Ministre,Mes chers collègues,
Le budget de l'Education nationale a souvent été perturbé par des aléas de conjoncture. Ces impératifs ont sans doute retardé les réformes qualitatives de notre système éducatif, pourtant rendues nécessaires par l'évolution. Ce n'est plus le cas, aujourd'hui. Démographiquement, la situation semble s'être stabilisée pour plusieurs années et le recul démographique constitue désormais un élément essentiel à prendre en compte.
Le budget de l'enseignement scolaire est en augmentation. Déduction faite de l'inflation, celle-ci atteint 2,6 %. Je me garderai bien de vous reprocher cette augmentation car le système éducatif doit être traité comme une question prioritaire. C'est un investissement pour la nation. Sa part dans le produit intérieur brut - 7 % - est correcte, moyenne, au regard de ce qui se pratique chez nos voisins européens.
Pour autant, au-delà de ce satisfecit - fondé sur une apparence quantitative -, notre système éducatif nous donne-t-il satisfaction ? Je ne souhaite pas verser dans le discours catastrophiste, car, indéniablement, dans certains secteurs, il est encore un modèle pour beaucoup de nos voisins. Toutefois, les points noirs s'accumulent. L'illettrisme reste une difficulté majeure de notre système, même si nous n'en avons pas l'exclusivité.
Ces nouvelles donnes imposent une réflexion qualitative plus que quantitative. Or, de ce point de vue, ce budget nous laisse un peu sur notre faim. Nombre de points jugés essentiels ont déjà été soulevés par de précédents orateurs. Je voudrais néanmoins les rappeler rapidement.
Ainsi, la crise des lycées professionnels est devenue intolérable. L'"effet Jacquet", en termes de publicité, s'est traduit par une augmentation considérable du nombre d'inscrits, mais les moyens n'ont pas suivi. Les crédits ne trompent pas. Or, si les conférences de presse et les discours de M. le Ministre se font l'écho de la nécessité du changement, pour le moment, nous ne voyons rien venir sur le plan budgétaire.
Par ailleurs, les insuffisances de la médecine scolaire ont été suffisamment démontrées, que ce soit dans la rue, il y a quelques jours ou ici même, et le seront encore au cours de ce débat.
L'environnement sanitaire de l'école est un enjeu majeur.
Il en va de même pour les personnels de direction. On a dit tout à l'heure qu'il manquerait des candidats pour 10.000 postes de direction de l'enseignement primaire. Il manque en toute hypothèse 4.000 directeur d'établissements formés. Cela pose les problèmes de leurs formation, de leur recrutement, de leur responsabilité, qui est désormais essentielle. Les chefs d'établissement seront amenés à jouer un rôle majeur dans la déconcentration que vous souhaitez et dont nous approuvons le principe - sinon la réalisation.
Je voudrais encore souligner la situation des personnels de service. J'ai entendu à ce propos, des déclarations un peu étonnantes. On a dit, ainsi que ce budget était exceptionnel. Il l'est quantitativement, mais une fois de plus, la situation n'est pas bonne. Je reviendrai tout à l'heure sur la gestion budgétaire des postes. Mais vous savez très bien que la qualité de vie au sein des établissements est essentielle. Or, la précarité organisée remplace souvent le statut et la stabilité de l'emploi.
Votre budget est statique dans son esprit comme une masse d'argent dont plus personne, mais vous n'êtes pas l'initiateur dans le domaine, n'a la vraie maîtrise. Et les effets néfastes de votre politique d'emplois-jeunes sont venus aggraver un phénomène qui n'était qu'administratif. Ils ont véritablement lesté, pour plusieurs années, les possibilités d'évolution du système.
En effet, les emplois-jeunes ne posent pas seulement un problème de crédits, ils ont aussi empêché un grand débat national sur le recrutement d'aides-éducateurs, c'est-à-dire de ceux qui accompagnent l'enseignant dans sa tâche. Vous avez privilégié la statistique : un mécanisme comptable a permis au Gouvernement d'annoncer qu'il était en train de diminuer le chômage des jeunes. Mais sur quels critères de qualité, monsieur le ministre ? Je vous reproche, nonpas d'avoir fait ce choix politique, mais d'avoir délibérément ignoré celui qui portait sur la qualification des personnels devant accompagner les professeurs.
Je pourrais parler de la violence dont personne n'a encore rien dit. Notons simplement qu'alors que vous aviez annoncé 10.000 emplois-jeunes au sortir du conseil de sécurité intérieure, votre budget se contente d'en prévoir 5.000. Et là encore, il ne s'agit pas seulement d'une question quantitative. Le rapport de l'inspection générale, qui ne passe pas pour être une association d'excités, est relativement clair en la matière. La violence met réellement en cause le système éducatif. En outre, ce phénomène ne se limite pas aux zones sensibles. Il menace l'idée même de citoyenneté et de discipline au sein des établissements.
Je terminerai par un point essentiel à mes yeux et qui reprend quelques-unes des conclusions de la commission d'enquête sénatoriale sur l'obscurité dans laquelle nous sommes pour juger votre budget.
Vos emplois, monsieur le ministre, ne correspondent pas aux postes. L'exemple le plus éclairant est la manipulation que vous opérez par le jeu des transferts des maîtres auxiliaires sur les MI/SE et des MI/SE sur les emplois-jeunes. En réalité, l'écart est croissant entre ce que croient voter les députés et la réalité du terrain. Qu'en est-il des emplois délégués ? Qu'en est-il de ces créations, sans contrôle, de postes rectoraux par les dotations globales horaires ? Qu'en est-il des titulaires académiques ? Qu'en est-il du contrôle national des emplois dont on parle toujours et qu'on ne voit jamais venir ? Le ministre de l'éducation nationale est désormais celui de la cavalerie budgétaire.
Votre budget ignore totalement les propositions judicieuses de la commission du Sénat présidée par M. Gouteyron, comme la création d'un jaune budgétaire. Qu'en est-il des détachements, des remplacements, de la multiplicité des statuts ? Vous n'avez pas répondu aux interpellations des sénateurs. Si je vous interroge à mon tour sur ce sujet, ce n'est pas par un strict devoir comptable, c'est aussi parce que je crois que l'obscurité du système, qui interdit tout débat au sein de la structure parlementaire, est un mauvais service rendu à l'éducation nationale ;
Le Parlement doit-il continuer d'ignorer ces sujets tabous qui engagent pourtant l'avenir : les choix pédagogiques, les méthodes employées, la pédagogie qui reste une affaire de spécialistes auxquels les parlementaires n'ont même pas accès puisque tout est résumé dans l'immense fatras réglementaire de l'éducation nationale ?
Comment peut-on imaginer que, sur ce sujet essentiel, la vision de parlementaires se limite au bleu budgétaire dont je vous demande, mes chers collègues, de savourer la lecture ? Si, au terme de cet exercice, vous arrivez à savoir exactement ce que vous avez voté, cela relèvera véritablement de l'introspection car je suis sûr que M. le ministre ne sait pas ce qu'il y a dans le bleu budgétaire.
Et pour cause, l'administration elle-même ne doit pas le savoir ! Moi, qui viens du même endroit que beaucoup d'entre vous et qui connais bien les mécanismes administratifs, je vous dis solennellement qu'il n'y a pas un administrateur de l'éducation nationale, si haut soit-il placé, en mesure de préciser ce que la ligne budgétaire "emplois" recouvre en termes de postes affectés sur le terrain.
Dès lors, comment voulez-vous envisager une véritable réforme de notre système éducatif ? Dans ces conditions d'obscurité budgétaire, qui vous rattraperont ou qui rattraperont vos successeurs
Ne vous étonnez pas, dans ces conditions, que parents d'élèves et lycéens se conduisent à l'égard de la structure scolaire comme des consommateurs. Comment voulez-vous qu'il en soit autrement dans un système qui reste délibérément opaque ?
M. Jacques Guyard (rapporteur spécial) : Il faut déconcentrer !
M. Claude Goasguen : Bien-sûr ! Nous n'avons jamais été hostiles à la déconcentration. Au contraire, nous pensons qu'elle ne va pas assez loin.
M. Jean-Pierre Baeulmer et M. Jean-Pierre Pernot : Pourquoi ne l'avez-vous pas faite ?
M. Claude Goasguen : Je ne suis pas ici, comme certains parlementaires, pour passer du cirage et faire systématiquement de la désinformation s'agissant de tout ce que fait le ministre
Ne vous en déplaise, certains discours sont préparés par l'administration. Puisque le Premier ministre s'est cru autorisé à faire des remarques grammaticales sur nos interventions, la semaine dernière, permettez-moi d'en faire aujourd'hui à propos de celle des représentants de la majorité.
Les problème de la dernière rentrée, je ne vous les impute pas personnellement, encore que je pourrais le faire au regard de certaines de vos déclarations pour le moins intempestives sur le "zéro défaut"
Alors que l'on nous avait annoncé que la rentrée avait été exemplaire nous avons décrypté, à travers ce qui remontait des établissements, ce qui apparaissait dans le journaux, que cette rentrée n'avait pas été celle du "zéro défaut". Exemplaire elle l'était, mais du fait des difficultés matérielles rencontrées par un certain nombre d'établissements et que vous avez reconnues depuis à juste titre, du fait aussi de cette volonté des services administratifs de l'éducation nationale - c'était le cas avant vous déjà et j'espère qu'il n'en sera plus ainsi après - de ne pas laisser passer l'information. Cette attitude ne correspond pas à l'école moderne que nous souhaitons et dessert l'éducation nationale.
Mer chers collèges, le débat sur l'éducation nationale doit être le plus ouvert dans la nation audébut du XXIème siècle. Or, il est depuis des décennies réservé à des spécialistes et à des administrateurs qui cachent la réalité à ceux qui en sont non pas les consommateurs, mais les acteurs.
Je souhaite, monsieur le ministre, que ce bleu budgétaire incompréhensible ne soit plus, l'an prochain, la représentation unique que le Parlement a de l'éducation nationale. Il faut le modifier tant sur le fond que sur la forme afin que nous puissions avoir, opposition et majorité confondues, le vrai débat politique que mérite l'éducation nationale. Il faut en finir avec cette espère de recueil de lignes budgétaires pour des emplois fictifs, si vous me permettez d'employer ce terme.
Monsieur le ministre, je ne pourrai pas dire tout ce que je souhaite, mon temps de parole étant écoulé, mais soyez assuré que le groupe Démocratie libérale votera contre votre budget.
(source http://www.claude-goasguen.org, le 7 février 2001)