Texte intégral
Le ministre - Nous ne voulions pas quitter cette réunion sans vous revoir quelques instants pour satisfaire éventuellement votre curiosité sur d'autres points que sur les points traités hier.
Il y a eu une série de conférences dans lesquelles les délégations des pays candidats avec lesquels nous allons entamer des négociations d'adhésion ont été reçus les uns après les autres, avec une petite suspension de séance entre les deux : un discours d'accueil par Robin Cook, une présentation du schéma final de la négociation par Van Den Broeck. Ensuite, il y a eu une réponse du ministre, chef de délégation, qui expliquait ce que cela représentait pour son pays. Enfin, à chaque pays, Robin Cook a répondu en précisant qu'il attendait de les voir bientôt comme membres à part entière dans l'Union européenne.
Q - Vous avez parlé du projet de M. Brittan avec M. Cook ?
R - Le ministre - J'ai fait une mise au point parce que j'ai trouvé que les dépêches rendant compte de la discussion au sein du Conseil Affaires générales, puis des conclusions du Conseil Affaires générales, étaient inexactes.
Donc, j'ai simplement fait une mise au point en rappelant ce qui a été dit, en rappelant qu'il n'y avait aucune ambiguïté dans l'hostilité de la France à cette proposition et en rappelant qu'il n'y aurait pas de mandat, parce que, pour donner un mandat, il faut l'unanimité.
J'ai lu une dépêche qui est inexacte, par ailleurs, sur ce que j'ai dit. Une dépêche de Reuters qui est inexacte concernant des termes que je n'ai pas employés. Donc cela, c'est anecdotique.
Q - M. Brittan vous a-t-il dit que l'on ne parlerait pas de son projet au Sommet transatlantique ? Avez-vous des garanties là-dessus ?
R - Le ministre - Il était venu à ce Conseil pour obtenir cela et ce n'est pas dans les conclusions de la présidence.
Q - Vous considérez qu'il ne peut pas en parler au Sommet transatlantique...
R - Le ministre - Nous considérons qu'il n'a pas reçu, dans ce Conseil Affaires générales, un mandat qui lui permette d'en parler au Sommet transatlantique. Ce n'est pas dans les conclusions de la présidence. C'est toute la différence. C'est d'ailleurs ce qu'a répondu Robin Cook, disant que l'on regarderait cela au prochain Conseil Affaires générales. Donc, il n'y a jamais eu d'ambiguïté sur ce point, ni hier soir, ni ce matin.
Q - Le ministre britannique au Commerce extérieur a dit hier, pendant la conférence de presse, que l'on n'a pas besoin de mandat pour en discuter. Ils jouent sur les mots...
R - Le ministre - M. Brittan a le droit de défendre ses idées, naturellement. Mais, il n'a pas le droit de travestir la façon dont le débat s'est déroulé, dont il s'est conclu.
Q - Il a dit qu'il était conscient des positions de la France. Mais, il dit que l'on peut discuter, même si la France ....
R - Le ministre - Oui mais, d'abord, il minimise la position de la France et, d'autre part, il joue sur les mots. Il fait comme si c'était une critique mineure dont on parlera en cours de route, alors que nous avons une opposition - nous l'avons dit hier à différents moments, devant vous et en séance -, sur le fond, sur la forme et sur la procédure. Il ne peut pas y avoir de mandat sans unanimité. Le reste ne compte pas.
R - Le ministre délégué - Je peux rappeler la première chose que je vous ai dite hier : le moment es tout à fait mal choisi et la coïncidence de la réunion ministérielle de l'OMC et de ce sommet américano-européen, le 18 mai, risque de donner un message totalement brouillé, en donnant l'impression que l'on privilégiait le bilatéral alors que nous sommes pour le multilatéral. C'est donc la première chose que nous voulons dire : il n'est pas pertinent d'en parler le 18 mai.
Q - Vous avez dit qu'il avait le droit de défendre son point de vue, ses idées. Il a le droit de les défendre au sein des Quinze ou il a le droit de les défendre sur la place publique ?
R - Le ministre délégué - Le plus important, c'est qu'il s'agit de savoir s'il y a un mandat de négociation. Pour qu'il y ait mandat, il faut unanimité. La France est contre pour les raisons que nous avons expliquées, de fond, de forme, de procédure, d'opportunité. Nous sommes contre, donc, il n'y aura pas de mandat. Savoir si M. Brittan a le droit ou pas de défendre ses idées, c'est un problème qui intéresse le droit de la personne humaine.
Vous avez cité le premier point que j'ai évoqué. Je vais vous rappeler le dernier que j'avais évoqué, c'est-à-dire que nous trouvons tout à fait nuisible pour la crédibilité de l'Union européenne, le procédé selon lequel on commence à discuter y compris avec les Américains, sans mandat du Conseil. C'est contraire à tout ce qui doit être fait.
L'espèce de "distinction oiseuse" entre discussion et négociation est une façon de faire comme s'il avait un mandat sans que cela soit le cas. Mais, il ne l'a pas. Donc, tout cela tournera court.
Q - M. Cook, ce matin, vous a cité comme témoin de la grande réussite de la présidence. Vous l'auriez trouvé drôle et efficace. Drôle, pourquoi ?
R - Le ministre - Je pense que c'est une allusion à l'esprit dont M. Cook est lui-même doté. C'est peut-être aussi une référence au discours de Tony Blair à l'Assemblée nationale qui était effectivement très drôle. Il a un sens de l'humour assez robuste. Cette réunion s'est bien déroulée.
Q - Quelle est la position de la France en ce qui concerne les négociations d'adhésion avec Chypre et que pensez-vous de la réaction d'Ankara à l'ouverture de la négociation d'adhésion avec Chypre ?
R - Le ministre - C'est un point sur lequel nous nous sommes beaucoup exprimés. La position de la France est tout à fait claire. On se réfère aux conclusions du Conseil européen de Luxembourg de décembre qui ont été rappelées, d'ailleurs, par Robin Cook, ce matin, en accueillant la délégation de Chypre. Pour le reste, nous estimons que le Conseil doit exercer sa fonction, son rôle pendant le déroulement des négociations avec Chypre, comme avec les autres. Le Conseil ne lance pas des négociations dont il va se désintéresser par la suite. Donc, il devra suivre attentivement les différentes étapes de ces négociations pour apprécier comment elles se déroulent. Ensuite, nous verrons. Notre position générale sur Chypre et sur l'avenir de Chypre et, notamment, sur le travail qui est fait au sein des Nations unies, est bien connue.
Q - Il y a un fait nouveau. Le ministre des Affaires étrangères turc m'a dit, hier, que l'Union européenne, en commençant les négociations avec Chypre, aggravait les tensions en Méditerranée de l'Est. Il annonçait qu'avec le Conseil d'association, il pourrait annexer le nord de Chypre. Partagez-vous ces idées ?
R - Le ministre - Il faut analyser tout cela avec beaucoup de sang froid, beaucoup de calme. Sur de nombreuses déclarations sur ce sujet, il faut ramener les choses à une plus juste proportion. L'Union européenne avait décidé en 1995, déjà, d'ouvrir les négociations avec Chypre, six mois après la fin de la Conférence intergouvernementale. C'est ce qui a eu lieu, ainsi qu'avec d'autres pays pour lesquels les décisions avaient été prises ultérieurement. Le Conseil européen avait exprimé un certain nombre de souhaits, de demandes en décembre qui n'ont pas été entièrement satisfaits pour les raisons que l'on sait. Mais, cela ne pouvait pas remettre en cause la décision de principe d'ouvrir les négociations qui avait été prise en 1995. Il en allait autrement du suivi de la négociation et de l'appréciation apportée en cours de route. Mais, il ne faut pas, sur l'ensemble de ces sujets qui sont liés entre eux, qui sont interdépendants, fonder son analyse sur les déclarations faites au jour le jour.
Q - Quelle est votre position sur la proposition de Mme Albright d'établir une zone d'interdiction aérienne autour de Chypre ?
R - Le ministre - Cela n'a pas de rapport direct avec l'ouverture de la négociation d'adhésion. Cela a un rapport avec l'environnement de la négociation, mais pas un rapport direct, immédiat. Notre position est que tout ce qui permet de faire baisser la tension dans l'île et autour de l'île et dans la région est bon.
Q - La manière dont le gouvernement chypriote-grec a formulé, conformément aux voeux de l'Union, l'ouverture de sa délégation à la communauté turque de l'île est-elle conforme à ce que vous attendiez ?
R - Le ministre - On peut dire que le gouvernement chypriote-grec a tenté de répondre au souhait qu'avait exprimé le Conseil européen en décembre. Cela n'a pas été suivi d'effet. Donc, le problème reste posé. Mais, cela ne peut pas se juger à l'ouverture de la négociation. Le problème reste là, chacun le voit.
Q - Peut-on continuer les négociations dans cette situation ?
R - Le ministre - Actuellement, il s'agit de les commencer. Il faut les commencer. Il faut voir les problèmes que cela amène à aborder. Pour tout le monde, d'ailleurs. Globalement, nous entrons dans une phase très intéressante parce que cela a d'abord une grande signification historique, comme l'ont dit tous les intervenants, hier - je n'y reviens pas, mais c'est vrai -. C'est tout de même un élément tout à fait important et pour chacun de ces pays, c'est très important, naturellement.
Ensuite, nous entrons dans une phase qui est moins politique, moins symbolique. Nous ouvrons des dossiers. Nous découvrons des problèmes réels de part et d'autre. Pour chacun de ces pays candidats, s'adapter à l'Union européenne telle qu'elle est devenue, reprendre l'acquis, cela pose des problèmes innombrables. Je ne parle pas que de Chypre. Cela pose des problèmes particuliers s'agissant de Chypre, mais cela pose beaucoup de problèmes pour chacun des autres.
Pour l'Union, s'adapter à ce qu'elle va devenir après ces élargissements, comme nous le disons sans arrêt à chaque fois, c'est un problème très sérieux, puisque nous voulons que l'Union continue à fonctionner ensuite, qu'elle fonctionne bien, qu'elle soit efficace, qu'elle soit capable d'avoir des politiques communes, etc...
Donc, nous entrons dans une phase qui va être très compliquée, qui était nécessaire, qui va être d'une nature différente de la phase qui se conclut par cette journée d'ouverture, qui est donc une phase qui en ouvre une autre. Il est temps de prendre les problèmes sérieusement, si nous voulons les résoudre bien.
Q - Quand vous avez fait votre déclaration, ce matin, M. Brittan était-il présent ?
R - Le ministre - Non, je ne crois pas. Je l'ai fait au vu des dépêches. Je ne voulais pas laisser planer une ambiguïté alors que nous avons été, aussi bien M. Moscovici que moi-même, très clairs, je crois.
R - Le ministre délégué - Robin Cook a été très clair aussi sur ce qu'il avait entendu. Il a précisé qu'il avait tout à fait compris, pour sa part, ce que j'avais exprimé au nom de la délégation française, hier soir, qui était totalement sans ambiguïté.
Q - A-t-on parlé de la Turquie hier soir, de la situation de la Turquie ?
R - Le ministre - J'ai parlé de la Turquie dans la séance de fin d'après-midi, en rappelant les engagements qui ont été pris par l'Union européenne depuis des années à l'égard de la Turquie et qui restent à tenir. J'ai appelé les membres de l'Union européenne à tenir aussi leurs engagements pris par rapport à la Turquie, puisque nous tenons les engagements pris par rapport à d'autres.
Q - Entre l'impulsion que le dossier Chypre a subi sous la présidence française de 1995 et la position exprimée par la France à Edimbourg, donc plutôt réticente, plutôt conditionnée, il y a une évolution, une nuance. A quoi est due cette évolution ?
R - Le ministre - Cela ne se présente pas exactement comme cela lorsqu'on négocie un élargissement. Aucun pays n'est favorable à l'entrée de n'importe quel autre pays sans condition. Sinon, il n'y aurait pas de négociations d'élargissement. S'il y a des négociations d'élargissement, c'est bien qu'il y a des problèmes à résoudre.
Je crois qu'il n'y a pas tellement de différence dans la position de la France depuis le début, puisqu'en 1995, la décision d'entamer les négociations d'élargissement avec Chypre, six mois après la fin de la Conférence intergouvernementale, avait été prise dans un contexte où il y avait une série d'autres engagements qui étaient pris, notamment en ce qui concerne le protocole financier avec la Turquie. Il se trouve qu'un certain nombre d'autres engagements pris à ce moment-là, dans cet ensemble, n'ont pas été tenus. Donc, la France a été amenée à faire remarquer que si on tenait les engagements par rapport à Chypre, il fallait que les autres engagements soient tenus par les Quinze, par rapport à la Turquie. Mais, comme la décision de 1995 avait été très nette, très claire sur l'engagement de la négociation avec Chypre, après avoir attiré l'attention de ses partenaires sur ce problème particulier, sur les engagements avec la Turquie, sur les problèmes particuliers que pose une île divisée, sur le fait que cela ne paraît pas possible, au bout du compte, de faire adhérer une île divisée - mais nous n'en sommes pas là - la France a dit ce qu'elle devait dire à ses partenaires, à chacune des étapes. Au bout du compte, elle a estimé qu'elle ne pouvait pas revenir sur la décision de 1995, qu'elle n'avait pas de raison de le faire.
Donc, nous avons été, je crois, aussi clairs que possible pour souligner les problèmes que nous allons devoir affronter et traiter pendant la négociation et au terme de la négociation. Naturellement, il faut espérer que les problèmes particuliers, les problèmes politiques, les problèmes stratégiques, les problèmes de sécurité posés par la division de l'île et par cette région auront été surmontés entre temps, pendant que la négociation va se dérouler.
Donc, il n'y a pas de différence fondamentale parce que, déjà en 1995, la position prise par la France à l'époque était liée aux autres engagements, à l'ensemble du sujet. Il ne faut pas rappeler simplement la décision sur la question de Chypre.
Q - C'est Chypre qui risque de payer les conséquences de l'attitude des Chypriotes-turcs ?
R - Le ministre - Ce n'est pas comme cela qu'il faut analyser les choses. Il y a une situation objective. Il y a un problème objectif sérieux. Les quinze membres considèrent que c'est un problème objectif et sérieux. La question était de savoir si cela pouvait, si cela devait amener une remise en cause de l'engagement pris en 1995. Finalement, non. Mais, cela ne veut pas dire que le problème ne se pose pas. Il faut le dire honnêtement à l'avance. Il y a un problème qui se pose toujours. On ne peut pas le laisser, on ne peut pas le dissimuler. Mais, aujourd'hui, l'Europe a tenu ses engagements pris en 1995 par rapport à Chypre en ouvrant la négociation.
R - Le ministre délégué - On ne peut pas dire que Chypre paie quoi que ce soit à partir du moment où effectivement la négociation s'ouvre avec une délégation qui ne représente pas les deux communautés présentes dans l'île. Donc, c'est une façon curieuse de payer. Beaucoup aimeraient payer ainsi.
Q - Combien de temps pourraient durer les négociations qui se sont entamées aujourd'hui ? Il y a des estimations différentes selon la Commission... Quatre ou cinq ans ? Quatre ou six ans ? Douze ans ?
R - Le ministre - On n'en sait rien. Personne ne peut le dire à l'avance.
R - Le ministre délégué - Le temps qu'il faudra.
R - Le ministre - Il faudrait regarder combien de temps ont duré, dans le passé, les négociations les plus faciles.
R - Le ministre délégué - Il a été rappelé ce matin, par la présidence, qu'il y avait une règle de base pour tous les pays qui était la reprise des acquis communautaires, premièrement. Deuxièmement, tous ces pays ont souligné qu'ils étaient conscients eux-mêmes de leur situation, qu'ils n'avaient pas tout à fait des économies développées sur le même modèle que nous, qu'ils représentaient des sociétés en évolution et avaient des administrations incomplètes. Donc, à partir de ce moment-là, nous avons les termes de l'équation. Cela prendra sans doute un certain temps, mais le temps nécessaire parce que sinon cela serait à la fois un choc pour les politiques européennes et un choc pour ces pays eux-mêmes.
R - Le ministre - Donc, cela prendra le temps qu'il faudra pour que cela se passe bien./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 septembre 2001)
Il y a eu une série de conférences dans lesquelles les délégations des pays candidats avec lesquels nous allons entamer des négociations d'adhésion ont été reçus les uns après les autres, avec une petite suspension de séance entre les deux : un discours d'accueil par Robin Cook, une présentation du schéma final de la négociation par Van Den Broeck. Ensuite, il y a eu une réponse du ministre, chef de délégation, qui expliquait ce que cela représentait pour son pays. Enfin, à chaque pays, Robin Cook a répondu en précisant qu'il attendait de les voir bientôt comme membres à part entière dans l'Union européenne.
Q - Vous avez parlé du projet de M. Brittan avec M. Cook ?
R - Le ministre - J'ai fait une mise au point parce que j'ai trouvé que les dépêches rendant compte de la discussion au sein du Conseil Affaires générales, puis des conclusions du Conseil Affaires générales, étaient inexactes.
Donc, j'ai simplement fait une mise au point en rappelant ce qui a été dit, en rappelant qu'il n'y avait aucune ambiguïté dans l'hostilité de la France à cette proposition et en rappelant qu'il n'y aurait pas de mandat, parce que, pour donner un mandat, il faut l'unanimité.
J'ai lu une dépêche qui est inexacte, par ailleurs, sur ce que j'ai dit. Une dépêche de Reuters qui est inexacte concernant des termes que je n'ai pas employés. Donc cela, c'est anecdotique.
Q - M. Brittan vous a-t-il dit que l'on ne parlerait pas de son projet au Sommet transatlantique ? Avez-vous des garanties là-dessus ?
R - Le ministre - Il était venu à ce Conseil pour obtenir cela et ce n'est pas dans les conclusions de la présidence.
Q - Vous considérez qu'il ne peut pas en parler au Sommet transatlantique...
R - Le ministre - Nous considérons qu'il n'a pas reçu, dans ce Conseil Affaires générales, un mandat qui lui permette d'en parler au Sommet transatlantique. Ce n'est pas dans les conclusions de la présidence. C'est toute la différence. C'est d'ailleurs ce qu'a répondu Robin Cook, disant que l'on regarderait cela au prochain Conseil Affaires générales. Donc, il n'y a jamais eu d'ambiguïté sur ce point, ni hier soir, ni ce matin.
Q - Le ministre britannique au Commerce extérieur a dit hier, pendant la conférence de presse, que l'on n'a pas besoin de mandat pour en discuter. Ils jouent sur les mots...
R - Le ministre - M. Brittan a le droit de défendre ses idées, naturellement. Mais, il n'a pas le droit de travestir la façon dont le débat s'est déroulé, dont il s'est conclu.
Q - Il a dit qu'il était conscient des positions de la France. Mais, il dit que l'on peut discuter, même si la France ....
R - Le ministre - Oui mais, d'abord, il minimise la position de la France et, d'autre part, il joue sur les mots. Il fait comme si c'était une critique mineure dont on parlera en cours de route, alors que nous avons une opposition - nous l'avons dit hier à différents moments, devant vous et en séance -, sur le fond, sur la forme et sur la procédure. Il ne peut pas y avoir de mandat sans unanimité. Le reste ne compte pas.
R - Le ministre délégué - Je peux rappeler la première chose que je vous ai dite hier : le moment es tout à fait mal choisi et la coïncidence de la réunion ministérielle de l'OMC et de ce sommet américano-européen, le 18 mai, risque de donner un message totalement brouillé, en donnant l'impression que l'on privilégiait le bilatéral alors que nous sommes pour le multilatéral. C'est donc la première chose que nous voulons dire : il n'est pas pertinent d'en parler le 18 mai.
Q - Vous avez dit qu'il avait le droit de défendre son point de vue, ses idées. Il a le droit de les défendre au sein des Quinze ou il a le droit de les défendre sur la place publique ?
R - Le ministre délégué - Le plus important, c'est qu'il s'agit de savoir s'il y a un mandat de négociation. Pour qu'il y ait mandat, il faut unanimité. La France est contre pour les raisons que nous avons expliquées, de fond, de forme, de procédure, d'opportunité. Nous sommes contre, donc, il n'y aura pas de mandat. Savoir si M. Brittan a le droit ou pas de défendre ses idées, c'est un problème qui intéresse le droit de la personne humaine.
Vous avez cité le premier point que j'ai évoqué. Je vais vous rappeler le dernier que j'avais évoqué, c'est-à-dire que nous trouvons tout à fait nuisible pour la crédibilité de l'Union européenne, le procédé selon lequel on commence à discuter y compris avec les Américains, sans mandat du Conseil. C'est contraire à tout ce qui doit être fait.
L'espèce de "distinction oiseuse" entre discussion et négociation est une façon de faire comme s'il avait un mandat sans que cela soit le cas. Mais, il ne l'a pas. Donc, tout cela tournera court.
Q - M. Cook, ce matin, vous a cité comme témoin de la grande réussite de la présidence. Vous l'auriez trouvé drôle et efficace. Drôle, pourquoi ?
R - Le ministre - Je pense que c'est une allusion à l'esprit dont M. Cook est lui-même doté. C'est peut-être aussi une référence au discours de Tony Blair à l'Assemblée nationale qui était effectivement très drôle. Il a un sens de l'humour assez robuste. Cette réunion s'est bien déroulée.
Q - Quelle est la position de la France en ce qui concerne les négociations d'adhésion avec Chypre et que pensez-vous de la réaction d'Ankara à l'ouverture de la négociation d'adhésion avec Chypre ?
R - Le ministre - C'est un point sur lequel nous nous sommes beaucoup exprimés. La position de la France est tout à fait claire. On se réfère aux conclusions du Conseil européen de Luxembourg de décembre qui ont été rappelées, d'ailleurs, par Robin Cook, ce matin, en accueillant la délégation de Chypre. Pour le reste, nous estimons que le Conseil doit exercer sa fonction, son rôle pendant le déroulement des négociations avec Chypre, comme avec les autres. Le Conseil ne lance pas des négociations dont il va se désintéresser par la suite. Donc, il devra suivre attentivement les différentes étapes de ces négociations pour apprécier comment elles se déroulent. Ensuite, nous verrons. Notre position générale sur Chypre et sur l'avenir de Chypre et, notamment, sur le travail qui est fait au sein des Nations unies, est bien connue.
Q - Il y a un fait nouveau. Le ministre des Affaires étrangères turc m'a dit, hier, que l'Union européenne, en commençant les négociations avec Chypre, aggravait les tensions en Méditerranée de l'Est. Il annonçait qu'avec le Conseil d'association, il pourrait annexer le nord de Chypre. Partagez-vous ces idées ?
R - Le ministre - Il faut analyser tout cela avec beaucoup de sang froid, beaucoup de calme. Sur de nombreuses déclarations sur ce sujet, il faut ramener les choses à une plus juste proportion. L'Union européenne avait décidé en 1995, déjà, d'ouvrir les négociations avec Chypre, six mois après la fin de la Conférence intergouvernementale. C'est ce qui a eu lieu, ainsi qu'avec d'autres pays pour lesquels les décisions avaient été prises ultérieurement. Le Conseil européen avait exprimé un certain nombre de souhaits, de demandes en décembre qui n'ont pas été entièrement satisfaits pour les raisons que l'on sait. Mais, cela ne pouvait pas remettre en cause la décision de principe d'ouvrir les négociations qui avait été prise en 1995. Il en allait autrement du suivi de la négociation et de l'appréciation apportée en cours de route. Mais, il ne faut pas, sur l'ensemble de ces sujets qui sont liés entre eux, qui sont interdépendants, fonder son analyse sur les déclarations faites au jour le jour.
Q - Quelle est votre position sur la proposition de Mme Albright d'établir une zone d'interdiction aérienne autour de Chypre ?
R - Le ministre - Cela n'a pas de rapport direct avec l'ouverture de la négociation d'adhésion. Cela a un rapport avec l'environnement de la négociation, mais pas un rapport direct, immédiat. Notre position est que tout ce qui permet de faire baisser la tension dans l'île et autour de l'île et dans la région est bon.
Q - La manière dont le gouvernement chypriote-grec a formulé, conformément aux voeux de l'Union, l'ouverture de sa délégation à la communauté turque de l'île est-elle conforme à ce que vous attendiez ?
R - Le ministre - On peut dire que le gouvernement chypriote-grec a tenté de répondre au souhait qu'avait exprimé le Conseil européen en décembre. Cela n'a pas été suivi d'effet. Donc, le problème reste posé. Mais, cela ne peut pas se juger à l'ouverture de la négociation. Le problème reste là, chacun le voit.
Q - Peut-on continuer les négociations dans cette situation ?
R - Le ministre - Actuellement, il s'agit de les commencer. Il faut les commencer. Il faut voir les problèmes que cela amène à aborder. Pour tout le monde, d'ailleurs. Globalement, nous entrons dans une phase très intéressante parce que cela a d'abord une grande signification historique, comme l'ont dit tous les intervenants, hier - je n'y reviens pas, mais c'est vrai -. C'est tout de même un élément tout à fait important et pour chacun de ces pays, c'est très important, naturellement.
Ensuite, nous entrons dans une phase qui est moins politique, moins symbolique. Nous ouvrons des dossiers. Nous découvrons des problèmes réels de part et d'autre. Pour chacun de ces pays candidats, s'adapter à l'Union européenne telle qu'elle est devenue, reprendre l'acquis, cela pose des problèmes innombrables. Je ne parle pas que de Chypre. Cela pose des problèmes particuliers s'agissant de Chypre, mais cela pose beaucoup de problèmes pour chacun des autres.
Pour l'Union, s'adapter à ce qu'elle va devenir après ces élargissements, comme nous le disons sans arrêt à chaque fois, c'est un problème très sérieux, puisque nous voulons que l'Union continue à fonctionner ensuite, qu'elle fonctionne bien, qu'elle soit efficace, qu'elle soit capable d'avoir des politiques communes, etc...
Donc, nous entrons dans une phase qui va être très compliquée, qui était nécessaire, qui va être d'une nature différente de la phase qui se conclut par cette journée d'ouverture, qui est donc une phase qui en ouvre une autre. Il est temps de prendre les problèmes sérieusement, si nous voulons les résoudre bien.
Q - Quand vous avez fait votre déclaration, ce matin, M. Brittan était-il présent ?
R - Le ministre - Non, je ne crois pas. Je l'ai fait au vu des dépêches. Je ne voulais pas laisser planer une ambiguïté alors que nous avons été, aussi bien M. Moscovici que moi-même, très clairs, je crois.
R - Le ministre délégué - Robin Cook a été très clair aussi sur ce qu'il avait entendu. Il a précisé qu'il avait tout à fait compris, pour sa part, ce que j'avais exprimé au nom de la délégation française, hier soir, qui était totalement sans ambiguïté.
Q - A-t-on parlé de la Turquie hier soir, de la situation de la Turquie ?
R - Le ministre - J'ai parlé de la Turquie dans la séance de fin d'après-midi, en rappelant les engagements qui ont été pris par l'Union européenne depuis des années à l'égard de la Turquie et qui restent à tenir. J'ai appelé les membres de l'Union européenne à tenir aussi leurs engagements pris par rapport à la Turquie, puisque nous tenons les engagements pris par rapport à d'autres.
Q - Entre l'impulsion que le dossier Chypre a subi sous la présidence française de 1995 et la position exprimée par la France à Edimbourg, donc plutôt réticente, plutôt conditionnée, il y a une évolution, une nuance. A quoi est due cette évolution ?
R - Le ministre - Cela ne se présente pas exactement comme cela lorsqu'on négocie un élargissement. Aucun pays n'est favorable à l'entrée de n'importe quel autre pays sans condition. Sinon, il n'y aurait pas de négociations d'élargissement. S'il y a des négociations d'élargissement, c'est bien qu'il y a des problèmes à résoudre.
Je crois qu'il n'y a pas tellement de différence dans la position de la France depuis le début, puisqu'en 1995, la décision d'entamer les négociations d'élargissement avec Chypre, six mois après la fin de la Conférence intergouvernementale, avait été prise dans un contexte où il y avait une série d'autres engagements qui étaient pris, notamment en ce qui concerne le protocole financier avec la Turquie. Il se trouve qu'un certain nombre d'autres engagements pris à ce moment-là, dans cet ensemble, n'ont pas été tenus. Donc, la France a été amenée à faire remarquer que si on tenait les engagements par rapport à Chypre, il fallait que les autres engagements soient tenus par les Quinze, par rapport à la Turquie. Mais, comme la décision de 1995 avait été très nette, très claire sur l'engagement de la négociation avec Chypre, après avoir attiré l'attention de ses partenaires sur ce problème particulier, sur les engagements avec la Turquie, sur les problèmes particuliers que pose une île divisée, sur le fait que cela ne paraît pas possible, au bout du compte, de faire adhérer une île divisée - mais nous n'en sommes pas là - la France a dit ce qu'elle devait dire à ses partenaires, à chacune des étapes. Au bout du compte, elle a estimé qu'elle ne pouvait pas revenir sur la décision de 1995, qu'elle n'avait pas de raison de le faire.
Donc, nous avons été, je crois, aussi clairs que possible pour souligner les problèmes que nous allons devoir affronter et traiter pendant la négociation et au terme de la négociation. Naturellement, il faut espérer que les problèmes particuliers, les problèmes politiques, les problèmes stratégiques, les problèmes de sécurité posés par la division de l'île et par cette région auront été surmontés entre temps, pendant que la négociation va se dérouler.
Donc, il n'y a pas de différence fondamentale parce que, déjà en 1995, la position prise par la France à l'époque était liée aux autres engagements, à l'ensemble du sujet. Il ne faut pas rappeler simplement la décision sur la question de Chypre.
Q - C'est Chypre qui risque de payer les conséquences de l'attitude des Chypriotes-turcs ?
R - Le ministre - Ce n'est pas comme cela qu'il faut analyser les choses. Il y a une situation objective. Il y a un problème objectif sérieux. Les quinze membres considèrent que c'est un problème objectif et sérieux. La question était de savoir si cela pouvait, si cela devait amener une remise en cause de l'engagement pris en 1995. Finalement, non. Mais, cela ne veut pas dire que le problème ne se pose pas. Il faut le dire honnêtement à l'avance. Il y a un problème qui se pose toujours. On ne peut pas le laisser, on ne peut pas le dissimuler. Mais, aujourd'hui, l'Europe a tenu ses engagements pris en 1995 par rapport à Chypre en ouvrant la négociation.
R - Le ministre délégué - On ne peut pas dire que Chypre paie quoi que ce soit à partir du moment où effectivement la négociation s'ouvre avec une délégation qui ne représente pas les deux communautés présentes dans l'île. Donc, c'est une façon curieuse de payer. Beaucoup aimeraient payer ainsi.
Q - Combien de temps pourraient durer les négociations qui se sont entamées aujourd'hui ? Il y a des estimations différentes selon la Commission... Quatre ou cinq ans ? Quatre ou six ans ? Douze ans ?
R - Le ministre - On n'en sait rien. Personne ne peut le dire à l'avance.
R - Le ministre délégué - Le temps qu'il faudra.
R - Le ministre - Il faudrait regarder combien de temps ont duré, dans le passé, les négociations les plus faciles.
R - Le ministre délégué - Il a été rappelé ce matin, par la présidence, qu'il y avait une règle de base pour tous les pays qui était la reprise des acquis communautaires, premièrement. Deuxièmement, tous ces pays ont souligné qu'ils étaient conscients eux-mêmes de leur situation, qu'ils n'avaient pas tout à fait des économies développées sur le même modèle que nous, qu'ils représentaient des sociétés en évolution et avaient des administrations incomplètes. Donc, à partir de ce moment-là, nous avons les termes de l'équation. Cela prendra sans doute un certain temps, mais le temps nécessaire parce que sinon cela serait à la fois un choc pour les politiques européennes et un choc pour ces pays eux-mêmes.
R - Le ministre - Donc, cela prendra le temps qu'il faudra pour que cela se passe bien./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 septembre 2001)