Texte intégral
Mesdames,
Messieurs,
Merci tout d'abord d'avoir accepté de modifier l'organisation de votre après midi pour me permettre d'intervenir devant vous. Un impératif de dernière minute m'empêche de participer à la clôture de votre manifestation mais j'ai tenu à être présent sur le sujet qui vous occupe aujourd'hui, à l'initiative de la revue Passages. Merci aussi à Claude Cheysson qui aura la tâche de conclure tout à l'heure.
Investir en Afrique, aujourd'hui : voilà le champ de la réflexion. Je crois que vous avez clairement posé les termes du débat en liant décision d'investir et "climat des affaires", c'est à dire - je reprends votre expression - la combinaison d'éléments de droit, d'économie, de politique, d'attitudes culturelles et sociétales. C'est sur ce terrain que je souhaite me placer, pour vous apporter ma vision de l'Afrique et, s'il en était besoin, vous confirmer la contribution de la France à l'établissement d'un "climat" propice à l'investissement, en particulier celui des entreprises françaises.
Pris par le temps, je ne veux pas revenir, une nouvelle fois, sur le détail des actions de la coopération française, portée par le ministère des Affaires étrangères, le ministère de l'Economie des Finances et de l'Industrie, ou l'Agence française de développement. Ces actions, vous les connaissez. Le plus souvent, vous en êtes les partenaires, parfois les initiateurs, toujours des acteurs essentiels et vous nous aidez à en accroître l'efficacité. J'ai d'ailleurs noté que plusieurs des participants aux deux tables rondes ont choisi d'en parler et je leur demande, le cas échéant, de revenir vers mes services pour me faire part de vos observations.
Pour ma part, je voudrais aborder avec vous quelques sujets liés à l'actualité qui entrent dans votre champ de réflexion, en ce sens qu'ils conditionnent les marges budgétaires des Etats, ainsi que leurs relations commerciales avec le reste du monde.
1 - Les décisions du G7 sur l'annulation de la dette des pays pauvres très endettés ont été au coeur des discussions à Washington, lors des dernières assemblées du FMI et de la Banque mondiale. Pays par pays, des études sont aujourd'hui en cours pour définir le niveau d'éligibilité à cette initiative, qui sera arrêté avec l'ensemble des créanciers. Nos pays de partenariat traditionnel, en Afrique francophone particulièrement, sont tous concernés. Dès lors, les conséquences de cette annulation sur la vie économique et sur les politiques sectorielles des pays intéressés doivent être anticipées. La décision du G7 a pour objectif de redonner des marges de manoeuvre aux Etats et de leur permettre de lutter plus efficacement contre la pauvreté et l'exclusion. C'est ainsi qu'ils pourront reprendre pied dans les circuits de l'économie et de la finance internationaux.
Au delà de l'effort financier que cela représente pour notre pays, nous entendons bien nous impliquer dans le suivi des programmes et projets que l'annulation rendra possibles. Notre assistance technique, certes moins nombreuse qu'auparavant mais toujours significative, est à la disposition des pays pour cette mission. Notre objectif consistera à rendre cohérents la lutte contre la pauvreté et la constitution des Etats, qui, ensemble, permettent la restauration de la confiance et le fonctionnement de la vie démocratique. Je voudrais dire ici que cette initiative des pays développés a été portée de bout en bout par la société civile qui a exercé une pression constante sur les gouvernements. De là, - c'est naturel et nous l'approuvons -, la priorité qui est donnée à la lutte contre la pauvreté. Mais il faut, dans le même temps, construire les Etats, c'est là une condition pour engager une lutte durable contre la pauvreté.
2 - Deuxième remarque sur la coïncidence entre les échéances de deux grandes négociations internationales : la renégociation des Accords de Lomé et l'ouverture d'un nouveau cycle de conférences à l'OMC. Nous avons déjà parlé ensemble de l'une et de l'autre de ces échéances, du mandat que la France a donné à ses négociateurs d'abord, à la Commission de l'Union européenne ensuite. Je voudrais aujourd'hui attirer votre attention sur l'attitude de nos partenaires ACP, africains entre autres, qui doivent mesurer l'urgence de l'aboutissement de la négociation sur Lomé. La dérogation aux règles de l'OMC dont bénéficie l'accord avec les ACP, doit être renouvelée dès le début de l'année 2000, sous peine de créer un vide juridique temporaire qui rendrait plus difficile la conclusion d'un nouvel accord et sa mise en conformité avec les nouvelles règles du commerce international. Je plaide auprès de mes interlocuteurs pour que la sagesse l'emporte vite et que le principe d'accords de libre échange entre l'Europe et des Unions régionales organisées soit acquis dès décembre. J'ajoute que les pays africains ont de l'avance sur ce terrain, les pays francophones plus que les autres avec l'UEMOA et l'UDEAC déjà constituées.
J'ai plaisir à parler de cela devant Claude Cheysson au regard du rôle qu'il a assumé dans la construction des accords précédents. J'ai aussi plaisir à en parler aujourd'hui, alors que je constate une conscience réelle des enjeux chez nos partenaires africains et une volonté d'aller de l'avant sur des domaines que nous jugeons essentiels, la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption en particulier.
3 - Troisième remarque sur la situation politique de nos partenaires : je rentre d'une tournée consacrée à la crise des Grands lacs et j'en retire quelques éléments positifs illustrant la volonté de sortie de crise de la plupart des protagonistes. Le processus d'Arusha, qui doit permettre de sortir le Burundi de l'impasse dans laquelle il se trouvait, devrait reprendre avec le choix imminent d'un nouveau médiateur, à la place du défunt président Nyerere. Chacun souhaite préserver l'état d'avancement du dialogue qui s'était instauré. La France accompagne ce processus et tient un langage clair au président Buyoya : l'appui aux populations et au pays que la France est seule à apporter ne s'intensifiera qu'au rythme d'avancement de la négociation.
Le processus de Lusaka, sur la République démocratique du Congo connaît des difficultés de mise en oeuvre. Pourtant, l'idée poussée par notre pays, d'une Conférence des Grands lacs fait son chemin et apparaît comme point d'aboutissement des opérations en cours. C'est aux africains d'en décider. Mon passage à Kinshasa m'a d'ailleurs permis de constater les rapprochements réels entre les parties congolaises sur la reconstitution de l'Etat.
Enfin un mot de l'Afrique de l'Ouest et des retentissements des échéances électorales sur la vie économique des pays. Le Niger et la Guinée-Bissao vont bientôt sortir des crises qui les ont secoués en 1999. Nous pouvons espérer une normalisation de la situation dans les prochaines semaines dans les deux pays. Je le dis en particulier à destination des chefs d'entreprises, qui verront là, j'en suis sûr, une incitation à investir dans ces deux pays.
Vous n'accepteriez pas que je ne dise rien de la Côte d'Ivoire. Notre pays a choisi de ne pas intervenir dans le débat national préalable à la prochaine élection présidentielle. La Côte d'Ivoire est un Etat de droit et nous faisons confiance à ses institutions et à ses autorités pour que le climat de la période à venir soit paisible et propice au débat. Nous restons toutefois très attentifs à ce que ce débat puisse réellement s'instaurer et que ses acteurs puissent y participer pleinement. Le climat de tension que nous constatons aujourd'hui nous incite à peser pour que des mesures d'apaisement soient prises et que la sérénité soit retrouvée.
Je vous remercie./.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 novembre 1999)