Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur les objectifs poursuivis par le Gouvernement en matière de défense, notamment dans le domaine de la dissuasion, du renseignement et de la capacité d'action à distance dans le cadre de la défense européenne, les crédits d'équipements de la défense à moyen terme et les programmes d'armement, Saint-Mandrier le 3 avril 1998.

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Circonstance : Visite au Centre d'instruction naval de Saint-Mandrier le 3 avril 1998

Texte intégral

Monsieur le Ministre ,
Monsieur le Préfet,
Monsieur le Président de la Commission des Affaires Etrangères et de la Défense du Sénat,
Monsieur le Député,
Monsieur le Chef d'Etat-Major de la Marine,
Monsieur le Préfet Maritime,
Monsieur le Président du Conseil général,
Monsieur le Maire,
Messieurs les Officiers généraux,
Mesdames, Messieurs,

J'ai souhaité venir à la rencontre de la marine comme je l'ai fait pour l'armée de l'air en juillet et pour l'armée de terre en septembre, et je suis heureux que ce premier contact ait pu s'organiser en grande partie à la mer.
A bord des bâtiments de la force d'action navale, sur le CASSARD et sur la FOUDRE, j'ai mieux pris connaissance d'un monde qui ne m'est pas familier, une organisation complexe des tâches et des modes de vie étroitement solidaires. Les démonstrations auxquelles j'ai assisté m'ont permis de mesurer la haute technicité et le savoir-faire des équipages, en grande partie formés ici-même, au Centre d'instruction naval de Saint-Mandrier.
A travers vous je m'adresse aujourd'hui à tous vos camarades qui servent en ce moment même, à bord des sous-marins en patrouille, des bâtiments à la mer et des aéronefs, et aux marins qui dans les états-majors et les bases à terre, assurent en permanence, la mise en oeuvre et le soutien des forces.
Alors que des décisions importantes concernant la politique d'équipement de nos armées viennent d'être prises, et comme nous en sommes convenues avec le Président de la République, je saisis l'occasion de cette visite pour m'adresser plus largement à l'ensemble de la communauté de défense, aux militaires et aux civils qui concourent directement à la sécurité de notre pays et permettent à la France d'agir au Service du droit de la démocratie et de la paix dans le monde.
L'ordre figé de la guerre froide qui régissait les relations internationales il y a encore quelques années s'est effacé, laissant place à un monde incertain. Pour avoir été engagés dans des opérations aussi diverses qu'Artimon en Mer rouge, Southern Breeze pour le déminage dans le golfe arabo-persique, Balbuzard en Adriatique ou encore Corymbe le long des côtes d'Afrique, vous le savez mieux que d'autres : la situation internationale est encore troublée par de trop nombreux conflits.
De même que les marins scrutent le ciel pour savoir si le vent va forcir, s'inquiétant d'où il pourra souffler, nous devons rester vigilants pour prémunir notre nation contre les risques qui pourraient la menacer.
Nous sommes entrés dans une période de transition stratégique, probablement longue. Il nous faut non seulement prévenir les crises qui mettraient directement en cause notre sécurité, mas aussi en raison de notre rôle international favoriser l'apaisement des tensions régionales, être prêts à contrer de nouveaux perturbateurs et apprécier1'émergence des pôles de puissance autour desquels s'ordonnera le nouvel équilibre stratégique.
Dès ma déclaration de politique générale devant l'Assemblée Nationale le 19 juin 1997, j'indiquais que le Gouvernement tirant les conséquences de cette évo1ution stratégique, n'entendait pas remettre en cause la professionnalisation des armées ni le cadre général de la programmation militaire.
Néanmoins, à l'été 1997, le Président de la République et moi-même avons souhaité qu'un exercice interministériel vérifie méthodiquement la pertinence du contenu de la programmation militaire, afin d'en améliorer les conditions de réalisation au regard des contraintes budgétaires.
Cet exercice de plusieurs mois, instruits par le Ministre de la Défense avec le concours des Etats Majors et de la Délégation Générale pour1'Armement est maintenant achevé. Il conduit à une clarification des objectifs poursuivis par le Gouvernement en matière de défense.
Le maintien d'une autonomie stratégique constitue une singularité de notre Défense. Notre premier objectif demeure donc la poursuite d'un effort spécifique dans les domaines de la dissuasions nucléaires, du renseignement, des moyens de commandement et de certaines capacités d'action. A cet égard, les crises que j'ai eu à connaître depuis mon arrivée à Matignon me conduisent à porter une attention particulière à nos moyens d'appréciation des situations et au renforcement de nos systèmes de commandement.
La disposition d'une capacité suffisante d'action à distance du territoire nationale correspond à un deuxième objectif. S'il a justifié, pour une large part l'adoption d'un modèle d'armée entièrement professionnalisé, il conduit aussi à prendre mieux en compte les exigences d'opérations militaires le plus souvent menées dans un cadre multinationale. En particulier, la participation de la France à des forces conjointes sous le commandement de l'OTAN appelle un aménagement de notre relation bilatérale avec l'organisation intégrée.
Le troisième objectif est celui de la construction d'une défense européenne. En dépit d'un certain scepticisme que soulève cette idée, nous réaffirmons notre investissement de long terme dans l'Europe de la défense., Notre coopération militaire et notre politique industrielle dans le domaine de l'armement sont fortement orientées par cette ambition.
La construction d'une défense européenne implique aussi la recherche d'un équilibre global, dans le format de nos forces, avec nos principaux partenaires européens, la Grande-Bretagne et l'Allemagne, pour que l'Europe dispose de capacités de défense correspondant à l'exercice d'une pleine responsabilité au plan international et au sein de Alliance atlantique.
La satisfaction de ces objectifs s'inscrit dans un contexte de maîtrise des dépenses publiques. La poursuite de la réduction des déficits et le financement des priorités gouvernementales, notamment en faveur de tout ce qui concourt à l'emploi imposent un effort auquel la Défense contribue aussi en 1998.
Mais la conduite dans la durée d'une politique de défense oblige à dépasser la ligne d'horizon budgétaire. C'est pourquoi afin de donner une visibilité sur le moyen terme, le Gouvernement retient une double orientation caractérisée par la stabilisation des ressources de la Défense et l'obtention d'économies compatibles avec la programmation en vigueur.
Les crédits d'équipements de la Défense s'élèveront ainsi à 85 milliards de francs constants pour les quatre prochaines annuités, à mi-chemin entre le niveau nominal de la programmation et le montant inscrit au budget de 1998.
La stabilisation à ce niveau des crédits d'équipement militaire impliquera et permettra un approfondissement des réformes en cours et la poursuites, dans de bonnes conditions, de l'adaptation de notre outil de Défense.
Le ministre de la défense présentera prochainement aux commissions compétentes du Parlement et à l'ensemble des responsables civils et militaires de son ministère les conséquences de ces choix sur les programmes d'armement. J'évoquerai succinctement devant vous les principales mesures retenues.
La confirmation de notre politique d'équipement nucléaire autour de deux composantes s'accompagne d'une optimisation des programmes de la composante balistiques, qui conduit à faire converger en 2008 les calendriers du SNLE-NG n°4 et du missile M5 1.
Objectif prioritaire, l'amélioration de nos moyens d'observation spatiale sera poursuivie avec la réalisation du programme Hélios II. En revanche, l'abandon du programme Horus est décidé, ce qui -compte tenu des progrès technologiques attendus- ne ferme pas la perspective de l'observation radar.
Dans le domaine de la projection les grands programmes sont maintenus, mais connaissent certains aménagements.
- L'entrée en service du porte-avions Charles De Gaulle interviendra comme prévu à la fin de 1999. Ce bâtiment assurera alors l'ensemble des missions dévolues au troupe aéronaval. A cette date, le Foch sera définitivement retiré du service.
- Dans le but d'accroître notre capacité amphibie, des transports de chalands de débarquement d'un type nouveau seront réalisés selon des modalités permettant d'en réduire les coûts.
- Les programmes majeurs de l'armée de terre seront poursuivis, qu'il s'agisse du char Leclerc, d'un futur véhicule blindé de transports de troupe ou des hélicoptères Tigre et NH 90, ce dernier intéressant aussi la Marine. En revanche, la gamme des armes antichars sera réduite et simplifiée.
- Le calendrier de réalisation des Rafales qui équiperont l'armée de l'Air est aménagé. Une évo1ution plus rapide que prévu du format de cette armée, par le retrait anticipé de deux escadrons Jaguar, est par ailleurs décidée. Le gouvernement confirme en outre la nécessité de doter 1es forces d'un avion de transport futur.
les programmes en coopération structurants pour l'Europe de la défense, sont pour l'essentiel confirmés. Compte tenu de la place importante qu'ils occupent désormais au sein du budget d'équipement, ils ne peuvent cependant rester à 1'écart de l'effort d'économie. Nos partenaires sont pleinement informés des réexamens limités auxquels nous avons décidé de procéder.
Enfin, et de façon cohérente avec les décisions prises pour les équipements, des économies seront pratiquées sur la recherche, le soutien et l'environnement des forces.
Ces mesures n'affectent ni le modèle d'armée, ni le contrat opérationnel des forces. Elles se traduisent, sans rupture, par des réductions limitées de capacités.
L'adaptation de nos armées au contexte de l'après-guerre froide constitue à coup sûr le plus vaste chantier de transformation de notre outil militaire depuis le début des années 60. La réussite de cette réforme dépend largement de l'intérêt et du soutien que porte le pays à sa Défense ; l'accomplissement harmonieux de la professionnalisation implique aussi l'instauration d'échanges fluides entre la communauté militaire et la société civile ainsi qu'une rénovation indispensable du lien entre l'armée et la nation.
Dans cet esprit et en application de la loi sur le Service national, et dès la rentrée 1998, la journée d'Appel de préparation à la défense sera mise en oeuvre et un enseignement sur les questions de défense sera dispensé en milieu scolaire.
Il convient de surcroît d'encourager la modernisation des rapports entre la communauté de Défense et la représentation nationale. Je souhaite que le Parlement soit mieux et plus complètement informé de notre politique de défense dans ses différentes dimensions : mise en oeuvre de la professionnalisation, gestion de nos engagements extérieurs, politique du renseignement, d'exportation et coopération. Dans le respect des compétences que la Constitution reconnaît à chacun, je m' engage à ce que cette information et ce dialogue soient améliorés et renforcés. Il est cependant de la responsabilité du Gouvernement de veiller, en concertation avec le Parlement, aux conditions dans lesquelles s'organiseront ces échanges, afin de ne pas compromettre nos intérêts de sécurité et de ne pas exposer, faute de garanties, les personnels engagés dans les actions militaires.
C'est ce même souci de transparences et de responsabilité qui a conduit à la mise en place d'une procédure sur la levée du secret défense et à la création d'une commission indépendante.
Transformer notre défense est une tâche d'autant plus difficile qu'il convient de maintenir en permanence l'outil à son meilleur niveau opérationnel, prêt à l'emploi. A cet égard, je crains les sujétions particulières qui pèsent sur la Marine.
Elle assure la mise m oeuvre de la composante principale de la dissuasion ; par sa présence sur toutes les mers, elle contribue au rayonnement de la France et participe aux actions que commandent nos choix de politique étrangère.
La France dispose aujourd'hui d'une marine capable d'agir loin et dans la durée. Le Sous-marin LE TRIOMPHANT, entré récemment en service, le porte-avions CHARLES DE GAULLE, qui commencera bientôt ses essais à la mer, la modernisation de l'aéronautique navale sont la marque du renouvellement des capacités stratégiques de la Marine nationale. Ainsi avec les sous-marins nucléaires d'attaque, les bâtiments amphibies et les frégates de premier rang, la France possède, comme peu de grandes nations, toutes les composantes d'une marine à vocation océanique. Elle dispose des capacités nécessaires à la mise m oeuvre de notre politique de Défense : dissuasion, çrojecfiou de puissance, prévention et protection des approches maritimes.
Dans un format bientôt réduit à 80 bâtiment, la cohérence de notre marine est assurée. Il faudra veiller à ce que cette cohérence soit à l'avenir préservée. La coopération et de nouvelles synergies avec nos partenaires européens ouvrent à cet égard des perspectives d'optimisation de nos capacités aéro-maritimes.
Alors que la France vit en paix et que nos concitoyens sont sans doute davantage préoccupés par les problèmes de chômage ou d'insécurité, il appartient aux responsables politiques, dans un monde qui n'est pas sans danger, de conserver, en l'ajustant, toute son efficacité à notre outil militaire.
Je fais appel à votre dynamisme et à cet esprit d'équipage qui est au coeur de votre métier pour assurer la réussite de cette transformation dont vous êtes les acteurs. J'ai cette volonté.
Je sais pouvoir compter sur la détermination de vos chefs et la force de votre engagement, individuel et collectif .
Les exigences de la mer, déterminent votre style de vie, fait de satisfactions intenses, mais aussi de contraintes, comme la solitude, l'inconfort ou l'éloignement. A cet égard, j'ai une pensée reconnaissante pour les familles et les proches des marins qui vivent aussi leur métier en supportant l'absence. Mais dans l'essence de votre métier, il y a le service exigeant de la Nation, avec sa part de risque et d'incertitude, qui en font la grandeur.
Je vous exprime la confiance du Gouvernement.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 12 juin 2001)