Déclaration de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, sur la gastronomie, la sécurité alimentaire, la recherche de la qualité et de la diversité des produits, Lyon le 25 janvier 2003.

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Circonstance : Salon International de la Restauration et de l'Hôtellerie à Lyon le 25 janvier 2003

Texte intégral


Monsieur le Préfet,
Monsieur le Président du Salon, cher Jean BELLET,
Monsieur le Président d'EUREXPO, Cher Régis PELEN,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
C'est avec beaucoup de plaisir que je viens inaugurer l'édition 2003 du Salon International de la Restauration et de l'Hôtellerie. Je sais ce que la gastronomie doit à cette bonne ville de Lyon et il n'est que justice que cette ville accueille cette manifestation.
Permettez-moi, Monsieur le Président, de vous remercier pour votre accueil et vos mots chaleureux, et de vous dire combien j'y ai été sensible.
Lors de mon arrivée au Ministère de l'Agriculture, j'ai eu l'occasion à plusieurs reprises - certains d'entre vous s'en souviennent peut-être - de dire qu'il nous fallait rétablir un véritable " contrat de confiance " entre les agriculteurs, les consommateurs et la société dans son ensemble.
Depuis les années 60, une coupure grandissante s'est installée entre notre agriculture et les consommateurs. Le développement de la civilisation urbaine, l'évolution vers une société de services ont pu affaiblir le rapport que les Français entretiennent avec le monde rural.
Dans le même temps, l'accroissement de la productivité, l'industrialisation des productions alimentaires, le renforcement de l'offre de produits alimentaires, le développement de la grande distribution et l'évolution des modes de consommation ont profondément modifié le rapport à l'alimentation. Si la quête de nourriture n'est plus un problème de tous les instants, le paradoxe de l'abondance touche désormais nombre de consommateurs plongés dans l'incertitude des choix.
Que ce soit dans les domaines agricole et alimentaire, par nature très liés, ces changements n'ont fait l'objet d'une prise de conscience collective qu'à la faveur des crises sanitaires récentes. Ces dernières années ont, en effet, été marquées par la survenance de plusieurs crises sanitaires, qui sont venues progressivement affecter la confiance des consommateurs, des agriculteurs et des acteurs de la chaîne alimentaire.
Les préoccupations des consommateurs ont ainsi glissé du domaine quantitatif au domaine qualitatif et cette tendance lourde d'un basculement du " produire plus " vers le " produire mieux " s'inscrira probablement dans le temps, en pesant à la fois sur les orientations de la recherche, le contenu des politiques publiques et la concurrence entre opérateurs économiques.
Edgar MORIN écrivait qu' " un aliment doit être non seulement bon à manger, mais aussi bion à penser ". Chaque individu a, en effet, sa propre représentation des aliments, selon son milieu et ses pratiques culturelles. S'il n'est ni possible, ni d'ailleurs même souhaitable de s'immiscer dans les choix individuels qui relève de la " libre jouissance de notre indépendance privée ", il est en revanche du ressort du Ministre de l'Alimentation de répondre aux préoccupations et aux attentes.
J'ai retiré de ces derniers mois d'action la conviction que nous devons aborder ensemble les questions de la sécurité sanitaire, de la qualité de notre alimentation, et de la préservation de notre modèle alimentaire. Car seule une approche intégrée de la politique alimentaire peut donner à l'action publique sa cohérence et sa pleine efficacité.
Garantir la sécurité alimentaire
Tout d'abord, j'entends encore mieux garantir la sécurité alimentaire. Je m'attacherai, pour cela, à ce que le principe de précaution guide nos décisions, mais je veillerai à ce qu'il soit mis en oeuvre de manière cohérente, afin de ne pas engendrer un immobilisme préjudiciable à vos professions.
Un accent particulier doit être mis sur la traçabilité des denrées alimentaires. A cet égard, une démarche plus systématique d'étiquetage de la provenance, comme celle mise en oeuvre pour la viande bovine, doit être envisagée.
Sa mise en oeuvre réussie suppose l'implication de tous. Le " contrat de confiance ", que nous appelons tous de nos voeux et que je m'emploie à restaurer, ne pourra l'être, en effet, que si chacun assume pleinement ses responsabilités. Il ne le sera pas par la seule voie du règlement ou de la loi. Il ne sera rétabli que par le plein exercice par chaque maillon de la filière de sa responsabilité individuelle et collective.

Encourager la poursuite de la qualité
Les consommateurs s'inquiètent, par ailleurs, d'une détérioration de la qualité et du goût des produits. Ils sont demandeurs de produits sains et de qualité.
Les signes officiels de la qualité et de l'origine (AOC, Label rouge, agriculture biologique) - auxquels je suis très attaché - consacrent des productions au savoir-faire parfois ancestral et entretenant un lien fort avec nos terroirs. J'observe qu'ils tendent, d'ailleurs, à se développer. Ces démarches reçoivent mon plus total soutien, mais je souhaite qu'une certaine cohérence soit recherchée entre ces différents sigles et appellations, afin que le consommateur dispose d'une information intelligible pour le guider dans ses choix.
Cette démarche s'inscrit, par ailleurs, dans une stratégie de développement privilégiant la compétitivité assise sur la qualité plutôt que sur la productivité, et la reconnaissance des initiatives publiques ou privées, comme le fait le Label rouge de façon exemplaire.
En privilégiant des produits de tradition et de qualité, vous faîtes le pari de la qualité. Je le dis d'autant plus volontiers dans cette ville dont les chocolats BERNACHON, les fromages RICHARD ou les charcuteries REYNON, pour ne citer que quelques-unes de ses meilleures adresses, se trouvent sur les meilleures tables, bien au-delà des limites de l'agglomération. Notre politique, dans ce domaine, doit rechercher la meilleure synthèse entre cette exigence de tradition et le souci de modernité, et nos dispositifs touchant aux modes de production demeurer ouverts, évolutifs et exigeants.
J'entends également que notre politique tienne mieux compte des attentes de la société, je pense en particulier au développement durable ou au commerce équitable. Ces questions doivent être largement débattues et ces objectifs hiérarchisés, car c'est à ce prix que les décisions qui s'y rapportent seront mieux acceptées par nos compatriotes.

Préserver la diversité de notre modèle alimentaire
Enfin, vous le savez mieux que quiconque, la France dispose d'une culture alimentaire spécifique, car cette question touche dans notre pays à ce qui fait nos valeurs et notre identité. Plus que d'autres, nous sommes attachés à la diversité et l'originalité de nos terroirs et de nos produits.
BRILLAT-SAVARIN, dont le nom résume notre idée de la gastronomie, écrivait que " la destinée des nations dépend de la façon dont elles se nourrissent ". Dans le mouvement de mondialisation, dont chacun perçoit plus chaque jour combien il affecte nos vies, il est de notre devoir de préserver notre modèle alimentaire des risques de l'uniformisation, et vous pouvez compter sur moi pour me battre à vos côtés, afin de défendre et de promouvoir notre modèle alimentaire dans les enceintes internationales où ces questions sont débattues.
J'entends que les prescriptions sanitaires - dont nous comprenons tous la nécessité - ne nous prive pas demain de plaisirs aussi simples qu'un bon camembert goûteux, un foie gras frais et savoureux ou un vin de qualité.
Conclusion
Mesdames, Messieurs,
Dans la conduite de notre politique alimentaire, je souhaite que nous promouvions une politique qui concilie les exigences de sécurité, de qualité et de diversité.
" Manger est un besoin, mais savoir manger est un art ", écrivait LA ROCHEFOUCAULD. Cela est encore plus vrai ici à Lyon où les noms de la Mère BRAZIER, de la Mère VITTET ou d'Alain CHAPEL, pour n'en évoquer que quelques-uns, ont porté à leur quintessence les notions de tradition, de savoir-faire et pour tout dire d'excellence, et je suis fier aujourd'hui de saluer ici votre travail et votre talent, car ils continuent à en porter le témoignage.
Je vous remercie.
(Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 4 février 2003)