Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à Europe 1 le 15 octobre 1999, sur l'attribution du prix Nobel de la paix à "Médecins sans frontières".

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q - Vous avez appris, comme tout le monde, aujourd'hui l'attribution du prix Nobel de la paix à "Médecins sans frontières". Cela faisait très longtemps qu'une organisation humanitaire, une ONG attendait cette récompense ?
R - Je me réjouis beaucoup de cette décision. Je crois que le travail qui a été fait par les organisations humanitaires, comme celle-ci, qui est particulièrement prestigieuse, a représenté pour notre époque, une révolution aussi grande qu'avait été l'invention de la " Croix rouge " en son temps, après la bataille de Solférino.
C'est la récompense de très nombreux hommes et femmes qui se sont dévoués à cette cause, l'obligation de porter secours aux victimes, à une époque où les tragédies sont vécues en direct, où elles ne sont pas tolérées.
Le développement de l'intolérance au drame, et à l'inaction devant le drame, est un progrès général de la civilisation. En plus, ils l'ont fait, au fil des décennies de façon très concrète et à cet égard, c'est très significatif que cette organisation ait été fondée par des médecins dont la mission première est de porter assistance à ceux qui souffrent; Ils ont donné à leur action une ampleur globale, planétaire. Personne ne peut dire qu'ils aient choisi telle victime plutôt que telle autre. C'est un des ferments de cette civilisation mondiale nouvelle qui s'installe, pas seulement dans les marchés, mais aussi dans la générosité.
Q - Il y a un petit paradoxe : cette organisation qui est financée pour une bonne part par l'Union européenne demande aujourd'hui à ces mêmes Européens de faire davantage contre le sous-développement, plus pour les réfugiés, et pour porter assistance, précisément, à tous ces gens qui sont victimes de conflit dont certains pays européens sont aux premières loges.
R - L'union européenne fait énormément dans le monde tel qu'il est. Personne ne fait plus que l'Union européenne. Si on additionne l'action de la France et des autres pays, c'est tout à fait considérable. Mais leur interprétation est très bonne parce que ce sont des gens de terrain et ils voient bien que l'on ne peut pas artificiellement isoler le problème des victimes d'un conflit qui est survenu brusquement parce que ce conflit a des causes, il a des racines.
Si l'on ne parvient pas à les résoudre, il y a des explications économiques, sociales, politiques, ethniques de toutes sortes et il faut traiter les causes. Nous ne traiterons pas les causes s'il n'y a pas un développement. Malheureusement, tout cela arrive le plus souvent dans des pays pauvres ou relativement pauvres.
Ils nous rappellent le lien qu'il y a entre les différentes facettes de ces drames et ils ont tout à fait raison. Cela nous renvoie aussi au travail des politiques et des diplomates dont le rôle dans le monde est de prévenir les crises et de leur trouver la moins mauvaise solution possible. A cet égard, leur signal d'alarme est bon et nous devons le recevoir et y répondre./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 octobre 1999)