Texte intégral
J.-P. Elkabbach-. Vous rentrez de Porto Alegre et quel accueil : tous les enseignants sont aujourd'hui dans la rue, en grève, la troisième grève depuis vos débuts de ministre. C'est vrai que les précédentes avaient été peu suivies... Mais, comme d'habitude, les syndicats réclament encore plus de moyens, encore plus de budget. Est-ce que leur inquiétude est justifiée ?
- "Non. Vraiment, je crois qu'on peut dire "non" et je rappelle quand même que nous mettons, à la rentrée 2003, 16 000 assistants d'éducation pour remplacer les postes de surveillants qui n'ont pas été reconduits. Donc, on aura - je le dis très clairement - plus de surveillants dans nos établissements en 2003 qu'il n'y en avait en 2002. Et puis, nous avons ouvert 30 000 postes aux concours de recrutement de l'agrégation et du Capes et du concours des écoles. Par conséquent, on peut dire que, pour le Gouvernement de J.-P. Raffarin, l'école reste la priorité des priorités. Il n'y a pas à y avoir d'inquiétude. Maintenant, cela nous oblige à être efficaces et performants."
Cela veut dire qu'il y a moins de gens qui partent en retraite qu'on ne le croyait ?
- "C'est à peu près la moitié de certaines estimations qu'on avait. Dans le second degré, on a environ entre 15 et 16 000 profs qui vont partir à la retraite et donc, la décision a été prise de les remplacer, ce qui est, je crois, une très bonne nouvelle, parce que, quoi qu'on en dise ici ou là, ce n'est pas en supprimant des postes de profs que les choses vont mieux. Donc, je suis très content de cette décision."
Ils vont défiler cet après-midi en disant "Luc, encore un effort ! " Vous leur répondez "possible" ou "pas possible" ?
- "Non, ce n'est pas possible. Je crois qu'il faut faire quand même très attention, parce qu'à force de demander des moyens, des moyens, des moyens, on finit par retourner l'opinion publique contre nous. Donc, je pense que ce Gouvernement fait un effort considérable pour l'éducation et que, maintenant, il faut vraiment nous nous attaquions aux problèmes de fond, que nous soyons performants et, notamment, au problème fondamental - redisons le aussi clairement : j'ai fait vérifier le chiffre par mes services encore cette semaine : il y a 158 000 jeunes qui ont quitté le système éducatif l'année dernière sans diplôme et sans qualification. Voilà le type de problème que nous devons régler. Il faut que notre système offre des chances véritables de réussite à tous les enfants."
Quand vous dites "nous devons faire un effort", c'est "vous" ?
- "Non, c'est nous : ministère et collègues professeurs. Evidemment, quand je dis "nous", je pense à mes collègues profs plus parfois qu'à mes collègues ministres."
Votre budget, c'est déjà près de 63 milliards d'euros pour 2003, c'est-à-dire le quart des dépenses de l'Etat. Est-ce que vous croyez que vous pourriez obtenir davantage de Messieurs Mer et Lambert, qui pourraient être d'ailleurs parmi les [inaud] des défilés ?
- "Non. Et puis franchement, je ne le souhaite pas. Je crois que les décisions qui ont été prises sont déjà très bonnes et qu'il ne faut pas envoyer le bouchon trop loin. Il faut maintenant, au contraire, qu'avec ce budget qui est très bon, avec ces moyens qui sont très bons, on fasse le maximum pour les enfants et pour que notre système soit performant."
Est-ce que F. Mer et A. Lambert vous ont assuré qu'ils ne réduiront pas ce que vous avez déjà ?
- "Je pense qu'une fois que les choses sont décidées, qu'elles sont accordées, que les arbitrages ont été rendus par le Premier ministre, il n'y a plus d'inquiétude à avoir, les choses sont transparentes, on a maintenant ces postes au concours. J'ajoute d'ailleurs que ces postes au concours de recrutement de l'agrég' et du Capes, c'est évidemment aussi une formidable chance pour les étudiants. Qu'ils entendent bien cela ! C'est une chance formidable pour eux parce que cela veut dire que les carrières dans lesquelles ils s'engagent ne sont pas des voies de garage. Ils vont pouvoir trouver un métier à l'issue de leurs études."
Un des reproches, c'est qu'on sacrifie l'enseignement supérieur et la recherche - on pourrait faire plus - alors qu'il y a beaucoup d'efforts sur le secondaire.
- "On pourrait sûrement faire plus. Mais vous venez de rappeler les chiffres du budget : 63 milliards d'euros. Honnêtement, si vous voulez vraiment qu'on fasse plus, il faut que vous alliez voir F. Mer directement, mais je ne pense pas qu'il soit d'accord avec vous."
Est-ce que le parent pauvre n'est pas l'université ? Les présidents d'Orsay, de Sceaux, peut-être de Toulouse, ferment pour économiser sur l'électricité, sur l'eau. Il paraît que le mouvement va s'étendre... Vous dites que c'est mal géré. Que pouvez-vous faire ? Est-ce qu'il n'y a pas une enquête à faire ? Des preuves, des deux côtés, à nous donner ou en tout cas, à rassurer ?
- "Bien sûr, c'est ce que nous faisons. Je voudrais quand même être très clair sur le sujet et d'abord rappeler que ces universités fonctionnent actuellement sur un budget qui n'est pas le mien, puisque le budget que j'ai présenté au mois d'octobre dernier devant le Parlement est un budget qui sera appliqué à la rentrée 2003 ; donc, elles sont sur des crédits du budget de mon prédécesseur."
C'est-à-dire que vous portez le chapeau de J. Lang ?
- "C'est un héritage ! Je suis là depuis huit mois, je ne suis pas responsable du budget des universités de l'exercice de cette année, c'est une évidence..."
Est-ce que cela veut dire que l'an prochain, il y en aura davantage ?
- "Il sera fait différemment, j'espère qu'il sera mieux fait. Mais par ailleurs, ce que je voudrais dire surtout, c'est que les universités sont autonomes et que l'on ne peut pas avoir le beurre, l'argent du beurre et le sourire du laitier ! Je veux dire par là qu'on ne peut pas à la fois demander l'autonomie - à juste titre - et, en même temps, ne pas assumer les responsabilités de gestion. Paris XI, puisque c'est de cette université qu'il s'agit, n'est pas une université sous-dotée. Je pense qu'il y a eu en effet des erreurs de gestion. Bien sûr, nous allons aider cette université..."
Qu'est-ce que vous allez faire, dans l'ensemble, pour les universités ?
- "Dans l'ensemble, pour les universités, on a ce budget 2003, qui est un très bon budget."
Et pour éviter que le mouvement ne s'étende ?
- "Il s'agit évidemment de mettre en place une cellule d'aide à la gestion des universités, ce qui est fait. J'ai immédiatement demandé aux directeurs de l'enseignement supérieur d'aller sur place. J'ai envoyé une mission d'inspection, pour rendre compte de l'état des lieux. Donc, nous savons en effet qu'il y a eu des erreurs de gestion. Il faut maintenant aider ces universités à sortir de l'impasse. Nous allons évidemment le faire. Mais je souhaite quand même rappeler aux universités qu'elles sont autonomes et qu'il faut qu'elles se débrouillent avec les budgets qu'on leur a donnés, et qu'on ne peut pas à la fois demander l'autonomie et puis aller pleurer dans le giron du ministère quand on a fait des erreurs de gestion. Je crois qu'il faut dire les choses très simplement et très clairement : il faut quand même faire attention."
Vous rentrez d'un rapide voyage au Brésil, à Porto Alegre. C'est le Président lui-même qui vous y a envoyé, vous êtes rentré hier soir. 35 heures de vol aller-retour en deux ou trois jours, c'est bien ! Mais vous, le libéral favorable à une mondialisation régulée au marché, êtes-vous revenu converti par un nouvel état d'esprit, celui de Porto Alegre ?
- "Non, mais je suis convaincu qu'il était important d'y aller et que c'était important de comprendre ce qui se passe là-bas, d'abord parce ce que c'est probablement le mouvement social le plus neuf et le plus intéressant depuis des années, depuis peut-être les années 60. Et parce que, même si ces militants de l'antimondialisation apportent de mauvaises réponses, ils posent une bonne question, pour reprendre une formule célèbre."
Laquelle ?
- "C'est la question de savoir si nous ne sommes pas, nous les petits individus, les petits citoyens du monde, dépossédés face à un cours du monde qui nous échappe totalement. C'est-à-dire quand il y a des usines qui ferment, quand il y a des marchés financiers qui s'affolent ou qui bougent, au fond, qu'est-ce que le citoyen lambda y peut ? Il n'y peut rien. Et donc, il a le sentiment que le cours du monde lui échappe et que ce cours du monde échappe même aux hommes politiques, voire aux grands patrons."
Et c'est vrai ?
- "Je crois que c'est vrai... Ce qui est posé comme question, c'est une vraie question : c'est la question de la place de la place de la politique par rapport à l'économique et, au fond, les citoyens, en tout cas ces antimondialisation, touchent un point juste quand ils disent que les individus d'aujourd'hui n'ont plus de pouvoir sur le cours du monde, qu'ils ne savent plus où ça va, que plus personne ne le contrôle et que c'est problématique, inquiétant, angoissant. Et je pense que cette angoisse, il faut lui apporter des réponses."
Mais est-ce que vous dites pour autant que la mondialisation - vous qui êtes favorable, mais pas folle, sauvage - aboutit à plus de chômage, d'inégalités, d'injustice, qu'elle est même antidémocratique, comme on l'a entendu à Porto Alegre ?
- "C'est plutôt le dernier point que je retiendrai. Je ne pense pas que la mondialisation aboutisse à plus de chômage ou à plus d'injustice, je ne crois pas que ce soit le cas - on pourrait évidemment en discuter mais on n'en a pas le temps maintenant. Mais c'est vrai, en revanche, qu'elle n'est pas démocratique, en ce sens que les grandes promesses de la démocratie étaient de dire aux humains "vous allez pouvoir faire votre histoire, vous allez pouvoir contrôler votre destin". Or ce qui se passe aujourd'hui, c'est que les processus mondialisés nous échappent à tous. Et c'est cela qui est inquiétant."
Mais que peut-on faire ? Par exemple, en tant que missionnaire de J. Chirac, qu'est-ce que vous allez lui recommander, quand vous allez le voir ? Et à J.-P. Raffarin, qui cite régulièrement le philosophe Ferry dans ses discours ?
- "Je pense que l'une des réponses à apporter, qui est convaincante et importante, est de dire que la politique doit reprendre la main, par exemple, en constituant de grandes unités, comme l'unité européenne. Ce n'est plus au niveau national seulement que l'on peut reprendre la main sur le plan politique, mais en revanche, que cela nous oblige absolument à créer des entités politiques plus vastes, comme par exemple, l'Europe, qui permettront à la vie politique de reprendre l'influence qu'elle doit avoir sur le cours du monde. Voilà pourquoi, si on est souverainiste, il faut être pro-européen..."
Il est peut-être intéressant d'écouter Lula qui, lui, redonne à sa manière une certaine conscience dans la politique, et qui vient aujourd'hui à l'Elysée et à Matignon, voir messieurs Chirac et Raffarin ?
- "Bien sûr qu'il est intéressant de l'écouter. Le président de la République française avait tout à fait raison de penser qu'il valait mieux, à la limite, être présent à Porto Alegre plutôt qu'à Davos, et qu'il se passe plus de choses à comprendre à Porto Alegre, même si on est en grand désaccord avec les réponses ou avec les idéologies qui sont là-bas sur place, il y a quand même probablement plus de choses à comprendre à Porto Alegre qu'à Davos..."
Donc, Porto Alegre devient à la mode...
- "Ce n'est pas une question de mode, c'est quelque chose de fond. Il faut vraiment comprendre ce qui se passe. Cela aura lieu l'année prochaine en Inde. Et je prends le pari que, l'année prochaine, il y aura encore plus de monde en Inde qu'il n'y en avait cette année au Brésil. Par conséquent, il s'agit de comprendre ce qui se passe. On n'a pas un mouvement de 100.000 personnes, comme cela, international, s'il n'y a pas quelque chose derrière, une inquiétude à laquelle il faut répondre."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 28 janvier 2003)
- "Non. Vraiment, je crois qu'on peut dire "non" et je rappelle quand même que nous mettons, à la rentrée 2003, 16 000 assistants d'éducation pour remplacer les postes de surveillants qui n'ont pas été reconduits. Donc, on aura - je le dis très clairement - plus de surveillants dans nos établissements en 2003 qu'il n'y en avait en 2002. Et puis, nous avons ouvert 30 000 postes aux concours de recrutement de l'agrégation et du Capes et du concours des écoles. Par conséquent, on peut dire que, pour le Gouvernement de J.-P. Raffarin, l'école reste la priorité des priorités. Il n'y a pas à y avoir d'inquiétude. Maintenant, cela nous oblige à être efficaces et performants."
Cela veut dire qu'il y a moins de gens qui partent en retraite qu'on ne le croyait ?
- "C'est à peu près la moitié de certaines estimations qu'on avait. Dans le second degré, on a environ entre 15 et 16 000 profs qui vont partir à la retraite et donc, la décision a été prise de les remplacer, ce qui est, je crois, une très bonne nouvelle, parce que, quoi qu'on en dise ici ou là, ce n'est pas en supprimant des postes de profs que les choses vont mieux. Donc, je suis très content de cette décision."
Ils vont défiler cet après-midi en disant "Luc, encore un effort ! " Vous leur répondez "possible" ou "pas possible" ?
- "Non, ce n'est pas possible. Je crois qu'il faut faire quand même très attention, parce qu'à force de demander des moyens, des moyens, des moyens, on finit par retourner l'opinion publique contre nous. Donc, je pense que ce Gouvernement fait un effort considérable pour l'éducation et que, maintenant, il faut vraiment nous nous attaquions aux problèmes de fond, que nous soyons performants et, notamment, au problème fondamental - redisons le aussi clairement : j'ai fait vérifier le chiffre par mes services encore cette semaine : il y a 158 000 jeunes qui ont quitté le système éducatif l'année dernière sans diplôme et sans qualification. Voilà le type de problème que nous devons régler. Il faut que notre système offre des chances véritables de réussite à tous les enfants."
Quand vous dites "nous devons faire un effort", c'est "vous" ?
- "Non, c'est nous : ministère et collègues professeurs. Evidemment, quand je dis "nous", je pense à mes collègues profs plus parfois qu'à mes collègues ministres."
Votre budget, c'est déjà près de 63 milliards d'euros pour 2003, c'est-à-dire le quart des dépenses de l'Etat. Est-ce que vous croyez que vous pourriez obtenir davantage de Messieurs Mer et Lambert, qui pourraient être d'ailleurs parmi les [inaud] des défilés ?
- "Non. Et puis franchement, je ne le souhaite pas. Je crois que les décisions qui ont été prises sont déjà très bonnes et qu'il ne faut pas envoyer le bouchon trop loin. Il faut maintenant, au contraire, qu'avec ce budget qui est très bon, avec ces moyens qui sont très bons, on fasse le maximum pour les enfants et pour que notre système soit performant."
Est-ce que F. Mer et A. Lambert vous ont assuré qu'ils ne réduiront pas ce que vous avez déjà ?
- "Je pense qu'une fois que les choses sont décidées, qu'elles sont accordées, que les arbitrages ont été rendus par le Premier ministre, il n'y a plus d'inquiétude à avoir, les choses sont transparentes, on a maintenant ces postes au concours. J'ajoute d'ailleurs que ces postes au concours de recrutement de l'agrég' et du Capes, c'est évidemment aussi une formidable chance pour les étudiants. Qu'ils entendent bien cela ! C'est une chance formidable pour eux parce que cela veut dire que les carrières dans lesquelles ils s'engagent ne sont pas des voies de garage. Ils vont pouvoir trouver un métier à l'issue de leurs études."
Un des reproches, c'est qu'on sacrifie l'enseignement supérieur et la recherche - on pourrait faire plus - alors qu'il y a beaucoup d'efforts sur le secondaire.
- "On pourrait sûrement faire plus. Mais vous venez de rappeler les chiffres du budget : 63 milliards d'euros. Honnêtement, si vous voulez vraiment qu'on fasse plus, il faut que vous alliez voir F. Mer directement, mais je ne pense pas qu'il soit d'accord avec vous."
Est-ce que le parent pauvre n'est pas l'université ? Les présidents d'Orsay, de Sceaux, peut-être de Toulouse, ferment pour économiser sur l'électricité, sur l'eau. Il paraît que le mouvement va s'étendre... Vous dites que c'est mal géré. Que pouvez-vous faire ? Est-ce qu'il n'y a pas une enquête à faire ? Des preuves, des deux côtés, à nous donner ou en tout cas, à rassurer ?
- "Bien sûr, c'est ce que nous faisons. Je voudrais quand même être très clair sur le sujet et d'abord rappeler que ces universités fonctionnent actuellement sur un budget qui n'est pas le mien, puisque le budget que j'ai présenté au mois d'octobre dernier devant le Parlement est un budget qui sera appliqué à la rentrée 2003 ; donc, elles sont sur des crédits du budget de mon prédécesseur."
C'est-à-dire que vous portez le chapeau de J. Lang ?
- "C'est un héritage ! Je suis là depuis huit mois, je ne suis pas responsable du budget des universités de l'exercice de cette année, c'est une évidence..."
Est-ce que cela veut dire que l'an prochain, il y en aura davantage ?
- "Il sera fait différemment, j'espère qu'il sera mieux fait. Mais par ailleurs, ce que je voudrais dire surtout, c'est que les universités sont autonomes et que l'on ne peut pas avoir le beurre, l'argent du beurre et le sourire du laitier ! Je veux dire par là qu'on ne peut pas à la fois demander l'autonomie - à juste titre - et, en même temps, ne pas assumer les responsabilités de gestion. Paris XI, puisque c'est de cette université qu'il s'agit, n'est pas une université sous-dotée. Je pense qu'il y a eu en effet des erreurs de gestion. Bien sûr, nous allons aider cette université..."
Qu'est-ce que vous allez faire, dans l'ensemble, pour les universités ?
- "Dans l'ensemble, pour les universités, on a ce budget 2003, qui est un très bon budget."
Et pour éviter que le mouvement ne s'étende ?
- "Il s'agit évidemment de mettre en place une cellule d'aide à la gestion des universités, ce qui est fait. J'ai immédiatement demandé aux directeurs de l'enseignement supérieur d'aller sur place. J'ai envoyé une mission d'inspection, pour rendre compte de l'état des lieux. Donc, nous savons en effet qu'il y a eu des erreurs de gestion. Il faut maintenant aider ces universités à sortir de l'impasse. Nous allons évidemment le faire. Mais je souhaite quand même rappeler aux universités qu'elles sont autonomes et qu'il faut qu'elles se débrouillent avec les budgets qu'on leur a donnés, et qu'on ne peut pas à la fois demander l'autonomie et puis aller pleurer dans le giron du ministère quand on a fait des erreurs de gestion. Je crois qu'il faut dire les choses très simplement et très clairement : il faut quand même faire attention."
Vous rentrez d'un rapide voyage au Brésil, à Porto Alegre. C'est le Président lui-même qui vous y a envoyé, vous êtes rentré hier soir. 35 heures de vol aller-retour en deux ou trois jours, c'est bien ! Mais vous, le libéral favorable à une mondialisation régulée au marché, êtes-vous revenu converti par un nouvel état d'esprit, celui de Porto Alegre ?
- "Non, mais je suis convaincu qu'il était important d'y aller et que c'était important de comprendre ce qui se passe là-bas, d'abord parce ce que c'est probablement le mouvement social le plus neuf et le plus intéressant depuis des années, depuis peut-être les années 60. Et parce que, même si ces militants de l'antimondialisation apportent de mauvaises réponses, ils posent une bonne question, pour reprendre une formule célèbre."
Laquelle ?
- "C'est la question de savoir si nous ne sommes pas, nous les petits individus, les petits citoyens du monde, dépossédés face à un cours du monde qui nous échappe totalement. C'est-à-dire quand il y a des usines qui ferment, quand il y a des marchés financiers qui s'affolent ou qui bougent, au fond, qu'est-ce que le citoyen lambda y peut ? Il n'y peut rien. Et donc, il a le sentiment que le cours du monde lui échappe et que ce cours du monde échappe même aux hommes politiques, voire aux grands patrons."
Et c'est vrai ?
- "Je crois que c'est vrai... Ce qui est posé comme question, c'est une vraie question : c'est la question de la place de la place de la politique par rapport à l'économique et, au fond, les citoyens, en tout cas ces antimondialisation, touchent un point juste quand ils disent que les individus d'aujourd'hui n'ont plus de pouvoir sur le cours du monde, qu'ils ne savent plus où ça va, que plus personne ne le contrôle et que c'est problématique, inquiétant, angoissant. Et je pense que cette angoisse, il faut lui apporter des réponses."
Mais est-ce que vous dites pour autant que la mondialisation - vous qui êtes favorable, mais pas folle, sauvage - aboutit à plus de chômage, d'inégalités, d'injustice, qu'elle est même antidémocratique, comme on l'a entendu à Porto Alegre ?
- "C'est plutôt le dernier point que je retiendrai. Je ne pense pas que la mondialisation aboutisse à plus de chômage ou à plus d'injustice, je ne crois pas que ce soit le cas - on pourrait évidemment en discuter mais on n'en a pas le temps maintenant. Mais c'est vrai, en revanche, qu'elle n'est pas démocratique, en ce sens que les grandes promesses de la démocratie étaient de dire aux humains "vous allez pouvoir faire votre histoire, vous allez pouvoir contrôler votre destin". Or ce qui se passe aujourd'hui, c'est que les processus mondialisés nous échappent à tous. Et c'est cela qui est inquiétant."
Mais que peut-on faire ? Par exemple, en tant que missionnaire de J. Chirac, qu'est-ce que vous allez lui recommander, quand vous allez le voir ? Et à J.-P. Raffarin, qui cite régulièrement le philosophe Ferry dans ses discours ?
- "Je pense que l'une des réponses à apporter, qui est convaincante et importante, est de dire que la politique doit reprendre la main, par exemple, en constituant de grandes unités, comme l'unité européenne. Ce n'est plus au niveau national seulement que l'on peut reprendre la main sur le plan politique, mais en revanche, que cela nous oblige absolument à créer des entités politiques plus vastes, comme par exemple, l'Europe, qui permettront à la vie politique de reprendre l'influence qu'elle doit avoir sur le cours du monde. Voilà pourquoi, si on est souverainiste, il faut être pro-européen..."
Il est peut-être intéressant d'écouter Lula qui, lui, redonne à sa manière une certaine conscience dans la politique, et qui vient aujourd'hui à l'Elysée et à Matignon, voir messieurs Chirac et Raffarin ?
- "Bien sûr qu'il est intéressant de l'écouter. Le président de la République française avait tout à fait raison de penser qu'il valait mieux, à la limite, être présent à Porto Alegre plutôt qu'à Davos, et qu'il se passe plus de choses à comprendre à Porto Alegre, même si on est en grand désaccord avec les réponses ou avec les idéologies qui sont là-bas sur place, il y a quand même probablement plus de choses à comprendre à Porto Alegre qu'à Davos..."
Donc, Porto Alegre devient à la mode...
- "Ce n'est pas une question de mode, c'est quelque chose de fond. Il faut vraiment comprendre ce qui se passe. Cela aura lieu l'année prochaine en Inde. Et je prends le pari que, l'année prochaine, il y aura encore plus de monde en Inde qu'il n'y en avait cette année au Brésil. Par conséquent, il s'agit de comprendre ce qui se passe. On n'a pas un mouvement de 100.000 personnes, comme cela, international, s'il n'y a pas quelque chose derrière, une inquiétude à laquelle il faut répondre."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 28 janvier 2003)