Texte intégral
J.-P. Raffarin : - "Juste un mot pour vous remercier d'être là. Juste donc pour remercier tous les jeunes mais aussi tous les autres, pour avoir accepté ce dialogue, pour l'Europe, pour la dimension sociale de l'Europe - c'est un sujet très important pour l'avenir. Vous savez que nous discutons de l'élargissement, que nous discutons de nouvelles institutions européennes, et donc nous souhaitons, avant que les décisions s'arrêtent et se prennent, au cours du deuxième semestre 2003, dans l'année 2004, avoir des échanges partout en France. Et c'est pour cela que je suis très heureux qu'avec plusieurs ministres, avec F. Fillon, avec N. Lenoir et avec H. Falco on soit venus pour répondre aux questions que vous vous posez. Et puis je voudrais dire un énorme merci à monsieur le Premier ministre de Hongrie que je vous prie de bien vouloir applaudir. C'est pour nous un geste d'amitié, c'est aussi un engagement pour l'avenir, c'est très important que nous parlions avec ceux [...] qui veulent venir dans l'Europe et qui veulent avec nous bâtir ce projet commun, avec les membres de la Convention également hongrois qui sont avec nous, pour répondre donc à vos questions. Merci d'être là, et merci, madame la députée-maire, du chaleureux accueil d'Avignon."
[...]Question d'une étudiante espagnole : Croyez-vous que la position prise par l'Union européenne face à la catastrophe du Prestige a été la bonne et digne d'une solution pour une Union ?
[...] J.-P. Raffarin : "Juste un mot pour dire, dans le prolongement de ce que dit Noëlle, que pour toutes les grandes questions liées à l'environnement pour l'avenir, toutes les grandes catastrophes, on a besoin de règles internationales, car les catastrophes dépassent nos frontières. Et c'est ce qui est particulièrement brutal dans cette affaire du Prestige. F. Fillon et moi avons connu la catastrophe de l'Erika, nous sommes des élus de l'Atlantique et nous avons vu tout le dégât, combien tout ceci est blessant pour le patrimoine naturel, pour l'activité économique, pour l'ensemble des habitants. Mais on voit aussi que finalement, ce type de catastrophe se passe au-delà des frontières traditionnelles d'un pays. Cela a lieu dans un pays, et puis finalement, d'autres pays sont contaminés. On voit bien que ce qui est vrai aujourd'hui de la pollution, qui est vrai de l'effet de serre, qui est vrai d'un certain nombre de grandes catastrophes écologiques, sont aujourd'hui des catastrophes qui ont lieu de manière internationale. Donc il nous faut cette gouvernance internationale, cette gouvernance mondiale, en l'occurrence, cette gouvernance européenne, pour faire face à ces difficultés-là. C'est pour cela qu'il était très important d'avoir des alliés. Et quand on regarde bien le dispositif tel qu'il a été bâti, en fait, c'est un accord entre la France d'abord et l'Espagne ; ensuite le Portugal est venu et la France a amené l'Allemagne sur cet accord. Et finalement, nous avons constitué une majorité au Conseil et on a pu obtenir les décisions dont a parlé Noëlle. Le problème aujourd'hui, c'est que face à ces grandes catastrophes qui sont révoltantes, on peut se révolter, mais on n'a pas le droit de rester seul. Il y a un devoir d'alliance aujourd'hui pour faire avancer ces idées. Et cette alliance-là finalement, elle a été constituée comme un jeu de dominos : la France-l'Espagne, l'Espagne-le Portugal, puis ensuite avec l'Allemagne, et finalement une majorité au Conseil, et maintenant, des décisions qui peuvent être prises. D'où l'importance de l'Europe comme multiplicateur d'influences, comme capacité d'être un vrai levier pour se battre contre un certain nombre de phénomènes qui, eux, ne respectent pas les frontières."
Question d'un lycéen : Ma question concerne l'élargissement européen : j'aurais voulu savoir si une collaboration Turquie-Etats-Unis, dans l'éventualité d'un conflit en Irak, peut remettre en question l'éventuelle adhésion de la Turquie à l'Europe...
J.-P. Raffarin : Je crois qu'il faut que nous soyons très attentifs à ce que le débat irakien - j'y reviendrais tout à l'heure - qui est un débat d'une extrême gravité, ne vienne pas casser l'Europe. Donc nous devons être extraordinairement vigilants et sérieux dans nos argumentations, pour qu'il n'y ait pas confusion des débats. La question qui a été posée par la Turquie en ce qui concerne les problèmes de l'Irak, c'est une question de défense, c'est une question qui a été posée d'abord à l'OTAN et c'est une question qui a été posée dans des termes militaires avec des règles et une organisation qui nous a permis de dire aujourd'hui que c'était à la Turquie de pouvoir définir la place qu'elle pouvait elle-même avoir dans un dispositif qui pouvait être éventuellement un dispositif de guerre. Il y a là, vous le savez, donc une tension qui est une tension entre, non pas l'Europe et la Turquie sur ce sujet, mais entre la Turquie et les Etats-Unis. Donc il n'y a rien dans ce dossier qui puisse interférer sur le dossier européen de la Turquie.
Le dossier européen de la Turquie, il est posé en d'autres termes. Il a été posé à Copenhague, où nous avons ouvert la perspective d'une négociation avec la Turquie, pour peu que la Turquie atteigne les critères qui étaient ceux dits de Copenhague, qui était un autre sommet, qui sont en fait des critères de démocratie et des critères de développement. Et donc ce qui a été dit, c'est que la Turquie devait faire la preuve de ses engagements. Et l'Union européenne demande à la Turquie de se montrer à un niveau politique, démocratique, éthique, économique, qui est un niveau compatible avec les règles de l'Union européenne. Et si la Turquie atteint ce niveau démocratique, éthique, économique, à ce moment-là, la négociation pourra s'engager. Donc au fond, aujourd'hui, avec la Turquie, nous sommes dans une phase probatoire. Il n'y a pas de conflit entre l'Europe et la Turquie, il y a simplement des exigences qui ont été posées et une négociation qui sera possible le jour où la Turquie aura mis en oeuvre les engagements qu'elle prend devant la scène internationale.
Donc veillons bien à ce qu'on sépare les sujets parce qu'il serait très dangereux aujourd'hui de faire en sorte que le conflit irakien, avec les prises de position respectables des uns et des autres, vienne poser à l'Union Européenne une question majeure pour son propre avenir. Donc soyons tous très responsables. J'y reviendrais tout à l'heure, mais l'Europe est d'une extraordinaire fragilité, donc il faut traiter les problèmes les uns après les autres, avec sang-froid. Il est clair qu'aujourd'hui, nous avons avec l'Espagne, une divergence fondamentale sur la position irakienne, mais ce n'est pas pour cela que nous devons avoir une tension avec l'Espagne sur la question européenne. Donc soyons très attentifs à ce que finalement, cette guerre d'Irak, qui fait tant de mal, parmi toutes ses victimes, ne fasse pas en plus la construction européenne. C'est pour cela qu'il faut bien séparer les sujets et les organiser avec le maximum de clarté."
[...]
Question du président de la FDSEA de Vaucluse : J'ai bien écouté les propos introductifs de monsieur Fillon qui disait qu'aucun pays n'avait le monopole de la production. Certes, mais madame Lenoir a dit aussi qu'au niveau de l'Espagne, les échanges avaient progressé de 10 %. On fait partie de la filière qui a payé lourdement l'entrée de l'Espagne dans le marché commun. On a perdu entre 1988 et 2000, 35 % des arboriculteurs du département et 60 % des maraîchers de ce département. Au niveau du Vaucluse, l'agriculture est un poids lourd économique qui représente 7 000 exploitations agricoles, qui représente aussi beaucoup d'emplois : 8 000 équivalents de temps plein, dont une grande partie de saisonniers. Ce sont 33 000 personnes qui travaillent chaque année sur l'agriculture dans l'emploi saisonnier au niveau du département. Or, ces emplois, agriculteurs et salariés, sont très dépendants de la valeur du travail, puisque notre coût de production représente de 30 à 80 % de la valeur du travail. Or, nous sommes aujourd'hui mis en concurrence avec des pays dont le coût du travail est beaucoup plus faible, puisqu'au niveau européen, il varie de 3,40 euros à peu près au Portugal à plus de 16 euros au Danemark et la France arrive en 7ème et en 10ème position, selon les types de calcul. Donc premier point : une concurrence avec les pays au coût de main-d'oeuvre beaucoup plus faible. Deuxième point, la durée du travail [...] : 35 heures pour la France, 39-40 heures pour les autres pays. Et troisième point, face à cette pénurie de travailleurs, des politiques nationales complètement différentes quant aux possibilités d'immigration de travailleurs saisonniers. Entre la Grèce, l'Allemagne et l'Autriche, c'est complètement différent de la France qui est peu favorable à ces problèmes de recrutement, à cette façon de recruter. Donc la question est très simple. J'ai bien entendu monsieur Fillon dire tout à l'heure que l'Europe avait la volonté d'aborder à l'échelon communautaire les politiques sociales, afin de les harmoniser. Première question : à quelle échéance ? Et deuxième question : en attendant cette échéance, dans l'espace, quelles corrections, quelles gestions correctives, le gouvernement français pense mettre en place de manière à éviter le démantèlement de ses filières de fruits et légumes avec l'entrée des PECO dans l'Europe ?
[...]
J.-P. Raffarin : M'adressant à un responsable professionnel agricole important ici dans le Vaucluse, je voudrais dire que, dans le prolongement de ce que dit F. Fillon, nous devons vraiment engager une réflexion très approfondie sur l'avenir de notre agriculture. Nous nous battons actuellement avec vigueur pour faire respecter au niveau européen les accords de Berlin. Nous avons des difficultés, puisqu'un commissaire organise une pressante mobilisation pour faire une revue à mi-parcours à partir de 2004, et ceci pour redistribuer un peu les cartes de la politique agricole commune. Nous voulons prendre le temps, avec les agriculteurs, avec les organisations professionnelles, de bien définir cette nouvelle politique agricole commune qui sera celle, pour nous, du 1er janvier 2007 et non pas celle de 2004. C'est un point très important de mobilisation. Mais cela veut dire qu'il faut réfléchir aujourd'hui à la nouvelle donne agricole, cela veut dire qu'il faut bâtir cette nouvelle stratégie qui devra reposer sur un certain nombre de principes qui sont les acquis de la politique agricole commune. Je pense, par exemple, à l'attachement que nous avons à la dimension économique de l'agriculture et ce pourquoi nous nous battons, qui est l'idée du découplage. Nous ne sommes pas favorables à ce que l'on enlève à l'agriculture sa dimension économique, de résultat économique et qu'on en fasse simplement une activité liée à l'aménagement du territoire ou liée à la conservation des territoires. Tant qu'il n'y aura pas la capacité d'avoir des performances économiques en agriculture, l'agriculture pourra être menacée.
Donc, dans cette perspective-là et dans des productions comme les vôtres, il est évident que nous avons nos propres efforts à faire, notamment je pense à la simplification parce qu'il faut aller chercher de la productivité face à la nouvelle donne européenne. Donc il faut qu'on cherche partout la productivité agricole. Et la productivité, nous allons la trouver d'abord, peut-être, dans la simplification. C'est vrai qu'aujourd'hui, nous avons une bureaucratisation de notre agriculture qui coûte cher en termes de productivité. Et par rapport aux autres pays, notamment par rapport aux pays entrants, notre sur-administration agricole est quelque chose qui nous pose problème. Il faut qu'on y réfléchisse. Il faut qu'on réfléchisse aussi, et c'est, je crois, très important, naturellement à l'action sur les charges sociales. Il est évident que nous avons dans l'ensemble de notre pays aujourd'hui à réfléchir à cette question. Tout comme nous devons réfléchir à tout ce qui doit faire l'avenir de l'agriculture française, c'est-à-dire la qualité, la labellisation, tout ce qui sont les appellations d'origine, tout ce qui fait qu'on va injecter de l'intelligence dans la production.
L'avenir d'un pays comme le nôtre, si nous voulons être parmi ceux qui, en Europe et dans le monde, ont un des niveaux de vie les plus élevés du monde, une protection sociale parmi les meilleures du monde, il n'y a qu'une façon de financer cela : c'est d'injecter de la valeur ajoutée, c'est-à-dire de l'intelligence, c'est-à-dire de l'humain, dans l'économie. Donc il nous faut valoriser cette capacité à créer de la valeur dans toutes nos formes de production. Et l'agriculture des années 2015-2020 sera une agriculture qui sera pleine de talents humains. Ce n'est pas la standardisation, la banalisation, la concentration, le gigantisme qui sera l'avenir de notre agriculture. Il y aura des pays plus forts que nous pour avoir des niveaux sociaux moins élevés que nous, pour avoir des formes de production moins qualitatives que nous, et qui seront des compétiteurs très difficiles sur ce sujet. Donc nous avons une grande réflexion à bâtir pour mobiliser, dans toutes les productions, la capacité par la formation des jeunes. L'agriculture est sans doute un des secteurs qui a fait le plus d'efforts pour former ces jeunes. C'est un des rares métiers pour lesquels il faut une qualification minimum pour pouvoir s'installer ; il y a des efforts encore à faire, il y a des efforts à faire en matière de recherche. Je crois qu'il faut ensemble bâtir ce rendez-vous car, autant, je peux vous dire que je mettrai, avec mon gouvernement et derrière le président de la République, toute notre énergie pour que Berlin soit respecté et que la PAC, à laquelle nous tenons, puisse maintenir ses acquis, autant il est clair que dans les années 2007 et après, il y aura une nouvelle définition. Et que cette nouvelle définition, il faut la regarder en face et y travailler dès maintenant. Si nous n'avons pas une proposition française sur la table, il y aura d'autres propositions et elles ne nous seront pas favorables."
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 19 mars 2003)
[...]Question d'une étudiante espagnole : Croyez-vous que la position prise par l'Union européenne face à la catastrophe du Prestige a été la bonne et digne d'une solution pour une Union ?
[...] J.-P. Raffarin : "Juste un mot pour dire, dans le prolongement de ce que dit Noëlle, que pour toutes les grandes questions liées à l'environnement pour l'avenir, toutes les grandes catastrophes, on a besoin de règles internationales, car les catastrophes dépassent nos frontières. Et c'est ce qui est particulièrement brutal dans cette affaire du Prestige. F. Fillon et moi avons connu la catastrophe de l'Erika, nous sommes des élus de l'Atlantique et nous avons vu tout le dégât, combien tout ceci est blessant pour le patrimoine naturel, pour l'activité économique, pour l'ensemble des habitants. Mais on voit aussi que finalement, ce type de catastrophe se passe au-delà des frontières traditionnelles d'un pays. Cela a lieu dans un pays, et puis finalement, d'autres pays sont contaminés. On voit bien que ce qui est vrai aujourd'hui de la pollution, qui est vrai de l'effet de serre, qui est vrai d'un certain nombre de grandes catastrophes écologiques, sont aujourd'hui des catastrophes qui ont lieu de manière internationale. Donc il nous faut cette gouvernance internationale, cette gouvernance mondiale, en l'occurrence, cette gouvernance européenne, pour faire face à ces difficultés-là. C'est pour cela qu'il était très important d'avoir des alliés. Et quand on regarde bien le dispositif tel qu'il a été bâti, en fait, c'est un accord entre la France d'abord et l'Espagne ; ensuite le Portugal est venu et la France a amené l'Allemagne sur cet accord. Et finalement, nous avons constitué une majorité au Conseil et on a pu obtenir les décisions dont a parlé Noëlle. Le problème aujourd'hui, c'est que face à ces grandes catastrophes qui sont révoltantes, on peut se révolter, mais on n'a pas le droit de rester seul. Il y a un devoir d'alliance aujourd'hui pour faire avancer ces idées. Et cette alliance-là finalement, elle a été constituée comme un jeu de dominos : la France-l'Espagne, l'Espagne-le Portugal, puis ensuite avec l'Allemagne, et finalement une majorité au Conseil, et maintenant, des décisions qui peuvent être prises. D'où l'importance de l'Europe comme multiplicateur d'influences, comme capacité d'être un vrai levier pour se battre contre un certain nombre de phénomènes qui, eux, ne respectent pas les frontières."
Question d'un lycéen : Ma question concerne l'élargissement européen : j'aurais voulu savoir si une collaboration Turquie-Etats-Unis, dans l'éventualité d'un conflit en Irak, peut remettre en question l'éventuelle adhésion de la Turquie à l'Europe...
J.-P. Raffarin : Je crois qu'il faut que nous soyons très attentifs à ce que le débat irakien - j'y reviendrais tout à l'heure - qui est un débat d'une extrême gravité, ne vienne pas casser l'Europe. Donc nous devons être extraordinairement vigilants et sérieux dans nos argumentations, pour qu'il n'y ait pas confusion des débats. La question qui a été posée par la Turquie en ce qui concerne les problèmes de l'Irak, c'est une question de défense, c'est une question qui a été posée d'abord à l'OTAN et c'est une question qui a été posée dans des termes militaires avec des règles et une organisation qui nous a permis de dire aujourd'hui que c'était à la Turquie de pouvoir définir la place qu'elle pouvait elle-même avoir dans un dispositif qui pouvait être éventuellement un dispositif de guerre. Il y a là, vous le savez, donc une tension qui est une tension entre, non pas l'Europe et la Turquie sur ce sujet, mais entre la Turquie et les Etats-Unis. Donc il n'y a rien dans ce dossier qui puisse interférer sur le dossier européen de la Turquie.
Le dossier européen de la Turquie, il est posé en d'autres termes. Il a été posé à Copenhague, où nous avons ouvert la perspective d'une négociation avec la Turquie, pour peu que la Turquie atteigne les critères qui étaient ceux dits de Copenhague, qui était un autre sommet, qui sont en fait des critères de démocratie et des critères de développement. Et donc ce qui a été dit, c'est que la Turquie devait faire la preuve de ses engagements. Et l'Union européenne demande à la Turquie de se montrer à un niveau politique, démocratique, éthique, économique, qui est un niveau compatible avec les règles de l'Union européenne. Et si la Turquie atteint ce niveau démocratique, éthique, économique, à ce moment-là, la négociation pourra s'engager. Donc au fond, aujourd'hui, avec la Turquie, nous sommes dans une phase probatoire. Il n'y a pas de conflit entre l'Europe et la Turquie, il y a simplement des exigences qui ont été posées et une négociation qui sera possible le jour où la Turquie aura mis en oeuvre les engagements qu'elle prend devant la scène internationale.
Donc veillons bien à ce qu'on sépare les sujets parce qu'il serait très dangereux aujourd'hui de faire en sorte que le conflit irakien, avec les prises de position respectables des uns et des autres, vienne poser à l'Union Européenne une question majeure pour son propre avenir. Donc soyons tous très responsables. J'y reviendrais tout à l'heure, mais l'Europe est d'une extraordinaire fragilité, donc il faut traiter les problèmes les uns après les autres, avec sang-froid. Il est clair qu'aujourd'hui, nous avons avec l'Espagne, une divergence fondamentale sur la position irakienne, mais ce n'est pas pour cela que nous devons avoir une tension avec l'Espagne sur la question européenne. Donc soyons très attentifs à ce que finalement, cette guerre d'Irak, qui fait tant de mal, parmi toutes ses victimes, ne fasse pas en plus la construction européenne. C'est pour cela qu'il faut bien séparer les sujets et les organiser avec le maximum de clarté."
[...]
Question du président de la FDSEA de Vaucluse : J'ai bien écouté les propos introductifs de monsieur Fillon qui disait qu'aucun pays n'avait le monopole de la production. Certes, mais madame Lenoir a dit aussi qu'au niveau de l'Espagne, les échanges avaient progressé de 10 %. On fait partie de la filière qui a payé lourdement l'entrée de l'Espagne dans le marché commun. On a perdu entre 1988 et 2000, 35 % des arboriculteurs du département et 60 % des maraîchers de ce département. Au niveau du Vaucluse, l'agriculture est un poids lourd économique qui représente 7 000 exploitations agricoles, qui représente aussi beaucoup d'emplois : 8 000 équivalents de temps plein, dont une grande partie de saisonniers. Ce sont 33 000 personnes qui travaillent chaque année sur l'agriculture dans l'emploi saisonnier au niveau du département. Or, ces emplois, agriculteurs et salariés, sont très dépendants de la valeur du travail, puisque notre coût de production représente de 30 à 80 % de la valeur du travail. Or, nous sommes aujourd'hui mis en concurrence avec des pays dont le coût du travail est beaucoup plus faible, puisqu'au niveau européen, il varie de 3,40 euros à peu près au Portugal à plus de 16 euros au Danemark et la France arrive en 7ème et en 10ème position, selon les types de calcul. Donc premier point : une concurrence avec les pays au coût de main-d'oeuvre beaucoup plus faible. Deuxième point, la durée du travail [...] : 35 heures pour la France, 39-40 heures pour les autres pays. Et troisième point, face à cette pénurie de travailleurs, des politiques nationales complètement différentes quant aux possibilités d'immigration de travailleurs saisonniers. Entre la Grèce, l'Allemagne et l'Autriche, c'est complètement différent de la France qui est peu favorable à ces problèmes de recrutement, à cette façon de recruter. Donc la question est très simple. J'ai bien entendu monsieur Fillon dire tout à l'heure que l'Europe avait la volonté d'aborder à l'échelon communautaire les politiques sociales, afin de les harmoniser. Première question : à quelle échéance ? Et deuxième question : en attendant cette échéance, dans l'espace, quelles corrections, quelles gestions correctives, le gouvernement français pense mettre en place de manière à éviter le démantèlement de ses filières de fruits et légumes avec l'entrée des PECO dans l'Europe ?
[...]
J.-P. Raffarin : M'adressant à un responsable professionnel agricole important ici dans le Vaucluse, je voudrais dire que, dans le prolongement de ce que dit F. Fillon, nous devons vraiment engager une réflexion très approfondie sur l'avenir de notre agriculture. Nous nous battons actuellement avec vigueur pour faire respecter au niveau européen les accords de Berlin. Nous avons des difficultés, puisqu'un commissaire organise une pressante mobilisation pour faire une revue à mi-parcours à partir de 2004, et ceci pour redistribuer un peu les cartes de la politique agricole commune. Nous voulons prendre le temps, avec les agriculteurs, avec les organisations professionnelles, de bien définir cette nouvelle politique agricole commune qui sera celle, pour nous, du 1er janvier 2007 et non pas celle de 2004. C'est un point très important de mobilisation. Mais cela veut dire qu'il faut réfléchir aujourd'hui à la nouvelle donne agricole, cela veut dire qu'il faut bâtir cette nouvelle stratégie qui devra reposer sur un certain nombre de principes qui sont les acquis de la politique agricole commune. Je pense, par exemple, à l'attachement que nous avons à la dimension économique de l'agriculture et ce pourquoi nous nous battons, qui est l'idée du découplage. Nous ne sommes pas favorables à ce que l'on enlève à l'agriculture sa dimension économique, de résultat économique et qu'on en fasse simplement une activité liée à l'aménagement du territoire ou liée à la conservation des territoires. Tant qu'il n'y aura pas la capacité d'avoir des performances économiques en agriculture, l'agriculture pourra être menacée.
Donc, dans cette perspective-là et dans des productions comme les vôtres, il est évident que nous avons nos propres efforts à faire, notamment je pense à la simplification parce qu'il faut aller chercher de la productivité face à la nouvelle donne européenne. Donc il faut qu'on cherche partout la productivité agricole. Et la productivité, nous allons la trouver d'abord, peut-être, dans la simplification. C'est vrai qu'aujourd'hui, nous avons une bureaucratisation de notre agriculture qui coûte cher en termes de productivité. Et par rapport aux autres pays, notamment par rapport aux pays entrants, notre sur-administration agricole est quelque chose qui nous pose problème. Il faut qu'on y réfléchisse. Il faut qu'on réfléchisse aussi, et c'est, je crois, très important, naturellement à l'action sur les charges sociales. Il est évident que nous avons dans l'ensemble de notre pays aujourd'hui à réfléchir à cette question. Tout comme nous devons réfléchir à tout ce qui doit faire l'avenir de l'agriculture française, c'est-à-dire la qualité, la labellisation, tout ce qui sont les appellations d'origine, tout ce qui fait qu'on va injecter de l'intelligence dans la production.
L'avenir d'un pays comme le nôtre, si nous voulons être parmi ceux qui, en Europe et dans le monde, ont un des niveaux de vie les plus élevés du monde, une protection sociale parmi les meilleures du monde, il n'y a qu'une façon de financer cela : c'est d'injecter de la valeur ajoutée, c'est-à-dire de l'intelligence, c'est-à-dire de l'humain, dans l'économie. Donc il nous faut valoriser cette capacité à créer de la valeur dans toutes nos formes de production. Et l'agriculture des années 2015-2020 sera une agriculture qui sera pleine de talents humains. Ce n'est pas la standardisation, la banalisation, la concentration, le gigantisme qui sera l'avenir de notre agriculture. Il y aura des pays plus forts que nous pour avoir des niveaux sociaux moins élevés que nous, pour avoir des formes de production moins qualitatives que nous, et qui seront des compétiteurs très difficiles sur ce sujet. Donc nous avons une grande réflexion à bâtir pour mobiliser, dans toutes les productions, la capacité par la formation des jeunes. L'agriculture est sans doute un des secteurs qui a fait le plus d'efforts pour former ces jeunes. C'est un des rares métiers pour lesquels il faut une qualification minimum pour pouvoir s'installer ; il y a des efforts encore à faire, il y a des efforts à faire en matière de recherche. Je crois qu'il faut ensemble bâtir ce rendez-vous car, autant, je peux vous dire que je mettrai, avec mon gouvernement et derrière le président de la République, toute notre énergie pour que Berlin soit respecté et que la PAC, à laquelle nous tenons, puisse maintenir ses acquis, autant il est clair que dans les années 2007 et après, il y aura une nouvelle définition. Et que cette nouvelle définition, il faut la regarder en face et y travailler dès maintenant. Si nous n'avons pas une proposition française sur la table, il y aura d'autres propositions et elles ne nous seront pas favorables."
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 19 mars 2003)