Déclarations de M. Alain Richard, ministre de la défense, en réponse à des questions sur la fermeture de bases militaires et la dissolution de régiments et sur leur impact sur la vie locale, au Sénat les 13 et 20 janvier 1998.

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Texte intégral

Q.- Le gouvernement auquel vous appartenez, et que, bien évidemment, je soutiens, poursuit la réforme de notre système de défense engagée en 1996. La loi de finances pour 1998 conforte la professionnalisation et la modernisation de nos armées. Il importe d'édifier une politique de défense plus efficace et moins coûteuse. C'est pourquoi la réorganisation de notre système de défense et de ses implantations a été réétudiée par vos soins. Certaines installations ont ainsi été restructurées et d'autres ont été même supprimées. Cela va, certes, dans le sens de la maîtrise des dépenses publiques mais pose en même temps des problèmes importants dans les régions où cette politique est mise en oeuvre.
Ainsi, à Limoges, la fermeture de la base aérienne de Romanet s'est traduite par la suppression d'environ 500 emplois salariés, dont une centaine d'emplois de personnels civils. Chaque année, près de 60 millions de francs étaient injectés dans l'économie locale, dont 28 millions de francs par le biais des soldes et 20 millions de francs par celui des traitements des personnels civils. C'est autant d'argent qui ne sera ni dépensé ni investi sur place ; ce sont des commerces qui vont péricliter, des classes qui vont fermer. Certes, la gendarmerie nationale délocalisera bien son service de reprographie et l'implantera sur des terrains libérés par l'armée de l'air, amenant ainsi une soixantaine d'emplois. Le service de santé des armées souhaite lui aussi entreposer ses archives sur une partie du site, apportant quelques emplois de plus. Ainsi une grande partie du terrain serait occupée et très peu d'emplois seraient créés. Tout cela est loin, très loin, de compenser les 500 emplois supprimés ! L'année dernière, lorsqu'un député de l'ancienne majorité avait fait courir le bruit que le site servirait à l'implantation d'un centre de rendez-vous citoyen, peu de Limousins avaient cru à cette fable. Depuis, nous avons revu, à juste titre, le projet relatif au service national et l'appel de préparation à la défense a été organisé sur une seule journée. Alors aujourd'hui cette piste est devenue, bien évidemment, totalement obsolète.
Il est donc important, monsieur le ministre, que la ville de Limoges et son agglomération reçoivent des compensations pour pallier les pertes d'activité liées aux restructurations militaires et industrielles dans la défense nationale. Il est bien évident que d'autres régions françaises sont encore plus durement touchées, sur le plan militaire comme sur le plan industriel. Mais Limoges, la Haute-Vienne, l'ensemble du Limousin n'ont pas subi dans le passé de cataclysmes industriels majeurs pour la bonne et simple raison qu'il n'existait chez nous aucune très grande entreprise. En revanche, beaucoup de nos petites et moyennes unités ont été, et sont encore, en proie à des difficultés importantes. Si nous n'avons pas subi de grande blessure au retentissement national, en revanche, nous avons été et nous sommes encore victimes d'une multitude de petites hémorragies dont on parle peu à l'extérieur mais qui, ensemble, affaiblissent autant, et souvent plus qu'ailleurs, le tissu socio-économique. Il importe donc que, dans le domaine militaire comme dans les autres, la solidarité nationale s'exerce au profit d'une région, certes petite, mais qui veut continuer à vivre et où, d'ailleurs, il fait bon vivre. Monsieur le ministre, nous espérons que l'Etat se fera un devoir d'étudier les mesures de compensation à mettre en oeuvre pour que Limoges et sa région ne pâtissent pas trop de ces décisions indispensables certes, mais ô combien douloureuses !
R.- Monsieur le sénateur, je tiens tout d'abord à dire que je rejoins votre raisonnement. Nous devons pour moderniser nos forces armées rassembler nos moyens militaires, et c'est tout particulièrement vrai dans le cas des bases aériennes, qui impliquent un fort potentiel technologique et nécessitent un entretien important. C'est ce raisonnement qui avait amené le Gouvernement à décider la fermeture de la base aérienne de Romanet, qui se situe dans le voisinage immédiat de Limoges. Au moment où la décision de fermeture a été prise, la base comptait 339 professionnels rémunérés, soit 212 militaires professionnels et 127 agents civils. Son effectif était de plus de 500 personnes - 566 exactement - auxquelles s'ajoutaient 227 appelés du contingent, qui, s'ils participent directement à l'activité militaire, représentent un apport économique local nettement plus réduit ! Les militaires professionnels ont été mutés vers d'autres bases. Les appelés n'ont pas été remplacés, dans le cadre de la baisse progressive de leur effectif. En revanche, conformément aux engagements qui avaient été pris à leur égard, 108 des 127 agents civils ont déjà été reclassés sur place, pour la plupart dans des établissements de la défense où des postes ont été ouverts à cette fin de manière à éviter aux personnels intéressés une mobilité obligatoire. Il s'agit donc là d'un premier effort de stabilisation de la situation en faveur de Limoges et du Limousin.
Monsieur le sénateur, dans la politique de restructuration et de réorganisation des unités et des services, que mène mon ministère, je donne pour instruction permanente de veiller tout particulièrement aux régions à faible niveau d'activité économique dans lesquelles les effectifs des implantations militaires ou des industries liées à la défense représentent une forte proportion du bassin d'emploi. Dans un bassin d'emplois relativement modeste comme celui de Limoges, qui est une capitale régionale de population moyenne, la suppression de 330 emplois permanents constitue une ponction importante que nous devons chercher à compenser. Comme vous l'avez indiqué, monsieur le sénateur, la gendarmerie a été chargée d'installer sur une partie des emprises de la base de Romanet son service d'impression, qui comptera 79 personnels militaires et civils, et le service de santé des armées installera sur une autre partie son service d'archives, situé aujourd'hui en centre-ville et qui a atteint ses limites de stockage. Ainsi, Limoges a l'assurance de continuer à abriter les archives du service de santé, ce qui peut être générateur d'une certaine activité, en particulier de recherche, et nous examinons les possibilités de réutiliser les parties vacantes de la base.
Monsieur le sénateur, je sais que vous vous attachez très activement, en concertation avec les autres élus responsables, à préfigurer au niveau régional des projets de développement local. A cet égard, et je l'ai annoncé au début du mois de novembre dernier, le Gouvernement a décidé de réformer et d'activer le dispositif de redynamisation économique des sites touchés par les restructurations de défense. Il a inscrit une dotation financière de 500 millions de francs au titre de l'année 1998 et prévoit d'affecter la même somme au titre de l'année 1999, pour soutenir les projets locaux de création d'activités dans les sites de défense. La délégation interministérielle chargée de cette mission pourra par ailleurs financer des équipes de développeurs en charge des sites les plus touchés. Je sais que Limoges et le Limousin font preuve de dynamisme en matière de développement local et disposent de leurs propres services. La délégation interministérielle aux restructurations de défense pourra leur apporter des moyens humains complémentaires. J'ai d'ailleurs proposé au président du conseil régional du Limousin, M. Savy, la signature d'une convention entre l'Etat et la région pour favoriser le développement de projets communs. Si le conseil régional adopte cette convention, la délégation interministérielle mettra en place un délégué régional pour le Limousin, qui facilitera les opérations de rétablissement d'activités économiques et industrielles.
Enfin, en ce qui concerne l'utilisation par les collectivités locales des emprises de la base, qui sont importantes, consigne a été donnée à la mission de réalisation des actifs immobiliers du ministère de rechercher des modalités de cession aussi supportables que possible pour les budgets locaux. Je sais notamment que le département s'est montré intéressé par les emprises de la base où se trouvent les anciens hangars. Sur le principe, le ministère de la défense souhaite que, lorsqu'il y a véritablement réutilisation d'une emprise militaire à une fin qui n'est plus une fin de service public, il y ait transfert de propriété. Mais, aussi bien en ce qui concerne la valeur de cession que l'échelonnement dans le temps des paiements, nous ferons en sorte que des régions ou des départements à faible potentiel fiscal, comme le Limousin et la Haute-Vienne, puissent devenir propriétaires des emprises militaires dans des conditions compatibles avec leurs capacités financières.
(Source http://www.senat.fr, le 14 novembre 2001)
Q.- Il apparaît en effet que les soutiens financiers et les remplacements en personnes n'ont pas été à la hauteur des attentes qu'avaient fait naître les promesses et de la dette morale de la nation à l'égard de l'agglomération verdunise, qui traverse actuellement une situation particulièrement difficile. Considérant que cette situation a été largement aggravée avec la dissolution du 151e régiment d'infanterie, considérant que, sur les dossiers de compensation liés aux restructurations militaires, la plus grande transparence doit être de règle, considérant, enfin, que la professionnalisation du 2e régiment de chasseurs et la perspective de l'accueil du char Leclerc sont des éléments positifs non négligeables, voici les requêtes que je vous adresse, monsieur le ministre.
Premièrement, je demande qu'un bilan chiffré et complet soit établi de la première phase de restructuration, mettant en exergue les pertes réelles de population de l'agglomération verdunise, les sommes dépensées par l'autorité militaire avant le départ du 3e Rama et d'autres unités, et les compensations financières réelles obtenues - FRED, fonds de restructuration de la défense, KONVER, Etat, région et collectivités territoriales concernées.
Deuxièmement, je demande qu'un rapport précis soit réalisé, à la suite de la dissolution du 151e régiment d'infanterie, faisant apparaître notamment les sommes dépensées par l'autorité militaire et la perte de population.
Troisièmement, je demande qu'un rapport détaillé des opérations et des financements soit établi sur les projets dits de compensations après le départ du 151e RI - KONVER II, FRED, etc.
Enfin, quatrièmement, je demande que soient recensées les perspectives de compensations en personnels au travers de délocalisations de services nationaux.
R.- L'application à l'agglomération verdunise d'un certain nombre de mesures est le résultat d'une politique de l'Etat choisie par l'ensemble des autorités institutionnelles et s'appliquant dans la continuité. Il ne m'est donc en rien difficile d'assumer les décisions prises par mes prédécesseurs. De même, dans la durée des politiques de restructuration nécessaires à la logique et à l'efficacité de notre outil de défense, je suis persuadé que mes successeurs pourront, à leur tour, donner toutes les informations nécessaires et assumer les justifications des décisions que j'aurai été amené à prendre.
Je rends justice à votre demande de transparence concernant l'ensemble de ces décisions, leurs motivations en termes d'efficacité militaire, leur coût et leur choix d'accompagnement. Ces décisions, qui font partie du domaine public, si j'ose dire, sont tout naturellement accessibles aux parlementaires et aux élus locaux.
Pour faire face aux restructurations militaires intervenues en 1992, à savoir la dissolution de l'établissement des subsistances, et en 1994, c'est-à-dire la dissolution du centre mobilisateur n° 62 et du 3e régiment d'artillerie de marine, la ville de Verdun a bénéficié d'une enveloppe de 20 millions de francs de fonds européen sur le programme dit KONVER, sur lesquels 18,4 millions de francs ont été engagés. Ces crédits, auxquels se sont ajoutés 9,1 millions de francs du fonds pour les restructurations de la défense, le FRED, ont notamment permis la création de la zone industrielle des Souhesmes et l'attribution de subventions de création à diverses entreprises. Là encore, sur les 110 emplois dont la création avait été envisagée grâce à ces crédits publics, 98 ont été effectivement créés.
L'été dernier, en fonction des décisions prises par le gouvernement précédent, nous avons procédé à la dissolution du 151e régiment d'infanterie. L'impact de cette restructuration sur l'économie de l'agglomération verdunise restera heureusement limité. En effet, dans le même temps, vous l'avez dit, nous transformons le 2e régiment de chasseurs en régiment à quatre-vingts chars. Cette opération, qui nécessite l'acquisition de nouveaux terrains et la réalisation d'importantes infrastructures, pérennisera l'implantation dans la ville de Verdun de 1 125 professionnels dont le poids économique sera équivalent à celui qui préexistait.
Lorsque j'aurai à présenter la deuxième vague des restructurations militaires, celles qui portent sur les établissements, sur les échelons territoriaux, les états-majors, je m'efforcerai de bien décrire devant les parlementaires la méthode de chiffrage de l'impact économique des différentes mesures pour que la transparence soit complète.
Bien entendu, mes services feront droit à toutes vos demandes d'évaluations complémentaires, mais, pour s'en tenir aux chiffres essentiels, sachez que le 151e régiment d'infanterie représentait 406 militaires d'active, correspondant à un impact financier pour la ville de Verdun de 50 millions de francs par an. Ces 406 postes de professionnels seront remplacés par 393 postes au titre du 2e régiment de chasseurs, soit 363 militaires d'active et 30 personnels civils de la défense.
En outre, je précise que les perspectives d'accompagnement des restructurations pour Verdun et la Meuse s'inscrivent dans un cadre plus large, qui a d'ailleurs donné lieu à une convention avec la région Lorraine. Les restructurations militaires liées à la professionnalisation sont, pour l'ensemble de la Lorraine, globalement positives. Un programme est en cours d'élaboration, en application de la convention, entre les représentants de l'Etat et les collectivités locales.
Ce programme prévoit trois axes principaux : donner une nouvelle destination économique, sociale ou culturelle aux emprises libérées par les armées ; accroître l'effort de diversification économique des bassins d'emploi touchés par une mesure liée à la restructuration de défense ; enfin, favoriser la diversification économique ou la conversion des entreprises sous-traitantes de la défense. Ce programme est de nature à bien prendre en compte les problèmes posés par l'évolution des activités de défense en Lorraine puisqu'il prévoit de traiter les difficultés liées à la libération d'un certain nombre d'emprises militaires et de faciliter la création de nouvelles activités sur les bassins touchés. Je me réjouis de la concertation qui a eu lieu avec le conseil général de la Meuse et la ville de Verdun, qui sont étroitement associés à l'élaboration de ce programme régional. Nous pourrons ainsi atténuer grandement l'impact négatif de certaines restructurations mises en oeuvre.
Il faut, enfin, rappeler que, malgré ces restructurations militaires, la Meuse restera un département de forte implantation de la défense puisque trois escadrons de gendarmerie mobile et trois régiments de l'armée de terre y sont stationnés - et ce dans un département où la population est assez réduite par rapport à la moyenne - et que la professionnalisation de l'ensemble de ces unités accroîtra significativement leur impact économique.
(Source http://www.senat.fr, le 14 novembre 2001)