Extrait de l'interview de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de la pêche et des affaires rurales, dans "La Tribune", le 1er septembre 2003 sur les positions défendues par la France, dans le secteur agricole, lors des négociations qui vont débuter à l'OMC à Cancun.

Prononcé le 1er septembre 2003

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Média : La Tribune

Texte intégral


En mettant en avant les intérêts du secteur agricole dans le cadre des négociations, la France ne risque-t-elle pas de devoir lâcher du lest sur d'autres secteurs ?
- Nous avons su et pu défendre les intérêts de l'agriculture française en créant un bon climat avec l'ensemble des Etats membres. La négociation qui va commencer à l'OMC en apporte la preuve. Je constate qu'il y a une unanimité des Etats membres et de la Commission pour défendre les mêmes positions au moment où commence cette négociation. Ce qui n'a pas toujours été le cas.
Comment la France aborde-t-elle ces discussions ?
- Notre position est extrêmement claire. Il faut porter dans l'enceinte de l'OMC la vision qui est la nôtre en matière agricole. Je pense par exemple que la clause de la nation la plus favorisée favorise toujours les plus favorisés. Nous avons vingt ans de recul avec les politiques d'ajustement structurel du FMI et dix avec la mise en place de l'OMC et de la libéralisation des marchés agricoles. On voit bien que le libre-échange total et généralisé n'est pas la bonne réponse à la question du développement agricole des pays sous-développés.
Qu'en est-il des préférences commerciales ?
- Aujourd'hui, des panels attaquent devant l'OMC les relations commerciales spécifiques que l'Europe a mis en place dans le cadre de la convention de Lomé, avec les Etats de l'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. Nous pensons à l'inverse que ces préférences spécifiques pour une certaine catégorie de pays sont complètement légitimes. Enfin, il faut introduire dans les négociations commerciales la question du prix des matières premières. Or ce qui se passe sur le café, sur le cacao et sur beaucoup de produits de base n'a rien à voir avec des politiques que mène ou que mènera l'UE.
N'y a-t-il pas aussi beaucoup d'hypocrisie de la part des pays riches ?
- De deux choses l'une. Soit, dans le cadre de ces négociations, nous sommes les uns et les autres dans une attitude constructive, et il s'agit d'apporter des réponses concrètes aux problèmes de développement des pays du Sud. Soit on se trouve dans un autre exercice, où les questions de développement ne sont évoquées que par hypocrisie pure pour masquer les intérêts commerciaux des grandes puissances exportatrices. Et alors il n'y a aucune raison pour que l'Europe baisse sa garde.
Les discussions à Cancun porteront-elles sur la question des soutiens directs ?
- L'Europe a fait des propositions tout à fait recevables puisque, depuis le dernier round des négociations à l'OMC, nous avons diminué les soutiens internes et avons décidé de les stabiliser pour les dix ans qui viennent. Or, pendant ce temps-là, les Etats-Unis augmentaient les leurs de manière drastique.
Etes-vous optimiste sur l'issue des négociations de Cancun ?
- Il est difficile de faire un pronostic. Cela dit, le monde tournait avant Cancun et tournera après. Il y a de fait trois hypothèses. La première, celle d'un accord global qui satisferait l'ensemble des parties en cause. La deuxième, avec un scénario à double détente où des sujets seront entérinés à Cancun et d'autres traités ultérieurement. Enfin, le scénario de blocage qui impliquerait des recours croissants devant l'organisation des règlements des différends devant l'OMC. On entrerait alors dans une guerre contentieuse internationale qui n'est souhaitable pour personne.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 02 septembre 2003)