Déclaration de Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies, sur l'avenir de la politique énergétique, notamment la diversification des sources d'approvisionnement, l'importance économique du secteur, le respect de l'environnement, le recherche dans le nucléaire et les énergies renouvelables, à l' Assemblée nationale le 29 septembre 2003.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Colloque franco-allemand sur "L'avenir énergétique de l'Europe", au Sénat le 29 et 30 septembre 2003

Texte intégral


Messieurs les présidents
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames, Messieurs,
La récente tenue du grand débat national sur les énergies, souhaitée par le Président de la République et auquel j'ai eu l'occasion de participer, a initié un processus de réflexion sans précédent sur l'avenir de la politique énergétique en France.
Ce débat a permis de mieux cerner les défis stratégiques, économiques, et environnementaux qu'il nous faut relever en matière de production, mais aussi de transport et de stockage d'énergie. Il a également montré la nécessité, et même l'urgence, d'une politique énergétique résolue, qui soit adaptée à un contexte international et européen en pleine mutation.
Dans cette perspective, le débat et la concertation entre pays partenaires de l'Union Européenne est une donnée essentielle car c'est de plus en plus à cette échelle que la cohérence des choix est nécessaire.
C'est pourquoi je me félicite que le Sénat accueille ce colloque franco-allemand sur "l'avenir énergétique de l'Europe". Cette initiative sera, je n'en doute pas, fructueuse et profitable à nos objectifs communs de relance et de renouveau de la politique énergétique.
La politique énergétique de la France repose sur trois fondements indissociables.
L'énergie revêt, pour tous les pays mais plus particulièrement pour la France, une importance stratégique capitale
La France a longtemps construit sa politique énergétique sur la nécessité d'acquérir l'indépendance énergétique alors qu'elle disposait de ressources fossiles limitées.
La découverte de nouvelles ressources au plan mondial, l'ouverture des marchés, l'évolution des relations Est-ouest ont relégué ce souci d'indépendance énergétique de la France au second plan.
Cependant, le retour de nouvelles formes d'instabilités géostratégiques ont montré les risques qui pouvaient encore peser sur notre politique d'approvisionnement énergétique comme sur celle de l'Europe. La diversification des énergies est un atout indispensable pour pallier ce danger. Elle ne peut être menée de façon efficace et cohérente pour les Etats qu'avec une vision stratégique au niveau européen.
De plus, les ressources fossiles, en dépit de leur constante extension ces dernières décennies, ne sont pas infinies. Les experts estiment que la production d'hydrocarbures atteindra vraisemblablement son plafond d'ici trente ans.
La conjonction de cette diminution prévisible des ressources fossiles, d'une explosion de la demande des nations en développement (notamment en Asie) et de la forte concentration de ces ressources dans un petit nombre de pays sont autant de facteurs qui montrent que l'accès à l'énergie et son prix sont des données fragiles, fortement soumises au contexte géostratégique.
En dépit de l'ouverture des marchés, la dimension stratégique d'indépendance énergétique ne peut donc être totalement absente des préoccupations de l'Europe et de la France.
L'énergie est un facteur essentiel du développement économique
Les événements survenus aux Etats-Unis il y a quelques années, ou en France à l'occasion de la tempête de décembre 1999, ont montré les désordres économiques auxquels conduisait une rupture d'alimentation d'un pays ou d'une région en énergie. L'énergie, sans même peut-être que nous en soyons conscients, est omniprésente dans le fonctionnement de nos sociétés modernes et conditionne le développement économique.
De ce fait même, la production et du transport de l'énergie représentent un secteur majeur, tant au plan industriel qu'humain : le secteur énergétique français représente directement 3% de notre PIB, 23 milliards d'Euros d'importations et 200 000 emplois.
La France dispose, dans ce domaine, d'acteurs de taille mondiale, forts de technologies performantes et de savoir-faire éprouvés. Il convient de veiller à préserver la compétitivité économique de ces entreprises, dans un contexte de concurrence internationale et de libéralisation du marché européen.
L'énergie doit être acceptable pour tous et respectueuse de l'environnement
Le défi majeur que nous avons à relever collectivement pour l'avenir consiste à concilier le développement économique et la préservation de notre environnement. Les conséquences alarmantes pour le climat et la santé de l'effet de serre, doivent inciter la politique énergétique à se tourner davantage vers des énergies propres, économes des ressources de notre planète ou renouvelables, pour un plus grand respect des populations et de l'environnement.
Si la protection de l'environnement passe nécessairement par un effort soutenu en faveur des énergies renouvelables, elles ne peuvent néanmoins constituer le seul axe de notre politique énergétique.
Le maintien et le renouvellement de la filière nucléaire en est un élément clé pour la France. De même que le développement de l'énergie nucléaire est pour certains pays la condition de leur croissance économique et de leur développement. Au regard de l'importance des enjeux, la politique énergétique doit se concevoir sans dogmatisme d'aucune sorte, en faisant la place à toutes les solutions énergétiques.
Ce sont de tels principes qui devront guider la politique énergétique de la France dans le nouveau contexte de déréglementation du marché européen de l'énergie et des contraintes environnementales qui s'imposent à la suite du sommet de Kyoto.
Même si, de fait, les politiques énergétiques nationales seront à l'avenir largement tributaires des décisions européennes (un exemple étant la décision de libéraliser le marché de l'énergie), pour autant, la politique européenne ne peut se substituer à l'échelon national sur l'ensemble de ces aspects, indépendance énergétique, compétitivité, acceptabilité et respect de l'environnement.
En application notamment du principe de subsidiarité, auquel la France reste très attachée, chaque Etat doit rester maître, dans le cadre d'une vision européenne globale, d'infléchir sa propre stratégie.
Grâce aux enseignements du débat national sur l'Energie, le Gouvernement français disposera bientôt de tous les éléments nécessaires à l'élaboration de la loi d'orientation sur les énergies annoncée par le Premier Ministre dans son discours de politique générale.
D'ores et déjà, il est clair que la redéfinition de la politique énergétique de la France devra s'appuyer sur une recherche forte et active, selon trois axes :
A court terme
Le maintien d'une part importante du nucléaire dans le bouquet énergétique de la France est une donnée incontournable.
La problématique de la gestion des déchets nucléaires est donc un enjeu essentiel pour le maintien de la filière nucléaire dans des conditions optimales d'utilisation. La recherche, dans ce domaine, se doit d'explorer toutes les voies : la séparation poussée, le stockage profond, l'entreposage.
Il convient de noter que la France a adopté, dès le début, le cycle du combustible fondé sur le traitement-recyclage, qui permet, d'une part, une meilleure utilisation des ressources et, d'autre part, une réduction de la quantité et de la nocivité à long terme des déchets ultimes.
Le Ministère de la Recherche et des Nouvelles Technologies s'est fortement impliqué dans la politique de gestion des déchets nucléaires, notamment en promouvant la recherche sur l'optimisation de leur stockage.
La mise au point de centrales nucléaires plus sûres et produisant moins de déchets entre également dans cette perspective de renouvellement de notre parc électro-nucléaire.
A moyen terme
A moyen terme, le plan "Transport Propre" prévoit, à l'horizon 2010-2013, la mise en place de véhicules plus économes en énergie et moins émetteurs de gaz à effet de serre.
Parallèlement, la recherche sur les énergies renouvelables doit être accentuée, dans le but à la fois de diminuer leur coût et d'améliorer leur efficacité, notamment pour les filières comme le photovoltaïque et les biocarburants.
Notre engagement de produire, à l'horizon 2010, 21% de notre électricité à partir de sources renouvelables, selon l'objectif fixé par l'UE, devra être respecté.
Le Ministère de la Recherche, en liaison avec les organismes en charge des questions énergétiques tels que l'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie (ADEME), le Commissariat à l'Energie Atomique (CAE), le CNRS ou encore l'Institut Français du Pétrole (IFP) travaille activement à la recherche des solutions scientifiques et technologiques permettant d'atteindre cet objectif.
Inscription dans le long terme
A plus longue échéance, nous fondons de grands espoirs sur l'hydrogène, vecteur énergétique porteur d'avenir, et pour lequel la France possède déjà une expérience certaine (réseau PaCO). Associé à une pile à combustible, l'hydrogène pourrait fournir de l'énergie pour les transports, les applications stationnaires dans le bâtiment, l'industrie sans émission de CO2. Certaines controverses existent sur ce vecteur, comme l'ont montré les débats lors de la conférence de juin à Bruxelles.
C'est pourquoi il est nécessaire de définir un plan d'action dans ce domaine, au niveau européen, qui permettrait de prendre en compte les sources d'énergie primaires dans les différents pays.
La nouvelle génération de réacteurs nucléaires (Génération IV), offre également des perspectives stimulantes pour la politique énergétique à venir.
Les centrales du futur devront être plus économes des ressources naturelles et respectueuses de l'environnement, plus économiques, plus fiables et devront marquer des avancées notables en matière de développement durable énergétique.
Ces systèmes pourront également être optimisés pour fournir d'autres applications que la production d'électricité, telles que la production d'hydrogène ou le dessalement de l'eau de mer ; il y a là, au-delà de l'énergie, des aspects globaux de développement particulièrement importants.
Mais, étant donné l'échéance à laquelle se profile l'arrivée des réacteurs de génération IV (pas avant 2035), la question du renouvellement de notre parc nucléaire actuel et l'installation de réacteurs de génération III devra être considérée par la France.
Enfin, il existe pour l'énergie des perspectives de progrès décisifs dans le domaine de la fusion contrôlée, avec la mise en place du projet ITER. La diversité et la haute technicité des compétences nécessaires à son élaboration, la complexité organisationnelle de ce projet en font un défi sans précédent. Il nous revient de soutenir son aboutissement, et par là-même, de modifier le paysage énergétique de la communauté internationale.
Mesdames, Messieurs,
Ces avancées technologiques sont autant de promesses d'un avenir énergétique que nous voulons plus respectueux de l'environnement, plus sécurisé et maîtrisé.
Le Ministère chargé de la Recherche s'associe à ce défi et travaille activement à l'identification de notre stratégie dans ce domaine. A l'échelle de l'Europe, l'union de nos compétences et la mise en commun de nos volontés sont déjà un gage d'avenir.
Je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.recherche.gouv.fr, le 30 septembre 2003)