Texte intégral
Lorsqu'on aborde la question de l'éducation, il faut commencer par refuser le catastrophisme. Non, tout ne va pas mal ! Globalement, notre système éducatif fonctionne plutôt bien. Nos écoles maternelles, entièrement gratuites, sont souvent citées en exemple. Au fil des décennies, nos collèges et nos lycées ont su accueillir des jeunes de plus en plus nombreux et conduire une proportion croissante de chaque classe d'âge au niveau du baccalauréat . Le bachelier moyen des années 2000 fait peut être plus de fautes d'orthographes que celui des années 1900, mais le nombre de jeunes ayant un niveau de formation secondaire est infiniment supérieur. Le troisième bac, le "bac pro ", est un remarquable succès de notre créativité pédagogique. On s'arrache nos diplômés de l'enseignement supérieur sur le marché international du travail -du moins dans certaines disciplines. La grande majorité de nos enseignants est compétente et dévouée.
Pas d'optimisme béat non plus ! Les difficultés existent, souvent graves. L'illettrisme, à l'entrée au collège, reste un fléau. Près d'un tiers des élèves ont, à ce niveau, des difficultés graves avec la lecture ou le calcul. La majorité d'entre eux ne rattrapera pas ce retard : 94 % des collégiens en grande difficulté en 6ème le sont encore en 3ème.
Trop de jeunes quittent l'enseignement secondaire sans aucune formation professionnelle : 150.000 par an, un élève sur 6 dans l'enseignement technique ! Leur échec constitue un coût caché considérable de notre système scolaire : mal formés, ces jeunes vont souvent peser pendant des années sur des budgets consacrés à la politique d'insertion, avant d'aller grossir les cohortes de chômeurs de longue durée.
Le taux d'échec, au terme de deux années d'université est un gâchis inacceptable. Dans certaines filières, 6 étudiants sur 10 ratent la première année de DEUG. Ils désertent quelquefois amphis et TD dès les premiers jours de novembre, étudiants fictifs à force d'anonymat et d'isolement.
L'ascenseur social est en panne et l'Education nationale joue moins bien son rôle de promotion sociale qu'il y a 30 ou 40 ans. Le savoir a cessé d'être une clé essentielle de la réussite. Il suscite du coup moins d'intérêt, moins d'effort, moins de respect pour ceux qui l'incarnent.
Comment ne pas comprendre, dans ces conditions, le malaise ou le mal-être du corps enseignant, qui vient encore de s'exprimer au printemps dernier par des mouvements de grève aux motivations complexes ? Angoisse pour la retraite bien sûr, fantasmes sur la décentralisation, mais aussi pénibilité du travail, confrontation avec la violence, remise en cause de valeurs acquises, incertitudes sur les finalités même du système et perte d'attractivité du métier
Devant un trouble si profond, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin propose un " grand débat " à la Nation et souhaite y consacrer le temps nécessaire pour aller au fond des choses. La démarche est bonne et le devoir de chacun est de répondre " présent ". Car chaque Française, chaque Français qui a été, est ou sera élève puis parent d'élève, est directement concerné. D'ailleurs, il suffit, dans une circonscription ou une commune, qu'un député ou un maire organise une rencontre sur l'éducation pour voir affluer des participants motivés ou avides de parler.
Sans anticiper sur les conclusions de ce grand débat, il n'est peut-être pas trop tôt pour -sans esquisser une nième " grande réforme " de l'Education nationale- soulever quelques questions prioritaires et suggérer quelques pistes d'action.
Les Français ont-ils l'éducation que mérite leur investissement collectif : une des plus forte dépense d'éducation du monde (plus de 6 % du PIB contre moins de 5 % en Allemagne, en Italie et en Grande-Bretagne), mille milliards d'euros par an, un plan Marshall ou l'équivalent d'un treizième mois pour chaque Français ?
1) Tout commence, bien sûr, à l'école élémentaire. Nos enfants doivent la quitter en sachant "lire, écrire et compter". Tout le monde en convient. Mais tirons-nous de cette affirmation simple toutes les conséquences concrètes ?
Savons-nous, par exemple, résister à la tentation de demander à l'école d'assurer toutes sortes de mission dont d'autres institutions, ou tout bonnement les familles, se défaussent volontiers sur elle ? Notamment, initier les écoliers à : la sécurité routière, la diététique, l'écologie, la sexualité, les langues étrangères, et pourquoi pas le droit et l'économie. J'entendais récemment à la radio un " pédagogue " très sûr de lui s'indigner qu'on ne donnât pas des rudiments de droit dans les écoles
Sommes-nous vraiment décidés à réserver, dans l'emploi du temps global qui n'est pas indéfiniment extensible, les heures nécessaires à l'apprentissage de la lecture, de l'écriture et du calcul ? Le temps d'acquisition ne sert à rien, nous disent les pédiatres, s'il n'est pas accompagné par un temps de repos, puis par un temps de répétition et de contrôle. Avons-nous le courage d'adapter le rythme de la journée à ces impératifs ?
Avons-nous clarifié la question des méthodes d'enseignement ? Des générations d'élèves ont fait les frais de la créativité pédagogique des zélateurs de la " méthode globale " ou de la théorie " des ensembles ". En maternelle, l'acquisition de la maîtrise graphique semble aujourd'hui prioritaire par rapport aux rudiments du déchiffrage des syllabes et des chiffres. Voulons-nous faire de tous nos enfants des peintres ?
Comment enfin faut-il évaluer le niveau atteint à l'entrée en 6ème et combler les lacunes de ceux qui ne maîtrisent pas à ce stade les savoirs fondamentaux ? C'est déjà la diversification des parcours scolaires qui est en jeu.
2) Deuxième problème, en effet : le collège que beaucoup considèrent comme le maillon faible de la chaîne éducative.
Rompons, une fois pour toutes, avec la langue de bois. Le collège unique n'était pas une bonne idée parce qu'il sous-estimait la diversité de nos enfants, leurs différences de niveau, de capacité, de curiosité, de maturité. La loi de 1989 a encore renforcé la standardisation du collège en gravant dans le marbre le principe du parcours unique pour tous, une absurdité aux oreilles de tout pédagogue.
Nous ne pouvons pas accepter que pour beaucoup d'adolescents, les trop longues journées au collège riment avec bruit -un facteur important de stress et de fatigue- et ennui.
Au collège unique, il faut substituer le collège pour tous qui donne à tous les collégiens un cur de connaissances communes qui constituent notre culture partagée, mais selon des parcours diversifiés et personnalisés. Là encore, il y a en réalité consensus. A nous de le mettre en uvre sans tarder, ce qui suppose notamment :
- une transformation profonde de l'orientation scolaire et de ses méthodes. Elle doit être plus précoce (dès la 4ème) et plus personnalisée, ce qui passe par une amélioration du dispositif des conseillers d'orientation psychologues (COPSY) et une plus grande implication des enseignants eux-mêmes dans l'orientation tout au long des années de collège (tutorat personnalisé, parrainage individuel).
- une remise à égalité de l'enseignement professionnel et de l'enseignement général. Ici encore une meilleure allocation des moyens est sans doute nécessaire. Mais il y faut surtout une révolution des mentalités et des comportements. Il faut convaincre élèves, enseignants, parents, que l'enseignement professionnel -domaine privilégié de l'alternance- n'est pas une formation au rabais, réservée à ceux qui ne peuvent emprunter la voie royale du baccalauréat général mais un autre parcours d'excellence qui peut favoriser l'épanouissement des talents, conduire à une activité professionnelle gratifiante et permettre, par des passerelles adéquates, de renouer, à une autre étape de la vie, avec des filières longues.
En la matière, il est temps de passer de l'incantation à l'action, par une politique d'information et de promotion ambitieuse.
3) Troisième problème : l'échec universitaire au terme du premier cycle de l'enseignement supérieur.
Particulièrement élevé en France, il a sans doute de multiples raisons. Les carences de l'orientation et l'insuffisante attractivité des filières professionnelles y contribuent pour beaucoup. Mais il faut aussi mettre en cause le manque d'encadrement dont pâtissent nos plus jeunes étudiants.
Combien sont-ils, brusquement projetés loin de leur cadre de vie habituel, livrés à eux-mêmes dans une jungle universitaire où ils trouvent rarement le conseil ou l'écoute d'un professeur ou d'un tuteur capable de les guider ?
Beaucoup d'étudiants modestes, qui sont, dans leur famille, les premiers à entrer à l'université, portent le poids d'un stress qui les éloigne de leurs études : trouver un logement, quelques ressources, les moyens de travailler (un ordinateur, des livres). Ils sont souvent les premiers à " craquer ". Les fonds dispersés dans de trop nombreux dispositifs d'aide méritent peut-être de se voir reconcentrés dans une allocation étudiante digne de ce nom.
Le système universitaire anglo-saxon semble, sur ce point, bien plus accueillant que le nôtre : tutorat, bourses, prêts, petits boulots réservés aux étudiants, large capacité d'accueil des bibliothèques, solidarité entre étudiants et anciens, encouragée fiscalement.
En France, la collectivité dépense moins pour un étudiant que pour un lycéen, c'est tout dire. S'il est un secteur où des moyens supplémentaires se justifient, c'est bien celui- là.
4) Enfin et peut-être surtout : le métier d'enseignant et la crise de confiance qu'il traverse.
Plus que toutes autres, les conditions d'exercice de ce métier ont drastiquement changé.
Les enfants ont changé : ils en apprennent souvent plus sur le monde et la vie en dehors de l'école qu'à l'école elle-même ; on pense d'emblée à la télévision et maintenant à l'internet. Leur capacité d'attention s'est modifiée : ils " zappent " en cours aussi fréquemment que devant leur petit écran et l'enseignant doit en permanence accrocher leur curiosité. Le temps du tête-à-tête solitaire du maître polyvalent avec sa classe, six heures par jour, est peut-être révolu. Ne devons-nous pas multiplier à côté des professeurs d'autres voix, d'autres contacts, d'autres expériences ? Il faut tout un village pour faire un enfant, aiment à dire les pédagogues américains.
Les parents ont changé : les uns, forts de leur niveau universitaire, prétendent parfois en remontrer aux enseignants sur la façon d'exercer leur métier ; d'autres, à l'inverse, démissionnent et se démettent sur l'école du poids de leurs responsabilités les plus élémentaires.
Les enseignants eux-mêmes ont changé. Toute une génération d'entre eux a été nourrie au lait de mai 1968 : " il est interdit d'interdire ", précepte pris au pied de la lettre ; " l'enfant est au cur du système éducatif ", c'est-à-dire -si l'on décrypte- l'enseignant doit se borner à favoriser, de manière aussi neutre que possible, l'éclosion du génie qui sommeille en chacun de nos chérubins sans le traumatiser par une pédagogie trop directive.
Or voici que ces dogmes s'effondrent. Il y a bien des comportements qu'il est impératif d'interdire, à commencer par la violence dont l'enseignant lui-même peut être la victime ! Avec près de 100.000 actes de violence recensés chaque année, aucun enseignant du secondaire ne peut se sentir à l'abri de l'irrespect et de l'impuissance.
Et l'on redécouvre que la relation entre l'enseignant qui sait et l'élève qui apprend est par nature inégalitaire. Le monde enseignant est en train d'accomplir sa révolution copernicienne. Passer d'un ciel à l'autre ne se fait pas sans douleur.
Face à de telles mutations, la Nation doit tenir à ses enseignants un discours de vérité.
" Oui, votre rôle dans la société est vital puisque vous préparez nos jeunes non seulement à acquérir les connaissances qui leur seront nécessaires, notamment pour exercer un ou plusieurs métiers, mais aussi à former leur jugement et l'esprit critique qui sont le socle de la liberté et de la dignité de la personne. Voilà pourquoi la Nation doit vous donner les moyens matériels et moraux d'assumer votre mission ".
La prolétarisation progressive des enseignants dans le corps social est une faute qui explique une bonne partie de nos déboires collectifs et l'affaiblissement de nos repères. Il faut y mettre un terme en re-créant les conditions d'une réelle attractivité du métier, du début à la fin de la carrière.
Mais le discours de vérité à l'adresse des enseignants doit aller jusqu'au bout de sa logique : "Forts de la reconnaissance de la Nation, vous portez une responsabilité éminente que vous devez assumer en toute clarté. Votre profession, comme toute autre, doit évaluer ses résultats et ses performances. Le mérite du plus grand nombre d'entre vous qui se dévouent sans compter à leur tâche doit être récompensé. L'Education nationale doit briser le carcan bureaucratique qui trop souvent la paralyse et retrouver souplesse, efficacité, sens des responsabilités".
L'idée qu'on devient " prof " pour le rester jusqu'à la retraite est, comme la fameuse " vocation enseignante ", un mythe sacerdotal bien surprenant dans l'univers laïc de l'Education nationale. Il faut pouvoir devenir professeur à tout âge. L'enseignement peut être un magnifique second métier, un formidable emploi de complément à temps partiel, pour ceux et celles qui veulent reprendre une activité après une vie d'expérience.
Le cloisonnement de la carrière enseignante en fait un univers à part, trop souvent hermétique. La mobilité des enseignants dans l'administration, des périodes d'alternance en entreprise pour ceux qui le veulent, doivent donner plus d'air à notre fonction enseignante. Pour enseigner le monde de leur temps, les professeurs n'éprouvent-ils pas souvent le besoin de le connaître d'expérience ?
J'ai bien conscience que ces quelques réflexions n'épuisent pas le sujet. La complexité et la variété des problèmes incitent à la modestie. Mais il peut être utile d'ouvrir le débat, voire de susciter la controverse. Ces lignes n'ont pas d'autre ambition.
(source http://www.u-m-p.org, le 22 septembre 2003)
Pas d'optimisme béat non plus ! Les difficultés existent, souvent graves. L'illettrisme, à l'entrée au collège, reste un fléau. Près d'un tiers des élèves ont, à ce niveau, des difficultés graves avec la lecture ou le calcul. La majorité d'entre eux ne rattrapera pas ce retard : 94 % des collégiens en grande difficulté en 6ème le sont encore en 3ème.
Trop de jeunes quittent l'enseignement secondaire sans aucune formation professionnelle : 150.000 par an, un élève sur 6 dans l'enseignement technique ! Leur échec constitue un coût caché considérable de notre système scolaire : mal formés, ces jeunes vont souvent peser pendant des années sur des budgets consacrés à la politique d'insertion, avant d'aller grossir les cohortes de chômeurs de longue durée.
Le taux d'échec, au terme de deux années d'université est un gâchis inacceptable. Dans certaines filières, 6 étudiants sur 10 ratent la première année de DEUG. Ils désertent quelquefois amphis et TD dès les premiers jours de novembre, étudiants fictifs à force d'anonymat et d'isolement.
L'ascenseur social est en panne et l'Education nationale joue moins bien son rôle de promotion sociale qu'il y a 30 ou 40 ans. Le savoir a cessé d'être une clé essentielle de la réussite. Il suscite du coup moins d'intérêt, moins d'effort, moins de respect pour ceux qui l'incarnent.
Comment ne pas comprendre, dans ces conditions, le malaise ou le mal-être du corps enseignant, qui vient encore de s'exprimer au printemps dernier par des mouvements de grève aux motivations complexes ? Angoisse pour la retraite bien sûr, fantasmes sur la décentralisation, mais aussi pénibilité du travail, confrontation avec la violence, remise en cause de valeurs acquises, incertitudes sur les finalités même du système et perte d'attractivité du métier
Devant un trouble si profond, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin propose un " grand débat " à la Nation et souhaite y consacrer le temps nécessaire pour aller au fond des choses. La démarche est bonne et le devoir de chacun est de répondre " présent ". Car chaque Française, chaque Français qui a été, est ou sera élève puis parent d'élève, est directement concerné. D'ailleurs, il suffit, dans une circonscription ou une commune, qu'un député ou un maire organise une rencontre sur l'éducation pour voir affluer des participants motivés ou avides de parler.
Sans anticiper sur les conclusions de ce grand débat, il n'est peut-être pas trop tôt pour -sans esquisser une nième " grande réforme " de l'Education nationale- soulever quelques questions prioritaires et suggérer quelques pistes d'action.
Les Français ont-ils l'éducation que mérite leur investissement collectif : une des plus forte dépense d'éducation du monde (plus de 6 % du PIB contre moins de 5 % en Allemagne, en Italie et en Grande-Bretagne), mille milliards d'euros par an, un plan Marshall ou l'équivalent d'un treizième mois pour chaque Français ?
1) Tout commence, bien sûr, à l'école élémentaire. Nos enfants doivent la quitter en sachant "lire, écrire et compter". Tout le monde en convient. Mais tirons-nous de cette affirmation simple toutes les conséquences concrètes ?
Savons-nous, par exemple, résister à la tentation de demander à l'école d'assurer toutes sortes de mission dont d'autres institutions, ou tout bonnement les familles, se défaussent volontiers sur elle ? Notamment, initier les écoliers à : la sécurité routière, la diététique, l'écologie, la sexualité, les langues étrangères, et pourquoi pas le droit et l'économie. J'entendais récemment à la radio un " pédagogue " très sûr de lui s'indigner qu'on ne donnât pas des rudiments de droit dans les écoles
Sommes-nous vraiment décidés à réserver, dans l'emploi du temps global qui n'est pas indéfiniment extensible, les heures nécessaires à l'apprentissage de la lecture, de l'écriture et du calcul ? Le temps d'acquisition ne sert à rien, nous disent les pédiatres, s'il n'est pas accompagné par un temps de repos, puis par un temps de répétition et de contrôle. Avons-nous le courage d'adapter le rythme de la journée à ces impératifs ?
Avons-nous clarifié la question des méthodes d'enseignement ? Des générations d'élèves ont fait les frais de la créativité pédagogique des zélateurs de la " méthode globale " ou de la théorie " des ensembles ". En maternelle, l'acquisition de la maîtrise graphique semble aujourd'hui prioritaire par rapport aux rudiments du déchiffrage des syllabes et des chiffres. Voulons-nous faire de tous nos enfants des peintres ?
Comment enfin faut-il évaluer le niveau atteint à l'entrée en 6ème et combler les lacunes de ceux qui ne maîtrisent pas à ce stade les savoirs fondamentaux ? C'est déjà la diversification des parcours scolaires qui est en jeu.
2) Deuxième problème, en effet : le collège que beaucoup considèrent comme le maillon faible de la chaîne éducative.
Rompons, une fois pour toutes, avec la langue de bois. Le collège unique n'était pas une bonne idée parce qu'il sous-estimait la diversité de nos enfants, leurs différences de niveau, de capacité, de curiosité, de maturité. La loi de 1989 a encore renforcé la standardisation du collège en gravant dans le marbre le principe du parcours unique pour tous, une absurdité aux oreilles de tout pédagogue.
Nous ne pouvons pas accepter que pour beaucoup d'adolescents, les trop longues journées au collège riment avec bruit -un facteur important de stress et de fatigue- et ennui.
Au collège unique, il faut substituer le collège pour tous qui donne à tous les collégiens un cur de connaissances communes qui constituent notre culture partagée, mais selon des parcours diversifiés et personnalisés. Là encore, il y a en réalité consensus. A nous de le mettre en uvre sans tarder, ce qui suppose notamment :
- une transformation profonde de l'orientation scolaire et de ses méthodes. Elle doit être plus précoce (dès la 4ème) et plus personnalisée, ce qui passe par une amélioration du dispositif des conseillers d'orientation psychologues (COPSY) et une plus grande implication des enseignants eux-mêmes dans l'orientation tout au long des années de collège (tutorat personnalisé, parrainage individuel).
- une remise à égalité de l'enseignement professionnel et de l'enseignement général. Ici encore une meilleure allocation des moyens est sans doute nécessaire. Mais il y faut surtout une révolution des mentalités et des comportements. Il faut convaincre élèves, enseignants, parents, que l'enseignement professionnel -domaine privilégié de l'alternance- n'est pas une formation au rabais, réservée à ceux qui ne peuvent emprunter la voie royale du baccalauréat général mais un autre parcours d'excellence qui peut favoriser l'épanouissement des talents, conduire à une activité professionnelle gratifiante et permettre, par des passerelles adéquates, de renouer, à une autre étape de la vie, avec des filières longues.
En la matière, il est temps de passer de l'incantation à l'action, par une politique d'information et de promotion ambitieuse.
3) Troisième problème : l'échec universitaire au terme du premier cycle de l'enseignement supérieur.
Particulièrement élevé en France, il a sans doute de multiples raisons. Les carences de l'orientation et l'insuffisante attractivité des filières professionnelles y contribuent pour beaucoup. Mais il faut aussi mettre en cause le manque d'encadrement dont pâtissent nos plus jeunes étudiants.
Combien sont-ils, brusquement projetés loin de leur cadre de vie habituel, livrés à eux-mêmes dans une jungle universitaire où ils trouvent rarement le conseil ou l'écoute d'un professeur ou d'un tuteur capable de les guider ?
Beaucoup d'étudiants modestes, qui sont, dans leur famille, les premiers à entrer à l'université, portent le poids d'un stress qui les éloigne de leurs études : trouver un logement, quelques ressources, les moyens de travailler (un ordinateur, des livres). Ils sont souvent les premiers à " craquer ". Les fonds dispersés dans de trop nombreux dispositifs d'aide méritent peut-être de se voir reconcentrés dans une allocation étudiante digne de ce nom.
Le système universitaire anglo-saxon semble, sur ce point, bien plus accueillant que le nôtre : tutorat, bourses, prêts, petits boulots réservés aux étudiants, large capacité d'accueil des bibliothèques, solidarité entre étudiants et anciens, encouragée fiscalement.
En France, la collectivité dépense moins pour un étudiant que pour un lycéen, c'est tout dire. S'il est un secteur où des moyens supplémentaires se justifient, c'est bien celui- là.
4) Enfin et peut-être surtout : le métier d'enseignant et la crise de confiance qu'il traverse.
Plus que toutes autres, les conditions d'exercice de ce métier ont drastiquement changé.
Les enfants ont changé : ils en apprennent souvent plus sur le monde et la vie en dehors de l'école qu'à l'école elle-même ; on pense d'emblée à la télévision et maintenant à l'internet. Leur capacité d'attention s'est modifiée : ils " zappent " en cours aussi fréquemment que devant leur petit écran et l'enseignant doit en permanence accrocher leur curiosité. Le temps du tête-à-tête solitaire du maître polyvalent avec sa classe, six heures par jour, est peut-être révolu. Ne devons-nous pas multiplier à côté des professeurs d'autres voix, d'autres contacts, d'autres expériences ? Il faut tout un village pour faire un enfant, aiment à dire les pédagogues américains.
Les parents ont changé : les uns, forts de leur niveau universitaire, prétendent parfois en remontrer aux enseignants sur la façon d'exercer leur métier ; d'autres, à l'inverse, démissionnent et se démettent sur l'école du poids de leurs responsabilités les plus élémentaires.
Les enseignants eux-mêmes ont changé. Toute une génération d'entre eux a été nourrie au lait de mai 1968 : " il est interdit d'interdire ", précepte pris au pied de la lettre ; " l'enfant est au cur du système éducatif ", c'est-à-dire -si l'on décrypte- l'enseignant doit se borner à favoriser, de manière aussi neutre que possible, l'éclosion du génie qui sommeille en chacun de nos chérubins sans le traumatiser par une pédagogie trop directive.
Or voici que ces dogmes s'effondrent. Il y a bien des comportements qu'il est impératif d'interdire, à commencer par la violence dont l'enseignant lui-même peut être la victime ! Avec près de 100.000 actes de violence recensés chaque année, aucun enseignant du secondaire ne peut se sentir à l'abri de l'irrespect et de l'impuissance.
Et l'on redécouvre que la relation entre l'enseignant qui sait et l'élève qui apprend est par nature inégalitaire. Le monde enseignant est en train d'accomplir sa révolution copernicienne. Passer d'un ciel à l'autre ne se fait pas sans douleur.
Face à de telles mutations, la Nation doit tenir à ses enseignants un discours de vérité.
" Oui, votre rôle dans la société est vital puisque vous préparez nos jeunes non seulement à acquérir les connaissances qui leur seront nécessaires, notamment pour exercer un ou plusieurs métiers, mais aussi à former leur jugement et l'esprit critique qui sont le socle de la liberté et de la dignité de la personne. Voilà pourquoi la Nation doit vous donner les moyens matériels et moraux d'assumer votre mission ".
La prolétarisation progressive des enseignants dans le corps social est une faute qui explique une bonne partie de nos déboires collectifs et l'affaiblissement de nos repères. Il faut y mettre un terme en re-créant les conditions d'une réelle attractivité du métier, du début à la fin de la carrière.
Mais le discours de vérité à l'adresse des enseignants doit aller jusqu'au bout de sa logique : "Forts de la reconnaissance de la Nation, vous portez une responsabilité éminente que vous devez assumer en toute clarté. Votre profession, comme toute autre, doit évaluer ses résultats et ses performances. Le mérite du plus grand nombre d'entre vous qui se dévouent sans compter à leur tâche doit être récompensé. L'Education nationale doit briser le carcan bureaucratique qui trop souvent la paralyse et retrouver souplesse, efficacité, sens des responsabilités".
L'idée qu'on devient " prof " pour le rester jusqu'à la retraite est, comme la fameuse " vocation enseignante ", un mythe sacerdotal bien surprenant dans l'univers laïc de l'Education nationale. Il faut pouvoir devenir professeur à tout âge. L'enseignement peut être un magnifique second métier, un formidable emploi de complément à temps partiel, pour ceux et celles qui veulent reprendre une activité après une vie d'expérience.
Le cloisonnement de la carrière enseignante en fait un univers à part, trop souvent hermétique. La mobilité des enseignants dans l'administration, des périodes d'alternance en entreprise pour ceux qui le veulent, doivent donner plus d'air à notre fonction enseignante. Pour enseigner le monde de leur temps, les professeurs n'éprouvent-ils pas souvent le besoin de le connaître d'expérience ?
J'ai bien conscience que ces quelques réflexions n'épuisent pas le sujet. La complexité et la variété des problèmes incitent à la modestie. Mais il peut être utile d'ouvrir le débat, voire de susciter la controverse. Ces lignes n'ont pas d'autre ambition.
(source http://www.u-m-p.org, le 22 septembre 2003)