Déclaration de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, en réponse à une question sur l'abolition de l'esclavage et la notion de "crime contre l'humanité", à l'Assemblée nationale le 28 avril 1998.

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Sur l'expression "crime contre l'humanité", vous pensez qu'elle peut s'appliquer à cette page noire de notre histoire, lorsque quinze à trente millions de jeunes hommes et de jeunes femmes ont été arrachés aux côtes d'Afrique.
Si on s'en tient au plan historique, au plan humain, l'ampleur des souffrances endurées peut évidemment autoriser à employer l'expression.
Si je m'en tiens à la définition juridique, vous savez que le Code pénal dans son article 212-1 précise les deux conditions qui sont nécessaires pour que la réduction à l'esclavage constitue un crime contre l'humanité. Premièrement, il faut qu'elle ait été inspirée par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux. Chacun sait que c'est quand même le motif économique qui a le plus directement inspiré les armateurs nantais, bordelais ou havrais dans l'extraordinaire mobilisation de la puissance maritime française pour se livrer à ce commerce mondial avec une matière première singulière, dont vous dénonciez les méfaits.
Mais, s'il est vrai que certains propos racistes, religieux parfois, souvent philosophiques, pouvaient donner bonne conscience à ces armateurs français et européens, on a tout à l'heure rappelé, et vous-même l'avez fait, que la France n'était pas la seule, hélas, à pouvoir regretter cette triste page de son histoire. Faut-il rappeler un texte intéressant qui est tiré du dictionnaire de l'histoire naturelle de 1803 : "Le nègre est et sera toujours esclave. L'intérêt l'exige, la politique le demande et sa propre constitution s'y soumet presque sans peine". Ce "presque" est tout à fait intéressant. Mais, il est vrai que ce n'était pas non plus, et c'est la seconde condition posée par le Code pénal, une oeuvre organisée en exécution d'un plan concerté à l'encontre d'un groupe de populations. Ce sont, en réalité, toutes les populations côtières d'Afrique qui en ont été victimes.
Je voudrais d'abord dire qu'en effet le dommage durable qui a été subi par de nombreux territoires africains vaut réparation et la France devrait y trouver, comme d'autres, une justification, s'il en était besoin, à un effort massif de l'aide publique au développement de ces pays-là.
S'agissant de la question de l'expression "crime contre l'humanité", nous sommes disposés à l'examiner et Mme la ministre de la Justice y est, pour sa part, disposée. Il faudrait quand même rappeler, s'il en était besoin, que les formes les plus modernes d'esclavage, et je pense en particulier à l'exploitation des domestiques, sont heureusement couvertes par d'autres dispositions pénales. Est-il besoin de dire que le gouvernement lutte avec détermination par le biais de ces dispositions, pour empêcher ces formes modernes d'esclavage ?
Mais, en tout cas, la question que vous avez posée peut être considérée comme désormais à l'étude. Nous aurons l'occasion d'en reparler./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 septembre 2001)